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[Les] amours [Document électronique] / Pierre de Ronsard ; [éd. par Henri Weber et Catherine Weber]
 

Les Amours de P. De Ronsard Vandomois 1552-1553

 

Voeu

Divin troupeau, qui sur les rives molles

Du fleuve Eurote, ou sur le mont natal,

Ou sur le bord du chevalin crystal,

Assis, tenez vos plus sainctes escolles:

Si quelque foys aux saultz de vos carolles

M'avez receu par ung astre fatal,

Plus dur qu'en fer, qu'en cuyvre ou qu'en metal,

Dans vostre temple engravez ces paroles:

Ronsard, affin que le siecle a venir,

De pere en filz se puisse souvenir,

D'une beauté qui sagement affolé,

De la main dextre append a nostre autel,

L'humble discours de son livre immortel,

Son cuoeur de l'autre, aux piedz de ceste idole.

I

Qui voudra voyr comme un Dieu me surmonte,

Comme il m'assault, comme il se fait vainqueur,

Comme il r'enflamme, et r'englace mon cuoeur,

Comme il reçoit un honneur de ma honte,

Qui voudra voir une jeunesse prompte

A suyvre en vain l'object de son malheur,

Me vienne voir: il voirra ma douleur,

Et la rigueur de l'Archer qui me donte.

Il cognoistra combien la raison peult

Contre son arc, quand une foys il veult

Que nostre cuoeur son esclave demeure:

Et si voirra que je suis trop heureux,

D'avoir au flanc l'aiguillon amoureux,

Plein du venin dont il fault que je meure.

II

Nature ornant la dame qui devoyt

De sa douceur forcer les plus rebelles,

Luy fit present des beautez les plus belles,

Que des mille ans en espargne elle avoyt

Tout ce qu'Amour avarement couvoyt,

De beau, de chaste, et d'honneur soubz ses ailles,

Emmiella les graces immortelles

De son bel oeil qui les dieux emouvoyt.

Du ciel à peine elle estoyt descendue,

Quand je la vi, quand mon ame ésperdue

En devint folle: et d'un si poignant trait,

Le fier destin l'engrava dans mon ame,

Que vif ne mort, jamais d'une aultre dame

Empraint au cuoeur je n'auray le portraict.

III

Dans le serain de sa jumelle flamme

Je vis Amour, qui son arc desbandoit,

Et sus mon cuoeur le brandon éspandoit,

Qui des plus froids les moëlles enflamme.

Puis çà puis là pres les yeulx de ma dame

Entre cent fleurs un retz d'or me tendoit,

Qui tout crespu blondement descendoit

A flotz ondez pour enlasser mon ame.

Qu'eussay-je faict l'Archer estoit si doulx,

Si doulx son feu, si doulx l'or de ses noudz,

Qu'en leurs filetz encore je m'oublie:

Mais cest oubli ne me tourmente point,

Tant doulcement le doulx Archer me poingt,

Le feu me brusle, et l'or crespe me lie.

IV

Je ne suis point, ma guerriere Cassandre,

Ne Myrmidon, ne Dolope souldart,

Ne cest Archer, dont l'homicide dart

Occit ton frere, et mit ta ville en cendre.

En ma faveur pour esclave te rendre

Un camp armé d'Aulide ne depart,

Et tu ne voys au pied de ton rempart

Pour t'emmener mille barques descendre.

Mais bien je suis ce Chorébe insensé,

Qui pour t'amour ay le cuoeur offensé,

Non de la main du Gregeois Penelée:

Mais de cent traitz qu'un Archerot vainqueur,

Par une voye en mes yeulx recelée,

Sans y penser me ficha dans le cuoeur.

V

Pareil j'egalle au soleil que j'adore

L'autre soleil. Cestuy là de ses yeulx

Enlustre, enflamme, enlumine les cieulx

Et cestuy ci toute la terre honore.

L'art, la Nature et les Astres encore

Les Elements, les Graces et les Dieux

Ont prodigué le parfaict de leur mieux,

Dans son beau jour qui le nostre décore.

Heureux, cent foys heureux, si le destin

N'eust emmuré d'un fort diamantin

Si chaste cuoeur dessoubz si belle face:

Et plus heureux si je n'eusse arraché

Mon cuoeur de moy, pour l'avoyr attaché

De cloudz de feu sur le froid de sa glace.

VI

Ces liens d'or, ceste bouche vermeille,

Pleine de lis, de roses, et d'oeuilletz,

Et ces couraulx chastement vermeilletz,

Et ceste joue à l'Aurore pareille:

Ces mains, ce col, ce front, et ceste oreille,

Et de ce sein les boutons verdeletz,

Et de ces yeulx les astres jumeletz,

Qui font trembler les ames de merveille:

Feirent nicher Amour dedans mon sein,

Qui gros de germe avoit le ventre plein,

D'oeufz non formez et de glaires nouvelles.

Et luy couvant (qui de mon cuoeur jouit

Neuf mois entiers) en un jour m'eclouit

Mille amoureaux chargez de traits et d'aisles.

VII

Bien qu'à grand tort il te plaist d'allumer

Dedans mon cuoeur, siege à ta seigneurie,

Non d'une amour, ainçois d'une furie

Le feu cruel pour mes os consumer,

L'aspre torment ne m'est point si amer,

Qu'il ne me plaise, et si n'ay pas envie

De me douloir: car je n'ayme ma vie

Si non d'autant qu'il te plaist de l'aimer.

Mais si les cieulx m'ont fait naistre, Ma dame.

Pour estre tien, ne genne plus mon ame,

Mais pren en gré ma ferme loyaulté.

Vault il pas mieulx en tirer du service,

Que par l'horreur d'un cruel sacrifice,

L'occire aux piedz de ta fiere beauté?

VIII

Lors que mon oeil pour t'oeillader s'amuse,

Le tien habile à ses traits decocher,

Estrangement m'empierre en un rocher,

Comme au regard d'une horrible Meduse.

Moy donc rocher, si dextrement je n'use

L'outil des Seurs pour ta gloire esbaucher,

Qu'un seul Tuscan est digne de toucher,

Non le changé, mais le changeur accuse.

Las, qu'ay je dit? Dans un roc emmuré,

En te blamant je ne suis asseuré,

Tant j'ay grand peur des flammes de ton ire,

Et que mon chef par le feu de tes yeux

Soit diffamé, comme les monts d'Epire

Sont diffamez par les flammes des cieulx.

IX

Le plus toffu d'un solitaire boys,

Le plus aigu d'une roche sauvage,

Le plus desert d'un separé rivage,

Et la frayeur des antres les plus coys:

Soulagent tant les soupirs de ma voix,

Qu'au seul escart de leur secret ombrage,

Je sens garir une amoureuse rage,

Qui me raffolle au plus verd de mes moys.

Là, renversé dessus leur face dure,

Hors de mon sein je tire une peinture,

De touts mes maulx le seul allegement,

Dont les beaultez par Denisot encloses,

Me font sentir mille metamorphoses

Tout en un coup, d'un regard seulement.

X

Je pais mon cuoeur d'une telle ambrosie,

Que je ne suis à bon droit envieux

De ceste là qui le pere des dieux

Chez l'Ocean friande resasie.

Celle qui tient ma liberté saisie,

Voire mon cuoeur dans le jour de ses yeux,

Nourrist ma faim d'un fruict si precieux,

Qu'autre appareil ne paist ma fantaisie.

De l'avaller je ne me puis lasser,

Tant le plaisir d'un variant penser

Mon appetit nuict et jour faict renaistre.

Et si le fiel n'amoderoit un peu

Le doux du miel duquel je suis repeu,

Entre les dieux, dieu je ne voudroys estre.

XI

Amour, amour, donne moy paix ou trefve,

Ou bien retire, et d'un garrot plus fort

Tranche ma vie, et m'avance la mort,

Me bienheurant d'une langueur plus bréve.

Soit que le jour ou se couche, ou se leve,

Je sens tousjours un penser qui me mord,

Et contumax au cours de son effort,

De pis en pis mes angoisses r'engreve.

Que dois je faire? Amour me faict errer,

Si haultement que je n'ose esperer

De mon salut que la desesperance.

Puis qu'Amour donc ne me veult secourir

Pour me deffendre il me plaist de mourir,

Et par la mort trouver ma delivrance?

XII

J'espere et crains, je me tais et supplie,

Or je suis glace et ores un feu chault,

J'admire tout, et de rien ne me chault,

Je me delace, et puis je me relie.

Rien ne me plaist si non ce qui m'ennuye,

Je suis vaillant, et le cuoeur me default,

J'ay l'espoir bas, j'ay le courage hault,

Je doubte Amour, et si je le deffie.

Plus je me picque, et plus je suis restif,

J'ayme estre libre, et veulx estre captif,

Cent foys je meur, cent foys je prens naissance.

Un Promethée en passions je suis,

Et pour aymer perdant toute puissance,

Ne pouvant rien je fay ce que je puis.

XIII

Pour estre en vain tes beaulx soleilz aymant,

Non pour ravir leur divine estincelle,

Contre le roc de ta rigueur cruelle

Amour m'atache à mille cloux d'aymant.

En lieu d'un Aigle, un soing horriblement

Claquant du bec, et siflant de son aille,

Ronge goulu ma poictrine immortelle,

Par un desir qui naist journellement.

Mais de cent maulx, et de cent que j'endure,

Fiché, cloué, dessus ta rigueur dure,

Le plus cruel me seroit le plus doulx,

Si j'esperoys, apres un long espace,

Venir vers moy l'Hercule de ta grace

Pour delacer le moindre de mes nouds.

XIV

Je vy tes yeulx desoubz telle planette,

Qu'autre plaisir ne me peult contenter,

Si non le jour, si non la nuict, chanter,

Allege moy doulce plaisant' brunette.

O liberté combien je te regrette!

Combien le jour que je vy t'absenter,

Pour me laisser sans espoir tourmenter.

En ceste genne, où si mal on me traicte!

L'an est passé, le vingtuniesme jour

Du mois d'Avril, que je vins au sejour,

De la prison, où les amours me pleurent:

Et si ne voy (tant les liens sont fors)

Un seul moyen pour me tirer dehors,

Si par la mort toutes mes mors ne meurent.

XV

Hé qu'à bon droit les Charites d'Homere

Un faict soudain comparent au penser,

Qui parmy l'air scauroit bien devancer

Le Chevalier qui tua la Chimaire.

Si tost que luy une nef passagere

De mer en mer ne pourroit s'élancer,

Ny par les champs ne le sçauroit lasser

Du faux et vray la prompte messagere.

Le vent Borée ignorant le repos,

Conceut le mien, qui viste et qui dispos,

Et dans le ciel, et par la mer encore,

Et sur les champs, fait aillé belliqueur,

Comme un Zethés, s'envolle apres mon cueur,

Qu'une Harpye humainement devore.

XVI

Je veulx darder par l'univers ma peine,

Plus tost qu'un trait ne volle au descocher:

Je veulx de miel mes oreilles boucher

Pour n'ouir plus la voix de ma Sereine.

Je veulx muer mes deux yeulx en fontaine,

Mon cuoeur en feu, ma teste en un rocher,

Mes piedz en tronc, pour jamais n'aprocher

De sa beaulté si fierement humaine.

Je veulx changer mes pensers en oyseaux,

Mes doux souspirs en zephyres nouveaux,

Qui par le monde evanteront ma pleinte.

Et veulx encor de ma palle couleur,

Dessus le Loyr enfanter une fleur,

Qui de mon nom et de mon mal soit peinte.

XVII

Par un destin dedans mon cuoeur demeure,

L'oeil, et la main, et le crin delié,

Qui m'ont si fort, bruslé, serré, lié

Qu' ars, prins, lassé, par eulx fault que je meure.

Le feu, la serre, et le ret à toute heure,

Ardant, pressant, nouant mon amitié,

Occise aux piedz de ma fiere moitié

Font par sa mort ma vie estre meilleure.

Oeil, main et crin, qui flammez et gennez,

Et r'enlassez mon cuoeur que vous tenez:

Au labyrint de vostre crespe voye.

Hé que ne suis je Ovide bien disant!

Oeil tu seroys un bel Astre luisant,

Main un beau lis, crin un beau ret de soye.

XVIII

Un chaste feu qui les cuoeurs illumine,

Un or frisé de meint crespe annelet,

Un front de rose, un teint damoiselet,

Un ris qui l'ame aux astres achemine:

Une vertu de telles beaultez digne,

Un col de neige, une gorge de laict,

Un cuoeur ja meur dans un sein verdelet,

En dame humaine une beaulté divine

Un oeil puissant de faire jours les nuictz,

Une main forte à piller les ennuiz,

Qui tient ma vie en ses doitz enfermée,

Avecque un chant offensé doulcement

Ore d'un ris, or d'un gémissement:

De telz sorciers ma raison fut charmée.

XIX

Avant le temps tes temples fleuriront,

De peu de jours ta fin sera bornée,

Avant ton soir, se clorra ta journée,

Trahis d'espoir tes pensers periront.

Sans me fleschir tes escriptz flétriront,

En ton desastre ira ma destinée,

Ta mort sera pour m'amour terminée,

De tes souspirs tes nepveux se riront.

Tu seras faict d'un vulgaire la fable,

Tu bastiras sur l'incertain du sable,

Et vainement tu peindras dans les cieulx:

Ainsi disoit la Nymphe qui m'afolle,

Lors que le ciel pour séeller sa parolle

D'un dextre ésclair fut presage à mes yeulx.

XX

Je vouldroy bien richement jaunissant

En pluye d'or goute à goute descendre

Dans le beau sein de ma belle Cassandre,

Lors qu'en ses yeulx le somme va glissant.

Je vouldroy bien en toreau blandissant

Me transformer pour finement la prendre,

Quand elle va par l'herbe la plus tendre

Seule à l'escart mille fleurs ravissant.

Je vouldroy bien afin d' aiser ma peine

Estre un Narcisse, et elle une fontaine

Pour m'y plonger une nuict à sejour:

Et vouldroy bien que ceste nuict encore

Durast tousjours sans que jamais l'Aurore

D'un front nouveau nous r'allumast le jour.

XXI

Qu'Amour mon cuoeur, qu'Amour mon ame sonde,

Lui qui congnoist ma seulle intention,

Il trouvera que toute passion

Veuve d'espoir, par mes veines abonde.

Mon Dieu que j'ayme! est il possible au monde

De voyr un cuoeur si plein d'affection,

Pour le parfaict d'une perfection,

Qui m'est dans l'ame en playe si profonde?

Le cheval noir qui ma Royne conduit

Par le sentier où ma Chair la seduit,

A tant erré d'une vaine traverse,

Que j'ay grand peur, (si le blanc ne contraint

Sa course vague, et ses pas ne refraint

Dessoubz le joug) que ma raison ne verse.

XXII

Cent et cent foys penser un penser mesme,

A deux beaulx yeulx montrer à nud son cuoeur,

Se desoyfver d'une amere liqueur,

S'aviander d'une amertume estresme:

Avoyr la face amoureusement blesme,

Plus souspirer, moins fleschir la rigueur,

Mourir d'ennuy, receler sa langueur,

Du vueil d'aultruy des loix faire à soy mesme:

Un court despit, une aimantine foy,

Aymer trop mieulx son ennemi que soy,

Peindre en ses yeulx mille vaines figures:

Vouloir parler et n'oser respirer,

Esperer tout et se desesperer,

Sont de ma mort les plus certains augures.

XXIII

Ce beau coral, ce marbre qui souspire,

Et cest ébénne ornement d'un sourci,

Et cest albastre en vouste racourci,

Et ces zaphirs, ce jaspe, et ce porphyre,

Ces diaments, ces rubis qu'un zephyre

Tient animez d'un souspir adouci,

Et ces oeilletz, et ces roses aussi,

Et ce fin or, où l'or mesme se mire,

Me sont au cuoeur en si profond esmoy,

Qu'un autre object ne se présente à moy,

Si non le beau de leur beau que j'adore,

Et le plaisir qui ne se peult passer

De les songer, penser, et repenser,

Songer, penser, et repenser encore.

XXIV

Tes yeulx divins me promettent le don

Qui d'un espoir me r'enflamme et r'englace,

Las, mais j'ay peur qu'ilz tiennent de la race

De ton ayeul le roy Laomedon.

Au flamboyer de leur double brandon

De peu à peu l'esperance m'embrasse,

Ja prevoyant par le ris de leur grace

Que mon service aura quelque guerdon.

Tant seulement ta bouche m'espouvante,

Bouche vrayment qui prophéte me chante

Tout le rebours de tes yeulx amoureux.

Ainsi je vis, ainsi je meurs en doubte

L'un me r'appelle, et l'autre me reboute,

D'un seul object heureux et malheureux.

XXV

Ces deux yeulx bruns, deux flambeaulx de ma vie,

Dessus les miens fouldroyans leur clarté,

Ont esclavé ma jeune liberté,

Pour la damner en prison asservie.

De voz doulx feux ma raison fut ravie,

Si qu'esblouy de vostre grand' beaulté,

Opiniastre à garder loyaulté

Aultres yeulx voyr depuis je n'euz envie.

D'autre esperon mon Tyran ne me poingt,

Aultres pensers en moy ne couvent point,

Ny aultre idole en mon cuoeur je n'adore.

Ma main ne sçait cultiver aultre nom,

Et mon papier n'est esmaillé, si non

De voz beaultez que ma plume colore.

XXVI

Plus tost le bal de tant d'astres divers

Sera lassé, plus tost la terre et l'onde,

Et du grand Tout l'ame en tout vagabonde

Animera les abysmes ouverts:

Plus tost les cieulx des mers seront couverts,

Plus tost sans forme ira confus le monde:

Que je soys serf d'une maistresse blonde,

Ou que j'adore une femme aux yeulx verds.

Car cest oeil brun qui vint premier esteindre

Le jour des miens, les sceut si bien attaindre,

Qu'autre oeil jamais n'en sera le vainqueur.

Et quant la mort m'aura la vie ostée,

Encor là bas je veulx aymer l'Idée

De ces beaulx yeulx que j'ay fichez au cuoeur.

XXVII

Bien mille fois et mille j'ay tenté

De fredonner sus les nerfz de ma lyre,

Et sus le blanc de cent papiers escrire,

Le nom, qu'Amour dans le cuoeur m'a planté.

Mais tout soubdain je suis espovanté,

Car sa grandeur qui l'esprit me martyre

Sans la chanter arriere me retire

De cent fureurs pantoyment tourmenté.

Je suis semblable à la prestresse folle,

Qui bégue perd la voix et la parolle,

Dessoubz le Dieu qu'elle fuit pour neant.

Ainsi picqué de l'Amour qui me touche

Si fort au cuoeur, la voix fraude ma bouche,

Et voulant dire en vain je suis béant.

XXVIII

Injuste amour, fuzil de toute rage,

Que peult un cuoeur soubmis à ton pouvoyr,

Quand il te plaist par les sens esmouvoyr

Nostre raison qui preside au courage?

Je ne voy pré, fleur, antre, ny rivage,

Champ, roc, ny boys, ny flotz dedans le Loyr,

Que, peinte en eulx, il ne me semble voyr

Ceste beaulté qui me tient en servage.

Ores en forme, ou d'un foudre enflammé,

Ou d'une nef ou d'un Tigre affamé,

Amour la nuict devant mes yeulx la guide:

Mais quand mon bras en songe les poursuit,

Le feu, la nef, et le Tigre s'enfuit,

Et pour le vray je ne pren que le vuide.

XXIX

Si mille oeilletz, si mille liz j'embrasse,

Entortillant mes bras tout alentour,

Plus fort qu'un cep, qui d'un amoureux tour,

La branche aymée impatient enlasse:

Si le souci ne jaunist plus ma face,

Si le plaisir fonde en moy son sejour,

Si j'ayme mieulx les ombres que le jour,

Songe divin, cela vient de ta grace.

Avecque toy je volleroys aux cieulx,

Mais ce portraict qui nage dans mes yeulx,

Fraude tousjours ma joye entrerompuë.

Et tu me fuis au meillieu de mon bien,

Comme l'esclair qui se finist en rien,

Ou comme au vent s'esvanouit la nuë.

XXX

Ange divin, qui mes playes embasme,

Le truchement et le herault des Dieux,

De quelle porte es tu coullé des cieulx

Pour soulager les peines de mon ame?

Toy, quand la nuict comme un fourneau m'enflamme,

Ayant pitié de mon mal soulcieux,

Or dans mes bras, ore dedans mes yeulx,

Tu fais nouer l'idole de ma Dame.

Las, où fuis tu? Atten encor un peu,

Que vainement je me soye repeu

De ce beau sein, dont l'appetit me ronge,

Et de ces flancz qui me font trespasser:

Sinon d'effect, seuffre au moins que par songe

Toute une nuict je les puisse embrasser.

XXXI

Aillez Démons, qui tenez de la terre,

Et du hault ciel justement le meillieu:

Postes divins, divins postes de Dieu,

Qui ses segretz nous apportez grand erre.

Dictes Courriers (ainsi ne vous enserre

Quelque sorcier dans un cerne de feu)

Rasant noz champz, dictes, avous point veu

Ceste beaulté qui tant me fait de guerre?

Si l'un de vous la contemple çà bas,

Libre par l'air il ne refuira pas,

Tant doulcement sa doulce force abuse.

Ou, comme moy, esclave le fera

Ou bien en pierre ell'le transformera

D'un seul regard ainsi qu'une Meduse.

XXXII

Quand au premier la Dame que j'adore

Vint embellir le sejour de noz cieulx,

Le filz de Rhée appella tous les Dieux,

Pour faire encor d'elle une aultre Pandore.

Lors Apollin richement la decore,

Or, de ses raiz luy façonnant les yeulx,

Or, luy donnant son chant melodieux,

Or, son oracle et ses beaulx vers encore.

Mars luy donna sa fiere cruaulté,

Peithon sa voix, Ceres son abondance.

L'Aube ses doigtz et ses crins deliez,

Amour son arc, Thetis donna ses piedz,

Cleion sa gloyre, et Pallas sa prudence.

XXXIII

D'un abusé je ne seroy la fable,

Fable future au peuple survivant,

Si ma raison alloyt bien ensuyvant

L'arrest fatal de ta voix veritable.

Chaste prophete, et vrayment pitoyable,

Pour m'avertir tu me prediz souvent,

Que je mourray, Cassandre, en te servant:

Mais le malheur ne te rend point croyable.

Car ton destin, qui cele mon trespas,

Et qui me force à ne te croyre pas,

D'un faulx espoir tes oracles me cache.

Et si voy bien, veu l'estat où je suis,

Que tu dis vray: toutesfoys je ne puis

D'autour du col me desnouer l'attache.

XXXIV

Las, je me plain de mille et mille et mille

Souspirs, qu'en vain des flancz je vois tirant,

Heureusement mon plaisir martirant

Au fond d'une eau qui de mes pleurs distille.

Puis je me plain d'un portraict inutile,

Ombre du vray que je suis adorant,

Et de ces yeulx qui me vont devorant,

Le cuoeur bruslé d'une flamme gentille.

Mais parsus tout je me plain d'un penser,

Qui trop souvent dans mon cuoeur faict passer

Le souvenir d'une beaulté cruelle,

Et d'un regret qui me pallist si blanc,

Que je n'ay plus en mes veines de sang,

Aux nerfz de force, en mes oz de moëlle.

XXXV

Puisse avenir, qu'une fois je me vange

De ce penser qui devore mon cuoeur,

Et qui tousjours, comme un lion vainqueur,

Soubz soy l'estrangle, et sans pitié le mange.

Avec le temps, le temps mesme se change,

Mais ce cruel qui suçe ma vigueur,

Opiniatre au cours de sa rigueur,

En aultre lieu qu'en mon cuoeur ne se range.

Bien est il vray, qu'il contraint un petit

Durant le jour son segret appetit,

Et dans mes flancz ses griffes il n'allonge:

Mais quand la nuict tient le jour enfermé,

Il sort en queste, et Lion affamé,

De mille dentz toute nuict il me ronge.

XXXVI

Pour la douleur, qu'amour veult que je sente,

Ainsi que moy, Phebus, tu lamentoys,

Quand amoureux, loing du ciel tu chantoys

Pres d'Ilion sus les rives de Xanthe.

Pinçant en vain ta lyre blandissante,

Et fleurs, et flots, mal sain, tu echantoys,

Non la beaulté qu'en l'ame tu sentoys

Dans le plus doulx d'une playe esgrissante.

Là de ton teint se pallissoyent les fleurs,

Et l'eau croissant' du dégout de tes pleurs,

Parloit tes criz, dont elle roulloyt pleine:

Pour mesme nom, les fleuréttes du Loyr,

Pres de Vandosme, et daignent me douloyr,

Et l'eau se plaindre aux souspirs de ma peine.

XXXVII

Les petitz corps, culbutans de travers,

Parmi leur cheute en byaiz vagabonde

Hurtez ensemble, ont composé le monde,

S'entracrochans d'acrochementz divers.

L'ennuy, le soing, et les pensers ouvers,

Chocquans le vain de mon amour profonde,

Ont façonné d'une attache féconde,

Dedans mon cuoeur l'amoureux univers.

Mais s'il avient, que ces tresses orines,

Ces doigtz rosins, et ces mains ivoyrines

Froyssent ma vie, en quoy retournera

Ce petit tout? En eau, air, terre, ou flamme?

Non, mais en voix qui tousjours de ma dame

Par le grand Tout les honneurs sonnera.

XXXVIII

Doulx fut le traict, qu'Amour hors de sa trousse,

Pour me tuer me tira doulcement,

Quand je fuz pris au doulx commencement

D'une doulceur si doulcettement doulce.

Doulx est son ris, et sa voix qui me poulse

L'ame du corps, pour errer lentement,

Devant son chant marié gentement

Avec mes vers animez de son poulce.

Telle doulceur de sa voix coulle à bas,

Que sans l'ouir vrayment on ne scayt pas,

Comme en ses retz Amour nous encordelle:

Sans l'ouir, di-je, Amour mesme enchanter,

Doulcement rire, et doulcement chanter,

Et moy mourir doulcement aupres d'elle.

XXXIX

Pleut il à Dieu n'avoir jamais tâté

Si follement le tetin de m'amie!

Sans lui vraiment l'autre plus grande envie,

Helas! ne m'eut, ne m'eut jamais tanté.

Comme un poisson, pour s'estre trop hâté,

Par un apât, suit la fin de sa vie,

Ainsi je vois où la mort me convie,

D'un beau tetin doucement apâté.

Qui eut pensé, que le cruel destin

Eut enfermé sous un si beau tetin

Un si grand feu, pour m'en faire la proïe?

Avisés donc, quel seroit le coucher

Entre ses bras, puis qu'un simple toucher

De mille mors, innocent, me foudroïe.

XL

Contre mon gré l'atrait de tes beaus yeus

Donte mon coeur, mais quand je te veus dire

Quell'est ma mort, tu ne t'en fais que rire,

Et de mon mal tu as le coeur joïeus.

Puis qu'en t'aimant je ne puis avoir mieus,

Soufre du moins que pour toi je soupire:

Assés et trop ton bel oeil me martire,

Sans te moquer de mon mal soucieus.

Moquer mon mal, rire de ma douleur,

Par un dedain redoubler mon malheur,

Haïr qui t'aime, et vivre de ses pleintes,

Rompre ta foi, manquer de ton devoir,

Cela, cruelle, et n'est-ce pas avoir

Tes mains de sang, et d'homicide teintes?

XLI

Ha, seigneur dieu, que de graces écloses

Dans le jardin de ce sein verdelet,

Enflent le rond de deus gazons de lait,

Où des Amours les fléches sont encloses!

Je me transforme en cent metamorfoses,

Quand je te voi, petit mont jumelet,

Ains du printans un rosier nouvelet,

Qui le matin bienveigne de ses roses.

S'Europe avoit l'estomac aussi beau,

De t'estre fait, Jupiter, un toreau,

Je te pardonne. Hé, que ne sui-je puce!

La baisotant, tous les jours je mordroi

Ses beaus tetins, mais la nuit je voudroi

Que rechanger en homme je me pusse.

XLII

Quand au matin ma Deesse s'abille

D'un riche or crespe ombrageant ses talons,

Et que les retz de ses beaulx cheveux blondz

En cent façons ennonde et entortille:

Je l'accompare à l'escumiere fille,

Qui or peignant les siens jaunement longz,

Or les ridant en mille crespillons

Nageoyt abord dedans une coquille.

De femme humaine encore ne sont pas

Son ris, son front, ses gestes, ny ses pas,

Ny de ses yeulx l'une et l'autre chandelle:

Rocz, eaux, ny boys, ne celent point en eulx

Nymphe, qui ait si follastres cheveux,

Ny l'oeil si beau, ny la bouche si belle.

XLIII

Avec les liz, les oeilletz mesliez,

N'egallent point le pourpre de sa face:

Ny l'or filé ses cheveux ne surpasse,

Ore tressez et ore deliez.

De ses couraux en vouste repliez

Naist le doulx ris qui mes soulciz efface:

Et çà et là par tout où elle passe,

Un pré de fleurs s'esmaille soubz ses piedz.

D'ambre et de musq sa bouche est toute pleine.

Que diray plus? J'ay veu dedans la plaine,

Lors que plus fort le ciel vouloyt tançer,

Cent fois son oeil, qui des Dieux s'est faict maistre,

De Juppiter rasserener la dextre

Ja ja courbé pour sa fouldre eslancer.

XLIV

Ores l'effroy et ores l'esperance,

De ça de là se campent en mon cuoeur,

Or l'une vainq, ores l'autre est vainqueur,

Pareilz en force et en perseverance.

Ores doubteux, ores plain d'asseurance,

Entre l'espoyr et le froyd de la peur,

Heureusement de moy mesme trompeur,

Au cuoeur captif je prometz delivrance.

Verray-je point avant mourir le temps,

Que je tondray la fleur de son printemps,

Soubz qui ma vie à l'ombrage demeure?

Verray-je point qu'en ses bras enlassé,

De trop combatre honnestement lassé,

Honnestement entre ses bras je meure?

XLV

Je voudrois estre Ixion et Tantale,

Dessus la roüe, et dans les eaus là bas:

Et quelque fois presser entre mes bras

Cette beauté qui les anges égale.

(S'ainsin étoit) toute peine fatale

Me seroit douce, et ne me chaudroit pas,

Non d'un vautour fussai-je le repas,

Non, qui le roc remonte et redevale.

Lui tatonner seulement le tetin

Echangeroit l'oscur de mon destin

Au sort meilleur des princes de l'Asie:

Un demi dieu me feroit son baiser,

Et flanc à flanc entre ses bras m'aiser,

Un de ceus là qui mengent l'Ambrosie.

XLVI

Amour me tue, et si je ne veus dire

Le plaisant mal que ce m'est de mourir:

Tant j'ai grand peur, qu'on vueille secourir

Le mal, par qui doucement je soupire.

Il est bien vrai, que ma langueur desire

Qu'avec le tans je me puisse guerir:

Mais je ne veus ma dame requerir

Pour ma santé: tant me plaist mon martire.

Tai toi langueur: je sen venir le jour,

Que ma maistresse, apres si long sejour,

Voiant le soin qui ronge ma pensée,

Toute une nuit, folatrement m'aiant

Entre ses bras, prodigue, ira paiant

Les intérés de ma peine avancée.

XLVII

Je veus mourir pour tes beautés, Maistresse,

Pour ce bel oeil, qui me prit à son hain,

Pour ce dous ris, pour ce baiser tout plein

D'ambre, et de musq, baiser d'une Deesse.

Je veus mourir pour cette blonde tresse,

Pour l'embonpoint de ce trop chaste sein,

Pour la rigueur de cette douce main,

Qui tout d'un coup me guerit et me blesse.

Je veus mourir pour le brun de ce teint,

Pour ce maintien, qui, divin, me contreint

De trop aimer: mais par sus toute chose,

Je veus mourir es amoureus combas,

Souflant l'amour, qu'au coeur je porte enclose

Toute une nuit, au millieu de tes bras.

XLVIII

Dame, depuis que la premiere fléche

De ton bel oeil m'avança la douleur,

Et que sa blanche et sa noire couleur

Forçant ma force, au coeur me firent bréche:

Je sen toujours une amoureuse méche,

Qui se ralume au meillieu de mon coeur,

Dont le beau rai (ainsi comme une fleur

S'écoule au chaut) dessus le pié me séche.

Ni nuit, ne jour, je ne fai que songer,

Limer mon coeur, le mordre et le ronger,

Priant Amour, qu'il me tranche la vie.

Mais lui, qui rit du torment qui me point,

Plus je l'apelle, et plus je le convie,

Plus fait le sourd, et ne me répond point.

XLIX

Ni de son chef le tresor crépelu,

Ni de sa joüe une et l'autre fossette,

Ni l'embonpoint de sa gorge grassette,

Ni son menton rondement fosselu,

Ni son bel oeil que les miens ont voulu

Choisir pour prince à mon ame sugette,

Ni son beau sein, dont l'Archerot me gette

Le plus agu de son trait émoulu,

Ni de son ris les miliers de Charites,

Ni ses beautés en mile coeurs écrites,

N'ont esclavé ma libre affection.

Seul son esprit, où tout le ciel abonde,

Et les torrens de sa douce faconde,

Me font mourir pour sa perfection.

L

Mon dieu, mon dieu, que ma maistresse est belle!

Soit que j'admire ou ses yeus, mes seigneurs,

Ou de son front les dous-graves honneurs,

Ou l'Orient de sa levre jumelle.

Mon dieu, mon dieu, que ma dame est cruelle!

Soit qu'un raport rengrege mes douleurs,

Soit qu'un depit parannise mes pleurs,

Soit qu'un refus mes plaïes renouvelle.

Ainsi le miel de sa douce beauté

Nourrit mon coeur: ainsi sa cruauté

D'aluine amere enamere ma vie.

Ainsi repeu d'un si divers repas,

Ores je vi, ores je ne vi pas

Egal au sort des freres d'Oebalie.

LI

Cent fois le jour, à part moi je repense,

Que c'est qu'Amour, quelle humeur l'entretient,

Quel est son arc, et quelle place il tient

Dedans nos coeurs, et quelle est son essence.

Je conoi bien des astres la puissance,

Je sai, comment la mer fuit, et revient,

Comme en son Tout le Monde se contient:

De lui sans plus me fuit la conoissance.

Si sai-je bien, que c'est un puissant Dieu,

Et que, mobile, ores il prend son lieu

Dedans mon coeur, et ores dans mes veines:

Et que depuis qu'en sa douce prison

Dessous mes sens fit serve ma raison

Toujours, mal sain, je n'ai langui qu'en peines.

LII

Mile, vraiment, et mile voudroient bien,

Et mile encor, ma guerriere Cassandre,

Qu'en te laissant, je me voulusse rendre

Franc de ton ret, pour vivre en leur lien.

Las! mais mon coeur, ainçois qui n'est plus mien,

Comme un vrai serf, ne sauroit plus entendre

A qui l'apelle, et mieus voudroit atendre

Dix mile mors qu'il fût autre que tien.

Tant que la rose en l'epine naitra,

Tant que sous l'eau, la baleine paitra,

Tant que les cerfs aimeront les ramées,

Et tant qu'Amour se nourrira de pleurs,

Toujours au coeur ton nom et tes valeurs,

Et tes beautés me seront imprimées.

LIII

Avant qu'Amour, du Chaos otieux

Ouvrist le sein, qui couvoit la lumiere,

Avec la terre, avec l'onde premiere,

Sans art, sans forme, estoyent brouillez les cieulx.

Ainsi mon tout erroit seditieux

Dans le giron de ma lourde matiere,

Sans art, sans forme, et sans figure entiere,

Alors qu'Amour le perça de ses yeulx.

Il arondit de mes affections

Les petitz corps en leurs perfections,

Il anima mes pensers de sa flamme.

Il me donna la vie, et le pouvoyr,

Et de son branle il fit d'ordre mouvoyr

Les pas suyviz du globe de mon ame.

LIV

Par ne scay quelle estrange inimitié,

J'ay veu tomber mon esperance à terre,

Non de rocher, mais tendre comme verre,

Et mes desirs rompre par la moytié.

Dame où le ciel logea mon amitié,

Pour un flateur qui si laschement erre,

Et pour quoy tant me brasses tu de guerre,

Privant mon cuoeur de ta doulce pitié?

Or s'il te plaist fay moy languir en peine,

Tant que la mort me desnerve et desveine,

Je seray tien: et plus tost le Chaos

Se troublera de sa noyse ancienne,

Que par rigueur aultre amour que la tienne,

Soubz aultre joug me captive le doz.

LV

O doulx parler, dont l'appast doulcereux

Nourrit encor la faim de ma memoire,

O front, d'Amour le Trophée et la gloire

O riz sucrez, o baisers savoureux.

O cheveulx d'or, o coustaulx plantureux

De liz, d'oeilletz, de Porphyre, et d'ivoyre,

O feuz jumeaulx dont le ciel me fit boyre

A si longs traitz le venin amoureux.

O vermeillons, o perlettes encloses,

O diamantz, o liz pourprez de roses,

O chant qui peulx les plus durs esmovoyr,

Et dont l'accent dans les ames demeure.

Et dea beaultez, reviendra jamais l'heure

Qu'entre mes bras je vous puisse r'avoyr?

LVI

Verray-je plus le doulx jour qui m'apporte

Ou trefve ou paix, ou la vie ou la mort,

Pour edenter le souci, qui me mord

Le cuoeur à nud d'une lime si forte?

Verray-je plus que ma Naiade sorte

Du fond de l'eau pour m'enseigner le port?

Nourai-je plus ainsi qu'Ulysse abord

Ayant au flanc son linge pour escorte?

Verray-je plus que ces astres jumeaulx,

En ma faveur encore par les eaulx,

Montrent leur flamme à ma Caréne lasse?

Verray-je point tant de vents s'accorder,

Et calmement mon navire aborder,

Comme il souloit au havre de sa grace.

LVII

Quel dieu malin, quel astre me fit estre,

Et de misere et de tourment si plein?

Quel destin fit, que tousjours je me plain

De la rigueur d'un trop rigoreux maistre?

Quelle des Seurs, à l'heure de mon estre

Noircit le fil de mon sort inhumain?

Et quel Démon d'une senestre main

Berça mon corps quand le ciel me fit naistre.

Heureux ceulx là dont la terre a lez oz,

Heureux vous rien, que la nuict du Chaos

Presse au giron de sa masse brutalle!

Sans sentiment vostre rien est heureux:

Que suis je, las! moy chetif amoureux,

Pour trop sentir, qu'un Sisyphe ou Tantale?

LVIII

Divin Bellay, dont les nombreuses loix,

Par une ardeur du peuple separée,

Ont revestu l'enfant de Cytherée,

D'arc, de flambeau, de traitz et de carquoys:

Si le doulx feu dont chaste tu ardoys

Enflamme encor ta poitrine sacrée,

Si ton oreille encore se recrée

D'ouyr les plaints des amoureuses voix:

Oy ton Ronsard, qui sanglotte et lamente,

Palle, agité des flotz de la tourmente,

Croysant en vain ses mains devers les Dieux,

En fraisle nef, et sans voyle, et sans rame,

Et loing du bord, où pour astre sa Dame

Le conduisoyt du Phare de ses yeulx.

LIX

Quand le Soleil à chef renversé plonge

Son char doré dans le sein du viellard,

Et que la nuict un bandeau sommeillard

Des deux coustez de l'orizon alonge:

Amour adonc qui sape, mine, et ronge

De ma raison le chancelant rempart,

Pour l'assaillir à l'heure à l'heure part,

Armant son camp des ombres et du songe.

Lors ma raison, et lors ce dieu cruel,

Seulz per à per d'un choc continuel

Vont redoublant mille escarmouches fortes:

Si bien qu'Amour n'en seroit le vainqueur,

Sans mes pensers, qui luy ouvrent les portes,

Par la traison que me brasse mon cuoeur.

LX

Comme un chevreuil, quand le printemps destruit

L'oyseux crystal de la morne gelée,

Pour mieulx brouster l'herbette emmielée

Hors de son boys avec l'Aube s'en fuit,

Et seul, et seur, loing de chiens et de bruit,

Or sur un mont, or dans une vallée,

Or pres d'une onde à l'escart recelée,

Libre follastre où son pied le conduit:

De retz ne d'arc sa liberté n'a crainte,

Sinon alors que sa vie est attainte,

D'un trait meurtrier empourpré de son sang:

Ainsi j'alloy sans espoyr de dommage,

Le jour qu'un oeil sur l'avril de mon age

Tira d'un coup mille traitz dans mon flanc.

LXI

Ny voyr flamber au point du jour les roses,

Ny lis planté sus le bord d'un ruisseau,

Ny chant de luth, ny ramage d'oyseau,

Ny dedans l'or les gemmes bien encloses:

Ny des zephyrs les gorgettes descloses,

Ny sur la mer le ronfler d'un vaisseau,

Ny bal de Nymphe au gazouilliz de l'eau,

Ny de mon cuoeur mille metamorphoses:

Ny camp armé de lances herissé,

Ny antre verd de mousse tapissé,

Ny les Sylvains qui les Dryades pressent,

Et ja desja les dontent à leur gré,

Tant de plaisirs ne me donnent qu'un Pré,

Où sans espoyr mes esperances paissent.

LXII

Dedans des Prez je vis une Dryade,

Qui comme fleur s'assisoyt par les fleurs,

Et mignotoyt un chappeau de couleurs,

Eschevelée en simple verdugade.

Des ce jour là ma raison fut malade,

Mon cuoeur pensif; mes yeulx chargez de pleurs,

Moy triste et lent: tel amas de douleurs

En ma franchise imprima son oeillade.

Là je senty dedans mes yeulx voller

Un doulx venin, qui se vint escouler

Au fond de l'ame: et depuis cest oultrage,

Comme un beau lis, au moys de Juin blessé

D'un ray trop chault, languist à chef baissé,

Je me consume au plus verd de mon age.

LXIII

Quand ces beaulx yeulx jugeront que je meure,

Avant mes jours me fouldroyant là-bas,

Et que la Parque aura porté mes pas

A l'aultre flanc de la rive meilleure:

Antres et prez, et vous forestz, à l'heure,

Je vous supply, ne me desdaignez pas,

Ains donnez moy, soubz l'ombre de voz bras,

Quelque repos de paisible demeure.

Puisse avenir qu'un poëte amoureux,

Ayant horreur de mon sort malheureux,

Dans un cyprez notte cest epigramme:

Cy dessoubz gist un amant vandomoys,

Que la douleur tua dedans ce boys:

Pour aymer trop les beaux yeullx de sa dame.

LXIV

Qui vouldra voyr dedans une jeunesse,

La beaulté jointe avec la chasteté,

L'humble doulceur, la grave magesté,

Toutes vertus, et toute gentillesse:

Qui vouldra voyr les yeulx d'une deesse,

Et de noz ans la seule nouveauté,

De ceste Dame oeillade la beaulté,

Que le vulgaire appelle ma maistresse.

Il apprendra comme Amour rid et mord,

Comme il guarit, comme il donne la mort,

Puis il dira voyant chose si belle:

Heureux vrayment, heureux qui peult avoyr

Heureusement cest heur que de la voyr,

Et plus heureux qui meurt pour l'amour d'elle.

LXV

Tant de couleurs le grand arc ne varie

Contre le front du Soleil radieux,

Lors que Junon, par un temps pluvieux,

Renverse l'eau dont sa mere est nourrie:

Ne Juppiter armant sa main marrie

En tant d'esclairs ne fait rougir les cieulx,

Lors qu'il punist d'un fouldre audacieux

Les montz d'Epire, ou l'orgueil de Carie:

Ny le Soleil ne rayonne si beau,

Quand au matin il nous monstre un flambeau,

Pur, net, et clayr, comme je vy ma Dame

De cent couleurs son visage acoustrer,

Flamber ses yeulx, et claire se monstrer,

Le premier jour qu'elle ravit mon ame.

LXVI

Quand j'aperçoy ton beau chef jaunissant,

Qui l'or filé des Charites efface,

Et ton bel oeil qui les astres surpasse,

Et ton beau sein chastement rougissant:

A front baissé je pleure gemissant,

De quoy je suis (pardon digne de grace)

Soubz l'humble voix de ma rime si basse,

De tes beaultez les honneurs trahissant.

Je cognoy bien que je devroy me taire,

Ou mieux parler: mais l'amoureux ulcere

Qui m'ard le cuoeur, me force de chanter.

Doncque (mon Tout) si dignement je n'use

L'encre et la voix à tes graces vanter,

Non l'ouvrier, non, mais son destin accuse.

LXVII

Ciel, air, et vents, plains et montz descouvers,

Tertres fourchuz, et forestz verdoyantes,

Rivages tortz, et sources ondoyantes,

Taillis razez, et vous bocages verds,

Antres moussus à demyfront ouvers,

Prez, boutons, fleurs, et herbes rousoyantes,

Coustaux vineux, et plages blondoyantes,

Gastine, Loyr, et vous mes tristes vers:

Puis qu'au partir, rongé de soing et d'ire,

A ce bel oeil, l'Adieu je n'ay sceu dire,

Qui pres et loing me detient en esmoy:

Je vous supply, Ciel, ait, ventz, montz et plaines,

Tailliz, forestz, rivages et fontaines,

Antres, prez, fleurs, dictes le luy pour moy.

LXVIII

Voïant les yeus de toi, Maitresse elüe,

A qui j'ai dit, seule à mon coeur tu plais,

D'un si dous fruit mon ame je repais,

Que plus en mange, et plus en est goulüe.

Amour qui seul les bons espris englüe,

Et qui ne daigne ailleurs perdre ses trais,

M'alege tant du moindre de tes rais,

Qu'il m'a du coeur toute peine tolüe.

Non, ce n'est point une peine qu'aimer:

C'est un beau mal, et son feu dous-amer

Plus doucement qu'amerement nous brûle.

O moi deus fois, voire trois bienheureus,

S'Amour m'occit, et si avec Tibulle

J'erre là-bas sous le bois amoureus.

LXIX

L'oeil qui rendroit le plus barbare apris,

Qui tout orgueil en humblesse destrampe,

Par la vertu de ne sçay quelle trampe

Qui sainctement affine les espritz,

M'a tellement de ses beaultez espris,

Qu'autre beaulté dessus mon coeur ne rampe,

Et m'est avis, sans voyr un jour la lampe

De ses beaulx yeulx, que la mort me tient pris.

Cela vrayment, que l'air est aux oyseaulx,

Les boys aux cerfz, et aux poissons les eaux,

Son bel oeil m'est. O lumiere enrichie

D'un feu divin qui m'ard si vivement,

Pour me donner et force et mouvement,

N'este vous pas ma seulle Endelechie?

LXX

De quelle plante, ou de quelle racine,

De quel unguent, ou de quelle liqueur,

Oindroy-je bien la playe de mon cuoeur

Qui d'oz en oz incurable chemine?

Ny vers charmez, pierre, ny medecine,

Drogue, ny just, ne romproyent ma langueur,

Tant je sen moindre et moindre ma vigueur,

Ja me traisner dans la Barque voysine.

Las, toy qui scays des herbes le pouvoyr,

Et qui la playe au cuoeur m'as faict avoyr,

Guary le mal, que ta beaulté me livre:

De tes beaulx yeulx allege mon soucy,

Et par pitié retien encor ici

Ce pauvre amant qu'Amour soulle de vivre.

LXXI

Ja desja Mars ma trompe avoit choisie,

Et, dans mes vers ja françoys, devisoyt:

Sus ma fureur ja sa lance aiguizoit,

Epoinçonnant ma brave poësie.

Ja d'une horreur la Gaule estoit saisie,

Et soubz le fer ja Sene treluisoit,

Et ja Francus à son bord conduisoit

L'ombre d'Hector, et l'honneur de l'Asie,

Quand l'archerot emplumé par le dos

D'un trait certain me playant jusqu'à l'os,

De sa grandeur le sainct prestre m'ordonne:

Armes adieu. Le Myrte Paphien

Ne cede point au Laurier Delphien,

Quand de sa main Amour mesme le donne.

LXXII

Petit nombril, que mon penser adore,

Non pas mon oeil, qui n'eu onques ce bien,

Nombril de qui l'honneur merite bien,

Qu'une grand'ville on luy bastisse encore

Signe divin, qui divinement ore

Retiens encore l'Androgyne lien,

Combien et toy, mon mignon, et combien

Tes flancs jumeaulx follastrement j'honore!

Ny ce beau chef, ny ces yeulx, ny ce front,

Ny ce doulx ris; ny ceste main qui fond

Mon cuoeur en source, et de pleurs me fait riche,

Ne me sçauroyent de leur beau contenter,

Sans esperer quelque foys de taster

Ton paradis, où mon plaisir se niche.

LXXIII

Que n'ay-je, Dame, et la plume et la grace

Divine autant que j'ay la volonté,

Par mes escritz tu seroys surmonté,

Vieil enchanteur des vieulx rochers de Thrace

Plus hault encor que Pindare, ou qu'Horace,

J'appenderoys à ta divinité

Un livre enflé de telle gravité,

Que Du Bellay luy quitteroyt la place.

Si vive encor Laure par l'Univers

Ne fuit volant dessus les Thusques vers,

Que nostre siecle heureusement estime,

Comme ton nom, honneur des vers françoys,

Hault elevé par le vent de ma voix

S'en voleroyt sus l'aisle de ma rime.

LXXIV

Du tout changé ma Circe enchanteresse

Dedens ses fers m'enferre emprisonné,

Non par le goust d'un vin empoisonné,

Ny par le just d'une herbe pecheresse.

Du fin Gregeoys l'espée vangeresse,

Et le Moly par Mercure ordonné,

En peu de temps du breuvage donné,

Forcerent bien la force charmeresse,

Si qu'à la fin le Dulyche troupeau

Reprint l'honneur de sa premiere peau,

Et sa prudence auparavant peu caute:

Mais pour la mienne en son lieu reloger,

Ne me vaudroyt la bague de Roger,

Tant ma raison s'aveugle dans ma faulte.

LXXV

Les Elementz, et les Astres, à preuve

Ont façonné les raiz de mon Soleil,

Et de son teint le cinabre vermeil,

Qui ça ne là son parangon ne treuve.

Des l'onde Ibere où nostre jour s'abreuve

Jusques au lict de son premier reveil,

Amour ne voyt un miracle pareil,

N'en qui le Ciel tant de ses graces pleuve.

Son oeil premier m'apprit que c'est d'aymer:

Il vint premier ma jeunesse animer

A la vertu, par ses flammes dardées.

Par luy mon cuoeur premierement s'aisla,

Et loing du peuple à l'escart s'en vola

Jusque au giron des plus belles Idées.

LXXVI

Je parangonne à voz yeulx ce crystal,

Qui va mirer le meurtrier de mon ame:

Vive par l'air il esclate une flamme

Vos yeulx un feu qui m'est sainct et fatal.

Heureux miroer, tout ainsi que mon mal

Vient de trop voyr la beaulté qui m'enflamme:

Comme je fay, de trop mirer ma Dame

Tu languiras d'un sentiment egal.

Et toutesfoys, envieux, je t'admire,

D'aller mirer le miroer où se mire

Tout l'univers dedans luy remiré.

Va donc miroer, va donq, et pren bien garde,

Qu'en le mirant ainsi que moy ne t'arde

Pour avoir trop ses beaulx yeulx admiré.

LXXVII

J'ai cent fois épreuvé les remedes d'Ovide,

Et si je les épreuve encore tous les jours,

Pour voir, si je pourrai de mes vieilles amours,

Qui trop m'ardent le coeur, avoir l'estomac vuide:

Mais cet amadoüeur, qui me tient à la bride,

Me voïant aprocher du lieu de mon secours,

Maugré moi tout soudain fait vanoïer mon cours,

Et d'où je vins mal sain, mal sain il me reguide.

Hà, poëte Romain, il te fut bien aisé,

Quand d'une courtisane on se voit embrasé,

Donner quelque remede, affin qu'on s'en depestre:

Mais cettui là qui voit les yeux de mon Soleil,

Qui n'a de chasteté, ni d'honneur son pareil,

Plus il est son esclave, et plus il le veut estre.

LXXVIII

Ni les combats des amoureuses nuits

Ni les plaisirs que les amours conçoivent

Ni les faveurs que les amans reçoivent

Ne valent pas un seul de mes ennuis.

Heureus ennui, en toi seulet je puis

Trouver repos des maus qui me deçoivent:

Et par toi seul mes passions reçoivent

Le dous obli du torment où je suis.

Bienheureus soit mon torment qui n'empire,

Et le dous jou, sous lequel je respire,

Et bienheureus le penser soucieus,

Qui me repait du dous souvenir d'elle:

Et plus heureus le foudre de ses yeux,

Qui cuit mon coeur dans un feu qui me gelle.

LXXIX

A ton frere Paris tu sembles en beauté,

A ta soeur Polyxene en chaste conscience,

A ton frere Helenin en profete science,

A ton parjure aïeul en peu de loiauté.

A ton pere Priam en meurs de roïauté,

Au vieillart Antenor en mieleuse eloquence,

A ta tante Antigone en superbe arrogance,

A ton grand frere Hector en fiere cruauté.

Neptune n'assit onc une pierre si dure

Dans tes murs, que tu es, pour qui la mort j'endure:

Ny des Grecs outragés, l'exercite vainqueur

N'emplit tant Ilion de feus, de cris, et d'armes

De soupirs, et de pleurs, que tu combles mon coeur

De brasiers, et de morts, de sanglos et de larmes.

LXXX

Si je trépasse entre tes bras, Madame,

Il me suffit, car je ne veus avoir

Plus grand honneur, sinon que de me voir

En te baisant, dans ton sein rendre l'ame.

Celui que Mars horriblement enflamme

Aille à la guerre, et manque de pouvoir,

Et jeune d'ans, s'ébate à recevoir

En sa poitrine une Espaignole lame;

Mais moi, plus froid, je ne requier, sinon

Apres cent ans, sans gloire, et sans renom,

Mourir oisif en ton giron, Cassandre:

Car je me trompe, ou c'est plus de bonheur,

Mourir ainsi, que d'avoir tout l'honneur,

Pour vivre peu, d'un guerrier Alexandre.

LXXXI

Pour voyr ensemble et les champs et le bord,

Où ma guerriere avec mon cuoeur demeure,

Alme Soleil, demain avant ton heure,

Monte à cheval, et galope bien fort:

Ainçoys les champs, où l'amyable effort

De ses beaulx yeulx, ordonne que je meure,

Si doulcement, qu'il n'est vie meilleure

Que les souspirs d'une si doulce mort.

A costé droit, sus le bord d'un rivage,

Reluit à part l'angelique visage,

Que trop avare ardentement je veulx:

Là ne se voyot, roc, source, ny verdure,

Qui dans son teint or ne me r'affigure

L'une ses yeulx, or l'autre ses cheveux.

LXXXII

Pardonne moy, Platon, si je ne cuide

Que soubz la vouste et grande arche des dieux,

Soit hors du monde, ou au centre des lieux,

En terre, en l'eau, il n'y ayt quelque vuide.

Si l'air est plein en sa courbure humide,

Qui reçoyt donq tant de pleurs de mes yeulx,

Tant de souspirs, que je sanglote aux cieulx,

Lors qu'à mon dueil Amour lasche la bride?

Il est du vague, ou certes s'il n'en est,

D'un air pressé le comblement ne naist:

Plus tost le ciel, qui bening se dispose

A recevoir l'effect de mes douleurs,

De toutes partz se comble de mes pleurs,

Et de mes vers qu'en mourant je compose.

LXXXIII

L'onde et le feu, ce sont de la machine

Les deux seigneurs que je sen pleinement,

Seigneurs divins; et qui divinement

Ce faix divin ont chargé sus l'eschine.

Toute matiere, essence, et origine

Doibt son principe à ces deux seulement,

Touts deux en moy vivent esgallement,

En eulx je vi, rien qu'eulx je n'imagine.

Aussi de moy il ne sort rien que d'eulx,

Et tour à tour en moy naissent touts deux:

Car quand mes yeulx de trop pleurer j'appaise,

Rasserénant les flotz de mes douleurs,

Lors de mon cuoeur s'exhale une fournaise,

Puis tout soubdain recommancent mes pleurs.

LXXXIV

Si l'escrivian de la mutine armée,

Eut veu tes yeulx, qui serf me tiennent pris,

Les faictz de Mars il n'eut jamais empris,

Et le Duc Grec fut mort sans renommée.

Et si Paris, qui vit en la valée

La grand'beaulté dont son cuoeur fut espris,

Eut veu la tienne, il t'eut donné le pris,

Et sans honneur Venus s'en fut allée.

Mais s'il advient ou par le vueil des Cieulx,

Ou par le traict qui sort de tes beaulx yeulx,

Qu'en publiant ma prise, et ta conqueste,

Oultre la Tane on m'entende crier,

Iö, iö, quel myrte, ou quel laurier

Sera bastant pour enlasser ma teste?

LXXXV

Pour celebrer des astres devestuz

L'heur escoulé dans celle qui me lime,

Et pour louer son esprit, qui n'estime

Que le divin des divines vertuz:

Et ses regardz, ains traitz d'amour pointuz,

Que son bel oeil au fond du cuoeur m'imprime,

Il me fauldroyt non l'ardeur de ma rime,

Mais la fureur du Masconnoys Pontus.

Il me fauldroyt ceste chanson divine

Qui transforma sus la rive Angevine

L'olive palle en un teint plus naïf,

Et me fauldroyt un Desautelz encore,

Et cestuy là qui sa Meline adore

En vers dorez le biendisant Bayf.

LXXXVI

Estre indigent, et donner tout le sien,

Se feindre un ris, avoir le cuoeur en pleinte,

Hayr le vray, aymer la chose feinte,

Posseder tout et ne jouir de rien:

Estre delivre, et traisner son lien,

Estre vaillant, et couharder de crainte,

Vouloir mourir, et vivre par contraincte,

De cent travaulx ne recevoir un bien:

Avoir tousjours, pour un servil hommage,

La honte au front, en la main le dommage:

A ses pensers d'un courage haultain

Ourdir sans cesse une nouvelle trame,

Sont les effetz qui logent dans mon ame

L'espoir doubteux, et le tourment certain.

LXXXVII

Oeil, qui portrait dedans les miens reposes,

Comme un Soleil, le dieu de ma clarté:

Ris, qui forçant ma doulce liberté

Me transformas en cent metamorphoses:

Larme, vrayment qui mes souspirs arroses,

Quand tu languis de me veoir mal traicté:

Main, qui mon cuoeur captives arresté

Parmy ton lis, ton ivoyre et tes roses,

Je suis tant vostre, et tant l'affection

M'a peint au vif vostre perfection,

Que ny le temps, ny la mort tant soit forte,

Ne fera point qu'au centre de mon sein,

Tousjours gravéz en l'ame je ne porte

Un oeil, un ris, une larme, une main.

LXXXVIII

Si seulement l'image de la chose

Fait à noz yeulx la chose concevoir,

Et si mon oeil n'a puissance de veoir,

Si quelqu'idole au devant ne s'oppose:

Que ne m'a faict celuy, qui tout compose,

Les yeulx plus grandz, affin de mieux pouvoir

En leur grandeur la grandeur recevoir

Du simulachre, où ma vie est enclose?

Certes le ciel trop ingrat de son bien,

Qui seul la fit, et qui seul veit combien

De sa beaulté divine estoit l'idée,

Comme jaloux du tresor de son mieux,

Silla le Monde, et m'aveugla les yeulx,

Pour de luy seul seule estre regardée.

LXXXIX

Soubz le cristal d'une argenteuse rive,

Au moys d'Avril, une perle je vy,

Dont la clarté m'a tellement ravy

Qu'en mes discours aultre penser n'arrive.

Sa rondeur fut d'une blancheur naïve,

Et ses rayons treluysoyent à l'envy:

Son lustre encor ne m'a point assouvy,

Ny ne fera, non, non, tant que je vive.

Cent et cent foys pour la pescher à bas,

Tout recoursé, je devalle le bras,

Et ja desja content je la tenoye,

Sans un archer, qui du bout de son arc

A front panché me plongeant soubz le lac,

Frauda mes doigtz d'une si doulce proye.

XC

Soit que son or se crespe lentement

Ou soit qu'il vague en deux glissantes ondes,

Qui çà qui là par le sein vagabondes,

Et sur le col, nagent follastrement:

Ou soit qu'un noud diapré tortement

De maintz rubiz, et maintes perles rondes,

Serre les flotz de ses deux tresses blondes,

Je me contente en mon contentement.

Quel plaisir est ce, ainçoys quelle merveille

Quand ses cheveux troussez dessus l'oreille

D'une Venus imitent la façon?

Quand d'un bonet son chef elle adonize,

Et qu'on ne sçait (tant bien elle desguise

Son chef doubteux) s'elle est fille ou garçon?

XCI

De ses cheveulx la rousoyante Aurore

Eparsement les Indes remplissoyt,

Et ja le ciel à longz traitz rougissoyt

De meint esmail qui le matin decore,

Quand elle veit la Nymphe que j'adore

Tresser son chef, dont l'or, qui jaunissoit,

Le crespe honneur du sien esblouissoit,

Voire elle mesme et tout le ciel encore.

Lors ses cheveux vergongneuse arracha,

Si qu'en pleurant sa face elle cacha,

Tant la beaulté des beaultez luy ennuye:

Et ses souspirs parmy l'air se suyvantz,

Troys jours entiers enfanterent des ventz,

Sa honte un feu, et ses yeulx une pluye.

XCII

Avéques moi pleurer vous devriés bien,

Tertres bessons, pour la facheuse absence

De cette là, qui fut par sa presence

Vôtre Soleil, ainçois qui fut le mien.

Las! de quels maus, Amour, et de combien

Une beauté ma peine recompense!

Quand plein de honte à toute heure je pense

Qu'en un moment j'ai perdu tout mon bien.

Or, à dieu donc beauté qui me dédaigne:

Quelque rocher, quelque bois, ou montaigne

Vous pourra bien éloigner de mes yeus:

Mais non du coeur, que pront il ne vous suive,

Et que dans vous, plus que dans moi, ne vive,

Comme en la part qu'il aime beaucoup mieus.

XCIII

Tout me déplait, mais rien ne m'est si gref,

Que ne voir point les beaus yeus de ma Dame,

Qui des plaisirs les plus dous de mon ame

Avéques eus ont emporté la clef.

Un torrent d'eau s'écoule de mon chef:

Et tout confus de soupirs je me pâme,

Perdant le feu, dont la drillante flame

Seule guidoit de mes pensers la nef.

Depuis le jour, que je senti sa braise,

Autre beauté je n'ai veu, qui me plaise,

Ni ne verrai. Mais bien puissai-je voir

Qu'avant mourir seulement cette Fere

D'un seul tour d'oeil promette un peu d'espoir

Au coup d'Amour, dont je me desespere.

XCIV

Quand je vous voi, ou quand je pense en vous,

Je ne sçai quoi dans le coeur me fretille,

Qui me pointelle, et tout d'un coup me pille

L'esprit emblé d'un ravissement dous.

Je tremble tout de nerfs et de genous:

Comme la cire au feu, je me distile,

Sous mes souspirs: et ma force inutile

Me laisse froid, sans haleine et sans pous.

Je semble au mort, qu'on devale en la fosse,

Ou à celui qui d'une fievre grosse

Perd le cerveau, dont les esprits mués

Révent cela, qui plus leur est contraire.

Ainsi, mourant, je ne sçauroi tant faire,

Que je ne pense en vous, qui me tués.

XCV

Morne de cors, et plus morne d'espris

Je me trainoi' dans une masse morte,

Et sans sçavoir combien la Muse aporte

D'honneur aus siens, je l'avois à mépris:

Mais aussi tôt, que de vous je m'épris,

Tout aussi tôt vôtre oeil me fut escorte

A la vertu, voire de telle sorte

Que d'ignorant je devin bien apris.

Donques mon Tout, si je fai quelque chose,

Si dignement de vos yeus je compose,

Vous me causés vous mesmes ces effets.

Je pren de vous mes graces plus parfaites,

Car je suis manque, et dedans moi vous faites,

Si je fai bien, tout le bien que je fais.

XCVI

Las! sans la voir, à toute heure je voi

Cette beauté dedans mon coeur presente:

Ni mont, ni bois, ni fleuve ne m'exente

Que par pensée elle ne parle à moi.

Dame, qui sais ma constance et ma foi,

Voi, s'il te plait, que le tans qui s'absente

Depuis set ans en rien ne desaugmente

Le plaisant mal que j'endure pour toi.

De l'endurer lassé je ne suis pas,

Ni ne seroi', tombassai-je là bas,

Pour mile fois en mile cors renaitre:

Mais de mon coeur, sans plus, je suis lassé,

Qui me déplait, et qui plus ne peut estre

Mien, comme il fut, puis que tu l'as chassé.

XCVII

Dans un sablon la semence j'épan,

Je sonde en vain les abymes d'un goufre:

Sans qu'on m'invite à toute heure je m'oufre,

Et sans loïer mon âge je dépan.

A son portrait pour un veu je m'apan:

Devant son feu mon coeur se change en soufre,

Et pour ses yeus cruellement je soufre

Dis mile maus, et d'un ne me repan.

Qui sçauroit bien, quelle trampe a ma vie,

D'estre amoureus n'auroit jamais envie.

Je tremble j'ars, je me pai d'un amer,

Qui plus qu'aluine est rempli d'amertume:

Je vi d'ennui, de deuil je me consume:

En tel estat je suis pour trop aimer.

XCVIII

Devant les yeus, nuit et jour, me revient

L'idole saint de l'angelique face,

Soit que j'écrive, ou soit que j'entrelasse

Mes vers au luth, toujours il m'en souvient.

Voiés pour dieu, comme un bel oeil me tient

En sa prison, et point ne me delasse;

Et comme il prend mon coeur dedans sa nasse,

Qui de pensée, à mon dam, l'entretient.

O le grand mal, quand une affection

Peint nôtre esprit de quelque impression!

J'enten alors que l'Amour ne dédaigne

Suttilement l'engraver de son trait:

Toujours au coeur nous revient ce portrait,

Et maugré nous toujours nous acompaigne.

XCIX

Chanson

D'un gosier machelaurier

J'oi crier

Dans Lycofron ma Cassandre,

Qui profetise aus Troïens

Les moïens

Qui les tapiront en cendre.

Mais ces pauvres obstinés,

Destinés

Pour ne croire à ma Sibylle,

Virent, bien que tard, apres,

Les feus Grecs

Forcenés parmi leur ville.

Aïans la mort dans le sein,

De leur main.

Plomboient leur poitrine nue:

Et tordant leurs cheveux gris,

De lons cris

Pleuroient, qu'ils ne l'avoient creüe.

Mais leurs cris n'eurent pouvoir

D'émouvoir

Les Grecs si chargés de proïe,

Qu'ils ne laisserent sinon,

Que le nom

De ce qui fut jadis Troïe.

Ainsi pour ne croire pas,

Quand tu m'as

Prédit ma peine future,

Et que je n'aurois en don

Pour guerdon

De t'aimer, que la mort dure,

Un grand brasier sans repos,

Et mes os

Et mes nerfs, et mon coeur brûle:

Et pour t'amour j'ai receu

Plus de feu,

Que ne fit Troïe incredule.

C

Apres ton cours je ne haste mes pas

Pour te souiller d'une amour deshonneste:

Demeure donq: le Locroys m'amonneste

Aux bords Gyrez de ne te forcer pas.

Neptune oyant ses blasphemes d'abas,

Accabla là son impudique teste

D'un grand rocher au fort de la tempeste.

Le ciel conduit le meschant au trespas.

Il te voulut, le meschant, violer,

Lors que la peur te faisoit acoller

Les piedz vangeurs de sa Grecque Minerve:

Moy je ne veulx qu'à ta grandeur offrir

Ce chaste cuoeur, s'il te plaist de souffrir

Qu'en l'immolant de victime il te serve.

CI

Picqué du nom qui me glace en ardeur,

Me souvenant de ma doulce Charite,

Ici je plante une plante d'eslite,

Qui l'esmeraude efface de verdeur.

Tout ornement de royalle grandeur,

Beaulté, sçavoir, honneur, grace, et merite,

Sont pour racine à ceste Marguerite

Qui ciel et terre emparfume d'odeur.

Divine fleur, où ma vie demeure,

La manne tombe à toute heure à toute heure

Dessus ton front sans cesse nouvelét:

Jamais de toy la pucelle n'aproche,

La mousche à miel, ne la faucille croche

Ny les ergotz d'un follastre aignelét.

CII

Depuis le jour, que le trait otieux

Grava ton nom au roc de ma memoire,

Et que l'ardeur qui flamboit en ta gloire

Me fit sentir le fouldre de tes yeulx:

Mon cuoeur attaint d'un esclair rigoreux

Pour eviter le feu de ta victoire,

S'alla cacher dans tes ondes d'ivoire,

Et soubz l'abri de tes flancz amoureux.

Là point ou peu soucieux de ma playe

De ça de là par tes flotz il s'esgaye,

Puis il se seiche aux raix de ton flambeau:

Et s'emmurant dedans leur forteresse,

Seul, palle et froid, sans retourner, me laisse,

Comme un esprit qui fuit de son tombeau.

CIII

Le mal est grand, le remede est si bref

A ma douleur qui jamais ne s'alente,

Que bas ne hault, des le bout de la plante,

Je n'ay santé, jusqu'au sommét du chef.

L'oeil qui tenoit de mes pensers la clef,

En lieu de m'estre une estoile drillante,

Parmy les flotz d'une mer violente,

Contre un orgueil a faict rompre ma néf.

Un soing meurtrier soit que je veille ou songe,

Tigre affamé, le cuoeur me mange et ronge,

Suçant tousjours le plus doulx de mon sang,

Et le penser qui me presse et represse,

Et qui jamais en repos ne me laisse,

Comme un mastin, me mord tousjours au flanc.

CIV

Amour, si plus ma fiebvre se renforce,

Si plus ton arc tire pour me blesser,

Avant mes jours, j'ay grand'peur de laisser

Le verd fardeau de cette jeune escorse.

Ja de mon cuoeur je sen moindre la force

Se transmuer pour sa mort avancer

Devant le feu de mon ardent penser,

Non en boys verd, mais en pouldre d'amorce.

Bien fut pour moy le jour malencontreux,

Quand je humay le bruvage amoureux,

Qu'à si longz traictz me versoit une oeillade:

O fortuné! si pour me secourir,

Des le jour mesme Amour m'eust faict mourir,

Sans me tenir si longuement malade.

CV

Si doulcement le souvenir me tente

De la mieleuse et fieleuse saison,

Où je perdi la loy de ma raison,

Qu'autre douleur ma peine ne contente.

Je ne veulx point en la playe de tente

Qu'Amour me fit, pour avoir guarison,

Et ne veulx point, qu'on m'ouvre la prison,

Pour affranchir autre part mon attente.

Plus que venin je fuy la liberté,

Tant j'ay grand peur de me voyr escarté

Du doulx lien qui doulcement offense:

Et m'est honneur de me voyr martirer,

Soubz un espoyr quelquefoys de tirer

Un seul baiser pour tout recompense.

CVI

Amour archer d'une tirade ront

Cent traitz sur moy, et si ne me conforte

D'un seul espoir, celle pour qui je porte

Le cuoeur aux yeulx, les pensers sus le front.

D'un Soleil part la glace qui me fond,

Et m'esbays que ma froydeur n'est morte

Au feu d'un oeil, qui d'une flamme accorte

Brulle mon cuoeur d'un ulcere profond.

En tel estat je voy languir ma vie,

Qu'aux plus chetifz ma langueur porte envie,

Tant le mal croist et le cuoeur me deffault:

Mais la douleur qui plus comble mon ame

D'un vain espoyr, c'est qu'Amour et Madame

Scavent mon mal, et si ne leur en chault.

CVII

Je vy ma Nymphe entre cent damoyselles,

Comme un Croyssant par les menuz flambeaulx,

Et de ses yeulx plus que les astres beaulx

Faire obscurcir la beaulté des plus belles.

Dedans son sein les graces immortelles,

La Gaillardize, et les freres jumeaux,

Alloyent vollant comme petitz oyseaux

Par my le verd des branches plus nouvelles.

Le ciel ravy, que son chant esmouvoyt,

Roses, et liz, et girlandes pleuvoyt

Tout au rond d'elle au meillieu de la place:

Si qu'en despit de l'hyver froydureux,

Par la vertu de ses yeulx amoureux,

Un beau printemps s'esclouit de sa face.

CVIII

Plus mile fois que nul or terrien,

J'aime ce front où mon Tyran se joüe

Et le vermeil de cette belle joüe,

Qui fait honteux le pourpre Tyrien.

Toutes beautés à mes yeus ne sont rien,

Au pris du sein qui lentement secoüe

Son gorgerin, sous qui per à per noüe

Le branle égal d'un flot Cytherien.

Ne plus, ne moins, que Juppiter est aise,

Quand de son luth quelque Muse l'apaise,

Ainsi je suis de ses chansons épris,

Lors qu'à son luth ses doits elle embesongne,

Et qu'elle dit le branle de Bourgongne,

Qu'elle disoit, le jour que je fus pris.

CIX

Celle qui est de mes yeus adorée,

Qui me fait vivre entre mile trespas,

Chassant un cerf, suivoit hier mes pas,

Com'ceus d'Adon Cyprine la dorée:

Quand une ronce en vain enamourée,

Ainsi que moi, du vermeil de ses bras,

En les baisant, lui fit couler à bas

Une liqueur de pourpre colorée.

La terre adonc, qui, soigneuse, receut

Ce sang divin, tout sus l'heure conceut

Pareille au sang une rouge fleurette:

Et tout ainsi que d'Helene naquit

La fleur, qui d'elle un beau surnom aquit,

Du nom Cassandre elle eut nom Cassandrette.

CX

Sur mes vint ans, pur d'offence, et de vice,

Guidé, mal caut, d'un trop aveugle oiseau,

Aiant encor le menton damoiseau,

Sain et gaillard je vins à ton service:

Ores forcé de ta longue malice,

Je m'en retourne avec une autre peau,

En chef grison, en perte de mon beau:

Et pour t'aimer il faut que je perisse.

Helas! que di-je? où veus-je retourner?

En autre part je ne puis sejourner,

Ni vivre ailleurs, ni d'autre amour me paître.

Demeuron donc dans le camp fortement:

Et puis qu'au moins veinqueur je ne puis estre,

Que l'arme au poin je meure honnestement.

CXI

Franc de travail une heure je n'ay peu

Vivre, depuis que les yeulx de ma Dame

Mielleusement verserent dans mon ame

Le doulx venin, dont mon cuoeur fut repeu:

Ma chere neige, et mon cher et doulx feu,

Voyez comment je m'englace et m'enflamme:

Comme la cire aux rayons d'une flamme,

Je me consume, et vous en chault bien peu.

Bien est il vray, que ma vie est heureuse

De s'escouler doulcement langoureuse,

Desoubz votre oeil, qui jour et nuict me poingt.

Mais si fault il que vostre bonté pense,

Que l'amitié d'amitié se compense

Et qu'un Amour sans frere ne croyst point.

CXII

D'amour ministre, et de perseverance,

Qui jusqu'au fond l'ame peulx esmouvoyr,

Et qui les yeulx d'un aveugle sçavoyr,

Et qui les cuoeurs voyles d'une ignorance,

Vaten ailleurs chercher ta demeurance.

Vaten ailleurs quelqu'autre decevoyr,

Je ne veulx plus chez moy te recevoyr,

Malencontreuse et meschante esperance.

Quand Juppiter, ce lasche criminel,

Teingnit ses mains dans le sang paternel,

Desrobant l'or de la terre où nous sommes,

Il te laissa, Harpye, et salle oyseau,

Cropir au fond du Pandorin vaisseau,

Pour enfieller le plus doulx miel des hommes.

CXIII

Franc de raison, esclave de fureur,

Je voys chassant une Fére sauvage,

Or sur un mont, or le long d'un rivage,

Or dans le boys de jeunesse et d'erreur.

J'ay pour ma lesse un cordeau de malheur,

J'ay pour limier un trop ardent courage,

J'ay pour mes chiens, et le soing, et la rage,

La cruaulté, la peine et la douleur.

Mais eulx voyant que plus elle est chassée,

Loing loing devant plus s'enfuit eslancée,

Tournant sur moy la dent de leur effort,

Comme mastins affamez de repaistre,

A longz morceaux se paissent de leur maistre,

Et sans mercy me traisnent à la mort.

CXIV

Le Ciel ne veut, Dame, que je joüisse

De ce dous bien que dessert mon devoir:

Aussi ne veus-je, et ne me plaît d'avoir

Sinon du mal en vous faisant service.

Puis qu'il vous plaît, que pour vous je languisse,

Je suis heureus, et ne puis recevoir

Plus grand honneur, qu'en mourant, de me voir

Faire à vos yeus de mon coeur sacrifice.

Donc si ma main, maugré moi, quelque fois

De l'amour chaste outrepasse les lois

Dans vôtre sein cherchant ce qui m'embraise,

Punissés la du foudre de vos yeus,

Et la brulés: car j'aime beaucoup mieus

Vivre sans main, que ma main vous déplaise.

CXV

Bien que six ans soyent ja coulez derriere,

Depuis le jour, que l'homicide trait

Au fond du cuoeur m'engrava le portrait

D'une humblefiere, et fierehumble guerriere,

Si suis-je heureux d'avoyr veu la lumiere

En ces ans tardz pour avoyr veu le trait

De son beau front, qui les graces attrait

Par une grace aux Graces coustumiere.

Le seul Avril de son jeune printemps,

Endore, emperle, enfrange nostre temps,

Qui n'a sceu voyr la beaulté de la belle,

Ny la vertu, qui foysonne en ses yeulx:

Seul je l'ay veue, aussi je meur pour elle,

Et plus grand heur ne m'ont donné les cieulx.

CXVI

Si ce grand Dieu le pere de la lyre,

Qui va bornant aux Indes son reveil,

Ains qui d'un oeil, mal apris au sommeil,

De ça de là, toutes choses remire,

Lamente encor, pour le bien où j'aspire,

Ne suis je heureux, puisque le trait pareil,

Qui d'oultre en oultre entame le Soleil,

Mon cuoeur entame à semblable martire?

Dea, que mon mal contente mon plaisir,

D'avoyr osé pour compaignon choysir

Un si grand Dieu: ainsi par la campagne,

Le boeuf courbé desoubz le joug pesant,

Traisne le faix plus leger et plaisant,

Quand son travail d'un aultre s'acompagne.

CXVII

Ce petit chien, qui ma maistresse suit,

Et qui jappant ne recognoyst personne,

Et cest oyseau, qui me plaintes resonne,

Au moys d'Avril, souspirant toute nuit:

Et ceste pierre, où quand le chault s'enfuit

Seule aparsoy pensive s'arraisonne,

Et ce jardin, où son poulce moyssonne!

Touts les tresors que Zephyre produit:

Et ceste dance, où la flesche cruelle

M'outreperça, et la saison nouvelle

Qui tous les ans rafraischit mes douleurs,

Et son oeillade, et sa parolle saincte,

Et dans le cuoeur sa grace que j'ay peinte,

Baignent mon sein de deux ruisseaux de pleurs.

CXVIII

Entre tes bras, impatient Roger,

Pipé du fard de magicque cautelle,

Pour refroydir ta chaleur immortelle,

Au soyr bien tard Alcine vint loger.

Opiniatre à ton feu soulager,

Ore planant, ore nouant sus elle,

Dedans le gué d'une beaulté si belle,

Toute une nuit tu apris à nager.

En peu de temps, le gracieux Zephyre,

Heureusement empoupant ton navire,

Te fit surgir dans le port amoureux:

Mais quand ma nef de s'aborder est preste

Tousjours plus loing quelque horrible tempeste

La single en mer, tant je suis malheureux.

CXIX

Je te hay, peuple, et m'en sert de tesmoing,

Le Loyr, Gastine, et les rives de Braye,

Et la Neuffaune, et l'humide saulaye,

Qui de Sabut borne l'extreme coin.

Quand je me perdz entre deux montz bien loing,

M'arraisonnant seul à l'heure j'essaye

De soulager la douleur de ma playe,

Qu'Amour encherne au plus vif de mon soing.

Là pas à pas, Dame, je rememore

Ton front, ta bouche, et les graces encore

De tes beaulx yeulx trop fidelles archers:

Puis figurant ta belle idoleifeinte

Dedans quelque eau, je sanglote une pleinte,

Qui fait gemir le plus dur des rochers.

CXX

Non la chaleur de la terre, qui fume

Béant de soif au creux de son profond,

Non l'Avantchien, qui tarit jusqu'au fond

Les tiedes eaux, qu'ardent de soif il hume:

Non ce flambeau qui tout ce monde allume

D'un bluëtter qui lentement se fond,

Bref ny l'esté, ny ses flammes ne font

Ce chault brazier qui m'embraize et consume.

Vos chastes feux, espriz de vos beaulx yeux,

Vos doulx esclairs qui rechauffent les dieux,

Seulz de mon feu eternizent la flamme:

Et soit Phebus attelé pour marcher

Devers le Cancre, ou bien devers l'Archer,

Vostre oeil me fait un esté dans mon ame.

CXXI

Ny ce coral, qui double se compasse,

Sur meinte perle entée doublement,

Ny ceste bouche où vit fertillement

Un mont d'odeurs qui le Liban surpasse,

Ny ce bel or qui frisé s'entrelasse

En mille noudz mignardez gayement,

Ny ces oeilletz esgalez unyment

Au blanc des liz encharnez dans sa face,

Ny de ce front le beau ciel esclarci,

Ny le double arc de ce double sourci,

N'ont à la mort ma vie abandonnée:

Seulz voz beaulx yeulx (*où le certain archer,

Pour me tuer, d'aguet se vint cacher*)

Devant le soir finissent ma journée.

CXXII

De toy, Paschal, il me plaist que j'escrive,

Qui de bien loing le peuple abandonnant,

Vas du Arpin les tresors moyssonnant,

Le long des bordz où ta Garonne arrive.

Hault d'une langue eternellement vive,

Son cher Paschal Tolouse aille sonnant,

Paschal Paschal Garonne resonnant,

Rien que Paschal ne responde sa rive.

Si ton Durban, l'honneur de nostre temps,

Lit quelque foys ces vers par passetemps,

Di luy, Paschal (ainsi l'aspre secousse

Qui m'a fait cheoir, ne te puisse esmouvoir):

Ce pauvre Amant estoit digne d'avoir

Une maistresse ou moins belle, ou plus doulce.

CXXIII

Dy l'un des deux, sans tant me desguiser

Le peu d'amour que ton semblant me porte:

Je ne scauroy, veu ma peine si forte,

Tant lamener ne tant petrarquiser.

Si tu le veulx, que sert de refuser

Ce doulx present dont l'espoir me conforte?

Si non, pourquoy, d'une esperance morte

Pais tu ma vie affin de l'abuser?

L'un de tes yeulx dans les enfers me ruë,

L'aultre à l'envy tour à tour s'esvertue

De me rejoindre en paradis encor:

Ainsi tes yeulx pour causer mon renaistre,

Et puis ma mort, sans cesse me font estre

Ore un Pollux, et ores un Castor.

CXXIV

L'an mil cinq cent contant quarante et six,

Dans ses cheveux une beaulté cruëlle,

(Ne sçay quel plus, las, ou cruelle ou belle)

Lia mon cuoeur de ses graces épris.

Lors je pensoy, comme sot mal appris,

Né pour souffrir une peine immortelle,

Que les crespons de leur blonde cautelle

Deux ou troys jours sans plus me tiendroyent pris:

L'an est passé, et l'autre commence ores

Où je me voy plus que devant encores

Pris dans leurs retz: et quand parfoys la mort.

Veult delacer le lien de ma peine,

Amour tousjours pour l'ennouer plus fort,

Oingt ma douleur d'une esperance vaine

CXXV

A toy chaque an j'ordonne un sacrifice

Fidelle coing, où tremblant et poureux,

Je descouvry le travail langoureux,

Que j'enduroy, Dame, en vostre service.

Un coing vrayment, plus seur ne plus propice

A deceler un tourment amoureux,

N'est point dans Cypre, ou dans les plus heureux

Vergers de Gnide, Amathonte, ou d'Eryce.

Eussé-je l'or d'un peuple ambicieux,

Tu toucherois, nouveau temple, les cieux,

Elabouré d'une merveille grande:

Et là dressant à ma Nymphe un autel,

Sur les pilliers de son nom immortel,

J'appenderoy mon ame pour offrande.

CXXVI

Le pensement, qui me fait devenir

Haultain et brave, est si doulx que mon ame

Desja desja impuissante, se pasme,

Yvre du bien qui me doibt avenir.

Sans mourir donq, pourray-je soustenir

Le doulx combat, que me garde Madame,

Puis qu'un penser si brusquement l'entame,

Du seul plaisir d'un si doulx souvenir?

Helas, Venus, que l'escume féconde,

Non loing de Cypre, enfanta dessus l'onde,

Si de fortune en ce combat je meurs,

Reçoy ma vie, o deesse, et la guide

Parmy l'odeur de tes plus belles fleurs,

Dans les vergers du paradis de Gnide.

CXXVII

Quand en songeant ma follastre j'acolle,

Laissant mes flancz sus les siens s'allonger,

Et que d'un bransle habillement leger,

En sa moytié ma moytié je recolle:

Amour adonq si follement m'affolle,

Qu'un tel abus je ne vouldroy changer,

Non au butin d'un rivage estranger,

Non au sablon qui jaunoye en Pactole.

Mon dieu, quel heur, et quel contentement,

M'a fait sentir ce faux recollement,

Changeant ma vie en cent metamorphoses:

Combien de fois doulcement irrité,

Suis-je ore mort, ore resuscité,

Parmy l'odeur de mile et mile roses?

CXXVIII

O de Nepenthe, et de lyesse pleine,

Chambrette heureuse, où deux heureux flambeaux,

Les plus ardentz du ciel, et les plus beaulx,

Me font escorte apres si longue peine.

Or je pardonne à la mer inhumaine,

Aux flotz, aux ventz, la traison de mes maulx,

Puis que par tant et par tant de travaulx,

Une main doulce à si doulx port me meine.

Adieu tourmente, à dieu naufrage, à dieu,

Vous flotz cruelz, ayeux du petit Dieu,

Qui dans mon sang a sa flesche souillée:

Ores encré dedans le sein du port,

Par voeu promis, j'appen dessus le bord

Aux dieux marins ma despouille mouillée

CXXIX

Je parangonne à ta jeune beaulté,

Qui tousjours dure en son printemps nouvelle,

Ce moys d'Avril, qui ses fleurs renouvelle,

En sa plus gaye et verte nouveaulté.

Loing devant toy fuyra la cruaulté,

Devant luy fuit la saison plus cruelle.

Il est tout beau, ta face est toute belle,

Ferme est son cours, ferme est ta loyaulté.

Il peint les champs de dix mille couleurs,

Tu peins mes vers d'un long esmail de fleurs.

D'un doulx zephyre il fait onder les plaines,

Et toy mon cuoeur d'un souspir larmoyant.

D'un beau crystal son front est rousoyant,

Tu fais sortir de mes yeulx deux fontaines.

CXXX

Ce ne sont qu'haims, qu'amorces et qu'appastz,

De son bel oeil qui m'alesche en sa nasse,

Soyt qu'elle rie, ou soyt qu'elle compasse

Au son du Luth le nombre de ses pas.

Une mynuit tant de flambeaux n'a pas,

Ny tant de sable en Euripe ne passe,

Que de beaultez embellissent sa grace,

Pour qui j'endure un millier de trespaz.

Mais le tourment, qui moyssonne ma vie,

Est si plaisant que je n'ay point envie

De m'eslongner de sa doulce langueur:

Ains face Amour, que mort encores j'aye

L'aigre doulceur de l'amoureuse playe,

Que deux beaulx yeulx m'encharnent dans le cuoeur.

CXXXI

Oeil, qui mes pleurs de tes rayons essuye',

Sourci, mais ciel des autres le greigneur,

Front estoylé, Trophée à mon Seigneur,

Qui dans ton jour ses despouilles étuye:

Gorge de marbre, où la beaulté s'appuye,

Col Albastrin emperlé de bonheur,

Tetin d'ivoyre où se niche l'honneur,

Sein dont l'espoyr mes travaulx desennuye:

Vous avez tant appasté mon desir,

Que pour souler la faim de son plaisir,

Et nuict et jour il fault qu'il vous revoye.

Comme un oyseau, quine peult sejourner,

Sans revoler, tourner, et retourner,

Aux bordz congneuz pour y trouver sa proye.

CXXXII

Haulse ton aisle, et d'un voler plus ample,

Forçant des ventz l'audace et le pouvoir,

Fay, Denisot, tes plumes esmouvoir,

Jusques au ciel où les dieux ont leur temple.

Là, d'oeil d'Argus, leurs deitez contemple,

Contemple aussi leur grace, et leur sçavoir,

Et pour ma Dame au parfait concevoir,

Sur les plus beaulx fantastique un exemple.

Moissonne apres le teint de mille fleurs,

Et les detrampe en l'argent de mes pleurs,

Que tiedement hors de mon chef je ruë:

Puis attachant ton esprit et tes yeulx

Dans le patron desrobé sur les dieux,

Pein, Denisot, la beaulté qui me tuë.

CXXXIII

Ville de Bloys, le sejour de Madame,

Le nid des Roys et de ma voulonté,

Où je suis pris, où je suis surmonté,

Par un oeil brun qui m'oultreperce l'ame:

Sus le plus hault de sa divine flamme,

Pres de l'honneur, en grave magesté,

Reveremment se sied la chasteté,

Qui tout bon cuoeur de ses vertuz enflamme.

Se loge Amour dans tes murs pour jamais,

Et son carquoys, et son arc desormais

Pendent en toy, comme autel de sa gloire:

Puisse il tousjours soubz ses plumes couver

Ton chef royal, et nud tousjours laver

Le sien crespu dans l'argent de ton Loyre.

CXXXIV

Heureuse fut l'estoille fortunée,

Qui d'un bon oeil ma maistresse apperceut:

Heureux le bers, et la main qui la sceut

Emmailloter alors qu'elle fut née.

Heureuse fut la mammelle emmannée,

De qui le laict premier elle receut,

Et bienheureux le ventre, qui conceut

Si grand beaulté de si grandz dons ornée.

Heureux les champs qui eurent cest honneur

De la voir naistre, et de qui le bon heur

L'Inde et l'Egypte heureusement excelle.

Heureux le filz dont grosse elle sera,

Mais plus heureux celuy qui la fera

Et femme et mere, en lieu d'une pucelle.

CXXXV

L'astre ascendant, soubz qui je pris naissance,

De son regard ne maistrisoyt les cieux;

Quand je nasquis il coula dans tes yeulx,

Futurs tyrans de mon obeissance.

Mon tout, mon bien, mon heur, ma cognoissance,

Vint de ses raiz: car pour nous lier mieulx,

Tant nous unit son feu presagieux,

Que de nous deux il ne fit qu'une essence,

En toy je suis, et tu es dedans moy,

En moy tu vis, et je vis dedans toy:

Ainsi noz toutz ne font qu'un petit monde.

Sans vivre en toy je tomberoy là bas:

La Salemandre, en ce point, ne vit pas

Perdant sa flamme, et le Daulphin son onde.

CXXXVI

De ton poil d'or en tressés blondissant,

Amour ourdit de son arc la ficelle,

Il me tira de ta vive estincelle,

Le doulx fier traict, qui me tient languissant.

Du premier coup j'eusse esté perissant,

Sans l'autre coup d'une flesche nouvelle,

Qui mon ulcere en santé renouvelle,

Et par son coup le coup va guarissant.

Ainsi jadis sur la pouldre Troyenne

Du souldard Grec la hache pelienne,

Du Mysien mit la douleur à fin:

Ainsi le trait que ton bel oeil me ruë,

D'un mesme coup me garit et me tuë.

Hé, quelle Parque a filé mon destin!

CXXXVII

Ce ris plus doulx que l'oeuvre d'une abeille,

Ces doubles liz doublement argentez,

Ces diamantz à double ranc plantez

Dans le coral de sa bouche vermeille,

Ce doulx parler qui les mourantz esveille,

Ce chant qui tient mes soucis enchantez,

Et ces deux cieulx sur deux astres antez,

De ma Deesse annoncent la merveille.

Du beau jardin de son printemps riant,

Naist un parfum, qui mesme l'orient

Embasmeroit de ses doulces aleines.

Et de là sort le charme d'une voix,

Qui touts raviz fait sauteler les boys,

Planer les montz, et montaigner les plaines.

CXXXVIII

Dieux, si là hault s'enthrosne la pitié,

En ma faveur ores, ores, qu'on jette

Du feu vangeur la meurtriere sagette,

Pour d'un mauvais punir la mauvaistié,

Qui seul m'espie, et seul mon amitié

Va detraquant, lors que la nuict segrette,

Et mon ardeur honteusement discrette,

Guident mes pas où m'attent ma Moytié.

Accablez, Dieux, d'une juste tempeste

L'oeil espion de sa parjure teste,

Dont le regard toutes les nuictz me suit:

Ou luy donnez l'aveugle destinée

Qui aveugla le malheureux Phinée,

Pour ne veoir rien qu'une eternelle nuict.

CXXXIX

J'iray tousjours et resvant et songeant

En la doulce heure, où je vy l'angelette,

Qui d'esperance et de crainte m'alaitte,

Et dans ses yeulx mes destins va logeant.

Quel or ondé en tresses s'allongeant

Frapoit ce jour sa gorge nouvelette,

Et sus son col, ainsi qu'une ondelette

Flotte aux zephyrs, au vent alloit nageant?

Ce n'estoit point une mortelle femme,

Que je vis lors, ny de mortelle dame

Elle n'avoit ny le front ny les yeulx:

Donques, mon cuoeur, ce ne fut chose estrange

Si je fu pris: c'estoyt vrayment un Ange

Qui pour nous prendre estoit vollé des cieulx.

CXL

Espovanté je cherche une fontaine

Pour expier un horrible songer,

Qui toute nuict ne m'a faict que ronger

L'ame effroyée au travail de ma peine.

Il me sembloyt que ma doulce inhumaine

Crioit, Amy sauve moy du danger,

Auquel par force un larron estranger

Par les forestz prisonniere m'emmeine.

Lors en sursault, où me guidoit la voix,

Le fer au poing je brossay dans le boys,

Mais en courant apres la desrobée,

Du larron mesme assallir me suis veu,

Qui me perçant le cuoeur de mon espée

M'a fait tomber dans un torrent de feu.

CXLI

Chanson

Las, je n'eusse jamais pensé

Veu les ennuiz de ma langueur,

Que tu m'eusses recompensé

D'une si cruelle rigueur:

Mais puis qu'Amour me chasse à tort,

Ma seule alegence est la mort.

Si fortuné j'eusse apperçu

Quand je te vy premierement,

Le mal que j'ai depuis receu

Pour te servir loyalement:

Mon cuoeur qui franc avoyt vescu,

N'eust pas esté pris ne vaincu.

Mais la doulceur de tes beaulx yeulx,

Cent fois asseura mon debvoir,

De me donner encore mieulx

Que les miens n'esperoient avoyr:

La vaine attente d'un tel bien

A transformé mon aise en rien.

Si tost que je vy ta beaulté,

Je me sentis naistre un desir

D'assubjetir ma loyaulté

Soubz l'empire de ton plaisir,

Et des ce jour l'amoureux trait

Au cuoeur m'engrava ton pourtrait.

Ce fut, Dame, ton bel acueil,

Qui pour me rendre serviteur,

M'ouvrit par la clef de ton oeil

Le paradis de ta grandeur,

Que ta saincte perfection

Peignit dans mon affection.

Et lors pour hostage de moy

Desja profondement blessé,

Mon cuoeur plain de loyale foy

En garde à tes yeulx je laissé:

Et fus bien aise de l'offrir,

Pour le veoyr doulcement soufrir.

Bien qu'il endure jours et nuictz

Mainte amoureuse aversité,

Le plus cruel de ses ennuiz

Luy semble une felicité:

Et ne sçauroit jamais vouloyr

Qu'autre amour le face douloyr.

Un grand rocher qui a le dos

Et les piedz toujours oultragez

Ore des vens, ore des flos

En leurs tempestes enragez,

N'est point si ferme que mon cuoeur

Contre le choc de ta rigueur.

Car luy de plus en plus aymant

Ta grace, et ton honnesteté,

Semble au pourtrait d'un diamant,

Qui pour garder sa fermeté,

Se rompt plus tost soubz le marteau,

Que se voyr tailler de nouveau.

Aussi ne l'or qui peult tenter,

Ny autre grace, ny maintien,

Ne scauroient dans mon cuoeur enter

Un autre portrait que le tien,

Et plus tost il mourroit d'ennuy

Que d'en soufrir une autre en luy.

Il ne fault point pour empescher

Qu'une autre dame en ayt sa part,

L'environner d'un grand rocher,

Ou d'une fosse, ou d'un rempart,

Amour te l'a si bien conquis

Que plus il ne peult estre aquis.

Chanson, les estoilles seront

La nuict sans les cieulx allumer,

Et plus tost les ventz cesseront

De tempester dessus la mer,

Que l'orgueil de sa cruaulté

Puisse esbranler ma loyaulté.

CXLII

Un voyle obscur par l'orizon espars

Troubloyt le ciel d'une humeur survenue,

Et l'air crevé d'une graisle menue

Frappoyt à bonds les champz de toutes partz:

Desja Vulcan les bras de ses souldardz

Hastoyt despit à leur forge cognue,

Et Juppiter dans le creux d'une nue

Armoyt sa main de l'esclair de ses dardz:

Quand ma Nymphette en simple verdugade

Cueillant des fleurs, des raiz de son oeillade

Essuya l'air grelleux et pluvieux,

Des ventz sortiz remprisonna les tropes,

Et ralenta les marteaux des Cyclopes,

Et de Jupin rasserena les yeulx.

CXLIII

En aultre part les deux flambeaux de celle

Qui m'esclairoyt sont allez faire jour,

Voyre un midi, qui d'un stable sejour,

Sans annuiter dans les cuoeurs estincelle.

Et que ne sont et d'une et d'une aultre aille

Mes deux coustez emplumez alentour?

Hault par le ciel soubz l'escorte d'Amour

Je volleroy comme un Cygne, aupres d'elle.

De ses deux raiz ayant percé le flanc,

J'empourpreroy mes plumes dans mon sang

Pour tesmoigner la peine que j'endure:

Et suis certain que ma triste langueur

Emouveroyt non seulement son cuoeur

De mes soupirs, mais une roche dure.

CXLIV

Si tu ne veulx les astres despiter

En ton malheur, ne metz point en arriere

L'humble souspir de mon humble priere:

La priere est fille de Juppiter.

Quiconque veult la priere eviter

Jamais n'acheve une jeunesse entiere,

Et voyt tousjours de son audace fiere

Jusqu'aux enfers l'orgueil precipiter.

Pour ce, orgueilleuse, eschape cest orage:

Mollis un peu le roc de ton courage

Aux longz souspirs de ma triste langueur:

Tousjours le ciel, tousjours l'eau n'est venteuse,

Tousjours ne doyt ta beaulté despiteuse

Contre ma playe endurcit sa rigueur.

CXLV

Entre mes bras qu'ores ores n'arrive

Celle qui tient ma playe en sa verdeur,

Et ma pensée en gelante tiedeur,

Sur le tapis de ceste herbeuse rive?

Et que n'est elle une Nymphe native

De quelque boys? par l'ombreuse froydeur

Nouveau Sylvain j'allenteroys l'ardeur

Du feu qui m'ard d'une flamme trop vive.

Et pourquoy, Cieulx, l'arrest de vos destins

Ne m'a fait naistre un de ces Paladins

Qui seulz portoyent en crope les pucelles?

Et qui tastant, baizant, et devisant,

Loing de l'envie, et loing du mesdisant,

Dieux, par les boys vivoyent avecques elles?

CXLVI

Que tout par tout dorenavant se mue:

Soyt desormais Amour soulé de pleurs

Des chesnes durs puissent naistre les fleurs,

Au choc des ventz l'eau ne soyt plus esmue,

Du cuoeur des rocz le miel degoute et sue,

Soyent du printemps semblables les couleurs,

L'esté soyt froid, l'hyver plein de chaleurs,

De foy la terre en toutz endroytz soyt nue:

Tout soyt changé, puisque le noud si fort

Qui m'estraignoyt, et que la seule mort

Devoyt couper, ma Dame veult deffaire.

Pourquoy d'Amour mesprises tu la loy?

Pourquoy fais tu ce qui ne se peult faire?

Pourquoy romps tu si faulsement ta foy?

CXLVII

Lune à l'oeil brun, la dame aux noyrs chevaulx

Qui çà qui là, qui hault qui bas te tournent,

Et de retours, qui jamais ne sejournent,

Traisnent ton char eternel en travaux:

A tes desseings les miens ne sont esgaux,

Car les amours qui ton cuoeur epoinçonnent,

Et ceulx aussi qui mon cuoeur aiguillonnent,

Divers souhaitz desirent à leurs maulx.

Toy mignotant ton dormeur de Latmie,

Tu vouldroys bien qu'une course endormie

Emblast le train de ton char qui s'enfuit:

Mais moy qu'Amour toute la nuit devore,

Las, des le soyr je souhaite l'Aurore,

Pour voyr le jour, que me celoyt ta nuit.

CXLVIII

Une diverse amoureuse langueur,

Sans se meurir dans mon ame verdoye,

Dedans mes yeulx une fontaine ondoye,

Un Montgibel s'enflamme dans mon cuoeur.

L'un de son feu, l'autre de sa liqueur,

Ore me gele, et ore me fouldroye,

Et l'un et l'autre à son tour me guerroye,

Sans que l'un soyt dessus l'autre vainqueur.

Fais Amour fay, qu'un des deux ayt la place,

Ou le seul feu, ou bien la seule glace,

Et par l'un d'eux metz fin à ce debat:

J'ay seigneur j'ay, j'ay de mourir envie,

Mais deux venins n'etouffent point la vie

Tandis que l'un à l'autre se combat.

CXLIX

Puis que cet oeil qui fidelement baille

Ses loix aux miens, sur les miens plus ne luict,

L'obscur m'est jour, le jour m'est une nuict,

Tant son absence asprement me travaille.

Le lit me semble un dur camp de bataille,

Rien ne me plaist, toute chose me nuit,

Et ce penser, qui me suit et resuit,

Presse mon cuoeur plus fort qu'une tenaille.

Ja prez du Loyr entre cent mille fleurs

Soullé d'ennuiz, de regretz et de pleurs,

J'eusse mis fin à mon angoysse forte,

Sans quelque dieu, qui mon oeil va tournant

Vers le païs où tu es sejournant,

Dont le bel air sans plus me reconforte.

CL

Comme le chault ou dedans Erymanthe,

Ou sus Rhodope ou sus un autre mont,

En beau crystal le blanc des neiges fond

Par sa tiedeur lentement vehemente:

Ainsi tes yeulx (*eclair qui me tourmente*)

Qui cire et neige à leur regard me font,

Touchans les miens ja distillez les ont

En un ruisseau, qui de mes pleurs s'augmente.

Herbes ne fleurs ne sejournent aupres,

Ains des Soucis, des Ifz, et des Cypres,

Ny d'un verd gay sa rive n'est point pleine.

Les autres eaux par les prez vont roulant,

Mais ceste ci par mon sein va coulant,

Qui nuict et jour bruit et rebruit ma peine.

CLI

De soingz mordentz et de soucis divers,

Soyt sans repos ta paupiere eveillée,

Ta levre soyt d'un noyr venin mouillée,

Tes cheveulx soyent de viperes couvers.

Du sang infait de ces groz lezards vers

Soyt ta poictrine et ta gorge souillée,

Et d'une oeillade obliquement rouillée

Tant que vouldras guigne moy de travers.

Tousjours au ciel je leveray la teste,

Et d'un escrit qui bruit comme tempeste

Je foudroyray de tes Monstres l'effort:

Autant de foys que tu seras leur guide

Pour m'assaillir dans le seur de mon fort;

Autant de foys me sentiras Alcide.

CLII

De ceste doulce et fielleuse pasture,

Dont le surnom s'appelle trop aymer,

Qui m'est et sucre, et riagas amer,

Sans me souler je pren ma nourriture.

Car ce bel oeil, qui force ma nature,

D'un si long jeun m'a tant faict epasmer,

Que je ne puis ma faim desaffamer,

Qu'au seul regard d'une vaine peinture.

Plus je la voy, moins souler je m'en puis,

Un vray Narcisse en misere je suis:

Hé qu'Amour est une cruelle chose!

Je cognoy bien qu'il me fera mourir,

Et si ne puis ma douleur secourir,

Tant j'ay sa peste en mes veines enclose.

CLIII

Que laschement vous me trompez, mes yeulx,

Enamourez d'une figure vaine:

O nouveaulté d'une cruelle peine,

O fier destin, ô malice des cieulx.

Fault il que moy de moymesme envieux,

Pour aymer trop les eaux d'une fontaine,

Je brusle apres une image incertaine,

Qui pour ma mort m'accompaigne en toutz lieux?

Et quoy fault il que le vain de ma face,

De membre à membre amenuiser me face,

Comme une cire aux raiz de la chaleur?

Ainsi pleuroyt l'amoureux Cephiside,

Quand il sentit dessus le bord humide,

De son beau sang naistre une belle fleur.

CLIV

En ma douleur, las chetif, je me plais,

Soyt quand la nuict les feux du ciel augmente,

Ou quand l'Aurore enjonche d'Amaranthe

Le jour meslé d'un long fleurage espais.

D'un joyeux dueil sans faim je me repais:

En quelque part où seulet je m'absente,

Devant mes yeulx je voy tousjours presente,

Celle qui cause et ma guerre, et ma paix.

Pour l'aymer trop egalement j'endure

Ore un plaisir, ore une peine dure,

Qui d'ordre egal viennent mon cuoeur saisir:

Et d'un tel miel mon absynthe est si pleine,

Qu'autant me plaist le plaisir que la peine,

La peine autant comme fait le plaisir.

CLV

Or que Juppin epoint de sa semence,

Hume à longz traitz les feux accoustumez,

Et que du chault de ses rains allumez,

L'humide sein de Junon ensemence:

Or que la mer, or que la vehemence

Des ventz fait place aux grandz vaisseaux armez,

Et que l'oyseau parmy les boys ramez

Du Thracien les tançons recommence:

Or que les prez, et ore que les fleurs,

De mille et mille et de mille couleurs,

Peignent le sein de la terre si gaye,

Seul, et pensif, aux rochers plus segretz,

D'un cuoeur muét je conte mes regretz,

Et par les boys je voys celant ma playe.

CLVI

Ayant par mort mon cuoeur desalié

De son subject, et l'estincele esteinte

J'alloy chantant, et la chorde desceinte,

Qui si long temps m'avoyt ars, et lié

Puis je disoy, Et quelle aultre moytié,

Apres la mort de ma moytié si saincte,

D'un nouveau feu, et d'une neuve estrainte,

Ardra, noura ma seconde amitié?

Quand je senti le plus froid de mon ame

Se rembraser d'une nouvelle flamme,

Encordelée es retz Idaliens:

Amour reveult pour eschauffer ma glace,

Qu'aultre oeil me brusle, et qu'aultre main m'enlasse,

O flamme heureuse, o plus qu'heureux liens.

CLVII

Puissé-je avoir ceste Fére aussi vive

Entre mes bras, qu'elle est vive en mon cuoeur:

Un seul moment gariroit ma langueur,

Et ma douleur feroit aller à rive.

Plus elle court, et plus elle est fuytive,

Par le sentier d'audace, et de rigueur,

Plus je me lasse, et recreu de vigueur,

Je marche apres d'une jambe tardive.

Au moins escoute et rallente tes paz:

Comme veneur je ne te poursuy pas,

Ou comme archer qui blesse à l'impourveue:

Mais comme amy piteusement touché

Du fer cruel, qu'Amour m'a decoché,

Faisant un trait des beaulx raiz de ta veue.

CLVIII

Contre le ciel mon cuoeur estoit rebelle,

Quand le destin, que forçer je ne puis

Me traisna voyr la Dame à qui je suis,

Ains que vestir ceste escorce nouvelle.

Un chaud adonq de moelle en moëlle,

De nerfz en nerfz, de conduitz en conduitz,

Vint à mon cuoeur, dont j'ay vescu depuis,

Or en plaisir, or en peine cruelle.

Si qu'en voyant ses beaultez, et combien

Elle est divine, il me resouvint bien

L'avoir jadis en paradis laissée;

Car des le jour que j'en refu blessé,

Soit pres ou loing, je n'ay jamais cessé

De l'adorer de fait, ou de pensée.

CLIX

Voyci le bois, que ma sainte Angelette

Sus le printemps anime de son chant.

Voyci les fleurs que son pied va marchant,

Lors que pensive elle s'esbat seullette.

Iö voici la prée verdelette,

Qui prend vigueur de sa main la touchant,

Quand pas à pas pillarde va cherchant

Le bel esmail de l'herbe nouvelette.

Ici chanter, là pleurer je la vy,

Ici soubrire, et là je fus ravy

De ses beaulx yeulx par lesquelz je desvie:

Ici s'asseoir, là je la vi dancer:

Sus le mestier d'un si vague penser

Amour ourdit les trames de ma vie.

CLX

Saincte Gastine, heureuse secretaire

De mes ennuis, qui respons en ton bois,

Ores en haulte, ores en basse voix,

Aux longz souspirs que mon cuoeur ne peult taire:

Loyr, qui refrains la course voulontaire

Du plus courant de tes flotz vandomoys,

Quand acuser ceste beaulté tu m'ois,

De qui tousjours je m'affame et m'altere:

Si dextrement l'augure j'ay receu,

Et si mon oeil ne fut hyer deceu

Des doulx regardz de ma doulce Thalie,

Dorenavant poete me ferez,

Et par la France appellez vous serez,

L'un mon laurier, l'aultre ma Castalie.

CLXI

En ce pandant que tu frappes au but

De la vertu, qui n'a point sa seconde,

Et qu'à longz traitz tu t'enyvres de l'onde

Que l'Ascrean entre les Muses but,

Ici, Bayf, où le mont de Sabut

Charge de vins son espaulle féconde,

Pensif je voy la fuite vagabonde

Du Loyr qui traisne à la mer son tribut.

Ores un antre, or un desert sauvage,

Ore me plaist le segret d'un rivage,

Pour essayer de tromper mon ennuy:

Mais quelque horreur de forest qui me tienne,

Faire ne puis qu'Amour tousjours ne vienne,

Parlant à moy, et moy tousjours à luy.

CLXII

Quel bien auray-je apres avoir esté

Si longuement privé des yeulx de celle,

Qui le Soleil de leur vive estincelle

Rendroyent honteux au plus beau jour d'Esté?

Et quel plaisir, voyant le ciel vousté

De ce beau front, qui les beaultez recelle,

Et ce col blanc, qui de blancheur excelle

Un mont de laict sus le jonc cailloté?

Comme du Grec la troppe errante et sotte,

Afriandée aux doulceurs de la Lote,

Sans plus partir vouloyent là séjourner:

Ainsi j'ay peur, que ma trop friande ame,

R'affriandée aux doulceurs de Madame

Ne veille plus dedans moy retourner.

CLXIII

Puis que je n'ay pour faire ma retraitte.

Du Labyrinth qui me va seduysant,

Comme Thesée, un filet conduysant

Mes paz doubteux dans les erreurs de Crete:

Eussé-je au moins une poinctrine faicte,

Ou de crystal, ou de verre luysant,

Lors tu serois dedans mon cuoeur lisant,

De quelle foy mon amour est parfaite.

Si tu sçavois de quelle affection

Je suis captif de ta perfection,

La mort seroit un confort à ma plainte:

Et lors peult-estre esprise de pitié,

Tu pousserois sur ma despouille esteinte,

Quelque souspir de tardive amitié.

CLXIV

Hà, Belacueil, que ta doulce parolle

Vint traistrement ma jeunesse offenser

Quand au premier tu l'amenas dancer,

Dans le verger, l'amoureuse carolle.

Amour adonq me mit à son escolle,

Ayant pour maistre un peu sage penser,

Qui des le jour me mena commencer

Le chapelet de la danse plus folle.

Depuis cinq ans dedans ce beau verger,

Je voys balant avecque faulx danger,

Soubz la chanson d'Allegez moy Madame

Le tabourin se nommoit fol plaisir,

La fluste erreur, le rebec vain desir,

Et les cinq pas la perte de mon ame.

CLXV

En escrimant un Démon m'eslança

Le mousse fil d'une arme rabatue,

Qui de sa pointe aux aultres non pointue,

Jusques à l'os le coulde m'offença.

Ja tout le bras à seigner commença,

Quand par pitié la beaulté qui me tue,

De l'estancher soigneuse s'evertuë,

Et de ses doigtz ma playe elle pança.

Las, di-je lors, si tu as quelque envie

De soulager les playes de ma vie,

Et luy donner sa premiere vigueur,

Non ceste ci, mais de ta pitié sonde

L'aspre tourment d'une aultre plus profonde,

Que vergongneux je cele dans mon cuoeur.

CLXVI

Tousjours des bois la syme n'est chargée,

Soubz les toysons d'un hyver éternel,

Tousjours des Dieux le fouldre criminel

Ne darde en bas sa menace enragée.

Tousjours les ventz, tousjours la mer d'Egée

Ne gronde pas d'un orage cruel:

Mais de la dent d'un soing continuel,

Tousjours tousjours ma vie est oultragée.

Plus je me force à le vouloir tuer,

Plus il renaist pour mieux s'esvertuer

De féconder une guerre en moymesme.

O fort Thebain, si ta serve vertu

Avoit encor ce monstre combatu,

Ce seroit bien de tes faitz le treiziesme.

CLXVII

Je veus brusler pour m'en voler aux cieux,

Tout l'imparfait de ceste escorce humaine,

M'eternisant, comme le filz d'Alcméne,

Qui tout en feu s'assit entre les Dieux.

Ja mon esprit chatouillé de son mieux,

Dedans ma chair, rebelle se promeine,

Et ja le bois de sa victime ameine

Pour s'enflammer aux rayons de tes yeulx.

O sainct brazier, ô feu chastement beau,

Las, brusle moy d'un si chaste flambeau

Qu'abandonnant ma despouille cognue,

Nét, libre, et nud, je vole d'un plein sault,

Oultre le ciel, pour adorer là hault

L'aultre beaulté dont la tienne est venue.

CLXVIII

Ce fol penser pour s'en voler plus hault,

Apres le bien que haultain je desire,

S'est emplumé d'ailles joinctes de cire,

Propres à fondre aux raiz du premier chault.

Luy fait oyseau, dispost de sault en sault,

Poursuit en vain l'object de son martire,

Et toy, qui peux, et luy doys contredire,

Tu le vois bien, Raison, et ne t'en chault.

Soubz la clarté d'une estoile si belle,

Cesse, penser, de hazarder ton aisle,

Ains que te voir en bruslant deplumer:

Car pour estaindre une ardeur si cuizante,

L'eau de mes yeulx ne seroit suffisante,

Ny suffisants toutz les flotz de la mer.

CLXIX

Or que le ciel, or que la terre est pleine

De glaz, de graille esparse en tous endrois,

Et que l'horreur des plus frigoreux mois

Fait herisser les cheveux de la plaine,

Or que le vent, qui mutin se promeine,

Rompt les rochers, et desplante les bois,

Et que la mer redoublant ses abois,

Contre les bordz sa plus grand rage ameine,

Amour me brusle, et l'hyver froidureux,

Qui gele tout, de mon feu chaleureux

Ne gele point l'ardeur, qui tousjours dure:

Voyez, Amantz, comme je suis traitté,

Je meurs de froid au plus chault de l'Esté,

Et de chaleur au cuoeur de la froidure.

CLXX

Je ne suis point, Muses, acoustumé

De voir la nuict vostre dance sacrée:

Je n'ay point beu dedans l'onde d'Ascrée,

Fille du pied du cheval emplumé.

De tes beaulx raiz chastement allumé

Je fu poëte: et si ma voix recrée,

Et si ma lyre, ou si ma rime agrée,

Ton oeil en soit, non Parnase, estimé.

Certes le ciel te debvoit à la France,

Quand le Thuscan, et Sorgue, et sa Florence,

Et son Laurier engrava dans les cieux:

Ore trop tard beaulté plus que divine,

Tu vois nostre âge, helas, qui n'est pas digne

Tant seulement de parler de tes yeulx.

CLXXI

Ny les desdaingz d'une Nymphe si belle,

Ny le plaisir de me fondre en langueur,

Ny la fierté de sa doulce rigueur,

Ny contre amour sa chasteté rebelle,

Ny le penser de trop penser en elle,

Ny de mes yeulx la fatale liqueur,

Ny mes souspirs messagers de mon cuoeur,

Ny de ma flamme une ardeur eternelle,

Ny le desir qui me lime et me mord,

Ny voir escrite en ma face la mort,

Ny les erreurs d'une longue complainte,

Ne briseront mon cuoeur de diamant,

Que sa beaulté n'y soit tousjours emprainte,

Belle fin fait qui meurt en bien aymant.

CLXXII

Dedans le lit où mal sain je repose,

Presque en langueur Madame trespassa

Au moys de Juin, quand la fiebvre effaça

Son teint d'oeilletz, et ses lévres de rose

Une vapeur avec sa fiebvre esclose,

Entre les draps son venin delaissa,

Qui par destin, diverse me blessa

D'une autre fiebvre en mes veines enclose.

L'un apres l'autre elle avoyt froyd et chault,

Le froyd, le chault jamais ne me default,

Et quand l'un croyst l'autre ne diminue:

L'aspre tourment tousjours ne la tentoyt,

De deux jours l'un sa fiebvre s'allentoyt,

Las, mais la mienne est tousjours continue.

CLXXIII

O traitz fichez dans le but de mon ame,

O folle emprise, ô pensers repensez,

O vainement mes jeunes ans passez,

O miel, ô fiel, dont me repaist Madame,

O chault, ô froyd, quilm' englace et m'enflamme,

O promptz desirs d'esperance cassez,

O doulce erreur, ô paz en vain trassez,

O montz, ô rocz, que ma douleur entame,

O terre, ô mer, chaos, destins et cieulx,

O nuit; ô jour, ô Manes stygieux,

O fiere ardeur, ô passion trop forte:

O vous Démons, et vous divins Espritz,

Si quelque amour quelque foys vous a pris,

Voyez pour dieu quelle peine je porte.

CLXXIV

Las, force m'est qu'en brullant je me taise,

Car d'autant plus qu'esteindre je me veux,

Plus le desir me r'allume les feux,

Qui languissoyent desoubz la morte braize

Si suis-je heureux (et cela me rapaize)

De plus soufrir que soufrir je ne peulx,

Et d'endurer le mal dont je me deulx,

Je me deulx, non, mais dont je suis bien aise.

Par ce doulx mal j'adoray la beaulté,

Qui me liant d'une humble cruaulté

Me desnoua les liens d'ignorance.

Par luy me vint ce vertueux penser,

Qui jusqu'au ciel fit mon cuoeur eslancer,

Aillé de foy, d'amour et d'esperance.

CLXXV

Amour et Mars sont presque d'une sorte,

L'un en plein jour, l'autre combat de nuict,

L'un aux rivaux, l'autre aux gensdarmes nuit,

L'un rompt un huis, l'autre rompt une porte.

L'un finement trompe une ville forte,

L'autre coyment une garde seduict:

L'un un butin, l'autre le gaing poursuit,

L'un deshonneur, l'autre dommage apporte.

L'un couche à terre, et l'autre gist souvent

Devant un huis à la froydeur du vent:

L'un boyt meinte eau, l'autre boyt meinte larme.

Mars va tout seul, les Amours vont touts seulz:

Qui vouldra donc ne languir paresseux,

Soyt l'un ou l'autre, amoureux ou gendarme.

CLXXVI

Jamais au cuoeur ne sera que je n'aye,

Soyt que je tombe en l'obly du cercueil,

Le souvenir du favorable acueil,

Qui regarit et rengregea ma playe.

Tant ceste là, pour qui cent mortz j'essaye,

Me saluant d'un petit riz de l'oeil,

Si doulcement satisfait à mon dueil,

Qu'un seul regard les interestz m'en paye.

Si donc le bien d'un esperé bon jour,

Plein de caresse, apres un long sejour,

En cent nectars peult enyvrer mon ame,

Quel paradis m'apporteront les nuictz,

Où se perdra le rien de mes ennuiz,

Evanouy dans le sein de Madame?

CLXXVII

Au cuoeur d'un val, où deux ombrages sont,

Dans un destour, de loing j'avisay celle,

Dont la beaulté dedans mon cuoeur se cele,

Et les douleurs m'apparoyssent au front.

Des boys toffuz voyant le lieu profond,

J'armay mon cuoeur d'asseurance nouvelle,

Pour luy chanter les maulx que j'ay pour elle,

Et les tourmentz que ses beaulx yeulx me font.

En cent façons, desja, desja ma langue

Avantpensoyt les motz de sa harangue,

Ja soulageant de mes peines le faix,

Quand un Centaure envieux sur ma vie

L'ayant en crope au galop l'a ravie,

Me laissant seul, et mes criz imparfaitz.

CLXXVIII

Veufve maison des beaulx yeulx de Madame,

Qui pres et loing me paissent de douleur,

Je t'acompare à quelque pré sans fleur,

A quelque corps orfelin de son ame.

L'honneur du ciel n'est-ce pas ceste flamme

Qui donne aux dieux et lumiere et chaleur?

Ton ornement n'est ce pas la valeur

De son bel oeil, qui tout le monde enflamme?

Soyent tes buffetz chargez de masse d'or,

Et soyent tes flancz empeinturez encor

De mainte histoyre en filz d'or enlassée:

Cela, Maison, ne me peult resjouir,

Sans voyr en toy ceste Dame, et l'ouyr,

Que j'oy tousjours, et voy dans ma pensée.

CLXXIX

Puis qu'aujourdhuy pour me donner confort,

De ses cheveulx ma Maistresse me donne,

D'avoyr receu, mon cuoeur, je te pardonne,

Mes ennemis au dedans de mon fort.

Non pas cheveux, mais un lien bien fort,

Qu'Amour me lasse, et que le ciel m'ordonne,

Où franchement captif je m'abandonne,

Serf volontaire, en volontaire effort.

D'un si beau crin le dieu que Déle honore,

Son col de laict blondement ne decore,

Ny les flambeaux du chef Egyptien,

Quand de leurs feux les astres se couronnent,

Maugré la nuict ne treluysent si bien,

Que ces cheveux qui mes bras environnent.

CLXXX

Je m'assuroy qu'au changement des cieulx

Cest an nouveau romproyt ma destinée,

Et que sa trace, en serpent retournée,

Adoulciroyt mon travail soucieux:

Mais plus qu'il volte en un rond pluvieux

Ses frontz lavez d'une humide journée,

Cela me dit qu'au cours de ceste année

Je pleuveray ma vie par les yeulx.

Las, toy qui es de moy la quinte essence,

De qui l'humeur sur la mienne a puissance,

Ou de tes yeulx serene mes douleurs,

Ou bien les miens alambique en fontaine,

Pour estoufer le plus vif de ma peine,

Dans le ruisseau, qui naistra de mes pleurs.

CLXXXI

Seconde Aglaure, advienne que l'Envie

Rouille ton cuoeur traistrement indiscret,

D'avoyr osé publier le secret,

Qui bienheuroyt le bonheur de ma vie.

Fiere à ton col Tisiphone se lie,

Qui d'un remors, d'un soing et d'un regret,

Et d'un fouet, d'un serpent, et d'un trait,

Sans se lasser punisse ta folie.

En ma faveur ce vers injurieux

Suyve l'horreur du despit furieux,

Dont Archiloc aiguiza son ïambe:

Et mon courroux t'ourdisse le licol

Du fil meurtrier, que le meschant Lycambe,

Pour se saulver estraignit à son col.

CLXXXII

En nul endroyt, comme a chanté Virgile,

La foy n'est seure, et me l'a fait scavoyr

Ton jeune cuoeur, mais vieil pour decevoyr,

Rompant la sienne infamement fragile.

Tu es vrayment et sotte, et mal habile,

D'assubjettir les cuoeurs à ton pouvoyr,

Jouet à vent, flot prompt à s'esmouvoyr,

Beaulté trop belle en ame trop mobile.

Helas, Amour, si tu as quelque foys

Haussé ton vol soubz le vent de ma voix,

Jamais mon cuoeur de son coeur ne racointes.

Puisse le ciel sur sa langue envoyer

Le plus aigu de sa fouldre à troys pointes

Pour le payment de son juste loyer.

CLXXXIII

Son chef est d'or, son front est un tableau

Où je voy peint le gaing de mon dommage,

Belle est sa main, qui me fait devant l'age,

Changer de teint, de cheveulx, et de peau.

Belle est sa bouche, et son soleil jumeau,

De neige et feu s'embellit son visage,

Pour qui Juppin reprendroyt le plumage,

Ore d'un Cygne, or le poyl d'un toreau.

Doulx est son ris, qui la Meduse mesme

Endurciroyt en quelque roche blesme,

Vangeant d'un coup cent mille cruaultez.

Mais tout ainsi que le Soleil efface

Les moindres feux: ainsi ma foy surpasse

Le plus parfaict de toutes ses beaultez.

CLXXXIV

Tousjours l'erreur, qui seduit les Menades,

Ne deçoyt pas leurs espritz estonnez,

Tousjours au son des cornetz entonnez,

Les mons Troyens ne foulent de gambades.

Tousjours le Dieu des vineuses Thyades,

N'affolle pas leurs cuoeurs epoinçonnez,

Et quelque foys leurs cerveaux forcenez

Cessent leur rage et ne sont plus malades.

Le Corybente a quelquefoys repos,

Et le Curete aux piedz armez dispos,

Ne sent tousjours le Tan de sa deesse:

Mais la fureur de celle qui me joint,

En patience une heure ne me laisse

Et de ses yeulx tousjours le cuoeur me point.

CLXXXV

Bien que les champz, les fleuves et les lieux,

Les montz, les boys, que j'ay laissez derriere,

Me tiennent loing de ma doulce guerriere,

Astre fatal d'où s'ecoule mon mieux:

Quelque Demon par le congé des cieulx,

Qui presidoyent à mon ardeur premiere,

Conduit tousjours d'une aisle coustumiere

Sa belle image au sejour de mes yeulx.

Toutes les nuictz, impatient de haste,

Entre mes bras je rembrasse et retaste

Son ondoyant en cent formes trompeur:

Mais quand il voyt que content je sommeille,

Mocquant mes braz il s'enfuit, et m'esveille,

Me laissant plein de vergogne et de peur.

CLXXXVI

Il faisoyt chault, et le somme coulant

Se distilloyt dans mon ame songearde,

Quand l'incertain d'une idole gaillarde,

Fut doulcement mon dormir affolant.

Panchant soubz moy son bel ivoyre blanc,

Et mitirant sa langue fretillarde,

Me baisotoyt d'une lévre mignarde,

Bouche sur bouche et le flanc sus le flanc.

Que de coral, que de liz, que de roses,

Ce me sembloyt, à pleines mains descloses,

Tastay-je lors entre deux manimentz?

Mon dieu mon dieu, de quelle doulce aleine,

De quelle odeur estoyt sa bouche pleine,

De quelz rubiz, et de quelz diamantz!

CLXXXVII

Ces flotz jumeaulx de laict bien espoissi,

Vont et revont par leur blanche valée,

Comme à son bord la marine salée,

Qui lente va, lente revient aussi.

Une distance entre eulx se fait, ainsi

Qu'entre deux montz une sente esgalée,

En toutz endroitz de neige, devalée,

Soubz un hyver doulcement adoulci.

Là deux rubiz hault eslevez rougissent,

Dont les rayons cest ivoyre finissent

De toutes partz unyment arondis:

Là tout honneur, là toute grace abonde:

Et la beaulté, si quelqu'une est au monde,

Vole au sejour de ce beau paradis.

CLXXXVIII

Quelle langueur ce beau front deshonore?

Quel voile obscur embrunit ce flambeau?

Quelle palleur despourpre ce sein beau,

Qui per à per combat avec l'Aurore?

Dieu medecin, si en toy vit encore

L'antique feu du Thessale arbrisseau,

Las, pren pitié de ce teint damoyseau,

Et son lis palle en oeilletz recolore.

Et toy Barbu, fidelle gardien

Du temple assis au champ Rhagusien,

Deflamme aussi le tison de ma vie:

S'il vit, je vy, s'il meurt je ne suis riens:

Car tant son ame à la mienne est unie,

Que ses destins seront suyvis des miens.

CLXXXIX

D'un Ocëan qui nostre jour limite

Jusques à l'autre, on ne voit point de fleur,

Qui de beaulté, de grace et de valeur,

Puisse combatre au teint de Marguerite.

Si riche gemme en Orient eslite

Comme est son lustre affiné de bon heur,

N'emperla point de la Conche l'honneur

Où s'apparut Venus encore petite.

Le pourpre esclos du sang Adonien,

Le triste ai ai du Telamonien,

Ni des Indoys la gemmeuse largesse,

Ny toutz les biens d'un rivage estranger,

A leurs tresors ne sauroient eschanger

Le moindre honneur de sa double richesse.

CXC

Au plus profond de ma poytrine morte,

Sans me tuer une main je reçoy,

Qui me pillant entraine avecque soy

Mon cuoeur captif, que maistresse elle emporte.

Coustume inique, et de mauvaise sorte,

Malencontreuse et miserable loy,

Tant à grand tort, tant tu es contre moy,

Loy sans raison, miserablement forte.

Fault il que veuf, seul entre mille ennuiz,

Mon lict desert je couve tant de nuictz

Hà, que je porte et de haine, et d'envie

A ce Vulcan ingrat, et sans pitié,

Qui s'opposant aux raiz de ma moytié,

Fait eclipser le Soleil de ma vie.

CXCI

Ren moy mon cuoeur, ren moy mon cuoeur, pillarde,

Que tu retiens dans ton sein arresté:

Ren moy, ren moy ma doulce liberté

Qu'à tes beaulx yeux mal caut je mis en garde.

Ren moy ma vie, ou bien la mort retarde,

Qui me devance au cours de ta beaulté,

Par ne scay quelle honneste cruaulté,

Et de plus pres mes angoisses regarde.

Si d'un trespas tu payes ma langueur,

L'âge à venir maugrayant ta rigueur,

Dira sus toy: De ceste fiere amie

Puissent les oz reposer durement,

Qui de ses yeulx occit meurtrierement

Un qui l'avoyt plus chere que sa vie.

CXCII

Quand le grand oeil dans les Jumeaux arrive,

Un jour plus doulx seréne l'Univers,

D'espicz crestez ondoyent les champz verdz,

Et de couleurs se peinture la rive.

Mais quand sa fuite obliquement tardive,

Par le sentier qui roulle de travers,

Atteint l'Archer, un changement divers

De jour, d'espicz, et de couleurs les prive.

Ainsi quand l'oeil de ma deesse luit,

Dedans mon cuoeur, dans mon cuoeur se produit

Un beau printemps qui me donne asseurance:

Mais aussi tost que son rayon s'enfuit,

De mon printempz il avorte le fruit,

Et à myherbe il tond mon esperance.

CXCIII

Fauche, garçon, d'une main pilleresse,

Le bel esmail de la verte saison,

Puis à plein poing enjonche la maison

Du beau tapis de leur meslange espaisse.

Despen du croc ma lyre chanteresse:

Je veus charmer, si je puis la poison,

Dont un bel oeil, sorcela ma raison

Par la vertu d'une oeillade maistresse.

Donne moy l'encre, et le papier aussi

En cent papiers tesmoingz de mon souci,

Je veux tracer la peine que j'endure:

En cent papiers plus durs que diamant,

A celle fin que la race future

Juge du mal que je soufre en aymant.

CXCIV

Les vers d'Homere entreleuz d'avanture,

Soit par destin, par rencontre, ou par sort,

En ma faveur chantent tous d'un accord

La garison du tourment que j'endure.

Ces vieux Barbuz, qui la chose future,

Des traitz des mains, du visage, et du port,

Vont predisant, annoncent reconfort

Aux passions de ma peine si dure.

Mesmes la nuict, le somme qui vous mét

Doulce en mon lict, augure, me promet

Que je verray voz fiertez adoucies:

Et que vous seule, oracle de l'amour,

Vérifirez dans mes braz quelque jour,

L'arrest fatal de tant de propheties.

CXCV

Un sot Vulcan ma Cyprine faschoit,

Mais elle apart qui son courroux ne cele

L'un de ses yeulx arma d'une estincelle,

De l'autre un lac sur sa face espanchoit.

Tandis Amour qui petit se cachoit

Folastrement dans le sein de la belle,

En l'oeil humide alloit baignant son aisle,

Puis en l'ardent ses plumes il sechoit.

Ainsi voit on quelquefois en un temps,

Rire et pleurer le soleil du printemps,

Quand une nuë à demy le traverse.

L'un dans les miens darda tant de liqueur,

Et l'autre apres tant de flammes au cuoeur,

Que pleurs et feux depuis l'heure je verse.

CXCVI

Mon dieu, quel dueil, et quelles larmes sainctes,

Et quelz souspirs Madame alloit formant,

Et quelz sanglotz, alors que le tourment

D'un teint de mort ses graces avoit peintes.

Croysant ses mains à l'estomac estraintes

Fichoit au ciel son regard lentement,

Et triste apart pleuroit si tristement,

Que les rochers se brisoyent de ses plaintes.

Les cieux fermez aux criz de sa douleur,

Changeans de front, de grace et de couleur,

Par sympathie en devindrent malades:

Tous renfrognez les astres secouoyent

Leurs raiz du chef, telles pitiez nouoyent

Dans le cristal de ses moytes oeillades.

CXCVII

Le feu jumeau de Madame brusloit

Par le rayon de sa flamme divine,

L'amas pleureux d'une obscure bruine

Qui de leur jour la lumière celoit.

Un bel argent chauldement s'escouloit

Dessus sa joue, en la gorge ivoyrine,

Au paradis de sa chaste poitrine,

Où l'Archerot ses flesches esmouloit.

De neige tiede estoit sa face pleine,

D'or ses cheveux, ses deux sourciz d'ebéne,

Ses yeulx m'estoyent un bel astre fatal:

Roses et liz, où la douleur contrainte

Formoit l'accent de sa juste complainte,

Feu ses souspirs, ses larmes un crystal.

CXCVIII

Celuy qui fit le monde façonné

Sur le compas de son parfait exemple,

Le couronnant des voustes de son temple,

M'a par destin ton esclave ordonné.

Comme l'esprit, qui sainctement est né

Pour voyr son dieu, quand sa face il contemple,

De touts ses maulx un salaire plus ample

Que de le voyr, ne luy est point donné:

Ainsi je pers ma peine coustumiere,

Quand à longz traitz j'oeillade la lumiere

De ton bel oeil, chefdoeuvre nompareil.

Voyla pour quoy, quelque part qu'il sejourne,

Tousjours vers luy maulgré moy je me tourne,

Comme un Souci aux rayons du soleil.

CXCIX

Que Gastine ait tout le chef jaunissant

De maint citron et mainte belle orenge,

Que toute odeur de toute terre estrange,

Aille par tout noz plaines remplissant.

Le Loyr soit laict, son rempart verdissant

En un tapis d'esmeraudes se change,

Et le sablon, qui dans Braye se range,

D'arenes d'or soit par tout blondissant.

Pleuve le ciel des parfumz et des roses,

Soyent des grands ventz les aleines encloses,

La mer soit calme, et l'air plein de bon heur:

Voici le jour, que l'enfant de mon maistre,

Naissant au monde, au monde a fait renaistre

La foy premiere, et le premier honneur.

CC

Jeune Herculin, qui des le ventre sainct

Fus destiné pour le commun service,

Et qui naissant rompis la teste au vice

De ton beau nom dedans les astres peint:

Quand l'age d'homme aura ton cuoeur atteint,

S'il reste encor quelque trac de malice,

Le monde adonc ployé soubz ta police

Le pourra voyr totalement estaint.

En ce pendant crois enfant, et prospere,

Et sage apren les haultz faitz de ton pere,

Et ses vertuz, et les honneurs des Roys.

Puis aultre Hector tu courras à la guerre,

Aultre Jason tu t'en iras conquerre,

Non la toison, mais les champz Navarroys.

CCI

Comme on souloit si plus on ne me blasme

D'estre tousjours lentement otieux,

Je t'en ren grace, heureux trait de ces yeulx,

Qui m'ont parfait l'imparfait de mon ame.

Ore l'esclair de leur divine flamme,

Dressant en l'air mon vol audacieux

Pour voir le Tout, m'esleve jusqu'aux cieux,

Dont ici bas la partie m'enflamme.

Par le moins beau, qui mon penser aisla,

Au sein du beau mon penser s'en vola,

Epoinçonné d'une manie extreme:

Là, du vray beau j'adore le parfait,

Là, d'otieux actif je me suis fait,

Là je cogneu ma maistresse et moy-mesme.

CCII

Brave Aquilon, horreur de la Scythie,

Le chassenue, et l'ebranlerocher,

L'irritemer, et qui fais approcher

Aux enfers l'une, aux cieux l'autre partie:

S'il te souvient de la belle Orithye,

Toy de l'hiver le plus fidele archer,

Fais à mon Loyr ses mines relascher,

Tant que Madame à rive soit sortie.

Ainsi ton front ne soit jamais moyteux;

Et ton gosier horriblement venteux,

Mugle tousjours dans les cavernes basses,

Ainsi les braz des chesnes les plus vieux,

Ainsi la terre, et la mer, et les cieux,

Tremblent d'effroy quelque part où tu passes.

CCIII

Soeur de Paris, la fille au roy d'Asie,

A qui Phebus en doubte fit avoyr

Peu cautement l'aiguillon du scavoyr,

Dont sans proffit ton ame fut saisie,

Tu variras vers moy de fantaisie,

Puis qu'il te plaist (bien que tard) de vouloyr

Changer ton Loyre au sejour de mon Loyr,

Voyre y fonder ta demeure choysie.

En ma faveur le ciel te guide ici,

Pour te montrer de plus pres le souci

Qui peint au vif de ses couleurs ma face.

Vien Nymphe vien, les rochers et les boys

Qui de pitié s'enflamment soubz ma voix,

De leurs souspirs eschauferont ta glace.

CCIV

L'or crespelu, que d'autant plus j'honore,

Que mes douleurs s'augmentent de son beau,

Laschant un jour le noud de son bandeau,

S'esparpilloyt sur le sein que j'adore:

Mon cuoeur, helas, qu'en vain je r'appelle ore,

Vola dedans, ainsi qu'un jeune oyseau,

Qui s'enfueillant dedans un arbrisseau,

De branche en branche à son plaisir s'essore:

Lors que voyci dix beaux doigtz ivoyrins,

Qui ramassantz ses blondz filetz orins

Pris en leurs retz esclave le lierent.

J'eusse crié, mais la peur que j'avoys;

Gela mes sens, mes poumons, et ma voix,

Et ce pendant le cuoeur ils me pillerent.

CCV

L'homme est vraiment ou de plomb ou de bois

S'il ne tressaut de creinte et de merveille

Quand face à face il voit ma nompareille,

Ou quand il oit les acors de sa vois.

Ou quand, pensive, aus jours des plus beaus mois

La voit à part (comme un qui se conseille)

Tracer les prés, et d'une main vermeille

Trier de ranc les fleurettes de chois:

Ou quand l'Esté, lors que le chaut s'avale,

Au soir, à l'huis, il la voit, qu'elle égale

La soie à l'or d'un pouce ingenieus:

Puis de ses dois, qui les roses effacent,

Toucher son luc, et d'un tour de ses yeus

Piller les coeurs de mile hommes qui passent.

CCVI

Avec les fleurs et les boutons éclos

Le beau printans fait printaner ma peine,

Dans chaque nerf, et dedans chaque veine

Soufflant un feu qui m'ard jusques à l'os.

Le marinier ne conte tant de flos,

Quand plus Borée horrible son haleine,

Ni de sablons l'Afrique n'est si pleine,

Que de tourmens dans mon coeur sont enclos.

J'ai tant de mal, qu'il me prendroit envie

Cent fois le jour de me trancher la vie,

Minant le fort où loge ma langueur,

Si ce n'estoit que je tremble de creinte

Qu'apres la mort ne fust la plaïe éteinte

Du coup mortel qui m'est si dous au coeur.

CCVII

Si blond, si beau, comme est une toyson

Qui mon dueil tue, et mon plaisir renforce,

Ne fut onq l'or, que les toreaux par force,

Au champ de Mars donnerent à Jason.

De ceulx, qui Tyr ont esleu pour maison,

Si fine soye en leur main ne fut torse.

Ny mousse encor ne revestit escorse,

Si tendre qu'elle en la prime saison.

Poyl folleton, où nichent mes liesses,

Puis que pour moy tes compagnons tu laisses

Je sen ramper l'esperance en mon cuoeur:

Courage Amour, desja la ville est prise,

Lors qu'en deux partz, mutine, se devise,

Et qu'une part se vient rendre au vainqueur.

CCVIII

D'une vapeur enclose soubz la terre,

Ne s'est pas fait cest esprit ventueux.

Ny par les champs le Loyr impetueux

De neige cheute à toute bride n'erre.

Le prince Eole en ces moys ne deterre

L'esclave orgueil des vents tumultueux,

Ny l'Ocean des flotz tempestueux

De sa grand clef les sources ne desserre.

Seulz mes souspirs ont ce vent enfanté,

Et de mes pleurs le Loyr s'est augmenté,

Pour le depart d'une beaulté si fiere:

Et m'esbays, de tant continuer:

Souspirs et pleurs, que je n'ay veu muer

Mon cuoeur en vent, et mes yeulx en riviere.

CCIX

Je suis, je suis plus aise que les Dieus

Quand maugré toi tu me baises, Maîtresse:

De ton baiser la douceur larronnesse

Tout éperdu m'envole jusque aus cieus.

Quant est de moi, j'estime beaucoup mieus

Ton seul baiser, que si quelque Déesse,

En cent façons doucement tenteresse,

M'acoloit nu d'un bras delicieus.

Il est bien vrai, que tu as de coutume

D'entremeller tes baisers d'amertume,

Les donnant cours, mais quoy? je ne pourrois

Vivre autrement, car mon ame, qui touche

Tant de beautés, s'enfuiroit par ma bouche,

Et de trop d'aise en ton sein je mourrois.

CCX

Telle qu'elle est, dedans ma souvenance

Je la sen peinte, et sa bouche, et ses yeus,

Son dous regard, son parler gratieus,

Son dous meintien, sa douce contenance.

Un seul Janet, honneur de nostre France,

De ses craïons ne la portrairoit mieus,

Que d'un Archer le trait ingenieus

M'a peint au coeur sa vive remembrance.

Dans le coeur donque au fond d'un diamant

J'ai son portrait, que je suis plus aimant

Que mon coeur mesme. O sainte portraiture,

De ce Janet l'artifice mourra

Frapé du tans, mais le tien demourra

Pour estre vif apres ma sepulture.

CCXI

Amourette

Petite Nymphe folastre,

Nymphette que j'idolatre,

Ma mignonne dont les yeulx

Logent mon pis et mon mieux;

Ma doucette, ma sucrée,

Ma Grace, ma Cytherée,

Tu me doibs pour m'apaiser

Mille fois le jour baiser.

Avance mon cartier belle,

Ma tourtre, ma colombelle,

Avance moy le cartier

De mon payment tout entier.

Demeure, où fuis tu Maistresse?

Le desir qui trop me presse,

Ne sçauroit arrester tant

S'il n'a son payment contant.

Revien revien mignonnette,

Mon doulx miel, ma violete,

Mon oeil, mon cuoeur, mes amours,

Ma cruëlle, qui tousjours

Treuves quelque mignardise,

Qui d'une doulce faintise

Peu à peu mes forces fond,

Comme on voyt dessus un mont

S'escouler la neige blanche:

Ou comme la rose franche

Pert le pourpre de son teint

Du vent de la Bise atteint.

Où fuis-tu mon âmelete?

Mon diamant, ma perlete?

Las, revien, mon sucre doulx,

Sur mon sein, sur mes genoux,

Et de cent baisers apaise

De mon cuoeur la chaulde braise.

Donne m'en bec contre bec,

Or un moyte, ores un sec,

Ore un babillard, et ores

Un qui soit plus long encores

Que ceulx des pigeons mignards,

Couple à couple fretillards,

Hà là! ma doulce guerriere,

Tire un peu ta bouche arriere,

Le dernier baiser donné

A tellement estonné

De mille doulceurs ma vie,

Qu'il me l'a presque ravie,

Et m'a fait veoir à demi

Le Nautonnier ennemi

Et les pleines où Catulle,

Et les rives où Tibulle

Paz à paz leur promenant',

Vont encores maintenant

De leurs bouchettes blesmies

Rebaisotans leurs amies.

CCXII

Des Grecs marris l'industrieuse Helene,

Et des Troïens ouvrageoit les combas:

Dessus ta gaze en ce point tu t'ebas,

Traçant le mal duquel ma vie est pleine.

Mais tout ainsi, maitresse, que ta leine

D'un filet noir figure mon trespas,

Tout au rebours, pourquoi ne peins-tu, las!

De quelque verd un espoir à ma peine?

Las! je ne voi sur ta gaze rangé

Sinon du noir, sinon de l'orangé,

Tristes témoins de ma longue soufrance.

O fier destin, son oeil ne me defait

Tant seulement, mais tout ce qu'elle fait

Ne me promet qu'une desesperance.

CCXIII

Mon Dieu, que j'aime à baiser les beaus yeus

De ma maitresse, et à tordre en ma bouche

De ses cheveus l'or fin qui s'écarmouche

Si gaïement dessus deus petis cieus.

C'est, Amour, c'est ce qui lui sied le mieus

Que ce bel oeil, qui jusqu'au coeur me touche,

Et ce beau poil, qui d'un Scythe farouche

Prendroit le coeur en ses nous gracieus,

Ce beau poil d'or, et ce beau chef encore

De leurs beautés font vergoigner l'Aurore,

Quand plus crineuse elle embellit le ciel.

Et dans cet oeil je ne sai quoi demeure,

Qui me peut faire à toute heure, à toute heure,

Le sucre fiel, et riagas le miel.

CCXIV

L'arc contre qui des plus braves gendarmes

Ne vaut l'armet, le plastron, ni l'escu,

D'un si dous trait mon courage a veincu,

Que sus le champ je lui rendi les armes.

Comme apostat je n'ai point fait d'alarmes,

Depuis que serf sous Amour j'ai vescu,

Ni n'eusse peu, car, pris, je n'ai onq eu

Pour tout secours, que l'aide de mes larmes.

Il est bien vrai qu'il me fache beaucoup

D'estre defait, mesme du premier coup,

Sans resister plus long tans à la guerre:

Mais ma defaite est digne de grand pris,

Puis que le Roi, ains le dieu, qui m'a pris,

Combat le Ciel, les Enfers, et la terre.

CCXV

Cet oeil besson dont, goulu, je me pais,

Qui fait rocher celui qui s'en aprouche,

Ore d'un ris, or d'un regard farouche

Nourrit mon coeur en querelle et en pais.

Pour vous, bel oeil, en soufrant, je me tais,

Mais aussi tôt que la douleur me touche,

Toi, belle sainte, et angelique bouche,

De tes douceurs revivre tu me fais.

Bouche, pourquoi me viens-tu secourir,

Quand ce bel oeil me force de mourir?

Pourquoi veus-tu que vif je redevienne?

Las! bouche, las! je revis en langueur,

Pour plus de soin, à fin que le soin vienne

Plus longuement se paître de mon coeur.

CCXVI

Depuis le jour que mal sain je soupire,

L'an dedans soi s'est roüé par set fois.

(Sous astre tel je pris l'hain) toutefois

Plus qu'au premier ma fievre me martire:

Quand je soulois en ma jeunesse lire

Du Florentin les lamentables vois,

Comme incredule alors je ne pouvois,

En le moquant, me contenir de rire.

Je ne pensoi, tant novice j'étoi,

Qu'home eut senti ce que je ne sentoi,

Et par mon fait les autres je jugeoie.

Mais l'Archerot qui de moi se facha,

Pour me punir, un tel soin me cacha

Dedans le coeur, qu'onque puis je n'eus joïe.

CCXVII

Mets en obli, Dieu des herbes puissant,

Le mauvais tour que non loin d'Hellesponte

Te fit m'amie, et vien d'une main pronte

Garir son teint palement jaunissant.

Tourne en santé son beau cors perissant,

Ce te sera, Phebus, une grand'honte,

Sans ton secours, si la ledeur surmonte

L'oeil qui te tint si long tans languissant.

En ma faveur si tu as pitié d'elle,

Je chanterai comme l'errante Dele

S'enracina sous ta vois, et comment

Python sentit ta premiere conqueste,

Et comme Dafne aus tresses de ta teste

Donna jadis le premier ornement.

CCXVIII

Bien que ton trait, Amour soit rigoureus,

Et toi rempli de fraude, et de malice,

Assés, Amour, en te faisant service,

Plus qu'on ne croit, j'ai vescu bienheureus.

Car cette-là, qui me fait langoureus,

Non, mais qui veut, qu'en vain je ne languisse,

Hier au soir me dit, que je tondisse

De son poil d'or un lien amoureus.

J'eu tant d'honneur, que de son ciseau mesme

Je le tranchai. Voiés l'amour extrême,

Voiés, Amans, la grandeur de mon bien.

Jamais ne soit qu'en mes vers je n'honore

Ce dous ciseau, et ce beau poil encore,

Qui mon coeur presse en un si beau lien.

CCXIX

Si hors du cep où je suis arresté,

Cep où l'Amour de ses flesches m'encloue,

J'eschape franc, et du ret qui m'ennoue

Si quelquefoys je me voy desreté:

Au coeur d'un pré loing de gents escarté,

Que fourchument l'eau du Loyr entrenoue,

De gazons verdz un temple je te vouë,

Heureuse, saincte et alme Liberté

Là, j'appendray le soing, et les ennuiz,

Les faulx plaisirs, les mensonges des nuictz,

Le vain espoyr, les souspirs, et l'envie:

Là touts les ans je te pairay mes voeux,

Et soubz tes pieds j'immoleray cent boeufz,

Pour le bienfaict d'avoyr saulvé ma vie.

CCXX

Veu la douleur qui doulcement me lime,

Et qui me suit compaigne, paz à paz,

Je congnoy bien qu'encor je ne suis pas,

Pour trop aymer, à la fin de ma ryme.

Dame, l'ardeur qui de chanter m'anime,

Et qui me rend en ce labeur moins las,

C'est que je voy qu'aggreable tu l'as,

Et que je tien de tes pensers la cyme.

Je suis vrayment heureux et plusque heureux,

De vivre aymé et de vivre amoureux

De la beaulté d'une Dame si belle:

Qui lit mes vers, qui en fait jugement,

Et qui me donne à toute heure argument

De souspirer heureusement pour elle.

CCXXI

J'alloy roullant ces larmes de mes yeulx,

Or plein de doubte, ores plein d'esperance

Lors que Henry loing des bornes de France,

Vangeoyt l'honneur de ses premiers ayeulx,

Lors qu'il trenchoyt d'un bras victorieux

Au bord du Rhin l'Espaignolle vaillance,

Ja se trassant de l'aigu de sa lance,

Un beau sentier pour s'en aller aux cieulx.

Vous saint troupeau, qui dessus Pinde errez,

Et qui de grace ouvrez, et desserrez

Voz doctes eaux à ceulx qui les vont boyre:

Si quelque foys vous m'avez abreuvé,

Soyt pour jamais ce souspir engravé,

Dans l'immortel du temple de Memoyre.

 

Appendice, Pièces retranchées en 1553

Pièces retranchées en 1553

I

D'un foyble vol, je volle apres l'espoyr,

Qui mieux vollant volle oultre la carriere,

Puis, quand il voyt que je volle derriere,

De mon voller renforce le pouvoyr.

Voyant le sien qui volle pour m'avoyr,

Me revoltant je franchi la barriere,

Et d'un bas vol je m'escarte en arriere,

Pour ne le prendre, et pour pris ne me voyr.

Je suis semblable au malade qui songe,

Le quel en vain ses doigtz mocquez allonge,

Pour tastonner l'idole qui n'est pas:

L'un fuit, l'un suit d'une vaine poursuite,

Ainsi suyvant l'espoyr qui est en fuite,

Et qui ne suit, je perdz en vain mes pas.

II

Moins que devant m'agitoit le vouloyr,

Qui me piquoyt d'une ardeur fanatique,

Quand pour garir ma verve poëtique,

Laissant Paris j'aborde sus le Loyr

Là je vivoy pour plus ne me chaloyr

Ny de la Muse, ou Romaine, ou Attique

Alors qu'Amour de son trait fantastique

Causa le mal qui tant me fait douloyr.

Dedans des prez, et dans un boys champestre,

Parmy les fleurs où seur je pensoys estre

Le doulx Tyran me martela de coupz:

Et me fit voyr, que jamais on n'estrange.

Loing de son chef, quelque païs qu'on change

L'arrest du ciel qui preside sur nous.

Le Cinqieme des Odes (1553)

I

Elégie à M. A. De Muret

Non Muret, non, ce n'est pas dujourdui

Que l'Archerot, qui cause nôtre ennui,

Cause l'erreur qui retronpe les hommes:

Non Muret, non, les premiers nous ne sommes,

A qui son arc, d'un petit trait veincueur,

Si grande plaie a dardé sous le coeur.

Tous animaus, tous ceus-là des canpagnes,

Tous ceus des bois, et tous ceus des montagnes

Sentent sa force, et son feu dousamer

Sentent sous l'eau les monstres de la mer

Et qu'est-il rien que ce garson ne brule?

Ce porteciel, ce tugeant Hercule

Le sentit bien, je di ce fort Thebain

Qui le Sangler étrangla de sa main

Qui tua Nesse, et qui de sa massüe

Mors abatit les enfans de la nüe,

Qui de son arc toute Lerne étonna,

Qui des enfers le chien enprisonna,

Qui sur le bord de l'eau Thermodontée

Prit le baudrier de la vierge dontée,

Qui tua l'Ourque, et qui par plusieurs-fois

Se remoqua des feintes d'Achelois,

Qui fit mourir la pucelle de Phorce,

Qui le Lion démachoira par force,

Qui dans ses bras Anthée acravanta,

Et qui deus mons pour ses merques planta.

Bref ce Heros qui demonstra la terre,

Ce coeur sans peur, ce foudre de la guerre,

Sentit amour, et sa gelante ardeur

Le matta plus que son Roi commandeur.

Non par epris, comme on nous voit éprendre

Toi de ta Janne, ou moi de ma Cassandre,

Mais de tel Tan amour l'aiguillonnoit,

Que tout son coeur, sans raison, bouillonnoit

Au soufre ardent, qui lui cuisoit les venes:

Du feu d'amour elles furent si plenes,

Si plains ses ôs, ses moeles et ses ners,

Que dans Hercul, qui donta l'univers,

Ne reste rien sinon une amour fole

Que lui versoient les deus beaus yeux d'Iole.

Toujours d'Iole il aimoit les beaus yeus,

Fût que le char qui donne jour aus cieus

Sortît de l'eau, ou fût que devalée

Tournât sa roüe en la pleine salée,

De tous humains acoisant les travaus,

Mais non d'Hercul les miserables maus.

Tanseulement il n'avoit de sa dame

Les yeux colés au plus profond de l'ame,

Mais son parler, sa grace et sa douceur

Toujours colés s'atachoient à son coeur.

D'autre que d'elle en son coeur il ne pense,

Toujours absente il la voit en presence.

Et de fortune, Alcid, si tu la vois

Dans ton gousier begue reste ta vois,

Glacé de peur voiant la face aimée:

Ore une fievre ardemment alumée

Ronge ton âme, et ores un glaçon

Te fait tranbler d'amoureuse frisson.

Bas à tes piés ta meurdriere massüe

Gît sans honneur, et bas la peau velüe,

Qui sur ton dôs roide se herissoit,

Quand ta grand main les monstres punissoit.

Plus ton sourci contre eus ne se renfrongne

Comme il souloit. O honteuse vergongne,

O deshonneur. Hercule estant donté

(Aprés avoir le monde surmonté)

Non d'Eurysthée, ou de Junon cruëlle,

Mais de la main d'une simple pucelle.

Voiés pour Dieu quelle force a l'Amour!

Quand une fois elle a gaingné la tour

De la raison, el' ne laisse partie

Qui ne soit toute en fureur convertie.

Ce n'est pas tout, seulement pour aimer.

Il n'oublia la façon de s'armer,

Ou d'anpougner sa masse hazardeuse,

Ou d'achever quelque enprise douteuse:

Mais lent et vain, abatardant son coeur,

Et son esprit qui l'avoit fait veincueur

De tout le monde, o plus lache difame,

Il s'abilla des habis d'une femme,

Et d'un Heros devenu damoiseau

Guidoit l'aiguille, ou tournoit le fuzeau

Et vers le soir, comme une chambriere

Rendoit sa tache à douce joliere,

Qui le tenoit en ses laz plus serré

Qu'un prisonnier dans un cep enferré.

Vraiment Junon, tu es assés vengée

De voir ainsi sa vie estre changée,

De voir ainsi devenu filandier

Ce grand Alcid de tant de rois meurdrier,

Sans ajouter à ton ire indontée

Les mandemens de son frere Eurysthée.

Que veus-tu plus? Iole le contraint

D'estre une femme, il la doute, il la craint:

Il craint ses mains, plus qu'un valet esclave

Ne craint les cous de quelques maistre brave

Et ce pendant qu'il ne fait que penser

A s'atifer, à s'oindre, à s'agencer,

A dorloter sa barbe bien rougnée,

A mignoter sa teste bien paignée;

Impuniment les monstres ont loisir

D'asujetir la terre à leur plaisir,

Sans plus cuider qu'Hercule soit au monde:

Aussi n'est-il, car la poison profonde

Qui dans son coeur s'aloit trop dérivant

L'avoit tué dedans un cors vivant.

Nous donq, Muret, à qui la méme rage

Peu cautement afole le courage,

S'il est possible éviton le lien

Que nous ordît l'anfant Cytherien:

Et rabaisson le vouloir qui domine,

Desous le joug de la raison divine,

Raison qui deût au vrai bien nous guider,

Et de nos sens maistresse presider.

Mais si l'amour las! las! trop miserable

A desja fait nôtre plaie incurable

Tant que le mal peu sujét au conseil

De la raison dedaigne l'apareil,

Veincus par lui, faison place à l'envie,

Et sus Alcid deguison nôtre vie:

Encependant que les riddes ne font

Créper encor le cham de nôtre front

Et que la neige avant l'age venüe

Ne fait encor nôtre teste chenüe,

Qu'un jour ne coule entre nous pour neant

Sans suivre amour, car il n'est mal seant

Pour quelquefois au sinple populaire

Des grans seigneurs imiter l'exemplaire.

II

Sonnet à Cassandre

Prenés mon coeur, dame, prenés mon coeur,

Prenés mon coeur, je vous l'offre, madame,

Car il est vôtre, et ne peut d'autre fame,

Tant vôtre il est, devenir serviteur.

Donque si vôtre, il meurt vôtre en langueur,

Vôtre à jamais, vôtre en sera le blâme,

Et si là bas voirés punir vôtre âme,

Pour ce malfait, d'une juste rigueur.

Quand vous seriés quelque fille d'un Scythe,

Encore l'amour qui les Tygres incite

Vous forceroit de mon mal secourir:

Mais vous trop plus, qu'une Tygresse, fiere,

De mon coeur vôtre helas estes meurtriere,

Et ne vivés que de le voir mourir.

 

Le bocage de P. de Ronsard Vandomoys 1554

 

Amour, quiconque...

Sonets

I

Amour, quiconque ait dit que le ciel fut ton pere,

Et que Venus la douce en ses flancs te porta,

Il mentit lachement: une ourse en avorta

S'une ourse d'un tel fils se veut dire la mere.

Des chams Massyliens la plus cruelle fere

Entre ses lionneaus sus un roc t'alaitta,

Et, t'ouvrant ses tetins, par son lait te jetta

Tout à l'entour du coeur sa rage la plus fiere.

Rien ne te plaist, cruel, que sanglos et que pleurs,

Que dechirer nos coeurs d'épineuses douleurs,

Que tirer tout d'un coup mile mors de ta trousse.

Un si mechant que toi du ciel n'est point venu.

Si Venus t'eust conceu, tu eusses retenu

Quelque peu de douceur d'une mere si douce.

II

Beauté dont la douceur pourroit vaincre les Rois,

Mon coeur que vous tenés dans vos yeus en servage,

Helas, pour Dieu rendés le! ou me baillés en gage

Le vôtre, car sans coeur vivre je ne pourrois.

Quand mort en vous servant, sans mon coeur je serois,

Plus que vous ne pensés, ce vous seroit dommage

De perdre un tel ami, à moi grand avantage,

Grand honneur et plaisir quand pour vous je mourrois.

Ainsi nous ne pouvons encourir de ma mort

Vous, madame, qu'un blâme, et moi qu'un reconfort,

Pourveu que mon trepas vous plaise en quelque chose:

Et veus que sur ma lame Amour aille ecrivant:

Celui qui gît ici sans coeur estoit vivant,

Et trespassa sans coeur, et sans coeur il repose.

III

Amour, qui si long tans en peine m'as tenu,

S'il te plaist d'amolir la fierté de la belle

Qui se montre en ma plaie à grand tort si cruelle;

Tant que par ton moyen mon travail soit connu,

Sur un Terme doré je te peindrai tout nu,

En l'air un pié levé, à chaque flanc une aelle,

L'arc courbé dans la main, le carquois sous l'esselle,

Le cors gras et douillet, le poil crespe et menu.

Tu sais, Amour, combien mon coeur soufre de peine:

Mais las! plus humble il est, plus d'audace elle est pleine

Et mesprise tes dards, comme si tout son coeur

Etoit environné de quelque roche dure:

Que d'un trait elle sente à tout le moins, Seigneur,

Qu'un mortel ne doit point aus Dieus faire d'injure.

IV

Je puisse donc mourir si encores j'arreste

Une heure en cette vile, où par le vueil des Dieus

Sur mon vint et un an le feu de deus beaus yeus

(Souvenir trop amer) me fouldroia la teste.

Le Grec qui a senti la meurdriere tempeste

Des rochers Cafarés, n'aborde plus tels lieus,

Et s'il les voit de loin, ils lui sont odieus,

Et pour les eviter tient sa navire preste.

A Dieu donc, vile, à Dieu, puis qu'en toi je ne fais

Que toujours ressemer le mal dont je me pais

Et toujours refraichir mon ancienne plaie:

Je ne suis plus si sot de souhetter la mort,

C'est trop soufert de peine; il est tans que j'essaie

Apres mile perils, de rencontrer le port.

V

Ah, que malheureus est cestui là qui s'empestre

Dans les liens d'amour, sa peine est plus cruelle

Que si tournoit là bas la rou continuelle,

Ou s'il bailloit son coeur aux aigles à repaistre.

Maugré lui dans son âme à toute heure il sent naître

Un joïeus deplaisir qui douteus l'épointelle,

Quoi l'épointelle! ainçois le genne et le martelle,

Sa raison est veinquë et l'apetit est maistre.

Il ressemble à l'oiseau, qui tant plus se remüe

Captif dans les gluaus, et tant plus se r'englüe,

Se debatant en vain d'echaper l'oiseleur:

Ainsi tant plus l'amant les rets d'amour secoüe,

Plus à l'entour du col son destin les renoüe,

Pour jamais n'échaper d'un si plaisant malheur.

VI

Bien que ton oeil me face une dure escarmouche,

Moi restant le veincu, et lui toujours veinqueur,

Bien que depuis set ans sa cruelle rigueur

Me tienne prisonnier de ta beauté farouche,

Si est ce que jamais (veu la foi qui me touche)

Je ne veus echaper de si douce langueur,

Ne vivre sans avoir ton image en mon coeur,

Tes mains dedans ma plaie, et ton nom en ma bouche.

Si tu me veus tuer, tu'moi, je le veus bien,

Ma mort te sera perte, à moi un tresgrand bien,

Et l'oeuvre qu'à ton lôs je veus mettre en lumiere

Finera par ma mort, finissant mon emoi:

Ainsi, mort je serai libre de peine, et toi

Cruelle, de ton nom tu seras la meurtriere.

VII

Que ne sui-je insensible? ou que n'est mon visage

De rides labouré? ou que pui-je espendre

Sans trepasser le sang qui, chaut, subtil et tendre,

Bouillonnant dans mon coeur me trouble le courage?

Ou bien, en mon erreur que ne sui-je plus sage?

Ou, pourquoi la raison qui me devroit reprendre

Ne commande à ma chair, sans paresseuse atendre

Qu'un tel commandement me soit enjoint par l'age?

Mais que pourroi-je faire, et puis que ma maistresse,

Mes sens, mes ans, amour et ma raison traitresse

Ont juré contre moi, las! quand mon chef seroit

De vieillesse aussi blanc que la vieille Cumée,

Si est ce qu'en mon coeur le tans n'efaceroit

La douleur qui jamais ne sera consumée.

VIII

Morfée, s'il te plaist de me representer

Cette nuit ma Cassandre aussi belle et gentille

Que je la vi le soir quand sa vive scintile

Par ne sçai quel regard vint mes yeus enchanter:

Et s'il te plaist encor tant soit peu d'alenter

(Miserable souhet!) de sa feinte inutile

Le feu qu'amour me vient de son aile sutile

Tout alentour du coeur, sans repos, eventer:

Sur le haut de mon lit en voeu je t'apendrai,

Devot, un saint tableau, sur lequel je peindrai

L'heur que j'aurai reçeu de ta forme douteuse,

Et comme Jupiter à Troye fut deceu

Du Somme et de Junon, apres avoir receu

De la simple Venus la ceinture amoureuse.

IX

Ecumiere Venus, roine en Cypre puissante,

Mere des dous amours, à qui toujours se joint

Le plaisir, et le jeu, qui tout animal point

A toujours reparer sa race perissante,

Sans toi, Nimfe aime-ris, la vie est languissante,

Sans toi rien n'est de beau, de vaillant ni de coint,

Sans toi la volupté joïeuse ne vient point,

Et des Graces sans toi la grace est desplaisante.

Ores qu'en ce printans on ne sçauroit rien voir,

Qui fiché dans le coeur ne sente ton pouvoir,

Sans plus une pucelle en sera elle exente?

Si tu ne veus du tout la traiter de rigueur

Au moins que sa froideur en ce mois d'Avril sente

Quelque peu du brasier qui m'enflame le coeur.

X

Cache pour cette nuit ta corne, bonne Lune,

Ainsi Endemion soit toujours ton ami

Et sans se reveiller en ton sein endormi:

Ainsi nul Enchanteur, jamais ne t'importune.

Le jour m'est odieus, la nuit m'est oportune,

Je crains de jour l'aguet d'un voisin ennemi,

De nuit plus courageus je traverse parmi

Le camp des espions, defendu de la brune.

Tu sçais, Lune, que peut l'amoureuse poison,

Le Dieu Pan, pour le pris d'une blanche toison

Peut bien fléchir ton coeur, et vous Astres insignes

Favorisés au feu qui me tient alumé:

Car, s'il vous en souvient, la pluspart de vous, Signes,

Ne se voit luire au ciel que pour avoir aimé.

XI

Le Jeu, la Grace, et les freres jumeaus

Suivent madame, et quelque part qu'elle erre,

Dessous ses piés fait emailler la terre,

Et des Hyvers fait des printans nouveaus.

En sa faveur jargonnent les oiseaus,

Ses vens Eole en sa caverne enserre,

Le dous Zephire un dous souspir desserre,

Et tous muets s'acoisent les ruceaus.

Les Elemans se remirent en elle,

Nature rit de voir chose si belle:

Mais las! je crains que quelcun de ses Dieus

Ne passionne apres son beau visage,

Et qu'en pillant le tresor de nôtre age,

Ne la ravisse, et ne l'emporte aux cieus.

XII

Cesse tes pleurs, mon livre, il n'est pas ordonné

Du destin; que moi vif tu reçoives ta gloire:

Avant que passé j'aye outre la rive noire,

L'honneur que l'on te doit ne te sera donné.

Apres mile ans je voi que quelcun étonné

En mes vers de bien loin viendra de mon Loir boire,

Et voiant mon païs à peine voudra croire

Que d'un si petit champ tel poëte soit né.

Pren, mon livre, pren coeur, la vertu precieuse

"De l'homme quand il vit est toujours odieuse:

Mais apres qu'il est mort chacun le pense un Dieu.

La rancueur nuit toujours à ceus qui sont en vie,

Sur les vertus d'un mort elle n'a plus de lieu,

Et la postérité rend l'honneur sans envie.

XIII

Elegie à Cassandre

Mon oeil, mon coeur, ma Cassandre, ma vie,

Hé! qu'à bon droit tu dois porter d'envie

A ce grand Roi, qui ne veut plus soufrir

Qu'à mes chansons ton nom se vienne ofrir.

C'est lui qui veut qu'en trompette j'échange

Mon Luc, afin d'entonner sa louange,

Non de lui seul, mais de tous ses aïeus

Qui sont issus de la race des Dieus.

Je le ferai puis qu'il me le commande,

Car d'un tel Roi la puissance est si grande,

Que tant s'en faut qu'on la puisse eviter,

Qu'un camp armé n'y pourroit resister.

Mais que me sert d'avoir tant leu Catulle

Ovide, et Galle, et Properse et Tibulle,

Avoir tant veu Petrarche et tant noté,

Si par un Roi le pouvoir m'est osté

De les ensuivre, et si faut que ma lyre

Pendüe au croc ne m'ose plus rien dire.

Donques en vain je me paissois d'espoir

De faire un jour à la Thuscane voir

Que nôtre France, autant qu'elle, est heureuse

A souspirer une pleinte amoureuse:

Et pour montrer qu'on la peut surpasser,

J'avois desja commancé de trasser

Mainte Elegie à la façon antique,

Mainte belle Ode, et mainte Bucolique.

Car, à vrai dire, encore mon esprit

N'est satisfait de ceus qui ont ecrit

En notre langue, et leur amour merite

Ou du tout rien, ou faveur bien petite.

Non que je soi vanteur si glorieus

D'oser passer les vers laborieus

De tant d'amans qui se pleignent en France:

Mais pour le moins j'avois bien esperance

Que si mes vers ne marchoient les premiers

Qu'ils ne seroient sans honneur les derniers.

Car Eraton, qui les amours decoeuvre,

D'assés bon oeil m'atiroit à son oeuvre.

L'un trop enflé les chante grossement,

L'un enervé les traine bassement,

L'un nous despaint une amie paillarde,

L'un plus aus vers qu'aus sentences regarde

Et ne peut onc, tant se sceut desguiser,

Aprendre l'art de bien Petrarquiser.

Que pleures tu, Cassandre, ma douce âme?

Encor Amour ne veut couper la trame,

Qu'en ta faveur je pandis au mestier,

Sans achever l'ouvrage tout entier.

Mon Roi n'a pas d'une Tygre sauvage

Sucé le lait, et son jeune courage,

Ou je me trompe, a senti quelques fois

Le trait d'Amour qui surmonte les Rois.

S'il l'a senti, ma coulpe est effacée,

Et sa grandeur ne sera courroucée

Qu'à mon retour des horribles combas

Hors de son croc mon Luc j'aveigne à bas,

Le pincetant, et qu'en lieu des alarmes

Je chante Amour, tes beautés, et mes larmes,

"Car l'arc tendu trop violentement,

Ou s'alentit, ou se romp vistement.

Ainsi Achille apres avoir par terre

Tant fait mourir de soudars en la guerre

Son Luc doré prenoit entre ses mains

Teintes encor de meurdres inhumains,

Et vis à vis du fils de Menetie

Chantoit l'amour de Briseis s'amie,

Puis tout soudain les armes reprenoit,

Et plus vaillant au combat retournoit.

Ainsi, apres que l'aïeul de mon maistre

Hors de combas retirera sa dextre,

Se desarmant dedans sa tante à part,

De sur le Luc à l'heure ton Ronsard

Te chantera, car il ne se peut faire

Qu'autre beauté lui puisse jamais plaire,

Ou soit qu'il vive, ou soit qu'outre le port,

Leger fardeau. Charon le passe mort.

 

Les meslanges de P. de Ronsard 1555

 

Du jour que...

I

Ode à Cassandre

Du jour que je fus amoureus,

Nul past tant soit-il savoureus

Ne vin tant soit-il delectable

Au coeur ne m'est point agreable,

Car depuis l'heure je ne sceu

Rien boire ou manger qui m'ait pleu:

Une tristesse en l'âme close

Me nourist, et non autre chose.

Tous les plesirs que j'estimois

Alors que libre je n'aimois,

Maintenant je les desestime,

Plus ne m'est plaisante l'escrime,

La paume, la chasse et le bal,

Mais come un sauvage animal

Je me pers dans un bois sauvage,

Loing de gens, pour celer ma rage.

L'amour fut bien forte poison

Qui m'ensorcela ma raison

Et qui me deroba l'audace

Que je portoi dessus la face,

Me faisant aller pas à pas,

Triste et pensif, le front à bas,

En home qui craint, et qui n'ose

Se fier plus en nule chose.

Le mal que l'on faint d'Ixion

N'aproche de ma passion.

Et mieus j'aymeroi de Tantale

Endurer la peine infernale

Un an, qu'estre un jour amoureus,

Pour languir autant malheureus,

Que j'ay fait, depuis que Cassandre

Tient mon coeur, et ne le veut rendre.

II

Elegie à Jan Brinon

Aus faits d'amour Diotime certaine,

Dit à bon droit qu'Amour est capitaine

De noz Daimons, et qu'il a le pouvoir

De les contraindre, ou de les emouvoir,

Come celui qui Couronnal preside

A leurs cantons, et par bandes les guide

Et que lui seul peut l'homme acouardi

En un moment rendre caut et hardi,

Quand il luy plaist l'echaufer de sa flame,

Et d'un beau soing lui époinçonner l'ame.

Auparavant que je fusse amoureus,

J'estoi, Brinon, et honteus et poureus:

Si j'entendoi quelque chose en la rue

Grouler de nuit, j'avoi l'ame éperdue,

De ça de là tout le cors me trembloit,

Au tour du coeur une peur s'assembloit

Gelant mes os, et mes saillantes venes

En lieu de sang de froideur estoient plenes,

Et d'une horreur tous mes cheveus dressés

Sous le chapeau se tenoient herissés.

Si j'avisois une torche flambante,

En m'encapant j'avoi l'âme tremblante,

Ou m'en fuioi de peur qu'on ne me vist

Ou que rougir de honte on ne me fist.

Mais par sur tout je perdoi le courage

Quand je passoi de nuit, par un bocage

Ou prés d'un antre, et me sembloit avis

Que par derriere un esprit m'avoit pris.

Ores sans peur j'eleve au ciel la teste,

Je ne crain plus ni gresle ni tempeste,

Ni les voleurs par lesquels sont pillés

Les vestemens des amans depouillés.

Ni les Daimons des antres soliteres,

Ni les espris des ombreus cemeteres,

Car le Daimon qui leur peut commander

Me tient escorte, et me fait hazarder

De mettre à fin tout ce que je propose,

Ou si je crain, je ne crain autre chose

Que le babil, l'envie et le courrous

D'une voisine, ou d'un mari jalous,

Ou qu'un plus riche en ma place ne vienne,

Et que ma dame entre ses bras le tienne

Toute une nuit, et que sot ce pendant

A l'huis fermé je ne bée, attendant

Que l'on m'appelle, ou qu'une chambriere

Vienne éconduire humblement ma priere

Par une excuse, et me laissant davant

La porte close, à la pluye et au vent,

Triste et pensif je ne me couche à terre,

Tremblant de froid au bruit de ma guiterre.

Donque, Brinon, si tu te plais d'avoir

L'estomac plein de force et de pouvoir,

Sois amoureux, et tu auras l'audace

Plus forte au coeur, que si une cuirasse

Vestoit ton corps, ou si un camp armé.

Pour ton secours t'enserroit enfermé.

III

Elegie à Janet peintre du Roi

Pein moi, Janet, pein moi je te supplie

Dans ce tableau les beautés de m'amie

De la façon que je te les dirai.

Comme importun je ne te supplirai

D'un art menteur quelque faveur lui faire,

Il sufist bien si tu la sçais portraire

Ainsi qu'elle est, sans vouloir deguiser

Son naturel pour la favoriser,

Car la faveur n'est bonne que pour celles

Qui se font peindre, et qui ne sont pas belles.

Fai luy premier les cheveus ondelés,

Noués, retors, recrepés, annelés.

Qui de couleur le cedre representent,

Ou les demesle, et que libres ils sentent

Dans le tableau, si par art tu le peus,

La mesme odeur de ses propres cheveus.

D'un crespe noir sa teste soit voilée,

Puis d'une toile en cent plis canelée,

Telle qu'on dit que Cleopatre avoit

Quand par la mer Anthoine elle suivoit,

Et qu'elle assise au plus haut de sa poupe.

Au bruit du Cistre encourageoit sa troupe.

Fai lui le front en bosse revouté,

Sur lequel soient d'un et d'autre costé,

Peins gravement sur trois sieges d'ivoire,

La majesté, la vergongne, et la gloire.

Que son beau front ne soit entrefendu,

De nul sillon en profond estendu,

Mais qu'il soit tel qu'est la pleine marine

Quand tant soit peu le vent ne la mutine,

Et que gisante en son lit elle dort

Calmant ses flots sillés d'un somme mort.

Tout au meillieu par la greve descende

Un beau rubi, de qui l'esclat s'epande

Par le tableau, ainsi qu'on voit de nuit

Briller les rais de la lune qui lui

Dessus la nege au fond d'un val coulée,

De trace d'home encore non foulée.

Apres fai lui son beau sourci voutis

D'ebene noir, et que son pli tortis

Semble un croissant qui montre par la nue

Au premier mois sa vouture cornue:

Ou si jamais tu as veu l'arc d'Amour,

Pren le portrait dessus le demi tour

De sa courbure à demi cercle close,

Car l'arc d'Amour et lui n'est qu'une chose:

Mais las! mon Dieu, mon Dieu je ne sai pas

Par quel moïen, ni comment, tu peindras

(Voire eusse tu l'artifice d'Apelle)

De ses beaus yeux la grace naturelle,

Qui font vergongne aus estoilles des cieus:

Que l'un soit dous, l'autre soit furieus,

Que l'un de Mars, l'autre de Venus tienne,

Que du benin tout esperance vienne,

Et du cruel vienne tout desespoir:

Ou que l'un soit pitoiable à le voir,

Come celuy d'Ariadne delessée

Aus bors de Die, alors que l'incensée,

Voyant la mer, de pleurs se consommoit,

Et son Thesée en vain elle nommoit.

L'autre soit gay, come il est bien croiable

Que l'eut jadis Penelope louable

Quand elle vit son mari retourné,

Aiant vint ans loing d'elle sejourné.

Apres fai lui sa rondelette oreille,

Petite, unie, entre blanche et vermeille,

Qui sous le voile aparoisse à l'egal

Que fait un lis enclos dans un cristal,

Ou tout ainsi qu'aparoist une rose

Tout fraichement dedans un verre enclose.

Mais pour neant tu aurois fait si beau

Tout l'ornement de ton riche tableau,

Si tu n'avois de la lineature

De son beau nez bien portrait la peinture:

Pein le moi donc gresle, long aquilin,

Poly, traitis, où l'envieus malin,

Quand il voudroit, n'i sçauroit que reprendre,

Tant proprement tu le feras descendre

Parmi la face, ainsi comme descend

Dans une pleine un petit mont qui pend.

Apres au vif pein moi sa belle joüe

Du mesme taint d'une rose qui noüe

De sur du laict, ou du taint blanchissant

Du lis qui baise un oeillet rougissant.

Dans le meillieu portrais une fossette,

Fossette, non, mais d'Amour la cachette,

D'où ce garson de sa petite main

Lache cent traitz, et jamais un en vain

Que par les yeux droit au coeur il ne touche.

Helas, Janet, pour bien peindre sa bouche

A peine Homere en ses vers te diroit

Quel vermeillon egualer la pouroit,

Car pour la peindre ainsi qu'elle merite,

Peindre il faudroit celle d'une Charite.

Pein la moy donc qu'elle semble parler,

Ores sourire, ores embasmer l'air

De ne sçay quelle ambrosienne haleine.

Mais par sur tout fai qu'elle semble pleine

De la douceur de persuasion.

Tout à l'entour atache un milion

De ris, d'atrais, de jeux, de courtoisies,

Et que deux rangs de perlettes choisies

D'un ordre egal en la place des dens

Bien poliment soient arengés dedans.

Pein tout autour une levre bessonne,

Qui d'elle mesme, en s'elevant, semonne

D'estre baisée, aiant le taint pareil

Ou de la rose, ou du coural vermeil,

Elle flambante au printems sur l'espine,

Luy rougissant au fond de la marine.

Pein son menton au meillieu fosselu

Et que le bout en rondeur pommelu

Soit tout ainsi que l'on voit aparoistre

Le bout d'un coin qui ja commence à croistre.

Plus blanc que laict caillé de sur le jonc

Pein lui le col, mais pein-le un petit long,

En forme d'Istme, et sa gorge douillette

Comme le col soit un petit longuette.

Apres fai lui par un juste compas,

Et de Junon les coudes et les bras,

Et les beaux dois de Minerve, et encore

La main pareille à celle de l'Aurore.

Je ne sçay plus, mon Janet, où j'en suis,

Je suis confus, et muet je ne puis,

Comme j'ay fait, te declarer le reste

De ses beautés, qui ne m'est manifeste:

Las! car jamais tant de faveur je n'u

Que d'avoir veu ses beaus tetins à nu

Mais si l'on peut juger par conjecture,

Persuadé de raisons, je m'asseure

Que la beauté qui ne s'aparoist doit

Du tout respondre à celle que l'on voit.

Donque pein la, et qu'elle me soit faite

Parfaitte autant comme l'autre est parfaitte.

Ainsi qu'en bosse eleve moi son sein,

Net, blanc, poly, large; profond et plein.

Dedans lequel mile rameuses venes.

De rouge sans tresaillent toutes plenes.

Puis quant au vif tu auras decouvers

Desous la peau les muscles et les ners,

Enfle au dessus deux pommes nouvelettes

Comme l'on voit deux pommes verdelettes

D'un orenger, qui encores du tout

Ne font qu'à l'heure à se rougir au bout.

Tout au plus haut des épaules marbrines,

Pein le sejour des Charites divines

Et que l'Amour sans cesse voletant

Toujours les couve, et les aille éventant,

Pensant voler avec le Jeu son frere

De branche en branche es vergers de Cythere.

Un peu plus bas, en miroir arondi,

Tout poupellé, gracelet, rebondi,

Come celui de Venus, pein son ventre:

Pein son nombril ainsi qu'un petit centre,

Le fond duquel paroisse plus vermeil

Qu'un bel oeilet entr'ouvert au soleil.

Qu'atens tu plus? Portrai moi l'autre chose

Qui est si belle, et que dire je n'ose,

Et dont l'espoir impatient me point:

Mais je te pry ne me l'ombrage point,

Si ce n'estoit d'un voile fait de soie,

Clair et subtil, affin qu'on l'entrevoie,

Ses cuisses soient come faites au tour

En grelissant, rondes tout à l'entour,

Ainsi qu'un terme arondi d'artifice

Qui soutient ferme un royal edifice.

Come deus monts enleve ses genous,

Douillets, charnus, ronds, delicas, et mous,

Dessous lesquels fay lui la greve plene,

Telle que l'ont les vierges de Lacene,

Alant lutter au rivage connu

Du fleuve Eurote, ayans le cors tout nu,

Ou bien chassans à meutes decouplées

Quelque grand cerf es forets Amiclées.

Puis pour la fin portrai lui de Thetis

Les piés estrois, et les tallons petis.

Ha, que fais-tu? tu gaste ton ouvrage,

Tu faus, Janet, à peindre son visage,

Le paignant mal tu pers de ton renom:

Vien, sui mes pas au logis de Brinon,

Là tu verras, dans un coin de sa salle

Une peinture aus déesses egale,

Qu'il fist tracer par la main des amours

Pour sa Sidere, afin que tous les jours

En la voiant eust souvenance d'elle:

Je veus du tout que m'amie soit telle

Ne lui pein donc, Janet, ne pis ne mieux,

Le front, le nez, la bouche, ni les yeux.

Ha, je la voy! elle est presque portraite,

Encor un trait, encor un, elle est faite,

Leve tes mains, ha mon Dieu je la voy!

Bien peu s'en faut qu'elle ne parle à moy.

IV

Ode à sa maîtresse

Quand au temple nous serons

Agenouillés, nous ferons

Les devots selon la guise

De ceus qui pour loüer Dieu,

Humbles se courbent au lieu

Le plus secret de l'église.

Mais quand au lit nous serons

Entrelassés, nous ferons

Les lascifs, selon les guises

Des amans, qui librement

Pratiquent folatrement

Dans les dras cent mignardises.

Pourquoi donque, quand je veus

Ou mordre tes beaus cheveus,

Ou baiser ta bouche aimée,

Ou tatonner ton beau sein,

Contrefais-tu la nonnain

Dedans un cloistre enfermée?

Pour qui gardes-tu tes yeus,

Et ton sein delicieus,

Ta joue et ta bouche belle?

En veus-tu baiser Pluton

Là-bas, apres que Caron

T'aura mise en sa nacelle?

Apres ton dernier trespas,

Gresle, tu n'auras là bas

Qu'une bouchette blesmie:

Et quand mort je te verrois

Aus ombres je n'avourois

Que jadis tu fus m'amie.

Ton test n'aura plus de peau,

Et ton visage si beau

N'aura venes ny arteres,

Tu n'auras plus que les dens,

Telles qu'on les voit dedans

Les testes des cimeteres.

Donque, tandis que tu vis,

Change, maistresse, d'avis,

Et ne m'espargne ta bouche:

Incontinent tu mourras,

Lors tu te repentiras

De m'avoir esté farouche.

Ah je meurs, ah baise moi,

Ah maistresse aproche toi,

Tu fuis comme fan qui tremble,

Au moins soufre que ma main

S'esbate un peu dans ton sein

Ou plus bas si bon te semble.

V

Sonnet

Celui qui boit, comme a chanté Nicandre,

De l'Aconite, il a l'esprit troublé,

Tout ce qu'il voit lui semble estre doublé,

Et sur ses yeux la nuit se vient espandre.

Celui qui boit de l'amour de Cassandre,

Qui par ses yeux au coeur est ecoulé,

Il perd raison, il devient afolé,

Cent fois le jour la Parque le vient prendre.

Mais la chaut vive, ou la rouille, ou le vin

Ou l'or fondu peuvent bien mettre fin

Au mal cruel que l'Aconite donne:

La mort sans plus a pouvoir de garir

Le coeur de ceux que Cassandre empoisonne,

Mais bien heureux qui peut ainsi mourir.

VI

Sonnet

J'ai pour maistresse une etrange Gorgonne,

Qui va passant les anges en beauté,

C'est un vray Mars en dure cruauté,

En chasteté la fille de Latonne.

Quand je la voy, mile fois je m'estonne

La larme à l'oeil, ou que ma fermeté.

Ne la flechit, ou que sa dureté

Ne me conduit d'où plus on ne retourne.

De la nature un coeur je n'ay receu,

Ainçois plus tost pour se nourir en feu

En lieu de luy j'ay une Salamandre,

Car si j'avoi de chair un coeur humain,

Long tems y a qu'il fust reduit en cendre,

Veu le brasier dont toujours il ard plain.

VII

Sonnet

Que tu es, Ciceron, un affetté menteur,

Qui dis, qu'il n'y a mal sinon que l'infamie

Si tu portois celui que me cause m'amie,

Pour le moins tu dirois que c'est quelque malheur.

Je sen journelement un aigle sus mon coeur,

J'entens un soing grifu, qui come une Furie

Me ronge impatient, puis tu veus que je die,

Abusé de tes mots, que mal n'est pas douleur.

Vous en disputerés, ainsi que bon vous semble,

Vous philosophes Grés, et vous Romains ensemble,

Mais je croy pour le seur qu'un travail langoureux

Est douleur, quand Amour l'encharne dedans l'ame,

Et que le deshonneur, la honte et le diffame

N'est point de mal, au pris du tourment amoureux.

VIII

Sonnet

Foudroye moy de grace ainsi que Capanée,

O pere Jupiter, et de ton feu cruel

Esteins moy l'autre feu qu'Amour continuel

Toujours m'alume au coeur d'une flame obstinée.

E ne vaut-il pas mieus qu'une seul journée

Me despouille soudain de mon fardeau mortel,

Que de soufrir toujours en l'ame un tourment tel

Que n'en soufre aus enfers l'ame la plus damnée?

Ou bien si tu ne veus, pere, me foudroyer

Donne le desespoir qui me meine noyer,

M'elançant du sommet d'un rocher solitaire,

Puis qu'autrement par soing, par peine et par labeur,

Par ennuy, par travail, je ne me puis defaire

D'amour, qui maugré moi tient fort dedans mon coeur.

IX

Sonnet

Amour, tu semble au phalange qui point,

Lui de sa queüe, et toi de ta quadrelle:

De tous deux est la pointure mortelle,

Qui rempe au coeur, et si n'aparoist point.

Sans soufrir mal tu me conduis au point

De la mort dure, et si ne voy par quelle

Playe je meurs, ny par quelle moüelle

Ton venin s'est autour de mon coeur joint.

Ceus qui se font saigner le pié dans l'eau,

Meurent sans mal, pour un crime nouveau

Fait à leur roy, par traitreuse cautelle:

Je meurs comme eus, voire et si je n'ay fait

Encontre Amour ni traison, ni forfait,

Si trop aymer un crime ne s'appelle.

X

Chanson

Il me semble que la journée

Coule plus longue qu'une année,

Quand par malheur je n'ay ce bien

De voir la grand beauté de celle

Qui tient mon coeur, et sans laquelle

Veissé-je tout je ne voy rien.

Quiconque fut jadis le sage

Qui dit que l'amoureux courage

Vit de ce qu'il ayme, il dit vrai:

Ailleurs vivant il ne peut estre,

Ni d'autre viande se paistre,

J'en suis seur, j'en ai fait l'essay.

Toujours l'amant vit en l'aimée;

Pour cela mon ame afamée

Ne se veut souler que d'amour,

De l'amour elle est si friande,

Que sans plus de telle viande

Se veut repaistre nuit et jour.

Si quelcun dit que je m'abuse,

Voye luimesme la Meduse

Qui d'un rocher m'a fait le coeur,

Et l'ayant veüe, je m'asseure

Qu'il sera fait sus la mesme heure

Le compagnon de mon malheur.

Car est-il home que n'enchante

La voix d'une dame savante,

Et fust-il Scythe en cruauté:

Il n'est point de plus grand magie

Que la docte voix d'une amie,

Quand elle est jointe à la beauté.

Or j'aime bien, je le confesse

Et plus j'iray vers la vieillesse

Et plus constant j'aimeray mieux:

Je n'obliray, fussai-je en cendre,

La douce amour de ma Cassandre,

Qui loge mon coeur dans ses yeux.

Adieu liberté ancienne,

Comme chose qui n'est plus mienne,

Adieu ma chere vie, adieu,

Ta fuite ne me peut déplaire,

Puis que ma perte voluntaire

Se retreuve en un si beau lieu.

Chanson, vaten où je t'adresse,

Dans la chambre de ma maistresse:

Di lui, baisant sa blanche main,

Que pour en santé me remettre,

Il ne lui faut sinon permettre

Que tu te caches dans son sein.

 

Continuation des amours de P. de Ronsard Vandomois 1555

 

Sonnets en vers héroïques

I

Thiard, chacun disoit à mon commencement

Que j'estoi trop obscur au simple populaire:

Aujourd'hui, chacun dit que je suis au contraire,

Et que je me dements parlant trop bassement.

Toi, qui as enduré presqu'un pareil torment,

Di moi, je te suppli, di moi que doi-je faire?

Di moi, si tu le sçais, comme doi-je complaire

A ce monstre testu, divers en jugement?

Quand j'escri haultement, il ne veult pas me lire,

Quand j'escri bassement, il ne fait qu'en médire:

De quel estroit lien tiendrai-je, ou de quels clous,

Ce monstrueux Prothé, qui se change à tous cous?

Paix, paix, je t'enten bien: il le faut laisser dire,

Et nous rire de lui, comme il se rit de nous.

II

Jodelle, l'autre jour, l'enfant de Cytherée

Au combat m'apela, courbant son arc Turquois,

Et lors comme hardi, je vesti le harnois,

Pour avoir contre luy ma peau mieus asseurée.

Il me tira premier une fleche acerée

Droict au coeur, puis une autre, et puis tout à la fois

Il decocha sur moi les traicts de son carquois,

Sans qu'il eust d'un seul coup ma poictrine enferrée.

Mais quand il vit son arc de fleches desarmé,

Tout dépit s'est lui-mesme en fleche transformé,

Puis se rua dans moi d'une puissance extreme:

Quand je me vi vaincu, je me désarmé lors:

Car, las! que m'eust servi de m'armer par dehors,

Ayant mon ennemi caché dedans moimesme.

III

Ce pendant que tu vois le superbe rivage

De la riviere Tusque, et le mont Palatin,

Et que l'air des Latins te fait parler latin,

Changeant à l'étranger ton naturel langage,

Une fille d'Anjou me detient en servage,

A laquelle baisant maintenant le tetin,

Et maintenant les yeux endormis au matin,

Je vy (comme lon dit) trop plus heureus que sage.

Tu diras à Maigni, lisant ces vers ici,

Et, quoi! Ronsard est donq encores amoureus?

Mon Bellay, je le suis, et le veus estre aussi,

Et ne veus confesser qu'Amour soit malheureux,

Ou si c'est un malheur, baste, je delibere

De vivre malheureus en si belle misere.

IV

Peletier mon ami, le tems leger s'enfuit,

Je change nuit et jour de poil et de jeunesse:

Mais je ne change pas l'amour d'une maistresse,

Qui, dans mon cueur colée, eternelle me suit.

Toi qui es des anfance en tout savoir instruit,

(Si de nottre amitié l'antique neud te presse)

Comme sage et plus vieil, donne moi quelque adresse

Pour eviter ce mal qui ma raison detruit.

Aide-moi, Peletier, si par philosophie

Ou par le cours des cieus tu as jamais apris

Un remede d'amour, di-le moi je te prie,

Car, bien qu'ores au ciel ton cueur soit elevé,

Si as-tu quelquefois d'une dame esté pris.

Et pour dieu! conte-moi comme tu t'es sauvé.

V

Aurat, apres ta mort, la terre n'est pas digne

Pourrir si docte cors, comme est vraiment le tien.

Les Dieux le changeront en quelque vois: ou bien,

Si Echon ne sufist, le changeront en cigne,

Ou, en ce corps qui vit de rosée divine,

Ou, en mouche qui fait le miel hymettien,

Ou, en l'oiseau qui chante et le crime ancien

De Terrée au printemps redit sus une épine.

Ou, si tu n'es changé tout entier en quelqu'un,

Tu vétiras un cors qui te sera commun

Avecques tous ceus-cy, participant ensemble

De tous (car un pour toi sufisant ne me semble)

Et d'homme seras fait un beau monstre nouveau

De voix, cigne, cigalle, et de mouche, et d'oyseau.

VI

E, n'esse, mon Paquier, é n'esse pas grand cas,

Bien que le corps party de tant de membres j'aye,

De muscles, nerfs, tendons, de pommons, et de faye,

De mains, de pieds, de flancs, de jambes et de bras,

Qu'Amour les laisse en paix, et ne les navre pas,

Et que luy pour son but, opiniatre, essaye

De faire dans mon coeur toujours toujours la playe,

Sans que jamais il vise ou plus hault, ou plus bas!

S'il estoit un enfant (comme on dit) aveuglé,

Son coup ne seroit point si seur ne si reiglé,

Vrayment il ne l'est pas, car ses traits à tout-heure

Ne se viendroient ficher au coeur en mesme lieu.

Armerai-je le mien? non, car des traits d'un Dieu

Il me plaist bien mourir, puis qu'il fault que je meure.

VII

Marie, qui voudroit vostre beau nom tourner,

Il trouveroit Aimer: aimez-moi donq, Marie,

Faites cela vers moi dont vostre nom vous prie,

Vostre amour ne se peut en meilleur lieu donner:

S'il vous plaist pour jamais un plaisir demener,

Aimez-moi, nous prendrons les plaisirs de la vie,

Penduz l'un l'autre au col, et jamais nulle envie

D'aimer en autre lieu ne nous pourra mener.

Si faut il bien aimer au monde quelque chose:

Cellui qui n'aime point, cellui-là se propose

Une vie d'un Scyte; et ses jours veut passer

Sans gouster la douceur des douceurs la meilleure.

E, qu'est-il rien de doux sans Venus? las! à l'heure

Que je n'aimeray point puissai-je trépasser!

VIII

Marie, vous passez en taille, et en visage,

En grace, en ris, en yeus, en sein, et en teton,

Votre moienne seur, d'autant que le bouton

D'un rosier franc surpasse une rose sauvage.

Je ne dy pas pourtant qu'un rosier de bocage

Ne soit plaisant à l'oeil, et qu'il ne sente bon:

Aussi je ne dy pas que vostre seur Thoinon

Ne soit belle, mais quoy? vous l'estes davantage.

Je scay bien qu'apres vous elle a le premier pris

De ce bourg, en beauté, et qu'on seroit espris

D'elle facilement, si vous estiez absente:

Mais quand vous aprochez, lors sa beauté s'enfuit,

Ou morne elle devient par la vostre presente,

Comme les astres font quand la Lune reluit.

IX

Marie, à tous les coups vous me venez reprendre

Que je suis trop leger, et me dites tousjours.

Quand je vous veus baiser que j'aille à ma Cassandre,

Et tousjours m'apellez inconstant en amours.

Je le veus estre aussi, les hommes sont bien lours

Qui n'osent en cent lieux neuve amour entreprendre.

Cétui-là qui ne veut qu'à une seule entendre,

N'est pas digne qu'Amour lui face de bons tours.

Celui qui n'ose faire une amitié nouvelle,

A faute de courage, ou faute de cervelle,

Se defiant de soi, qui ne peut avoir mieus.

Les hommes maladis, ou mattés de vieillesse,

Doivent estre constans: mais sotte est la jeunesse

Qui n'est point eveillée, et qui n'aime en cent lieus.

X

Marie, vous avés la joue aussi vermeille

Qu'une rose de Mai, vous avés les cheveus

De couleur de chastaigne, entrefrisés de neus,

Gentement tortillés tout-au-tour de l'oreille.

Quand vous estiés petite, une mignarde abeille

Dans vos levres forma son dous miel savoureus,

Amour laissa ses traits dans vos yeus rigoreus,

Pithon vous feit la vois à nulle autre pareille.

Vous avés les tetins comme deus mons de lait,

Caillé bien blanchement sus du jonc nouvelet

Qu'une jeune pucelle au mois de Juin façonne:

De Junon sont vos bras, des Graces vostre sein,

Vous avés de l'Aurore et le front, et la main,

Mais vous avés le coeur d'une fiere lionne.

XI

Je ne suis seulement amoureus de Marie,

Janne me tient aussy dans les liens d'Amour,

Ore l'une me plaist, ore l'autre à son tour:

Ainsi Tibulle aimoit Nemesis, et Delie.

On me dira tantost que c'est une folie

D'en aimer, inconstant, deux ou trois en un jour,

Voire, et qu'il faudroit bien un homme de sejour,

Pour, gaillard, satisfaire à une seule amie.

Je repons à cela, que je suis amoureus,

Et non pas jouissant de ce bien doucereus,

Que tout amant souhaite avoir à sa commande.

Quant à moi, seulement je leur baise la main,

Je devise, je ry, je leur taste le sein,

Et rien que ces biens là d'elles je ne demande.

XII

Amour estant marri qu'il avoit ses saigettes

Tiré contre Marie, et ne l'avoit blessée,

Par depit dans un bois sa trousse avoit laissée,

Tant que plene elle fust d'un bel essaim d'avettes.

Ja de leurs piquerons ces captives mouchettes

Pour avoir liberté la trousse avoient persée:

Et s'enfuyoient alors qu'Amour l'a renversée

Sur la face à Marie, et sus ses mammelettes.

Soudain, apres qu'il eut son carquois dechargé,

Tout riant sautela, pensant estre vangé

De celle, à qui son arc n'avoit sceu faire outrage,

Mais il rioit en vain: car ces filles du ciel

En lieu de la piquer, baisans son beau visage,

En amassoyent les fleurs, et en faisoyent du miel.

XIII

Je veuls, me souvenant de ma gentille amie,

Boire ce soir d'autant: et pource Corydon

Fay remplir mes flacons, et verse à l'abandon

Du vin, pour resjouir toute la compagnie.

Soit que m'amie ait nom, ou Cassandre, ou Marie,

Je m'en vois boire autant que de lettre a son nom.

Et toi, si de ta belle et jeune Madelon,

Belleau, l'amour te point, je te pry ne l'oublie.

Qu'on m'ombrage le chef de vigne, et de l'hierre,

Les bras, et tout le col, qu'on enfleure la terre

De roses, et de lis, et que dessus le jonc

On me caille du lait rougi de mainte fraise:

E n'esse pas bien fait? or sus, commençon donq,

Et chasson loin de nous tout soing et tout malaise.

XIV

Que me servent mes vers, et les sons de ma lyre,

Quand nuit et jour je change et de meurs et de peau,

Pour en aimer trop une? hé, que l'homme est bien veau

Qui aux dames se fie, et pour elles souspire!

Je pleure, je me deux, je cry, je me martire,

Je fais mile sonnetz, je me romps le cerveau,

Et si je suy haï: un amoureus nouveau

Gaigne tousjours ma place, et je ne l'ose dire.

Ah! que ma Dame est fine: el' me tient à mépris,

Pource qu'elle voit bien que d'elle suis espris;

Et que je l'aime trop: avant que je l'aimasse,

Elle n'aimoit que moi: mais or que j'ai empris

De l'aimer, el' me laisse, et s'en court à la chasse

Pour en reprendre un autre ainsi qu'elle m'a pris.

XV

Ma plume sinon vous ne scait autre suget,

Mon pié sinon vers vous ne scait autre voiage,

Ma langue sinon vous ne scait autre langaige,

Et mon oeil sinon vous ne connoit autre objet.

Si je souhaite rien, vous estes mon souhait,

Vous estes le doux gaing de mon plaisant dommage,

Vous estes le seul but ou vise mon courage,

Et seulement en vous tout mon rond se parfait.

Je ne suis point de ceus qui changent de fortune,

Comme un tas d'amoureus, aimans aujourd'huy l'une,

Et le lendemain l'autre: helas! j'ayme trop mieus

Cent fois que je ne dy, et plustost que de faire

Chose qui peut en rien nostre amytié defaire,

J'aimerois mieux mourir, tant j'aime vos beaux yeus.

XVI

Vous ne le voulez pas? et bien, j'en suis contant,

Contre vostre rigueur Dieu me doint patience,

Devant qu'il soit vingt ans j'en auray la vengence,

Voiant ternir vos yeus qui me travaillent tant.

On ne voit amoureus au monde si constant

Qui ne perdist le coeur, perdant sa recompense:

Quant à moi, si ne fust la longue experience,

Que j'ay, de soufrir mal, je mourrois à l'instant.

Toutesfois quand je pense un peu dans mon courage

Que je ne suis tout seul des femmes abusé,

Et que de plus rusés en ont reçeu dommage,

Je pardonne à moimesme, et m'ay pour excusé:

Car vous qui me trompés en estes coutumiere,

Et qui pis est, sur toute en beauté la premiere.

XVII

Le vintiéme d'Avril couché sur l'herbelette,

Je vy, ce me sembloit, en dormant un chevreuil,

Qui çà, puis là, marchoit où le menoit son vueil,

Foulant les belles fleurs de mainte gambelette.

Une corne et une autre encore nouvelette

Enfloit son petit front, petit, mais plein d'orgueil:

Comme un Soleil luisoit par les prets son bel oeil,

Et un carquan pendoit sus sa gorge douillette.

Si tost que je le vy, je voulu courre aprés,

Et lui qui m'avisa print sa course es forés,

Où, se moquant de moi, ne me voulut attendre.

Mais en suivant son trac, je ne m'avisay pas

D'un piege entre les fleurs, qui me lia mes pas,

Et voulant prendre autrui moimesme me fis prendre.

XVIII

Bien que vous surpassiés en grace et en richesse

Celles de ce païs, et de toute autre part,

Vous ne devés pourtant, et fussiés vous princesse,

Jamais vous repentir d'avoir aimé Ronsard.

C'est lui, Dame, qui peut avecque son bel art

Vous afranchir des ans, et vous faire Deesse:

Prométre il peut cela, car rien de lui ne part

Qu'il ne soit immortel, et le ciel le confesse.

Vous me responderés qu'il est un peu sourdaut,

Et que c'est deplaisir en amour parler haut:

Vous dites verité, mais vous celés aprés,

Que luy, pour vous ouir, s'aproche à vôtre oreille,

Et qu'il baise à tous coups vôtre bouche vermeille

Au milieu des propos, d'autant qu'il en est prés.

XIX

Mais respons, meschant Loir, me rens-tu ce loier,

Pour avoir tant chanté ta gloire et ta louange?

As-tu osé, barbare, au milieu de ta fange

Renversant mon bateau, sous tes eaus m'envoier?

Si ma plume eut daigné seulement emploier

Six vers, à celebrer quelque autre fleuve estrange,

Quiconque soit celui, fusse le Nil, ou Gange,

Comme toi n'eust voulu dans ses eaus me noier:

D'autant que je t'aimoi, je me fiois en toi,

Mais tu m'as bien montré que l'eau n'a point de foi:

N'es-tu pas bien meschant? pour rendre plus famé

Ton cours, à tout jamais du los qui de moi part,

Tu m'as voulu noier, afin d'estre nommé,

En lieu du Loir, le fleuve où se noya Ronsard.

XX

Amour, tu me fis voir, pour trois grandes merveilles,

Trois seurs, allant au soer, se pourmener sur l'eau,

Qui croissoient à l'envy, ainsi qu'au renouveau

Croissent dans un pommier trois pommettes pareilles.

Toutes les trois estoient en beauté nompareilles,

Mais la plus jeune avoit le visage plus beau

Et sembloit une fleur voisine d'un ruysseau

Qui remire dans l'eau ses richesses vermeilles.

Ores je souhaitois la plus vieille en mes voeus,

Et ores la moienne, et ores toutes deux,

Mais tousjours la petite estoit en ma pensée,

Et priois le Soleil de n'enmener le jour:

Car ma veüe en trois ans n'eust pas esté lassée

De voir ces trois Soleilz qui m'enflamoient d'amour.

XXI

Mon ami puisse aimer une femme de ville,

Belle, courtoise, honeste, et de doux entretien:

Mon haineux puisse aimer au village une fille,

Qui soit badine, sote, et qui ne sache rien.

Tout ainsi qu'en amour le plus excellent bien

Est d'aimer une femme, et savante; et gentille,

Aussi le plus grand mal à ceuls qui aiment bien

C'est d'aimer une femme indocte, et mal-habille.

Une gentille Dame entendra de nature

Quel plaisir c'est d'aimer, l'autre n'en aura cure,

Se peignant un honneur dedans son esprit sot:

Vous l'aurez beau préscher, et dire qu'elle est belle,

Sans s'esmouvoir de rien, vous entendra pres d'elle

Parler un jour entier, et ne respondra mot.

XXII

Je crois que je mouroi' si ce n'estoit la Muse

Qui deçà et delà fidelle m'acompaigne

Sans se lasser, par chams, par bois, et par montaigne,

Et de ses beaus presens tous mes soucis abuse:

Si je suis ennuyé je n'ay point d'autre ruse

Pour me desennuyer que Clion ma compaigne;

Si tost que je l'apelle, elle ne me dedaigne,

Et de me venir voir jamais el'ne s'excuse:

Des presens des neuf Seurs soit en toute saison

Pleine toute ma chambre, et pleine ma maison,

Car la rouille jamais à leurs beaus dons ne touche.

Le tin ne fleurit pas aus abeilles si dous

Comme leurs beaus presens me sont doux à la bouche,

Desquels les bons esprits ne furent jamais saouls.

XXIII

Mignongne, levés-vous, vous estes paresseuse,

Ja la gaye alouette au ciel a fredonné,

Et ja, le rossignol frisquement jargonné,

Dessus l'espine assis, sa complainte amoureuse.

Debout donq, allon voir l'herbelette perleuse,

Et vostre beau rosier de boutons couronné,

Et voz oeillets aimés, ausquels avés donné

Hyer au soir de l'eau, d'une main si songneuse.

Hyer en vous couchant, vous me fistes promesse

D'estre plus-tost que moi ce matin eveillée,

Mais le someil vous tient encor toute sillée:

Ian, je vous punirai du peché de paresse,

Je vois baiser cent fois vostre oeil, vostre tetin,

Afin de vous aprendre à vous lever matin.

XXIV

Bayf, il semble à voir tes rymes langoreuses,

Que tu sois seul amant, en France, langoreus,

Et que tes compaignons ne sont point amoureus,

Mais font languir leurs vers desous feintes pleureuses;

Tu te trompes, Bayf; les peines doloreuses

D'amour autant que toi nous rendent doloreus,

Sans nous feindre un tourment: mais tu es plus heureus

Que nous, à raconter tes peines amoureuses.

Quant à moi, si j'estois ta Francine chantée,

Je ne serois jamais de ton vers enchantée,

Qui se faignant un dueil se fait palir lui-mesme.

Non, celui n'aime point, ou bien il aime peu,

Qui peut donner par signe à cognoistre son feu,

Et qui peut raconter le quart de ce qu'il aime.

XXV

Je ne suis variable, et si ne veus apprendre

(Desja grison) à l'estre, aussi ce n'est qu'émoi:

Je ne dy pas si Jane estoit prise de moi;

Que tost je n'oubliasse et Marie et Cassandre.

Je ne suis pas celui qui veus Paris reprendre

D'avoir manqué si tost à Pegasis de foy:

Plutost que d'accuser ce jeune enfant de Roy

D'estre en amour leger, je voudrois le defendre.

Il fist bien, il fist bien, de ravir cette Helene,

Cette Helene qui fut de beauté si tres-plene,

Que du grand Jupiter on la disoit anfant:

L'amant est bien guidé d'une heure malheureuse,

Quand il trouve son mieus, si son mieus il ne prent,

Sans languir tant es bras d'une vieille amoureuse.

XXVI

C'est grand cas que d'aimer! Si je suis une année

Avecque ma maitresse à deviser toujours,

Et à lui raconter quelles sont mes amours,

L'an me semble plus court qu'une seule journée.

S'une autre parle à moi, j'en ay l'ame gennée:

Ou je ne luy di mot, ou mes propos sont lours,

Au milieu du devis s'egarent mes discours,

Et tout ainsi que moi ma langue est estonnée.

Mais quand je suis aupres de celle qui me tient

Le coeur dedans ses yeus, sans me forcer me vient

Un propos dessus l'autre, et jamais je ne cesse

De baiser, de taster, de rire, et de parler:

Car pour estre cent ans aupres de ma maitresse

Cent ans me sont trop cours, et ne m'en puis aller.

XXVII

E, que me sert, Paschal, ceste belle verdure

Qui rit parmi les prés, et d'ouir les oiseaus,

D'ouir par le pendant des colines les eaus,

Et des vents du printems le gracieus murmure,

Quand celle qui me blesse, et de mon mal n'a cure

Est absente de moi, et pour croistre mes maus

Me cache la clarté de ses astres jumeaus,

De ses yeus, dont mon coeur prenoit sa nourriture?

J'aimeroi beaucoup mieus qu'il fust hyver tousjours,

Car l'hyver n'est si propre à nourir les amours

Comme est le renouveau, qui d'aimer me convie,

Ainçois de me hayr, puis que je n'ay pouvoir

En ce beau mois d'Avril entre mes bras d'avoir

Celle qui dans ses yeus tient ma mort et ma vie.

 

Sonetz en vers de dix à onze syllabes

XXVIII

Je ne saurois aimer autre que vous,

Non, Dame, non, je ne saurois le faire:

Autre que vous ne me sauroit complaire,

Et fust Venus descendue entre nous.

Vos yeus me sont si gracieus et dous,

Que d'un seul clin ils me peuvent defaire,

D'un autre clin tout soudain me refaire,

Me faisans vivre ou mourir en deux cous.

Quand je serois cinq cens mille ans en vie,

Autre que vous, ma mignonne m'amie,

Ne me feroit amoureus devenir.

Il me faudroit refaire d'autres venes,

Les miennes sont de vostre amour si plenes,

Qu'un autre amour n'y sauroit plus tenir.

XXIX

Pour aimer trop une fiere beauté,

Je suis en peine, et si ne saurois dire

D'où ni comment, me survint ce martyre,

Ni à quel jeu je perdi liberté.

Si sçai-je bien que je suis arresté

Au lacs d'amour: et si ne m'en retire,

Ni ne voudrois, car plus mon mal empire

Et plus je veus y estre mal traicté.

Je ne di pas, s'elle vouloit un jour

Entre ses bras me garir de l'amour,

Que son present bien à gré je ne prinse.

E, Dieu du ciel, é qui ne le prendroit,

Quand seulement de son baiser un Prince,

Voire un grand Roy, bien heureus se tiendroit.

XXX

E, que je porte et de hayne et d'envie

Au medecin qui vient soir et matin

Sans nul propos tatonner le tetin,

Le sein, le ventre et les flans de m'amie.

Las! il n'est pas si songneus de sa vie

Comme elle pense: il est mechant et fin,

Cent fois le jour ne la vient voir, qu'à fin

De voir son sein qui d'aimer le convie.

Vous qui avés de sa fievre le soin,

Je vous supli de me chasser bien loin

Ce medecin, amoureus de m'amie,

Qui fait semblant de la venir penser:

Que pleust à Dieu, pour l'en recompenser,

Qu'il eust ma peine, et qu'elle fust guarie.

XXXI

Dites maitresse, é que vous ai-je fait?

E, pourquoy las! m'estes vous si cruelle?

Ai-je failly de vous estre fidelle?

Ai-je envers vous commis quelque forfait?

Dites maitresse, é que vous ai-je fait?

E, pourquoy las! m'estes vous si cruelle?

Ai-je failli de vous estre fidelle?

Ai-je envers vous commis quelque forfait?

Certes nenny: car plutost que de faire

Chose qui deust, tant soit peu, vous déplaire,

J'aimerois mieus mille mors encourir.

Mais je voi bien que vous avez envie

De me tuer: faites-moy donq mourir,

Puis qu'il vous plaît, car à vous est ma vie.

XXXII

Chacun qui voit ma couleur triste et noire

Me dit, Ronsard, vous estes amoureus.

Mais cette-là qui me fait langoreus

Le sçait, le voit, et si ne le veut croire.

E, que me sert que mon mal soit notoire

A un chacun, quand son coeur rigoreus,

Par ne sçai quel desastre malheureus,

Me fait la playe, et si la prend à gloire?

C'est un grand cas, que pour cent fois jurer,

Cent fois promettre, et cent fois asseurer

Qu'autre jamais n'aura sus moi puissance,

Qu'elle s'esbat de me voir en langueur:

Et plus de moi je lui donne asseurance,

Moins me veut croire, et m'appelle un moqueur.

XXXIII

Plus que jamais je veus aimer, maitresse,

Vôtre oeil divin, qui me detient ravy

Mon coeur chez lui, du jour que je le vi,

Tel, qu'il sembloit celui d'une déesse?

C'est ce bel oeil qui me paist de liesse,

Liesse, non, mais d'un mal dont je vi,

Mal, mais un bien, qui m'a toujours suivy,

Me nourrissant de joye et de tristesse.

Desja neuf ans evanouiz se sont

Que vos beaus yeus en me riant me font

La playe au coeur, et si ne me soucye

Quand je mourois d'un mal si gracieus:

Car rien ne peut venir de voz beaus yeus

Qui ne me soit trop plus cher que la vie.

XXXIV

Quand ma maitresse au monde print naissance,

Honneur, Vertu, Grace, Savoir, Beauté

Eurent debat avec la Chasteté

Qui plus auroit sus elle de puissance.

L'une vouloit en avoir joüyssance,

L'autre vouloit l'avoir de son costé,

Et le debat immortel eust esté

Sans Jupiter, qui leur posa silence.

Filles, dit-il, ce n'est pas la raison

Que l'une seule ait si belle maison,

Pour-ce je veus qu'apointement on face:

L'accord fut fait: et plus soudainement

Qu'il ne l'eut dit, toutes également

En son beau cors pour jamais prindrent place.

XXXV

Je vous envoye un bouquet de ma main

Que j'ai ourdy de ces fleurs epanies:

Qui ne les eust à ce vespre cuillies,

Flaques à terre elles cherroient demain.

Cela vous soit un exemple certain

Que voz beautés, bien qu'elles soient fleuries,

En peu de tems cherront toutes flétries,

Et periront, comme ces fleurs, soudain.

Le tems s'en va, le tems s'en va, ma Dame:

Las! le tems non, mais nous nous en allons,

Et tost serons estendus sous la lame:

Et des amours desquelles nous parlons,

Quand serons morts n'en sera plus nouvelle:

Pour-ce aimés moi, ce pendant qu'estes belle.

XXXVI

Gentil barbier, enfant de Podalyre,

Je te supply, seigne bien ma maitresse,

Et qu'en ce mois, en seignant, elle laisse

Le sang gelé dont elle me martyre.

Encore un peu dans la palette tire

De son sang froid, ains de sa glace épesse,

A celle fin qu'en sa place renaisse

Un sang plus chaut qui de m'aimer l'inspire.

Ha! velelà, c'estoit ce sang si noir

Que je n'ay peu de mon chaud émouvoir

En soupirant pour elle mainte année.

Ha c'est assez, cesse gentil barbier,

Ha je me pâme! et mon ame estonnée

S'evanouist en voiant son meurtrier.

XXXVII

J'aurai tousjours en une hayne extréme

Le soir, la chaire, et le lit odieus,

Où je fus pris, sans y penser, des yeus

Qui pour aimer me font hayr moi-mesme.

J'aurai tousjours le front pensif et bléme

Quand je voirray ce bocage ennuieus,

Et ce jardin de mon aise envieus,

Où j'avisay cette beauté supréme.

J'aurai toujours en haine plus que mort

Le mois de Mai, le lyerre, et le sort

Qu'elle écrivit sus une verte feille:

J'auray tousjours cette lettre en horreur,

Dont pour adieu sa main tendre et vermeille

Me feit present pour me l'empreindre au coeur.

XXXVIII

E, Dieu du ciel, je n'eusse pas pensé

Qu'un seul depart eust causé tant de pene!

Je n'ai sur moi nerf, ni tendon, ni vene,

Faie, ni coeur qui n'en soit offensé,

Helas! je suis à-demi trespassé,

Ains du tout mort, las! ma douce inhumaine

Avecques elle, en s'en allant, enmaine

Mon coeur captif de ses beaus yeus blessé.

Que pleust à Dieu ne l'avoir jamais veue!

Son oeil gentil ne m'eust la flamme esmeue,

Par qui me faut un tourment recevoir,

Tel, que ma main m'occiroit à cette heure,

Sans un penser que j'ai de la revoir,

Et ce penser garde que je ne meure.

XXXIX

Ha, petit chien, que tu serois heureus

Si ton bon heur tu sçavois bien entendre,

D'ainsi coucher au giron de Cassandre,

Et de dormir en ses bras amoureus.

Mais, las! je vy chetif et langoreus,

Pour sçavoir trop mes miseres comprendre:

Las! pour vouloir en ma jeunesse aprendre

Trop de sçavoir, je me fis malheureus.

Mon Dieu, que n'ai-je au chef l'entendement

Aussi plombé qu'un qui journelement

Béche en la vigne ou fagotte au bocage!

Je ne serois chetif comme je suis,

Le trop d'esprit ne me seroit domage,

Et ne pourrois comprendre mes ennuis.

 

Sonetz en vers heroiques

XL

D'une belle Marie en une autre Marie,

Belleau, je suis tombé, et si dire ne puis

De laquelle des deux plus l'amour je poursuis,

Car j'en aime bien l'une, et l'autre est bien m'amie.

On dit qu'une amitié qui se depart demie

Ne dure pas long tems, et n'aporte qu'ennuis,

Mais ce n'est qu'un abus: car tant ferme je suis

Que, pour en aimer une, une autre je n'oublie.

Tousjours une amitié plus est enracinée,

Plus long tems elle dure, et plus est ostinée

A soufrir de l'amour l'orage vehement:

E, ne sçais-tu, Belleau, que deux ancres getées

Dans la mer, quand plus fort les eaus sont agitées,

Tiennent mieus une nef qu'une ancre seulement?

XLI

Quand je serois un Turc, un Arabe, ou un Scythe,

Pauvre, captif, malade, et d'honneur devestu,

Laid, vieillard, impotent, encor' ne devrois tu

Estre, comme tu es, envers moi si dépite:

Je suis bien asseuré que mon coeur ne merite

D'aimer en si bon lieu, mais ta seule vertu

Me force de ce faire, et plus je suis batu

De ta fiere rigueur, plus ta beauté m'incite.

Si tu penses trouver un serviteur qui soit

Digne de ta beauté, ton penser te deçoit,

Car un Dieu (tant s'en faut un homme) n'en est digne.

Si tu veus donq aimer, il faut baisser ton coeur:

Ne sçais-tu que Venus (bien qu'elle fust divine)

Jadis pour son ami choisit bien un pasteur?

XLII

Dame, je ne vous puis ofrir à mon depart

Sinon mon pauvre coeur, prenés-le je vous prie:

Si vous ne le prenés, jamais une autre amie

(J'en jure par voz yeus) jamais n'y aura part.

Je le sen déjà bien, comme joyeus il part

Hors de mon estomac, peu songneus de ma vie,

Pour s'en aller chés vous, et rien ne le convie

D'y aller (ce dit-il) que vôtre dous regard.

Or si vous le chassés, je ne veus plus qu'il vienne

Vers moi, pour y r'avoir sa demeure ancienne,

Hayssant à la mort ce qui vous deplaira:

Il m'aura beau conter sa peine et son malaise,

Comme il fut paravant plus mien il ne sera,

Car je ne veus rien voir chés moi, qui vous deplaise.

XLIII

Rossignol mon mignon, qui dans cette saulaye

Vas seul de branche en branche à ton gré voletant,

Degoisant à l'envy de moi, qui vois chantant

Celle qui faut tousjours que dans la bouche j'aie,

Nous soupirons tous deux, ta douce vois s'essaie

De flechir celle-là, qui te va tourmentant,

Et moi, je suis aussi cette-là regrettant,

Qui m'a fait dans le coeur une si aigre plaie.

Toutesfois, Rossignol, nous differons d'un point.

C'est que tu es aimé, et je ne le suis point,

Bien que tous deux aions les musiques pareilles,

Car tu flechis t'amie au dous bruit de tes sons,

Mais la mienne, qui prent à dépit mes chansons,

Pour ne les escouter se bouche les oreilles.

XLIV

Si vous pensés que Mai, et sa belle verdure

De vôtre fievre quarte effacent la langueur,

Vous vous trompés beaucoup, il faut premier mon coeur

Garir du mal qu'il sent, et si n'en avés cure.

Il faut donque premier me garir la pointure

Que voz yeus dans mon coeur me font par leur rigueur,

Et tout soudain apres vous reprendrés vigueur,

Quand vous l'aurés gary du tourment qu'il endure.

Le mal que vous avés ne vient d'autre raison,

Sinon de moi, qui fis aus Dieus une oraison

Pour me venger de vous, de vous faire malade.

E, vraiment c'est bien dit; é, vous voulez garir,

Et si ne voulez pas vôtre amant secourir,

Que vous gaririez bien seulement d'une oeillade.

XLV

J'ay cent fois desiré et cent encores d'estre

Un invisible esprit, afin de me cacher

Au fond de vôtre coeur, pour l'humeur rechercher

Qui vous fait contre moi si cruelle aparoistre.

Si, j'estois dedans vous, aumoins je serois maistre,

Maugré vous, de l'humeur qui ne fait qu'empescher

Amour, et si n'auriez nerf, ne poux sous la chair

Que je ne recherchasse afin de vous cognoistre.

Je sçaurois une à une et voz complexions,

Toutes voz voluntés, et voz conditions,

Et chasserois si bien la froideur de vos venes,

Que les flammes d'Amour vous y allumeriez:

Puis quand je les voirrois de son feu toutes plenes,

Je redeviendrois homme, et lors vous m'aimeriez.

XLVI

Pour-ce que tu sçais bien que je t'aime trop mieus,

Trop mieus dix mille fois que je ne fais ma vie,

Que je ne fais mon coeur, ma bouche, ni mes yeus,

Plus que le nom de mort tu fuis le nom d'amie.

Si je faisois semblant de n'avoir point envie

D'estre ton serviteur, tu m'aimerois trop mieus,

Trop mieus dix mille fois que tu ne fais ta vie,

Que tu ne fais ton coeur, ta bouche, ni tes yeus.

C'est d'amour la coustume, alors que plus on aime

D'estre tousjours hay: je le sçai par moi-mesme

Qui suis hay de toi, seulement quand tu m'ois

Jurer que je suis tien: helas! que doi-je faire?

Tout ainsi qu'on garist un mal par son contraire,

Si je te haïssois, soudain tu m'aimerois.

XLVII

Quand je vous dis adieu, Dame, mon seul apuy,

Je laissé dans voz yeus mon coeur pour sa demeure

En gaige de ma foi: et si ay, depuis l'heure

Que je le vous laissay, tousjours vescu d'ennuy

Mais pour Dieu je vous pri, me le rendre aujourd'huy

Que je suis retourné, de peur que je ne meure:

Car je mourois sans coeur, ou, que vôtre oeil m'asseure

Que vous me donnerez le vôtre en lieu de lui.

Las! donez-le moi donq, et de l'oeil faittes signe

Que vôtre coeur est mien, et que vous n'avés rien

Qui ne soit fort joieus, vous laissant, de me suivre:

Ou bien si vous voyés que je ne sois pas digne

D'avoir chés moi le vôtre, aumoins rendés le mien,

Car sans avoir un coeur je ne saurois plus vivre.

XLVIII

Tu as beau, Jupiter, l'air de flammes dissouldre,

Et faire galloper tes haux-tonnans chevaus,

Ronflans deçà delà dans le creux des nuaus,

Et en cent mille esclats tout d'un coup les descoudre,

Ce n'est pas moi qui crains tes esclairs, ni ta foudre

Comme les coeurs poureus des autres animaus:

Il y a trop lon tems que les foudres jumeaus

Des yeus de ma maitresse ont mis le mien en poudre.

Je n'ai plus ni tendons, ni arteres, ni nerfs,

Venes, muscles, ni poux: les feux que j'ai soufferts

Au coeur pour trop aimer me les ont mis en cendre.

Et je ne suis plus rien (ô estrange meschef)

Qu'un Terme qui ne peut voir, n'oüyr, ni entendre,

Tant la foudre d'amour est cheute sus mon chef.

XLIX

Donques pour trop aimer il fault que je trépasse,

La mort, de mon amour sera donq le loyer:

L'homme est bien malheureus qui se veut emploier

Par travail meriter d'une ingrate la grace:

Mais je te pri, di moi, que veus tu que je face?

Quelle preuve veus-tu afin de te ployer

A pitié, las! veus-tu que je m'aille noyer,

Ou que de ma main propre à mort je me deface?

Es tu quelque Busire, ou Cacus inhumain,

Pour te souler ainsi du pauvre sang humain?

E, di, ne crains-tu point Nemesis la Déesse,

Qui redemandera mon sang versé à tort?

E, di, ne crains-tu point la troupe vengeresse

Des Soeurs, qui puniront ton crime apres la mort?

L

Veus-tu sçavoir, Brués, en quel estat je suis?

Je te le conterai: d'un pauvre miserable

Il n'i a nul estat, tant soit il pitoiable

Que je n'aille passant d'un seul de mes ennuis.

Je tien tout, je n'ay rien, je veus, et si ne puis,

Je revy, je remeurs, ma plaie est incurable.

Qui veut servir Amour, ce tyran execrable,

Pour toute recompense il reçoit de tels fruis.

Pleurs, larmes, et souspirs acompagnent ma vie,

Langueur, douleur, regrets, soupçon, et jalousie,

Avecques un penser qui ne me laisse avoir

Un moment de repos: et plus je ne sens vivre

L'esperance en mon coeur, mais le seul desespoir

Qui me guide à la mort, et je le veus bien suivre.

LI

Ne me di plus, Imbert, que je chante d'Amour,

Ce traistre, ce mechant; comment pouroi-je faire

Que mon esprit voulust loüer son adversaire,

Qui ne donne à sa peine un moment de sejour!

Si m'avoit fait aumoins quelque petit bon tour,

Je l'en remercirois, mais il ne veut se plaire

Qu'à rengreger mon mal, et pour mieus me défaire

Me met devant les yeux ma Dame nuit et jour.

Bien que Tantale soit miserable là-bas,

Je le passe en malheur; car si ne mange pas

Le fruit qui pend sur lui, toutesfois il le touche,

Et le baise, et s'en joue: et moi, bien que je sois

Aupres de mon plaisir, seulement de la bouche

Ni des mains, tant soit peu, toucher ne l'oserois.

LII

Quiconque voudra suivre Amour ainsi que moi,

Celui se delibere en penible tristesse

Mourir ainsi que moi: il pleust à la Déesse

Qui tient Cypre en ses mains de faire telle loi.

Apres mainte misere et maint fascheus émoi

Il lui faudra mourir, et sa fiere maitresse,

Le voiant au tombeau, sautera de liesse

Sus le corps de l'amant, mort pour garder sa foy.

Allez-donq maintenant faire service aus Dames,

Offrez-leur pour present et voz corps et voz ames,

Vous en receverés un salaire bien dous.

Je croi que Dieu les feit afin de nuire à l'homme:

"Il les feit, Pardaillan, pour nostre malheur, comme

Les tygres, les lyons, les serpens, et les lous.

LIII

J'avois cent fois juré de jamais ne revoir

(O serment d'amoureus) l'angelique visage

Qui depuis quinze mois en penible servage

Emprisonne mon coeur, et ne le puis ravoir.

J'en avois fait serment: mais je n'ai le pouvoir

M'engarder d'y aller, car mon forcé courage,

Bien que soit maugré moi surmonté de l'usage

D'amour, tousjours m'y mene, abusé d'un espoir.

Le destin, Pardaillan, est une forte chose!

L'homme dedans son coeur ses affaires dispose

Et le ciel fait tourner ses dessains au rebours.

Je sçai bien que je fais ce que je ne doy faire,

Je sçay bien que je sui de trop folles amours:

Mais quoy, puis que le ciel delibere au contraire.

LIV

Ne me sui point, Belleau, allant à la maison

De celle qui me tient en douleur nompareille:

E ne sçais-tu pas bien ce que dit la corneille

A Mopse, qui suivoit la trace de Jason?

Profete, dit l'oiseau, tu n'as point de raison

De suivre cet amant qui de voir s'apareille

Sa Dame: en autre part va, suy le et le conseille,

Mais ore de le suivre il n'est pas la saison.

Pour ton profit, Belleau, je ne vueil que tu voye'

Celle qui par les yeus la plaie au coeur m'envoye,

De peur que tu ne prenne' un mal au mien pareil.

Il suffist que sans toi je sois seul miserable:

Reste sain, je te pri, pour estre secourable

A ma douleur extréme, et m'y donner conseil.

LV

Si j'avois un hayneus qui me voulust la mort

Pour me venger de luy je ne voudrois lui faire

Que regarder les yeus de ma douce contraire,

Qui si fiers contre moi me font si dur effort.

Ceste punition, tant son regard est fort,

Luy seroit peine extréme, et se voudroit deffaire:

Ne lit, ne pain, ne vin ne luy sauroient complaire,

Et sans plus au trespas seroit son reconfort.

Tout cela que lon dit d'une Meduse antique

Au prix d'elle n'est rien que fable poëtique:

Meduse seulement tournoit l'homme en rocher,

Mais cette-cy en-roche, englace, en-eaue, en-foue

Ceus qui ozent sans peur de ses yeus approcher:

Et si en les tuant vous diriez qu'el' se joue.

LVI

Amour se vint cacher dans les yeus de Cassandre,

Comme un tan, qui les boeufs fait mouscher par les bois,

Puis il choisit un trait sur tous ceus du carquois,

Qui piquant sçait le mieus dedans les coeur descendre.

Il élongna ses mains, et feit son arc estendre

En croissant, qui se courbe aus premiers jours du mois,

Puis me lascha le trait, contre qui le harnois

D'Achille, ni d'Hector ne se pourroit defendre.

Apres qu'il m'eut blessé, en riant s'en volla,

Et par l'air mon esprit avec lui s'en alla:

Mais toutefois au coeur me demoura la playe,

Laquelle pour neant cent fois le jour j'essaye

De la vouloir garir, mais tel est son efort

Que je voy bien qu'il faut que maugré moi je l'aye,

Et que pour la garir le remede est la mort.

LVII

Dame, je meurs pour vous, je meurs pour vous, ma dame,

Dame, je meurs pour vous, et si ne vous en chaut:

Je sens pour vous au coeur un brasier si treschaut,

Que pour ne le sentir je veus bien rendre l'ame.

Ce vous sera pour-tant un scandaleus diffame,

Si vous me meurdrissés sans vous faire un defaut:

E, que voulés vous dire? Esse ainsi comme il faut

Par pitié refroidir de vôtre amant la flamme?

Non, vous ne me povés reprocher que je sois

Un effronté menteur, car mon teint, et ma voix,

Et mon chef ja grison vous servent d'asseurance,

Et mes yeus trop cavés, et mon coeur plein d'esmoi:

E, que feroi-je plus, puis que nulle creance

Il ne vous plait donner aus tesmoins de ma foy?

LVIII

Il ne sera jamais, soit que je vive en terre,

Soit qu'aus enfers je sois, ou là-haut dans les cieus,

Il ne sera jamais que je n'aime trop mieus

Que myrthe ou que laurier la feuille de lierre.

Sus elle cette main qui tout le coeur me serre

Trassa premierement de ses doigts gracieus

Les lettres de l'amour que me portoient ses yeus,

Et son coeur qui me fait une si douce guerre.

Jamais si belle fueille à la rive Cumée

Ne fut par la Sibylle en lettres imprimée

Pour bailler par écrit aus hommes leur destin,

Comme ma Dame a paint d'une espingle poignante

Mon sort sus le lierre: é Dieu, qu'amour est fin!

Est-il rien qu'en aimant une Dame n'invente.

LIX

J'aurai toujours au coeur attachés les rameaus

Du lierre, où ma Dame oza premier écrire

(Douce ruze d'amour) l'amour qu'el'n'osoit dire,

L'amour d'elle et de moy, la cause de noz maus:

Sus toi jamais, sus toi orfrayes ny corbeaus

Ne se viennent brancher, jamais ne puisse nuire

Le fer à tes rameaus, et à toi soit l'empire

Pour jamais, dans les bois, de tous les arbrisseaus.

Non pour autre raison (ce croi-je) que la mienne,

Bacchus orna de toi sa perruque Indienne,

Que pour recompenser le bien que tu lui fis,

Quand sus les bords de Die Ariadne laissée

Luy feit sçavoir par toi ses amoureus ennuys,

Ecrivant dessus toi s'amour et sa pensée.

LX

Je mourois de plaisir voyant par ces bocages

Les arbres enlassés de lierres épars,

Et la lambruche errante en mille et mille pars

Es aubepins fleuris prés des roses sauvages.

Je mourois de plaisir oyant les dous langages

Des hupes, et coqus, et des ramiers rouhars

Sur le haut d'un fouteau bec en bec fretillars,

Et des tourtres aussi voyant les mariages.

Je mourois de plaisir voyant en ces beaus mois

Sortir de bon matin les chevreuilz hors des bois,

Et de voir fretiller dans le ciel l'alouëtte.

Je mourois de plaisir, où je meurs de soucy,

Ne voyant point les yeus d'une que je souhette

Seule, une heure en mes bras en ce bocage icy.

LXI

A pas mornes et lents seulet je me promene,

Non-challant de moi-mesme: et quelque part que j'aille

Un importun penser me livre la bataille,

Et ma fiere ennemie au devant me ramene:

Penser, un peu de treve, et permets que ma pene

Se soulage un petit, et tousjours ne me baille

Argument de pleurer pour une qui travaille

Sans relasche mon coeur, tant elle est inhumaine.

Ou si tu ne le fais, je te tromperay bien:

Je t'assure ma foy que tu perdras ta place

Bien-tost, car je mouray pour ruïner ton fort.

Puis, quand je seray mort, plus ne sentiray rien

(Tu m'auras beau pincer) que ta rigueur me face,

Ma dame, ni amour: car rien ne sent un mort.

LXII

Pourtant si ta maitresse est un petit putain,

Tu ne dois pour cela te courrousser contre elle

Voudrois-tu bien hayr ton ami plus fidelle

Pour estre un peu jureur, ou trop haut à la main?

Il ne faut prendre ainsi tous pechés à dedain,

Quand la faute en pechant n'est pas continuelle:

Puis il faut endurer d'une maitresse belle

Qui confesse sa faute, et s'en repent soudain.

Tu me diras qu'honneste et gentille est t'amie,

Et je te respondrai qu'honneste fut Cynthie,

L'amie de Properce en vers ingenieus,

Et si ne laissa pas de faire amour diverse.

Endure donc, Ami, car tu ne vaus pas mieus

Que Catulle valut, que Tibulle et Properce.

LXIII

Amour, voiant du ciel un pescheur sur la mer,

Calla son aisle bas sur le bord du navire,

Puis il dit au pescheur: je te pri que je tire

Ton ret, qu'au fond de l'eau le plomb fait abymer.

Un daulphin, qui savoit le feu qui vient d'aimer,

Voiant Amour sur l'eau, à Tethis le va dire:

Tethys, si quelque soing vous tient de vôtre empire,

Secourés-le, ou bien tost il est prest d'enflammer.

Tethys laissa de peur sa caverne profonde,

Haussa le chef sur l'eau, et vit Amour sur l'onde

Qui peschoit à l'escart: las, dit el', mon nepveu,

Oustés-vous, ne bruslés mes ondes, je vous prie:

N'aiés peur, dit Amour, car je n'ay plus de feu,

Tout le feu que j'avois est aus yeus de Marie.

LXIV

Calliste mon amy, je croi que je me meurs,

Je sens de trop aimer la fievre continue,

Qui de chaud, qui de froid jamais ne diminue,

Ainçois de pis en pis rengrege mes douleurs:

Plus je vueil refroidir mes bouillantes chaleurs,

Plus Amour les ralume: et plus je m'esvertue

De rechaufer mon froid, plus la froideur me tue,

Pour languir au meilleu de deux divers malheurs.

Un ardent apetit de joüir de l'aimée

Tient tellement mon ame en pensers alumée,

Et ces pensers douteus me font réver si fort,

Que diette, ne just, ni section de vene

Ne me sauroient garir, car de la seule mort

Depend, et non d'ailleurs, le secours de ma pene.

LXV

Je veus lire en trois jours l'Iliade d'Homere,

Et pour-ce; Corydon, ferme bien l'huis sur moi:

Si rien me vient troubler, je t'asseure ma foi,

Tu sentiras combien pesante est ma colere.

Je ne veus seulement que nôtre chambriere

Vienne faire mon lit, ou m'apreste de quoi

Je menge, car je veus demeurer à requoi

Trois jours, pour faire apres un an de bonne chere.

Mais si quelcun venoit de la part de Cassandre,

Ouvre lui tost la porte, et ne le fais attendre:

Soudain entre en ma chambre, et me vien acoustrer,

Je veus tanseulement à lui seul me monstrer:

Au reste, si un Dieu vouloit pour moi descendre

Du ciel, ferme la porte, et ne le laisse entrer.

LXVI

J'ai l'ame pour un lit de regrets si touchée,

Que nul, et fusse un Roy, ne fera que j'aprouche

Jamais de la maison, encor moins de la couche

Où je vy ma maitresse, au mois de May couchée.

Un somme languissant la tenoit mi-panchée.

Dessus le coude droit, fermant sa belle bouche,

Et ses yeus, dans lesquels l'archer Amour se couche,

Ayant tousjours la fleche en la corde encochée.

Sa teste en ce beau mois, sans plus, estoit couverte

D'un riche escofion ouvré de soie verte,

Où les Graces venoient à l'envy se nicher,

Et dedans ses cheveus choysissoient leur demeure.

J'en ai tel souvenir que je voudrois qu'à l'heure

(Pour jamais n'y penser) son oeil m'eust fait rocher.

LXVII

Douce, belle, gentille, et bien fleurente Rose,

Que tu es à bon droit à Venus consacrée,

Ta delicate odeur hommes et Dieus recrée,

Et bref, Rose, tu es belle sur toute chose.

La Grace pour son chef un chapellet compose

De ta feuille, et tousjours sa gorge en est parée,

Et mille fois le jour la gaye Cytherée

De ton eau, pour son fard, sa belle joue arrose.

Hé Dieu, que je suis aise alors que je te voi

Esclorre au point du jour sur l'espine à requoy,

Dedans quelque jardin pres d'un bois solitere!

De toi les Nymphes ont les coudes et le sein:

De toi l'Aurore emprunte et sa joue, et sa main,

Et son teint celle-là qui d'Amour est la mere.

LXVIII

R. Que dis-tu, que fais-tu, pensive tourterelle

Desus cest arbre sec? T. Helas je me lamente.

R. Et pourquoi, di-le moi? T. De ma compagne absente,

Plus chere que ma vie. R. En quelle part est-elle?

T. Un cruel oyselleur par glueuse cautelle

L'a prise, et l'a tuée: et nuit et jour je chante

Son trespas dans ces bois, nommant la mort méchante

Qu'elle ne m'a tuée aveques ma fidelle.

R. Voudrois-tu bien mourir aveques ta compaigne?

T. Oui, car aussi bien je languis de douleur,

Et toujours le regret de sa mort m'acompaigne.

R. O gentils oysellets, que vous estes heureus

D'aimer si constamment, qu'heureus est vôtre coeur,

Qui, sans point varier, est tousjours amoureus!

LXIX

Le sang fut bien maudit de ceste horrible face

Qui premier engendra les serpens venimeus:

Helene, tu devois quand tu marchas sus eus,

Non sans plus les arner, mais en perdre la race.

Nous estions l'autre jour dans une verte place,

Cuillants, m'amie, et moi, les fraiziers savoureux,

Un pot de cresme estoit au meillieu de nous deux,

Et sur le jonc du laict treluisant comme glace.

Quand un villain serpent, de venin tout couvert,

Par ne sçai quel malheur sortit d'un buisson vert

Contre le pied de celle à qui je fais service,

Pour la blesser à mort de son venin infect;

Et lors je m'écriay, pensant qu'il nous eut faict

Moi, un second Orphée, et elle, une Eurydice.

LXX

Marie, tout ainsi que vous m'avés tourné

Mon sens, et ma raison, par vôtre voix subtile,

Ainsi m'avés tourné mon grave premier stile,

Qui pour chanter si bas n'estoit point destiné:

Aumoins si vous m'aviés, pour ma perte, donné

Congé de manier vôtre cuisse gentile,

Ou si à mes baisers vous n'estiés dificile,

Je n'eusse regretté mon stile abandonné.

Las, ce qui plus me deut, c'est que vous n'êtes pas

Contente de me voir ainsi parler si bas,

Qui soulois m'élever d'une muse hautaine:

Mais, me rendant à vous, vous me manquez de foy,

Et si me traités mal, et sans m'outer de peine

Tousjours vous me liés, et triomphés de moi.

 

Nouvelle continuation des Amours de P. Ronsard, Vandomois 1556

 

Au beuf qui...

I

Au beuf qui tout le jour a trainé la charue

On oste au soir le joug quand la nuict est venue,

Et mis dedans l'estable est pensé doucement,

Soulageant son travail par un bon traitement.

Quand le cheval guerrier, courant aux bordz de Pise

Des jeux Olympiens a la gloire conquise,

Et que son corps poudreux des joustes de cinq ans

Il a bien nettoyé dans les flotz Alpheans,

Plus son ventre vieillard son maistre n'esperonne,

Mais luy oste le frain, et liberté luy donne.

Quand un soldat a fait es guerres son effort

Pour gaigner la bataille, ou pour fausser un fort,

Et qu'il a tout le corps marqué de belles playes,

Il vit franc des combatz, au rang des mortes-payes,

Et à quelque crochet, ou debout contre un bois

Pour l'y laisser rouiller atache son harnois.

Mais toy, mechant Amour, tousjours tu renouvelles

Tes playes contre moy, et tes fiertez cruelles:

Et bien que ja trente ans poisent dessus mon chef,

Pourtant tu n'as pitié de mon triste mechef:

Mais comme un fier tyran, inexorable et rude,

Tu ne m'ostes du col le joug de servitude,

Foulant du pied ma teste, et brulant sans repos

D'un feu continuel mes venes et mes os.

Pour n'estre desormais une nouvelle fable

Au peuple, il seroit temps (s'il te fust agreable)

De me donner congé, et mettre en liberté

Mon col, qui si long temps au joug fut arresté,

Afranchi du travail et des peines gaignées

Suyvant tes estendartz par dix ou douze années

Sans recevoir un bien: car jamais dessoubz toy

Amant ne guerroya si malheureux que moy,

Ni si desesperé. Et quoy filz de Deesse!

Je ne suis plus dispos, ne bouillant de jeunesse

Pour faire une courvée: il te fault atizer

Ceux à qui le menton ne se fait que friser,

Afin que tes beaux traits leur servent d'exercice:

Ceux de cet age là sont bons à ton service,

Ils sont fortz et dispos, et n'ont encore senty

Le mal dont tant de foys je me suis repenty,

Mais quoy? c'est un tribut qu'il fault que chacun paye:

Non que je sois lassé d'avoir au cueur la plaie

Que ton beau trait me feit, plustost mile trespas

Me puissent avenir que jamais j'en sois las:

Car je te serviray soit en barbe meslée,

Ou soit que tout mon chef blanchisse de gelée.

Je ne suis ny tout seul, ny certes le premier

A qui tu fais du mal: ton trait est coustumier

De navrer les plus grands, et ceux dont la nature

Des plus nobles vertus gentillement a cure.

Tous les Dieux ont aymé, et les hommes aussi,

Et bref il n'y a rien exempt de ton soucy.

Si quelque homme mortel m'avoit fait cet outrage,

J'armerois contre luy l'ire de mon courage,

Et m'en voudrois venger: mais puis que c'est un Dieu

Je ne me puis deffendre, il luy fault donner lieu:

"Car on tient pour certain qu'une humaine poitrine

Ne scauroit resister à la force divine.

De cela sont tesmoings les Geans odieux

Qui en vain feirent teste à la force des Dieux.

Or' fay moy doncque, Dieu, tout ce que voudras faire,

Rien qui vienne de toy ne me scauroit desplaire,

Je suis ton seviteur, je ne veux d'autre Roy,

Sans barbe je fuz tien, barbu je suis à toy:

Tien je seray tousjours, et deussay-je en tristesse

User ma pauvre vie avecques ma maitresse.

II

Elégie

Quand j'estois libre, ains que l'amour cruelle

Ne fust éprise encore en ma moüelle

Je vivois bien heureux:

De toutes partz cent mille jeunes filles

Se travailloient par leurs flames gentilles

De me rendre amoureux:

Mais tout ainsi qu'un beau poulain farouche,

Qui n'a masché le frein dedans sa bouche

Va seulet escarté,

N'ayant soucy, sinon d'un pied superbe

A mille bons fouler les fleurs et l'herbe

Vivant en liberté:

Ores il court le long d'un beau rivage,

Ores il erre au fond d'un boys sauvage,

Ou sur quelque mont hault:

De toutes partz les poutres hanissantes

Luy font l'amour, pour neant blandissantes,

A luy qui ne s'en chault.

Ainsi j'allois, dedaignant les pucelles,

Qu'on estimoit en beaulté les plus belles,

Sans respondre à leur vueil:

Lors je vivois amoureux de moymesme,

Content et gay, sans porter couleur blesme,

Ni les larmes à l'oeil.

J'avois escrite au plus hault de la face

Avec la honte une agreable audace

Pleine d'un franc desir:

Avec le pied marchoit ma fantasie

Deça, delà, sans peur ne jalousie

Vivant de mon plaisir.

Mais aussi tost que par mauvais desastre

Je vey ton sein blanchissant comme albastre,

Et tes yeux, deux soleilz,

Tes beaux cheveux espanchez par ondées,

Et les beaux lys de tes levres bordées

De cent oeilletz vermeilz:

Incontinent j'appris que c'est service:

La liberté (de ma vie nourrice)

Füit ton oeil felon,

Comme la nue, en temps serein poussée

Fuit à grandz pas l'aleine courroucée

De l'Oursal Aquilon.

Et lors tu mis mes deux mains à la chesne,

Mon col au cep, et mon coeur à la gesne,

N'ayant de moy pitié,

Non plus (helas) qu'un oultrageux corsere

(O fier destin) a pitié d'un forcere

A la chesne lié.

Tu mis apres en signe de conqueste

Maistralement tes deux piedz sur ma teste,

Et du front m'a osté

La jeune honte, et l'audace premiere,

Acouhardant mon ame prisonniere

Serve à ta volonté:

Vengeant d'un coup mille faultes commises,

Et les beaultez qu'à grand tort j'avois mises

Paravant à mespris,

Qui me prioyent, en lieu que je te prie:

Mais d'autant plus que mercy je te crie

Tu es sourde à mes cris,

Et ne responz non plus que la fonteine

Qui de Narcis mira la forme vaine,

Vengeant dessus son bord

Mille beaultez des Nymphes amoureuses,

Que cet enfant par mines dedaigneuses

Avoit mises à mort.

III

Chanson

Petite pucelle Angevine,

Qui m'as par un traitre souris

Tiré le cueur de la poictrine,

Puis, des l'heure que tu le pris,

Contre droict et contre raison,

Tu l'enfermas dans ta prison.

Où de toy (sa rude joliere)

Il reçoit un tel traictement,

Qu'une tigresse la plus fière

Auroit pitié de son torment,

Et amoliroit sa rigueur,

Aux miseres de sa langueur.

Mais toy, plus fiere et plus cruelle

Qu'un roc pendu dessus la mer,

Tu deviens tous les jours plus belle

Du dueil qui le faict consommer,

Tirant ta beaulté de le veoir

Mourir soubz toy de desespoir.

Et non sans plus, maitresse rude,

Tu fais mon cueur languir à tort,

Par une honneste ingratitude

Me donnant une lente mort,

Voyant pasmer en triste esmoy

Dans ta prison mon cueur et moy

Mais en lieu d'un sacré Poëte,

De moy, qui chantois ton honneur,

Tu as nouvelle amitié faicte

Avec je ne scay quel Seigneur,

Qui maintenant tout seul te tient,

Et plus de moy ne te souvient.

Ha, fille trop sotte et trop nice,

Tu ne scais encore que c'est

De faire aus grandz seigneurs service,

Qui en amour n'ont point d'arrest,

Et qui suyvent sans loyaultez

En un jour dix mile beautez.

Si tost qu'ilz en ont une prise,

Ils la delaissent tout expres,

Afin qu'une autre soit conquise

Pour la laisser encore apres,

Et n'ont jamais aultre plaisir

Que de changer et de choisir.

Celuy qui ores est ton maistre,

Et qui te tient comme veinqueur,

Te laissera demain, peult estre,

Et je le vouldrois de bon coeur!

Si le ciel de nous a soucy

Puisse arriver demain ainsi.

Le ciel qui les vices contemple

Punist les traitres amoureux:

Anaxarete en sert d'exemple,

Qui devint rocher malheureux,

Perdant sa vie, pour avoir

Osé son amy decevoir.

IV

Chanson

Amour, dy moy de grace (ainsi des bas humains,

Et des dieux soit tousjours l'empire entre tes mains)

Qui te fournist de fleches,

Veu que tousjours armé en mile et mile lieux,

Tu perdz tes traitz es cueurs des hommes et des dieux

Empennez de flammeches?

Mais je te pri' dy moy, est-ce point le dieu Mars,

Quand il revient chargé des armes des soudars

Occis à la bataille?

Ou bien si c'est Vulcan qui dedans ses fourneaux

(Après les tiens perduz) t'en refaict de nouveaux,

Et en don te les baille?

Pauvret (respond Amour), et quoy ignores-tu,

(O jentil serviteur!) la puissante vertu

Des beaux yeux de t'amye?

Plus je respens mes traitz sur hommes et sur Dieux,

Et plus en un moment m'en fournissent les yeux

De ta belle Marie.

V

Chanson

Mais voyez, mon cher esmoy,

Voyez combien de merveilles

Vous parfaites dedans moy

Par voz beautez nompareilles.

De telle façon voz yeux,

Vostre ris et vostre grace,

Vostre front, et voz cheveux

Et vostre angelique face,

Me brulent depuis le jour

Que j'en eu la connoissance,

Desirant par grande amour

En avoir la jouissance.

Que si ce n'estoient les pleurs

Dont ma vie est arrosée,

Long temps a que les chaleurs

D'Amour l'eussent embrasée.

Au contraire, voz beaux yeux,

Vostre ris, et vostre grace,

Vostre front, et voz cheveux,

Et vostre angelique face

Me gelent depuis le jour

Que j'en eu la connoissance,

Desirant par grande amour

En avoir la joüissance.

Que, si ne fust les chaleurs

Dont mon âme est embrasée,

Long temps a que par mes pleurs

En eau se fut épuisée.

Voyez donc, mon cher esmoy,

Voyez combien de merveilles

Vous parfaites dedans moy

Par voz beaultez nompareilles.

VI

Chanson

Pourquoy tournez vous voz yeux

Gratieux

De moy quand voulez m'occire?

Comme si n'aviez pouvoir

Par me voir,

D'un seul regard me destruire.

Las! vous le faites afin

Que ma fin

Ne me semblast bien heureuse,

Si j'allois en perissant

Joüissant

De vostre oeillade amoureuse.

Mais quoy? vous abusez fort:

Ceste mort,

Qui vous semble tant cruelle

Me semble un gaing de bon heur

Pour l'honneur

De vous, qui estes si belle.

VII

Chanson

Bon jour mon cueur, bon jour ma doulce vie.

Bon jour mon oeil, bon jour ma chere amye,

Hé bon jour ma toute belle,

Ma mignardise, bon jour,

Mes delices, mon amour,

Mon dous printemps, ma doulce fleur nouvelle

Mon doulx plaisir, ma douce columbelle,

Mon passereau, ma gente tourterelle,

Bon jour, ma doulce rebelle.

Hé fauldra-t-il que quelcun me reproche

Que j'ay vers toy le cueur plus dur que roche

De t'avoir laissé, maitresse,

Pour aller suivre le Roy,

Mandiant je ne sçay quoy

Que le vulgaire appelle une largesse?

Plustost perisse honneur, court, et richesse,

Que pour les biens jamais je te relaisse,

Ma doulce et belle deesse.

VIII

Chanson

Belle et jeune fleur de quinze ans

Qui sens encore ton enfance,

Mais bien qui celes au dedans

Un cueur remply de desçevance,

Cachant soubz ombre d'amitié

Une jeunette mauvaitié,

Ren moy (si tu as quelque honte)

Mon cueur, que tu m'as emmené,

Dont tu ne fais non plus de conte

Que d'un prisonnier enchesné,

Ou d'un valet, ou d'un forcere

Qui est esclave d'un corsere.

Une autre moins belle que toy,

Mais d'une nature plus bonne,

Le veult par force avoir de moy,

Me priant que je le luy donne:

Elle l'aura puis qu'autrement

Il n'a de toy bon traitement.

Mais non: j'ayme trop mieux qu'il meure

Que de l'oster hors de tes mains,

J'ayme trop mieux qu'il y demeure

Soufrant mille maux inhumains,

Qu'en te changeant jouyr de celle

Qui doucement à soy l'appelle.

IX

Chanson

Le printemps n'a point tant de fleurs,

L'autonne tant de raisins meurs,

L'esté tant de chaleurs halées,

L'yver n'a point tant de gelées

Ni la mer n'a tant de poissons,

Ni la Secile de moissons,

Ni l'Afrique n'a tant d'arenes,

Ni le mont d'Ide de fonteines,

Ni la nuict tant de clairs flambeaux,

Ni les forestz tant de rameaux,

Que je porte au cueur, ma maitresse,

Pour vous de peine et de tristesse.

X

Chanson

Demandes tu, douce ennemye,

Quelle est pour toy ma pauvre vie?

Helas certainement elle est

Telle qu'ordonner te la plest:

Pauvre, chetive, langoureuse,

Dolente, triste, malheureuse,

Et si Amour a quelque esmoy

Plus facheux, il loge chez moy.

Apres demandes tu, m'amie,

Quelle compagnie a ma vie?

Certes acompagnée elle est

De telz compagnons qu'il te plest:

Ennuy, travail, peine et tristesse,

Larmes, souspirs, sanglotz, detresse:

Et s'Amour a quelque soucy

Plus facheux, il est mien aussi.

Voila comment pour toy, m'amye,

Je traine ma chetive vie,

Heureux du mal que je reçoy

Pour t'aymer cent fois plus que moy.

XI

Chanson

Veu que tu es plus blanche que le lyz,

Qui t'a rougi ta levre vermeillette

D'un si beau teint? qui est ce qui t'a mis

Sur ton beau sein ceste couleur rougette?

Qui t'a noircy les arcz de tes sourcis?

Qui t'a bruny tes beaux yeux, ma maitresse!

O grand beaulté remplie de soucis,

O grand beaulté pleine de grand liesse?

O douce, belle, honeste cruauté,

Qui doucement me contrains de te suivre:

O fiere, ingrate, et facheuse beauté,

Avecque toy je veulx mourir et vivre.

XII

O toy qui n'es de rien en ton cueur amoureuse

Que d'honneur et vertu qui te font estimer,

Quoy? en glace et en feu voiras tu consommer

Tousjours mon pauvre cueur sans luy estre piteuse?

Bien que tu sois vers moy ingrate, et dedaigneuse,

Fiere, dure, rebelle, et nonchallant'd'aymer,

Encor je ne me puis engarder de nommer

La terre où tu naquis sur toute bien heureuse.

Je ne te puis häyr, quoi que tu me sois fiere,

Mais bien je hay celluy qui me mena de nuyct

Prendre de tes beaux yeulx l'acointance premiere:

Celluy seul tout expres à la mort m'a conduit,

Celluy seul me tua! hé mon Dieu n'esse pas

Tuer, que de conduire un homme à son trespas?

XIII

S'il y a quelque fille en toute une contrée

Qui soit inexorable, inhumaine, et cruelle,

Tousjours ell'est de moy pour dame rencontrée,

Et tousjours le malheur me faict serviteur d'elle:

Mais si quelcune est douce, honneste, amyable et belle,

La prise en est pour moy tousjours desesperée:

J'ay beau estre courtois, jeune, accord et fidelle,

Elle sera tousjours d'un sot enamourée.

Souz tel astre malin je naquis en ce monde:

"Voila que c'est d'aymer: ceulx qui ont merité

D'estre recompensez sont en douleur profonde,

Et le sot voluntiers est tousjours bien traité.

O traitre et lasche Amour, que tu es malheureux:

Malheureux est celluy qui devient amoureux.

XIV

Hé que voulez vous dire? estes vous si cruelle.

De ne vouloir aymer? Voyez les passereaus

Qui demenent l'amour: voyez les colombeaux,

Regardez le ramier, voyez la tourterelle.

Voyez deçà delà d'une fretillante aesle

Volleter par les boys les amoureux oiseaux,

Voyez la jeune vigne embrasser les ormeaux,

Et toute chose rire en la saison nouvelle:

Ici, la bergerette, en tournant son fuzeau

Degoise ses amours, et là, le pastoureau

Respond à sa chanson: icy toute chose ayme,

Tout parle de l'amour, tout s'en veult enflammer:

Seulement vostre coeur froid d'une glace extreme

Demeure opiniatre, et ne veult point aymer.

XV

J'ayme la fleur de Mars, j'ayme la belle Rose,

L'une qui est sacrée à Venus la deesse,

L'autre qui a le nom de ma belle maitresse,

Pour qui ne nuict ne jour en paix je ne repose.

J'ayme trois oiseletz, l'un qui sa plume arrose

De la pluye de May, et vers le ciel se dresse:

L'autre qui veuf au boys lamente sa detresse:

L'autre qui pour son filz mile mottez compose.

J'ayme un pin elevé où Venus apendit.

Ma jeune liberté, quand serf elle rendit

Mon cueur, que doucement un bel oeil emprisonne.

J'ayme un gentil laurier, de Phebus l'arbrisseau,

Dont ma belle maistresse en tortant un rameau

Lié de ses cheveux me fist une couronne.

XVI

Aultre (j'en jure Amour) ne se scauroit vanter

D'avoir part en mon cueur, vous seule en estes dame,

Vous seule gouvernez les brides de mon ame,

Et seulz voz yeux me font ou pleurer ou chanter:

Ils m'ont sceu tellement d'un regard enchanter

Que je ne puis ardoir d'autre nouvelle flame:

Quand j'aurois devant moy toute nue une femme,

Encores sa beauté ne me scauroit tenter:

Si vous n'estes d'un lieu si noble que Cassandre

Je ne scaurois qu'y faire, Amour m'a fait descendre

Jusques à vous aymer, Amour qui n'a point d'yeus,

Qui tous les jours transforme en cent sortes nouvelles,

Aigle, Cigne, Toreau ce grand maistre des Dieux,

Pour le rendre amoureux de noz femmes mortelles.

XVII

Amour (comme lon dict), ne naist d'oysiveté,

S'il naissoit de repos il ne fust plus mon maistre:

Je cours, je vays, je viens, et si ne me depestre

De son lien qui tient serve ma liberté.

Je ne suis point oisif, et ne l'ay point esté,

Tousjours la hacquebute, ou la paume champestre,

Ou l'escrime qui rend une jeunesse adextre

Me tient en doux travail tout le jour arresté:

Ores le chien couchant, ores la grande chasse,

Ores un gros ballon bondissant en la place,

Ores nager lutter, voltiger et courir

M'amusent sans repos: mais plus je m'exercite,

Plus Amour naist dans moy, et plus je sentz nourrir

Son feu, qu'un seul regard au cueur me ressuscite.

XVIII

Les villes et les bourgs me sont si odieux

Que je meurs, si je voy quelque tracette humaine:

Seulet dedans les boys pensif je me promeine,

Et rien ne m'est plaisant que les sauvages lieux.

Il n'y a dans ces bois sangliers si furieux,

Ni roc si endurcy, ny ruisseau, ny fonteine,

Ni arbre tant soit sourd, qui ne sache ma peine,

Et qui ne soit marry de mon mal ennuyeus.

Ung penser, qui renaist d'un aultre, m'acompaigne

Avec un pleur amer qui tout le sein me baigne,

Reschauffé de souspirs qui renfrongner me font:

Si bien que si quelcun me trouvoit au bocage

Voyant mon poil rebours, et l'horreur de mon front,

Homme ne me diroit, mais un monstre sauvage.

XIX

Las! pour vous trop aymer je ne vous puis aymer,

Car il fault en aimant avoir discretion:

Helas! je ne l'ay pas: car trop d'affection

Me vient trop folement tout le cueur enflammer.

D'un feu desesperé vous faictes consommer

Mon cueur, qui va brulant sans intermission,

Et si bien la fureur nourrit ma passion

Que la raison me fault, dont je me deusse armer.

Ah! guerissez moy donc de ma fureur extreme,

Afin qu'avec raison honorer je vous puisse,

Ou pardonnez au moins mes faultes à vous mesme,

Et le peché commis en tatant vostre cuisse:

Car je n'eusse touché en lieu si deffendu,

Si pour trop vous aymer mon sens ne fust perdu.

XX

Ode

Un enfant dedans un bocage

Tendoit finement ses gluaux,

A fin de prendre des oyseaux

Pour les emprisonner en cage.

Quand il veit par cas d'adventure,

Pres un buys Amour emplumé,

Qui voloit par le boys ramé

Comme oyseau de mauvais augure.

Son plumage luisoit plus beau

Que n'est du paon la queue estrange,

Et sa face sembloit un Ange

Qu'on voit portrait en un tableau.

Cet enfant qui ne scavoit pas

Que c'estoit, fut si plein de joye

Que pour prendre une si grand' proye

Tendit sa glus et tous ses lats.

Mais quand il veid qu'il ne pouvoit

(Pour quelques gluaus qu'il peut tendre)

Ce cauteleux oyseau surprendre,

Qui voletant le decevoit,

Lors il se print à mutiner.

Et gettant sa glux de colere,

Vint trouver une vieille mere

Qui se mesloit de deviner.

Il luy va le fait expliquer,

Et sur le hault d'un buys lui monstre

L'oyseau de mauvaise rencontre,

Qui ne faisoit que s'en moquer.

La vieille, en branlant ses cheveux

Qui ja grisonnoient de vieillesse,

Luy dit: Cesse, mon enfant, cesse,

Si bien tost mourir tu ne veux,

De prendre ce fier animal:

Cet oyseau, c'est Amour qui vole,

Qui tousjours les hommes affole

Et jamais ne fait que du mal.

O que tu seras bien heureux

Si tu le fuys toute ta vie,

Et si jamais tu n'as envye

D'estre au rolle des amoureux.

Mais j'ay grand doubte qu'à l'instant

Que d'homme parfait auras l'age,

Ce malheureux oyseau volage

Qui par ces arbres te fuyt tant,

Sans y penser te surprendra

Comme une jeune et tendre queste,

Et foullant de ses piedz ta teste,

Que c'est que d'aimer t'aprendra.

XXI

Chanson

Quand je te veux raconter mes douleurs

Et de quel feu en te servant je meurs

Et quel venin desseche ma moüelle,

Ma voix tremblote, et ma langue chancelle,

Mon cueur tressault, et mon sang au dedans

Est tout troublé de gros souspirs ardens.

Sur mes genoulz se sied une gelée,

Jusqu'aux talons une sueur salée

De tout mon corps comme un fleuve se suit,

Et sur mes yeux nage une obscure nuict:

Tanseulement mes larmes abondantes

Sont les tesmoings de mes flames ardentes,

De mon amour, et de ma foy aussi,

Qui sans parler te demandent mercy.

XXII

Chanson

Il m'advint hyer de jurer

Qu'on voirroit mon amour durer

Apres la mort, ma chere amye,

Et afin de t'asseurer mieux

Je feis le serment par mes yeux,

Et par mon cueur, et par ma vie.

Quoy? dis-tu, cela est à moy.

Bien! je le veulx qu'il soit à toy,

Mais las! ma langueur miserable,

Et mes pleurs sont miens pour le moins,

Qui te serviront de tesmoings

Que ma parole est veritable.

Alors, belle, tu me baisas,

Et doucement desatizas

Le feu de ma gentille rage:

Puis tu feis signe de ton oeil,

Que tu recevois bien mon dueil,

Et ma langueur pour tesmoignage.

XXIII

Chanson

Je suis tellement langoureux

Qu'au vray raconter je ne puis

Ni où je suis, ne qui je suis:

Chetif quiconque est amoureux.

J'ay pour mon hoste nuict et jour

Dedans le cueur un fier esmoy,

Qui va exerceant dessus moy

Toutes les cruaultez d'Amour:

Et ne puis me desenflamer

De celle qui m'occist à tort:

Car plus el'me donne la mort,

Plus je suis contraint de l'aymer.

XXIV

Chanson

Je te hay bien (croy moy) maitresse,

Je te hay bien, je le confesse.

Mais toy que je debvrois plus fort

Hayr mile fois que la mort,

Il faut que maugré moy je t'ayme

Dix mille fois plus que moymesme:

Car plus ta fiere cruaulté

M'espovante, plus ta beaulté

(Pour mourir et vivre avec elle)

A ton service me r'appelle.

XXV

Chanson

Si le ciel est ton pays et ton pere,

Si l'Ambrosie est ton vin savoureux,

Si Venus est ta delicate mere,

Si tu te pais de Nectar bienheureux,

Que viens tu faire (ô cruel) en la terre?

Pourquoy viens tu habiter dans mon sein?

Pourquoy fais tu contre mes ôs la guerre?

Pourquoy boys tu mon pauvre sang humain?

Pourquoy prendz tu de mon cueur nourriture?

O filz d'un tygre, ô cruel animal:

Hé que tu es de meschante nature!

Je suis à toy, pourquoy me fais tu mal?

XXVI

Si tost que tu as beu quelque peu de rosée,

Soit de nuict, soit de jour, caché dans un buisson,

Pendant les aesles bas, tu dis une chanson

D'une notte rustique à ton gré composée.

Si tost que j'ay ma vie un petit arrousée

Des larmes de mes yeux, en la mesme façon

Couché dedans ce boys j'espen un triste son,

Selon qu'à larmoyer mon ame est disposée.

Si te passé je bien, d'autant que tu ne pleures

Sinon trois moys de l'an, et moy à toutes heures,

Navré d'une beauté qui me tient en servage.

Mais helas, Rousignol, ou bien à mes chansons

(Si quelque amour te poingt) accorde tes doux sons,

Ou laisse moy tout seul pleurer en ce bocage.

XXVII

J'ay cent mile tormentz, et n'en voudrois moins d'un,

Tant ils me sont plaisantz, pour vous belle maitresse:

Un facheux desplaisir me vaut une liesse,

Et jamais mon seigneur ne me fut importun.

Je suis bien asseuré que si jamais aucun

Fut heureux en servant une humaine déesse,

De cueur et de parolle heureux je me confesse,

Et ne veux point ceder en bon heur à quelqu'un.

Tant plus je suis malade, et plus je suis dispos,

J'appelle mon travail un gratieux repos:

Amour m'aprend par cueur ce langage, et m'assure

Qu'il vault trop mieux mourir pour si belle victoire

Que de gaigner ailleurs: il le dit et le jure

Par son arc et ses traitz, et je le veux bien croire.

XXVIII

Mars fut vostre parein quand naquistes, Marie,

La Mer vostre mareine: un Dieu cruel et fier,

L'autre, element auquel on ne se doit fier,

Car tost son onde est douce, et tost elle est marrie.

Soubz un tiltre d'honneur ce guerrier nous convie

De hanter les combatz, puis est nostre meurtrier:

La Mer quand ell'est douce en flatant vient prier

Qu'on aille en son giron, puis nous oste la vie.

Vous tenez de ce Dieu, mais trop plus de la Mer,

Qui feistes vos beaux yeux serenement calmer,

Vostre front, vostre bouche, et tout vostre visage,

Affin de m'atirer, puis quand me veistes pris

Vous feistes sur mon chef deborder un orage,

Pour me noyer aux flotz de la douce Cypris.

XXIX

Belle, gentille, honneste, humble et douce Marie,

Qui mon cueur dans voz yeux prisonnier détenez,

Et qui par montz et vaulx comme esclave menez

De vostre blanche main ma prisonniere vie.

Hé quantesfoys le jour me prend il une envie

De rompre voz prisons, mais plus vous me donnez

Espoir de liberté, plus vous m'emprisonnez

L'ame, qui languiroit sans vous estre asservie.

Ha je vous ayme tant que je suis fol pour vous,

J'ay perdu ma raison, et ma langue debile.

Au milieu des propos vous nomme à tous les coups,

Vous, comme son subject, sa parolle, et son stile,

Et qui parlant ne fait qu'interpreter, sinon

Mon esprit qui ne pense en rien qu'en vostre nom.

XXX

Mes souspirs, mes amys, vous m'estes agreables

D'autant que vous sortez pour un lieu qui le vault:

Je porte dans le cueur des flames incurables,

Le feu pourtant m'agrée, et du mal ne me chault:

Autant me plaist sentir le froid comme le chault,

Plaisir et desplaisir me sont biens incroiables,

Bien heureux je m'estime aymant en lieu si hault,

Et si veulx estre mis au rang des miserables.

Des miserables, non, mais au rang des heureux,

Car un homme ne peult (sans se veoir amoureux)

Sentir en doux torment que vallent les liesses:

Non, je ne voudrois pas pour l'or de l'univers

N'avoir souffert les maux qu'en aymant j'ay souffertz,

Pour l'attente d'un bien qui vault mille tristesses.

XXXI

Comment au departir l'adieu pourroy je dire,

Duquel le souvenir tanseulement me pasme:

Adieu donc chere vie, adieu donc ma chere ame,

Adieu mon cher soucy, par qui seul je souspire.

Adieu le bel object de mon plaisant martire,

Adieu bel oeil divin qui m'englace et m'enflame,

Adieu ma doulce glace, adieu ma doulce flame,

Adieu par qui je vis, et par qui je respire:

Adieu belle, humble, honeste, et gentille maistresse,

Adieu les doulx liens où vous m'avez tenu

Maintenant en travail, maintenant en liesse:

Il est temps de partir, le jour en est venu:

Mais avant que partir je vous supplie, en lieu

De moy, prendre mon cueur, tenez je le vous laisse,

Voy le là, baisez moy, maistresse, et puis adieu.

XXXII

Quand je vous voy, ma gentille maistresse,

Je deviens fol, sourd, muet, et sans ame,

Dedans mon sein mon pauvre cueur se pasme,

Entre-surpris de joye et de tristesse.

Par tout mon chef le poil rebours se dresse,

De glace froide une fiebvre m'enflamme

Venes et nerfz: en tel estat, ma dame,

Je suis pour vous, quand à vous je m'adresse.

Mon oeil creint plus les vostres qu'un enfant

Ne creint la verge, ou la fille sa mere,

Et toutefois vous ne m'estes severe

Sinon au point que l'honneur vous deffend:

Mais c'est assez, puisque de ma misere

La garison d'autre part ne despend.

XXXIII

Si quelque amoureux passe en Anjou par Bourgueil,

Voye un pin elevé par desus le vilage,

Et là tout au plus hault de son pointu fueillage

Voyra ma liberté, qu'un favorable acueil

A pendu pour trophée aus graces d'un bel oeil,

Qui depuis quinze mois me detient en servage:

Mais servage si doux que la fleur de mon age

Est heureuse d'avoir le bien d'un si beau dueil.

Amour n'eust sceu trouver un arbre plus aymé

Pour pendre ma despouille, en qui fut transformé

Jadis le bel Atys sur la montaigne Idée:

Mais entre Atys et moy il y a difference,

C'est qu'il fut amoureux d'une vieille ridée,

Et moy d'une beauté qui ne sort que d'enfance.

XXXIV

Chanson

Ma maistresse est toute angelette,

Toute belle fleur nouvellette,

Toute mon gratieux acueil,

Toute ma petite brunette,

Toute ma doulce mignonnette,

Toute mon cueur, toute mon oeil.

Toute ma grace et ma Charite,

Toute belle perle d'eslite,

Toute doux parfun Indien,

Toute douce odeur d'Assirie,

Toute ma douce tromperie,

Toute mon mal, toute mon bien.

Toute miel, toute reguelyce,

Toute ma petite malice,

Toute ma joye, et ma langueur,

Toute ma petite Angevine,

Ma toute simple, et toute fine,

Toute mon âme, et tout mon coeur.

Encore un envieux me nie

Que je ne doibs aymer m'amye:

Mais quoy? si ce bel envieux

Disoit que mes yeux je n'aymasse,

Penseriez-vous que je laissasse,

Pour son dire, à n'aymer mes yeux?

XXXV

Chanson

Je ne veulx plus que chanter de tristesse,

Car autrement chanter je ne pourrois,

Veu que je suis absent de ma maistresse:

Si je chantois autrement, je mourrois.

Pour ne mourir il fault donc que je chante

En chantz piteux ma plaintive langueur,

Pour le despart de ma maistresse absente,

Qui de mon sein me déroba le cueur.

Déjà l'Esté, et Cerez la bledtiere,

Ayant son front enceint de son present,

A ramené sa moisson nourriciere

Depuis le temps que mort je suis absent

De ses beaux yeux, dont la lumiere belle

Seule pourroit garison me donner,

Et si j'estois là bas en la nacelle

Me pourroit faire en vie retourner.

Mais ma raison est si bien corrompue

Par une faulce imagination

Que nuict et jour je la porte en la veue,

Et sans la voir j'en ay la vision.

Comme celuy qui contemple les nues

Pense adviser mile formes là sus

D'hommes, d'oyseaux, de chimeres cornues,

Et ne voit rien, car ses yeux sont deceuz:

Et comme cil qui d'une aleine forte,

En haute mer, à puissance de bras

Tire la rame, il pense qu'ell'soit torte

Rompue en l'eau, toutesfois ne l'est pas:

Ainsi je voy d'une veüe trompée

Celle qui m'a tout le sens depravé,

Qui dans mes yeux, et dans l'âme frappée

Par force m'a son portrait engravé,

Et soit que j'erre au plus hault des montaignes,

Ou dans un boys, loing de gens et de bruit,

Soit dans des prez; ou parmi les campagnes,

Tousjours à l'oeil ce beau portrait me suit.

Si j'apperçoy quelque champ qui blondoie

D'espicz frisez au travers des sillons,

Je pense veoir ses beaux cheveux de soye

Refrisotez en mile crespillons.

Si j'apperçoy quelque table carrée

D'yvoire, ou jaspe applany proprement,

Je pense veoir la voulte mesurée

De son beau front egallé plenement.

Si le Croissant au premier moys j'advise,

Je pense veoir son sourcy ressemblant

A l'arc d'un Turc, qui la sagette a mise

Dedans la coche, et menace le blanc.

Quand à mes yeux les estoilles drillantes

Viennent la nuict en temps calme s'offrir,

Je pense veoir ses prunelles ardentes,

Que je ne puis ny füyr ny souffrir.

Quand j'apperçoy la rose sur l'espine,

Je pense veoir de ses levres le tainct,

Mais la beauté de l'une au soir decline,

L'autre beauté jamais ne se destainct.

Quand j'apperçoy des fleurs dans une prée

S'épanouir au lever du Soleil,

Je pense veoir de sa joüe pourprée

Et de son sein le beau lustre vermeil.

Si j'apperçoy quelque chesne sauvage

Qui jusqu'au ciel esleve ses rameaux,

Je pense veoir en luy son beau corsage,

Ses pieds, sa greve, et ses coudes jumeaux.

Si j'entendz bruire une fontaine clere,

Je pense ouyr sa voix dessus le bord,

Qui, se plaignant de ma triste misere,

M'apelle à soy pour me donner confort.

Voila comment pour estre fantastique

En cent façons ses beaultez j'apperçoy,

Et m'esjouys d'estre melancolique

Pour recevoir tant de formes en moy...

Amour vrayement est une maladie,

Les medecins la scavent bien juger,

L'appellant mal, fureur de fantasie

Qui ne se peult par herbes soulager.

J'aymerois mieux la fiebvre dans mes venes,

Ou quelque peste, ou quelqu'autre douleur,

Que de souffrir tant d'amoureuses peines,

Qui sans tüer me consomment le cueur.

Or'va, chanson, dans les mains de ma sainte,

Mon angelette, et luy racompte aussi

Que ce n'est point tromperie ny fainte

De tout cela que j'ay descrit icy.

XXXVI

Chanson

Comme la cire peu à peu,

Quand pres du foüyer on l'approche,

Se fond à la chaleur du feu:

Ou comme au feste d'une roche,

La nege, encores non foulée,

Au soleil se perd escoulée:

Quand tu tournes tes yeux ardens

Sur moy, d'une oeillade sutille,

Je sens tout mon cueur au dedans

Qui se consomme, et se distile,

Et ma pauvre ame n'a partie

Qui ne soit en feu convertie:

Comme une rose qu'un amant

Cache au sein de quelque pucelle,

Qu'ell'est tout le jour enfermant

Pres de son tetin qui pommelle,

Puis chet fanie sur la place

Au soir quand elle se delace:

Et comme un lys par trop lavé

De quelque pluye printaniere

Penche à bas son chef agravé

Dessus la terre nourriciere,

Sans que jamais il se releve

Tant l'humeur pesante le greve:

Ainsi mon chef à mes genoux

Me tombe, et mes genoux à terre,

Sur moy ne bat vene ni poux,

Tant la douleur le cueur me serre:

Je ne puis parler, et mon ame

Engourdie en mon corps se pasme.

Lors ainsi pasmé je mourrois,

Si d'un seul baiser de ta bouche

Mon ame tu ne secourois

Et mon corps froid comme une souche,

Me resouflant en chaque vene

La vie par ta douce alene:

Afin d'estre plus tormenté,

Et que plus souvent je remeure,

Comme le cueur de Promethé

Qui renaist cent fois en une heure,

Pour servir d'apast miserable

A son vautour insatiable.

XXXVII

Chanson

Hyer au soir que je pris maugré toy

Un doux baiser assis de sur ta couche,

Sans y penser, je laissay dans ta bouche

Mon âme, las! qui s'enfuit de moy.

Me voyant prest sur l'heure de mourir,

Et que mon ame amuzée à te suivre

Ne revenoit mon corps faire revivre,

Je t'envoiay mon coeur pour la querir.

Mais mon coeur pris de ton oeil blandissant

Ayma trop mieux estre chez toy, ma dame,

Que retourner: et non plus qu'à mon ame

Ne luy chaloit de mon corps perissant.

Et si je n'eusse en te baisant ravy

Du feu d'Amour quelque chaleur ardente,

Qui depuis seule (en lieu de l'ame absente

Et de mon coeur) de vie m'a servy,

Voulant hyer mon torment apaiser,

Par qui sans ame et sans coeur je demeure,

Je fusse mort entre tes bras, à l'heure

Que maugré toy je te pris un baiser.

XXXVIII

Chanson

Plus tu cognois que je brusle pour toy,

Plus tu me hais, cruelle:

Plus tu cognois que je vis en esmoy,

Et plus tu m'es rebelle.

Mais c'est tout un, car las! je suis tant tien

Que je beniray l'heure

De mon trespas: au moins s'il te plaist bien

Qu'en te servant je meure.

XXXIX

O ma belle maitresse, à tout le moins prenez

De moi vostre servant ce Roussignol en cage.

Il est mon prisonnier, et je vis en servage

De vous, qui sans mercy en prison me tenez:

Allez donq Roussignol, en sa chambre, et sonnez

Mon dueil à son oreille avec vostre ramage,

Et s'il vous est possible émouvez le courage

De ma dame à pitié, puis vous en revenez:

Non, ne revenez point! que feriez vous chez moi?

Sans aucun reconfort, vous languiriez d'esmoy:

"Un prisonnier ne peut un autre secourir.

Dittes luy que je n'ay sur vostre bien envie,

Et que tant seulement je me pleins de ma vie

Qui languist en prison, et si n'y peut mourir.

XL

Chanson

Je suis un demidieu quand assis vis à vis

De toy, mon cher soucy, j'escoute les devis,

Devis entrerompus d'un gracieux soubrire,

Soubris qui me detient le coeur emprisonné,

Car en voyant tes yeux je me pasme estonné,

Et de mes pauvres flancz un seul mot je ne tire.

Ma langue s'engourdist, un petit feu me court

Honteux de sous la peau, je suis muet et sourd,

Et une obscure nuit de sur mes yeux demeure,

Mon sang devient glacé, l'esprit fuit de mon corps,

Je tremble tout de crainte, et peu s'en faut alors

Qu'à tes pieds estendu languissant je ne meure.

XLI

Chanson

Si je t'assaus, Amour, Dieu qui m'est trop cognu!

En vain je te feray dans ton camp des alarmes,

Tu es un vieil routier, et bien apris aus armes,

Et moy jeune guerrier, mal apris et tout nu.

Si je fuis devant toy, je ne sçaurois aller

En lieu que je ne sois devancé de ton aisle.

Si je veux me cacher, l'amoureuse estincelle

Qui reluist en mon coeur me viendra déceler.

Si je veux m'embarquer, tu es fils de la mer,

Si je m'enleve au ciel, ton pouvoir y commande,

Si je tombe aux enfers, ta puissance y est grande.

Ainsi maistre de tout, force m'est de t'aymer.

Or' je t'aymerai donq, bien qu'envis de mon coeur,

Si c'est quelque amitié que d'aymer par contrainte.

Toutesfois (comme on dit) on voit souvent la creinte

S'accompaigner d'amour, et l'amour de la peur.

XLII

A son livre

Mon fils, si tu sçavois que lon dira de toy,

Tu ne voudrois jamais déloger de chez moy,

Enclos en mon poulpitre: et ne voudrois te faire

User ny fueilleter aux mains du populaire:

Quand tu seras party, sans jamais retourner,

Il te faudra bien loing de mes yeux sejourner,

Car ainsi que le vent sans retourner s'en vole,

Sans espoir de retour s'échappe la parole.

Ma parole c'est toy, à qui de nuict et jour

J'ay conté les propos que m'a tenus Amour,

Pour les mettre en ces vers qu'en lumiere tu portes,

Crochettant, maugré moy, de mon escrin les portes,

Pauvret! qui ne sçais pas que les petis enfans

De la France ont le nez plus subtil qu'Elephans.

Donc, avant que tenter le hazard du naufrage,

Voy du port la tempeste, et demeure au rivage:

On se repent trop tard quand on est embarqué

Tu seras assez tost des medisans moqué

D'yeux et de haussebecs, et d'un branler de teste:

Sage est celuy qui croit à qui bien l'admonneste.

Tu sçais (mon cher enfant) que je ne te voudrois

Ny tromper ny moquer, grandement je faudrois,

Et serois engendré d'une ingrate nature,

Si je voulois trahir ma propre geniture,

Car ainsi que tu es nagueres je te fis,

Et je ne t'ayme moins qu'un pere ayme son fils.

Quoy? tu veux donc partir, et tant plus je te cuide

Retenir au logis plus tu hausses la bride.

Va donc, puis qu'il te plaist: mais je te suppliray

De respondre à chacun ce que je te diray,

Afin que toi (mon fils) gardes bien, en l'absence,

De moy le pere tien l'honneur et l'innocence.

Si quelque dame honneste et gentille de coeur

(Qui aura l'inconstance et le change en horreur)

Me vient, en te lisant, d'un gros sourcy reprendre

Dequoy je ne devois abandonner Cassandre,

Qui la première au coeur le trait d'Amour me meist,

Et que le bon Petrarque un tel peché ne feist,

Qui fut trente et un an amoureux de sa dame,

Sans qu'une autre jamais luy peust eschaufer l'ame:

Responds luy, je te pry, que Petrarque sur moy

N'avoit authorité pour me donner sa loy,

Ny à ceux qui viendroient apres luy, pour les faire

Si long temps amoureux sans s'en pouvoir deffaire

Luy mesme ne fut tel: car à voir son escrit

Il estoit esveillé d'un trop gentil esprit

Pour estre sot trente ans, abusant sa jeunesse,

Et sa Muse, au giron d'une seule maitresse:

Ou bien il jouissoit de sa Laurette, ou bien

Il estoit un grand fat d'aymer sans avoir rien,

Ce que je ne puis croire, aussi n'est-il croiable:

Non, il en jouissoit, puis l'a faitte admirable,

"Chaste, divine, sainte: aussi tout amant doit

Loüer celle de qui jouissance il reçoit:

Car celuy qui la blasme apres la jouissance

N'est homme, mais d'un Tygre il a prins sa naissance.

Quand quelque jeune fille est au commencement

Cruelle, dure, fiere, à son premier amant,

Et bien! il faut attendre, il peut estre qu'un heure

Viendra, sans y penser, qui la rendra meilleure:

Mais quand elle devient de pis en pis tousjours,

Plus dure, et plus cruelle, et plus rude en amours,

Il la faut laisser là, sans se rompre la teste

De vouloir adoucir une si sotte beste:

Je suis de tel advis, me blasme de ce cas

Ou loue qui voudra, je ne m'en soucy pas.

Les femmes bien souvent sont causes que nous sommes

Inconstans et legers, amadouant les hommes

D'un pouvoir enchanteur, les tenant quelques fois

Par une douce ruse un an, ou deux, ou trois

Dans les liens d'Amour, sans aucune alegence:

Cependant un valet en aura jouissance,

Ou quelque autre mignon, dont on ne se doubt'ra,

Sa faux en la moisson segrettement mettra:

Et si ne laisseront, je parle des rusées

Qui ont au train d'amour leurs jeunesses usées

(C'est bien le plus grand mal qu'un homme puisse avoir

De servir quelque vieille apte à bien decevoir),

D'enjoindre des labeurs qui sont insuportables,

Des services cruels, des tâches miserables:

Car sans avoir esgard à la simple amitié,

Aux prieres, aux coeurs, cruelles, n'ont pitié

De leurs pauvres servans, tant elles font les braves,

Qu'un Turc a de pitié de ses pauvres esclaves.

Il faut vendre son bien, il faut faire presens

De chaisnes, de carquans, de diamans luisans,

Il faut donner la perle, et l'habit magnifique,

Il faut entretenir la table, et la musique,

Il faut prendre querelle, il faut les suporter:

Certes j'aymerois mieux de sur le dos porter

La hotte, pour curer les estables d'Augée,

Que d'estre serviteur d'une dame rusée.

"La mer est bien à craindre, aussi est bien le feu,

Et le ciel quand il est de tonnerres esmeu,

Mais trop plus est à craindre une femme clairgesse

D'esprit subtil et prompt quand elle est tromperesse:

Par mille inventions mille maux elle fait,

Et d'autant qu'elle est femme, et d'autant qu'elle sçait.

Quiconque fut le Dieu qui la meist en lumiere

Vrayment il fut autheur d'une grande misere:

Il failloit par presens consacrez aux autels

Achetter noz enfans des grands Dieux immortels

Et non user sa vie avec ce soing aymable,

Les femmes, passion de l'homme miserable,

Miserable et chetif, d'autant qu'il est vassal,

Vingt ou trente ans qu'il vit, d'un si fier animal.

Mais, je vous pry, voyez comment par fines ruses

Elles sçavent trouver mille faintes excuses

Apres qu'el'ont peché! voyez Helene aprés

Qu'Ilion fut brulé de la flame des Grecs,

Comme elle amadoüa d'une douce blandice

Son badin de mary qui pardonna son vice,

Et qui plus que devant de ses yeux fut espris,

Qui scintilloient encor les amours de Paris.

Ulys qui fut si caut, bien qu'il sceust qu'une troppe

De jeunes poursuyvans baizassent Penelope,

Devorans tout son bien, si esse qu'il bruloit

D'embrasser son espouse, et jamais ne vouloit

Devenir immortel avec Circe la belle,

Pour ne revoir jamais Penelope, laquelle

Pleurant luy rescrivoit de son facheux sejour,

Pendant que, luy absent, elle faisoit l'amour

(Si bien que le Dieu Pan de ses jeus print naissance,

D'elle et de ses muguets la commune semence),

Envoyant tout exprés pour sa commodité

Son fils chercher Ulysse en Sparte la cité.

Vélà comment la femme avec ses ruses donte

L'homme, de qui l'esprit toutes bestes surmonte.

Quand un jeune homme peut heureusement choisir

Une belle maitresse esleüe à son plaisir,

Soit de haut ou bas lieu, pourveu qu'elle soit fille

Humble, courtoise, honeste, amoureuse et gentille,

Sans fard, sans tromperie, et qui sans mauvaistié

Garde de tout son coeur une simple amitié,

Aymant trop mieux cent fois à la mort estre mise

Que de rompre sa foy quand elle l'a promise,

Il la faut bien aymer tant qu'on sera vivant

Comme une chose rare arrivant peu souvent.

Celuy certainement merite sur la teste

Le feu le plus ardent d'une horrible tempeste

Qui trompe une pucelle, et mesmement alors

Qu'elle se donne à nous et de coeur et de corps.

N'esse pas un grand bien quand on fait un voiage

De rencontrer quelcun qui d'un pareil courage

Veut nous acompagner, et comme nous passer

Les chemins tant soient-ils facheux à traverser?

Aussi n'esse un grand bien de trouver une amye

Qui nous ayde à passer cette chetive vie,

Qui sans estre fardée, ou pleine de rigueur

Traitte fidelement de son amy le coeur?

Dy leur, si de fortune une belle Cassandre

Vers moy se fust monstrée un peu courtoise et tendre,

Un peu douce et traitable, et songneuse à garir

Le mal dont ses beaux yeux dix ans m'ont fait mourir,

Non seulement du corps, mais sans plus d'une oeillade

Eust voulu soulager mon pauvre coeur malade,

Je ne l'eusse laissée, et m'en soit à tesmoing

Ce jeune enfant aislé qui des amours a soing.

Mais voiant que tousjours el'devenoit plus fiere,

Je delyé du tout mon amitié premiere

Pour en aymer une autre en ce pais d'Anjou,

Où maintenant Amour me detient sous le jou:

Laquelle tout soudain je quitteray, si elle

M'est, comme fut Cassandre, orgueilleuse et rebelle,

Pour en chercher une autre, afin de voir un jour

De pareille amitié recompenser m'amour,

Sentant l'affection d'un autre dans moymesme,

"Car un homme est bien sot d'aymer si on ne l'ayme.

Or', si quelqu'un aprés me vient blasmer de quoy

Je ne suis plus si grave en mes vers que j'estoy

A mon commencement, quand l'humeur Pindarique

Enfloit empoulément ma bouche magnifique,

Dy luy que les amours ne se souspirent pas

D'un vers hautement grave, ains d'un beau stille bas,

Populaire et plaisant, ainsi qu'a fait Tibulle,

L'ingenieux Ovide, et le docte Catulle:

Le fils de Venus hait ces ostentations:

Il sufist qu'on luy chante au vray ses passions,

Sans enfleure ny fard, d'un mignard et dous stille,

Coulant d'un petit bruit comme une eau qui distille.

Ceus qui font autrement ils font un mauvais tour

A la simple Venus, et à son fils Amour.

S'il advient quelque jour que d'une voix hardie

J'anime l'eschaufaut par une tragedie

Sententieuse et grave, alors je feray voir

Combien peuvent les nerfs de mon petit sçavoir:

Et si quelque Furie en mes vers je rencontre,

Hardi, j'opposeray mes Muses alencontre,

Et feray resonner d'un haut et grave son

(Pour avoir par au bouc) la tragique tansson:

Mais ores que d'Amour les passions je pousse,

Humble je veux user d'une Muse plus douce.

Non, non, je ne veux pas que pour ce livre icy

On me lise au poulpitre, ou dans l'escole aussi

D'un Regent sourcilleux: il suffist si m'amye

Le touche de la main dont elle tient ma vie:

Car je suis satisfait, si elle prend à gré

Ce labeur, que je voue à ses pieds consacré,

Et à celles qui sont de nature amiables,

Et qui jusqu'à la mort ne sont point variables.

 

Second livre des meslanges de Pierre de Ronsard Vandomoys 1559

 

L'an se rajeunissoit...

Sonets à Sinope

I

L'an se rajeunissoit en sa verde jouvence,

Quand je m'espris de vous, ma Sinope cruelle:

Seize ans estoyent la fleur de vostre age nouvelle,

Et vos beaux yeux sentoyent encore leur enfance.

Vous aviez d'une infante encore la contenance,

La parolle, et les pas, vostre bouche estoit belle,

Vostre front, et vos mains dignes d'une immortelle,

Et vos cheveux faisoyent au Soleil un offense.

Amour, qui ce jour là si grandes beautez vit,

Dans un marbre, en mon cueur d'un trait les escrivit:

Et si pour le jourdhuy vos beautez si parfaittes

Ne sont comme autresfois, je n'en suis moins ravy:

Car je n'ay pas egard à cela que vous estes,

Mais au doux souvenir des beautez que je vy.

II

Sinope, de mon cueur vous emportez la clef,

La clef de mes pensers, et la clef de ma vie:

Et toutesfois (helas!) je ne leur porte envye,

Pourveu que vous ayez pitié de leur mechef.

Vous me laissez tout seul en un tourment si gref,

Que je mourray de dueil, d'ire et de jalousie:

Tout seul je le voudrois, mais une compagnie

Vous me donnez de pleurs, qui coulent de mon chef.

Que maudit soit le jour, que la flesche cruelle

M'engrava dans le cueur vostre face si belle,

Vos cheveux, vostre front, vos yeux, et vostre port!

Je devois mourir lors sans plus tarder d'une heure.

Le temps, que j'ai vescu depuis telle blesseure,

Aussi bien n'a servy, qu'à m'alonger la mort.

III

Avant vostre partir je vous fais un present

(Bien que sans ce present impossible est de vivre),

Sinope, c'est mon cueur, qui brule de vous suyvre.

Gettez le en vostre coche: il n'est pas si pesant.

Il vous sera fidele, humble et obeissant,

Comme un, qui de son gré à vous servir se livre.

Il est de toute amour, fors la vostre, delivre:

Mais la vostre le tue, et taist le mal qu'il sent.

Mais plus vous le tuez, et plus vostre se nomme,

Et dit que pour le moins il vaut le gentil-homme,

Qui d'amour vous enflame, et n'en est enflamé.

O merveilleux effaicts de l'inconstance humaine!

Celuy, qui ayme bien, languist tousjours en peine:

Celuy, qui n'ayme point, est tousjours bien aymé.

IV

Ma Sinope, mon cueur, ma vie, et ma lumiere,

Autant que vous passez toute jeune pucelle

En grace et en beauté, autant vous estes celle

Qui m'estes à grand tort inconstante et legere.

Pardon, si je l'ay dit: las! plus vous m'estes fiere,

Plus vous me decevez, plus vous me semblez belle:

Plus vous m'estes volage, inconstante, et rebelle,

Et plus je vous estime, et plus vous m'estes chere.

Or de vostre inconstance accuser je me doy,

Vous fournissant d'amy qui fut plus beau que moy,

Plus jeune et plus dispos, mais non d'amour si forte.

Donques je me condanne, et vous absous du fait:

Car c'est bien la raison que la peine je porte,

Sinope, et non pas vous, du peché que j'ay fait.

V

D'un sang froid, noir et lent, je sens glacer mon cueur:

Quand quelcun parle à vous, ou quand quelcun vous touche,

Une ire au tour du cueur me dresse l'escarmouche,

Jaloux contre celuy qui reçoit tant d'honneur.

Je suis (je n'en mens point) jaloux de vostre soeur,

De mon ombre, de moy, de mes yeux, de ma bouche.

Ainsi ce petit Dieu, qui la raison me bousche,

Me tient tousjours pour vous en soupson et en peur.

Je ne puis aymer ceux, à qui vous faites chere,

Fussent-ils mes cousins, mes oncles, ou mon pere,

Je ne les puis aymer, mais je les hay bienfort.

Les Roys ny les amans ne veulent point ensemble

Avoir de compagnons Helas! je leur ressemble:

Plustost que d'en avoir, je desire la mort.

VI

Quand je suis tout bessé sur vostre belle face,

Je voy dedans vos yeux je ne sçay quoy de blanc,

Je ne sçay quoy de noir, qui m'esmeut tout le sang,

Et qui jusques au cueur de vene en vene passe.

Je voy dedans Amour, qui va changeant de place,

Ores bas, ores haut, tousjours me regardant,

Et son arc contre moy coup sur coup debandant.

Las! si je faux, raison, que veux-tu que j'y face?

Tant s'en faut que je sois alors maistre de moy,

Que je vendrois mon pere, et trahirois mon Roy,

Mon païs, et ma soeur, mes freres et ma mere:

Tant je suis hors du sens, apres que j'ay taté

A longs traits amoureux de la poison amere,

Qui sort de ces beaux yeux, dont je suis enchanté.

VII

Je reçoy plus de bien à regarder vos yeux

Qu'à boire, qu'à manger, qu'à dormir, ny qu'à faire

Chose qui soit à l'ame, ou au corps necessaire:

Tant de vostre regard je suis ambicieux.

Pource ny froid hyver, ny esté chaleureux

Ne me peut empescher, que je n'alle complaire

A ce cruel plaisir, qui me rend tributaire

De vos yeux, qui me sont si doux et rigoureux.

Sinope, vous avez de vos lentes oeillades

Gasté de mes deux yeux les lumieres malades,

Et si ne vous chaut point du mal que m'avez fait:

Au moins guarissez-les, ou confessez l'offense:

Si vous la confessez, je seray satisfait,

Me donnant un baiser pour toute recompense.

VIII

Si j'estois Jupiter, Sinope, vous seriez

Mon espouse Junon: si j'estois Roy des ondes,

Vous seriez ma Thetys, Royne des eaux profondes,

Et pour vostre maison la grand mer vous auriez:

Si la terre estoit mienne, avec moy vous tiendriez

L'empire sous vos mains, dame des terres rondes,

Et de sur une coche, en belles tresses blondes,

Par le peuple en honneur, Déesse, vous iriez.

Mais je ne le suis pas, et puis vous ennuyez.

D'aymer les bonnets rons, gras troupeau de l'Eglise.

Ah! vous ne sçavez pas l'honneur que vous fuiez,

Ny les biens qui cachez dedans ce bonnet sont.

Si l'amour dans le monde a sa demeure prise,

Il ne la prit jamais que dans un bonnet rond.

IX

Il ne faut dedagner le troupeau de l'Eglise,

Pourtant s'il est gaillard, jeune, frais, et dispos,

Sejourné, gros et gras, en aise, et en repos,

En delices confit, en jeux et mignardise.

Ma Sinope, mon cueur, quand une fille prise

Par trop le mariage, elle est hors de propos:

Car un mary commande, il tence, il dit des mots

Tous remplis de fureur, d'orgueil et de maistrise.

Au contraire un amant est humble et suppliant,

Comme franc de courage, et qui ne va liant

Sa douce liberté sous une loy de creinte.

Qui veut hayr s'amie, il faut se marier:

Qui veut tousjours l'aymer, il ne faut s'y lier,

Mais vivre avecques elle en amour sans contrainte.

X

Sinope, que j'adore en trop cruel destin,

Quand d'un baiser d'amour vostre bouche me baise,

Je suis tout esperdu, tant le cueur me bat d'aise:

Entre vos doux baisers puissay-je prendre fin!

Il sort de vostre bouche un doux flair, qui le tin

Surmonte de douceur, la rose, et la framboise,

Et tout le just des fleurs dont l'avette Appuloise

Fait dedans ses vaisseaux son miel le plus divin.

Il sort de vos tetins une odoreuse haleine.

(Je meurs en y pensant) de parfum toute pleine,

Digne d'aller au ciel embasmer Jupiter.

Mais quand toute mon ame en plaisir se consomme

Mourant de sus vos yeux, lors pour me despiter

Vous fuiez de mon col, pour baiser un jeune homme.

XI

Maistresse, à tous les coups vous m'alleguez S. Pol,

Quand je vous veux baiser, vos yeux, ou vostre bouche,

Ou quand trop librement vostre beau sein je touche,

Ou quand ma dent lascive entame vostre col,

Ou quand de bon matin, contrefaisant le fol,

Passionné d'amour, je vois à vostre couche,

Ou quand ma souple main vous dresse l'escarmouche

A la breche qu'amour me defend du genol.

Je sçay que je commets envers vous une faute,

Mais la playe d'amour que je porte si haute,

Et si parfonde au cueur, m'a l'esprit empesché,

Ou bien ne soyez plus si gentille et si belle,

Ou bien je ne sçaurois (tant que vous serez telle)

M'engarder de vouloir faire un si beau peché.

XII

Sinope, baisez moy, non: ne me baisez pas,

Mais tirez moy le cueur de vostre douce halene.

Non: ne le tirez pas, mais hors de chaque vene

Sucez moy toute l'ame esparse entre vos bras.

Non: ne la sucez pas, car apres le trespas:

Que seroi-je, sinon une semblance veine,

Sans corps de sur la rive où l'amour ne demeine,

Comme il fait icy haut, qu'en feintes, ses esbas.

Pendant que nous vivons, entr'aymon nous, Sinope,

Amour ne regne point sur la debile trope

Des morts, qui sont sillez d'un long somme de fer.

C'est abus que Pluton ayt aymé Proserpine,

Si doux soing n'entre point en si dure poitrine:

Amour ne sçauroit vivre entre les morts d'enfer.

XIII

Comme d'un ennemy, je veux en toute place

M'eslongner de vos yeux, qui mon cueur ont deceu,

Petits yeux de Venus, par lesquels j'ay receu

Le coup mortel au cueur, qui d'outre en outre passe.

Je voy tousjours dans eux Amour qui me menasse,

Au moins voyant son arc je l'ay bien aperceu:

Mais remparer mon cueur contre luy je n'ay sceu,

Dont le trait fausseroit une forte cuirasse.

Or pour ne les voyr plus je veux aller bien loing

Vivre de sur le bord d'une mer solitaire:

Encore j'ay grand peur de ne perdre le soing,

Qui hoste de mon cueur y loge nuict et jour.

Lon peut bien sur la mer un long voyage faire,

Mais on ne peut changer ny de cueur, ny d'amour.

XIV

Astres qui dans le ciel rouëz vostre voiage,

D'où vient nostre destin de la Parque ordonné,

Si ma Muse autre fois vos honneurs a sonné,

Detournez (s'il vous plait) mon malheureux presage.

Ceste nuict en dormant, sans faire aucun outrage

A l'anneau que Sinope au soir m'avoit donné,

S'est rompu dans mon doy, et du cas estonné,

J'ay senti tout mon cueur bouillonner d'une rage.

Si ma dame envers moy a peu rompre sa foy,

Ainsi que cest anneau s'est rompu dans mon doy,

Astres, je veux mourir: envoyez moy le somme,

Affin d'interpreter la doute de mon sort,

Et faittes, s'il est vray, que mes yeux il assomme

Sans plus les reveiller, au dormir de la mort.

XV

Vos yeux estoient blessez d'une humeur enflammée,

Qui m'ont gasté les miens d'une semblable humeur,

Et pource que vos yeux aux miens ont fait douleur,

Je vous ay d'un nom grec Sinope surnommée.

Mais cest'humeur mauvaise au cueur est devallée:

Et là comme maistresse a pris force et vigueur,

Gastant mon pauvre sang, d'une blesme langueur,

Qui ja par tout le corps lente s'est escoulée.

Mon cueur environné de ce mortel danger,

En voulant resister au malheur estranger,

A mon sang converty en larmes et en pluye:

Affin que par les yeux auteurs de mon soucy

Mon malheur fust noyé, ou que par eux aussi

Fuiant davant le feu j'espuisasse ma vie.

XVI

C'est trop aymé, pauvre Ronsard, delaisse

D'estre plus sot, et le temps despendu

A prochasser l'amour d'une maistresse,

Comme perdu pense l'avoir perdu.

Ne pense pas, si tu as pretendu

En trop haut lieu une haute Déesse,

Que pour cela un bien te soit rendu:

Amour ne paist les siens, que de tristesse.

Je cognois bien que ta Sinope t'ayme,

Mais beaucoup mieux elle s'ayme soy-mesme,

Qui seulement amy riche desire.

Le bonnet rond, que tu prens maugré toy,

Et des puisnez la rigoreuse loy

La font changer et (peut estre) à un pire.

XVII

Chanson à Olivier de Magny

sur le chant de Saint Augustin

Qui veult sçavoir amour et sa nature,

Son arc, ses feux, ses traits et sa poincture,

Que c'est qu'il est et que c'est qu'il desire,

Lise ces vers, je m'en vois le decrire.

C'est un plaisir tout remply de tristesse,

C'est un tourment tout confit de liesse,

Un desespoir où tousjours lon espere,

Un esperer où lon se desespere.

C'est un regret de jeunesse perdue,

C'est dedans l'air une poudre espendue,

C'est peindre en l'eau, et c'est vouloir encore

Tenir le vent, et denoircir un More.

C'est une foy pleine de tromperie,

Où plus est seur celuy, qui moins s'y fie:

C'est un marché, qu'une fraude acompagne,

Où plus y perd celuy, qui plus y gagne.

C'est un feint ris, c'est une douleur vraye,

C'est sans se pleindre avoir au cueur la playe,

C'est devenir valet en lieu de maistre,

C'est mille fois le jour mourir et naistre.

C'est un fermer à ses amis la porte

De la raison, qui languist presque morte,

Pour en bailler la clef à l'ennemye,

Qui la reçoit sous ombre d'estre amye.

C'est mille maux pour une seule oeillade,

C'est estre sain, et feindre le malade,

C'est en mentant se parjurer, et faire

Profession de flatter et de plaire.

C'est une Hecube oser faire une Heleine,

D'une Cumée une autre Polyxene,

C'est se promettre aveques son amye

L'eternité d'une durable vie.

C'est un grand feu couvert d'un peu de glace,

C'est un beau jeu tout remply de fallace,

C'est un despit, une guerre, une treve,

Un long penser, une parole breve.

C'est par dehors dissimuler sa joye,

Celant un cueur au dedans, qui larmoye:

C'est un malheur si plaisant, qu'on desire

Tousjours languir en un si beau martyre.

C'est une paix, qui n'a point de durée,

C'est une guerre au combat assurée,

Où le veincu reçoit toute la gloire,

Et le veincueur a perte en sa victoire.

C'est une erreur de jeunesse, qui prise

Une prison trop plus que sa franchise:

C'est un penser, qui jamais ne repose,

Et si ne veut penser qu'en une chose.

Et bref, Magny, c'est une jalousie,

C'est une fievre en une frenaisie:

Car quel malheur plus grand nous pourroit suyvre,

Qu'en nous mourir pour en un autre vivre?

Donques à fin que ton cueur ne se mette

Sous les liens d'une loy si sujette,

Si tu m'en crois, prens y davant bien garde:

Le repentir est une chose tarde.

XVIII

Amourette

Or que l'hyver roidist la glace espesse,

Rechaufon nous, ma gentille maistresse,

Non acroupis dans le fouyer cendreux,

Mais au plaisir des combats amoureux.

Assison nous sur cette verte couche.

Sus baysez moy de vostre belle bouche.

Pressez mon col de vos bras deliez,

Et maintenant vostre mere oubliez,

Que de la dent vostre tetin je morde,

Que vos cheveux fil à fil je detorde:

Car il ne faut en si folastres jeux,

Comme au Dimanche, arrenger ses cheveux.

Approchez vous, tendez moy vostre oreille:

Ha! vous avez la couleur plus vermeille

Que paravant: avez vous point ouy

Quelque doux mot, qui vous ayt rejouy?

Je vous disois que la main j'allois mettre

Sur vos genoux: le voulez vous permettre?

Vous rougissez, maistresse, je voy bien,

A vostre front, que vous le voulez bien.

Quoy? vous faut il cognoistre à vostre mine?

Je jure Amour, que vous estes si fine,

Que pour mourir de bouche ne diriez

Qu'on vous le fist, bien que le desiriez:

Car toute fille, encor' qu'elle ait envye

Du jeu d'aymer, desire estre ravie.

Tesmoing en est Helene, qui suivit

D'un franc vouloir celuy qui la ravit.

Or je vais donc user d'une main forte

Pour vous avoir: ha, vous faittes la morte,

Sus, endurez ce doux je ne sçay quoy:

Car autrement vous moqueriez de moy

Dans vostre lit, quand vous seriez seulette.

Or, sus, c'est fait, ma gentille doucette:

Recommençon, à fin que nos beaux ans

Soyent rechaufez en combas si plaisans.

XIX

La quenoille

Quenoille, de Pallas la compagne et l'amye,

Cher present que je porte à ma chere ennemye,

Afin de soulager l'ennuy qu'elle a de moy,

Disant quelque chanson en filant de sur toy.

Faisant pirouëter (tout le jour amusée)

Ou son rond devideau, ou sa grosse fusée.

Sus, Quenoille, suy moy, je te meine servir,

Celle que je ne puis m'engarder de suivir:

Tu ne viendras es mains d'une pucelle oysive,

Qui ne fait qu'atifer sa perruque lascive,

Et qui perd tout le jour, à mirer et farder

Sa face, à celle fin qu'on l'aille regarder:

Mais bien entre les mains d'une disposte fille,

Qui devide, qui coust, qui menage, qui file,

Avecques ses deux soeurs, pour tromper ses ennuys,

L'hyver davant le feu, l'esté davant son huis:

Aussi je ne voudrois que toy, Quenoille gente,

Qui es de Vandomois, où le peuple se vente

D'estre bon menager, allasses en Anjou

Pour demeurer oysive, et te rouiller au clou.

Je te puis assurer que sa main delicate,

Peut estre, filera quelque drap d'escarlate,

Qui si fin et si souef en sa laine sera,

Que pour un jour de feste un Roy le vestira.

Suy moy donc, tu seras la plus-que bien venue,

Quenoille, des deux bouts et grellette et menue,

Un peu grosse au milieu, où la filace tient

Estreinte d'un riban, qui de Montoire vient,

Aime-laine, aime-fil, aime-estain, maisonniere,

Longue, Palladienne, enflée, chansonniere.

De Coustures desloge, et va droit à Bourgueil,

Où, Quenoille, on te doit recevoir d'un bon oeil:

Car le petit present, qu'un loyal amy donne,

Passe des puissans Roys le sceptre et la couronne.

 

Les oeuvres de P. De Ronsard gentilhomme Vandomois 1560

 

Les Amours. Pièces ajoutées

Livre I

I

Mon des Autelz, qui avez des enfance

Puisé de l'eau qui coule sur le mont

Où les neuf Soeurs dedans un antre font

Seules apart leur saincte demeurance.

Si autrefois l'amoureuse puissance

Vous a planté le myrthe sur le front,

Enamouré de ces beaux yeux qui sont

Par vos escris l'honeur de nostre France,

Ayez pitié de ma pauvre langueur

Et de vos sons adoucissez le cueur

D'une qui tient ma franchise en contraincte.

Si quelque fois en vos cartiers je suis,

Je flechiray par mes vers, si je puis,

La cruauté de vostre belle Saincte.

II

Chanson

Je suis amoureux en deux lieux:

De l'un j'en suis desesperé,

De l'autre j'en espere mieux,

Et si n'en suis pas asseuré:

Que me sert d'avoir souspiré

Pour deux amours si longuement,

Puis qu'en lieu du bien desiré

Je n'ay que malheur et torment:

Or quant à moy je suis content

Desormais toute amour quitter,

Puis qu'on voit un menteur autant

Qu'un veritable meriter:

Je ne m'en veus plus tormenter

Ny mettre en espreuve ma foy,

Il est temps de se contenter

Et n'aymer plus autre que moy.

III

Elégie

Cherche, Cassandre, un poëte nouveau

Qui apres moy se rompe le cerveau

A te chanter: il aura bien affaire,

Fusse un Bayf, s'il peut aussi bien faire.

Si nostre empire avoit jadis esté

Par noz François aussi avant planté

Que le Rommain, tu serois autant leüe

Que si Tibull' t'avoit pour sienne esleüe:

Et neantmoins tu te dois contenter

De veoir ton nom par la France chanter,

Autant que Laure en Tuscan anoblie

Se voit chanter par la belle Italie.

Or, pour t'avoir consacré mes escris

Je n'ay gaigné sinon des cheveus gris,

La ride au front, la tristesse en la face,

Sans meriter un seul bien de ta grace:

Bien que mes vers et que ma loyauté

Eussent d'un tygre esmeu la cruauté:

Et toutefois je m'asseure, quand l'age

Aura donté l'orgueil de ton courage,

Que de mon mal tu te repentiras

Et qu'à la fin tu te convertiras:

Et ce pendant je souffriray la peine,

Toy le plaisir d'une liesse veine

De trop me veoir languir en ton amour,

Dont Nemesis te doit punir un jour.

Ceux qui amour cognoissent par espreuve

Lisant le mal dans lequel je me treuve,

Ne pardon'ront à ma simple amytié

Tant seulement, mais en auront pitié.

Or, quand à moy, je pense avoir perdue

En te servant ma jeunesse, espendue

Deça, delà dedans ce livre icy.

Je voy ma faulte et la prens à mercy,

Comme celuy qui sçait que nostre vie

N'est rien que vent, que songe, et que folye.

Livre II

I

Docte Buttet, qui as montré la voye

Aux tiens de suivre Apollon et son Choeur,

Qui le premier t'espoinçonnant le coeur,

Te fist chanter sur les mons de Savoye,

Puis que l'amour à la mort me convoye,

De sur ma tombe (apres que la douleur

M'aura tué) engrave mon malheur

De ces sept vers qu'adeullez je t'envoye:

Celuy qui gist sous cette tombe icy

Aima premiere une belle Cassandre,

Aima seconde une Marie aussy,

Tant en amour il fut facile a prendre.

De la premiere il eut le coeur transy

De la seconde il eut le coeur en cendre,

Et si des deux il n'eut oncques mercy.

II

Au seigneur L'Huillier

L'Huillier (à qui Phoebus, comme au seul de nostre age,

A donné ses beaux vers et son Lut en partage),

En ta faveur icy je chante les amours

Que Perrot et Thoinet soupirerent à Tours,

L'un espris de Francine, et l'autre de Marie.

Ce Thoinet est Baïf, qui doctement manie

Les mestiers d'Apollon: ce Perrot est Ronsard,

Que la Muse n'a fait le dernier en son art.

Si ce grand duc de Guyse, honneur de nostre France,

N'amuse point ta plume en chose d'importance,

Prestes moi ton aureille, et t'en viens lire icy

L'amour de ces pasteurs, et leur voyage aussi.

 

Le voiage de Tours, ou les amoureus Thoinet et Perrot

C'estoit en la saison que l'amoureuse Flore

Faisoit pour son amy les fleurettes esclore,

Par les prés bigarés d'autant d'aimail de fleurs

Que le grand arc du ciel s'emaille de couleurs:

Lors que les papillons et les blondes avettes,

Les uns chargez au bec, le autres aus cuissettes,

Errent par les jardins, et les petites oyseaus,

Volletans par les bois de rameaus en rameaus,

Amassent la bechée, et parmy la verdure

Ont souci comme nous de leur race future.

Thoinet, en ce beau tems, passant par Vandomois,

Me mena voir à Tours Marion, que j'aimois,

Qui aus nopces estoit d'une sienne cousine,

Et ce Thoinet aussi alloit voir sa Francine,

Que la grande Venus, d'un trait plein de rigueur,

Luy avoit sans mercy écrite dans le coeur.

Nous partismes tous deus du hameau de Coustures.

Nous passames Gastine et ses hautes verdures:

Nous passames Marré, et vismes à mi-jour

Du pasteur Phelipot s'eslever la grand tour

Qui de Beaumont la Ronce honore le village,

Comme un pin fait honneur aus fueilles d'un bocage.

Ce pasteur, qu'on nommoit Phelipot le gaillard,

Courtois, nous festoya jusques au soir bien tard.

De là vinsmes coucher au gué de Lengenrie,

Sous les saules plantés le long d'une praerie:

Puis, des le poinct du jour redoublant le marcher,

Nous vismes dans un bois s'eslever le clocher

De sainct-Cosme, pres Tours, où la nopce gentile

Dans un pré se faisoit au beau millieu de l'isle.

Là Francine dançoit, de Thoinet le souci,

Là Marion balloit, qui fut le mien aussi.

Puis, nous mettans tous deus en l'ordre de la dance,

Thoinet tout le premier ceste pleinte commence:

Ma Francine, mon coeur, qu'oublier je ne puis,

Bien que pour ton amour oublié je me suis,

Quand dure en cruauté tu passerois les Ourses

Et le torrens d'yver desbordez de leurs courses,

Et quand tu porterois en lieu d'humaine chair,

Au fond de l'estomac, pour un coeur un rocher,

Quand tu aurois sucé le laict d'une Lyonne,

Quand tu serois autant qu'une Tigre felonne,

Ton coeur seroit encor de mes pleurs adouci,

Et ce pauvre Thoinet tu prendrois à merci

Je suis, s'il t'en souvient, Thoinet qui, des jeunesse,

Te voyant sur le Clain, t'appella sa maitresse,

Qui musette et flageol à ses levres usa

Pour te donner plaisir: mais cela m'abusa,

Car, te pensant flechir comme une femme humaine,

Je trouvay ta poitrine et ton aureille pleine

Helas! qui l'eust pensé, de cent mille glaçons,

Lesquelz ne t'ont permis d'escouter mes chansons:

Et toutesfois le tems, qui les pretz de leurs herbes

Despouille d'an en an, et les champs de leurs gerbes,

Ne m'a point despouillé le souvenir du jour

Ny du mois où je mis en tes yeux mon amour,

Ny ne fera jamais, voire eussai-je avallée

L'onde qui court là bas sous l'obscure valée.

C'estoit au mois d'Avril, Francine, il m'en souvient,

Quand tout arbre florist, quand la terre devient

De vieillesse en jouvence, et l'estrange arondelle

Fait contre un soliveau sa maison naturelle

Quand la lymace, au dos qui porte sa maison

Laisse un trac sur les fleurs, quand la blonde toison.

Va couvrant la chenille, et quand parmy les prées

Vollent les papillons aux aesles diaprées,

Lors que fol je te vy, et depuis je n'ay peu

Rien voir apres tes yeux que tout ne m'ait dépleu.

Il y a bien six ans, et si dedans l'oreille

J'entens encor' le son de ta vois nompareille,

Qui me gaigna le coeur, et me souvient encor

De ta vermeille bouche et de tes cheveus d'or,

De ta main, de tes yeus: et si le tems qui passe

A depuis dérobé quelque peu de leur grace,

Si est-ce que de toi je ne suis moins ravy

Que je fus sur le Clain le jour que je te vy

Surpasser en beauté toutes les pastourelles

Que les jeunes pasteurs estimoient les plus belles.

Car je n'ay pas égard à cela que tu es,

Mais à ce que tu fus tant les amoureus traits.

Te graverent dans moy, voire de telle sorte

Que telle que tu fus telle au coeur je te porte.

Des l'heure que le coeur des yeus tu me persas,

Pour en scavoir la fin je fis tourner le sas

Par une Janetton, qui au bourg de Crotelles,

Soit du bien, soit du mal, disoit toutes nouvelles.

Apres qu'elle eut trois fois craché dedans son sein,

Trois fois esternué, elle prist du levain,

Le rettate en ses dois, et en fist une image

Qui te sembloit de port, de taille et de visage:

Puis tournoyant trois fois et trois fois marmonnant,

De sa gertiere alla tout mon col entournant,

Et me dist, Je ne tiens si fort de ma gertiere

Ton col, que ta vie est tenue prisonniere

Par les mains de Francine, et seulement la mort

Dénoura le lien qui te serre si fort:

Et n'espere jamais de vouloir entreprendre

D'échauffer un glaçon qui te doit mettre en cendre.

Las! je ne la creu pas, et pour vouloir adoncq

En estre plus certain, je fis couper le joncq

La veille de Sainct Jehan: mais je vis sur la place

Le mien, signe d'Amour, croistre plus d'une brasse,

Le tien demeurer court, signe que tu n'avois

Souci de ma langueur, et que tu ne m'aimois,

Et que ton amitié, qui n'est point assurée,

Ainsi que le jonc court est courte demeurée.

Je mis pour t'essaier encores d'avant-hier

Dans le creus de ma main des feuilles de coudrier:

Mais en tappant dessus nul son ne me rendirent,

Et flaques sans sonner sur la main me fanirent,

Vray signe que je suis en ton amour mocqué,

Puis qu'en frapant dessus elles n'ont point craqué,

Pour monstrer par effait, que ton coeur ne craquette,

Ainsi que fait le mien, d'une flame segrette.

O ma belle Francine! ô ma fiere! et pourquoy,

En dançant, de tes dois ne me prens tu le doy?

Pourquoy, lasse du bal, entre ces fleurs couchée,

N'ai je sur ton giron ou la teste panchée,

Ou la main sous ta cotte, ou la levre dessus

Ton tetin, par lequel ton prisonnier je fus?

Te semblai je trop vieil? encor la barbe tendre

Ne fait que commencer sur ma joue à s'estendre,

Et ta bouche qui passe en beauté le coural,

S'elle veult me baiser, ne se fera point mal:

Mais, ainsi qu'un lizard se cache sous l'herbette,

Sous ma blonde toison cacheras ta languette,

Puis, en la retirant, tu tireras à toy

Mon coeur, pour te baiser qui sortira de moy.

Helas prens donc mon coeur, avecques ceste paire

De ramiers que je t'offre, ils sont venus de l'aire

De ce gentil ramier dont je t'avois parlé.

Margot m'en a tenu plus d'une heure acollé,

Les pensant emporter pour les mettre en sa cage,

Mais ce n'est pas pour elle: et demain davantage

Je t'en raporteray, avecques un pinson

Qui desja scait par coeur une belle chanson,

Que je fis l'autre jour desous une aubespine,

Dont le commencement est Thoinet et Francine.

Ha cruelle, demeure, et tes yeus amoureus

Ne détourne de moy. Ha je suis malheureus,

Car je cognois mon mal, et si ay cognoissance

D'Amour et de sa mere, et quelle est leur puissance:

Leur puissance est cruelle, et n'ont point d'autre jeu.

Sinon que de bruler nos coeurs à petit feu,

Ou de les englacer, comme aiant pris leur estre

D'une glace ou d'un feu qu'on ne sçauroit cognoistre.

Ha! que ne suis-je abeille ou papillon! j'irois

Maugré toy te baiser, et puis je m'assirois

Sur tes tetins, à fin de sucer de ma bouche

Cette humeur qui te fait contre moy si farouche.

O belle au dous regard, Francine au beau sourci,

Baise moy, je te prie, et m'embrasses ainsi

Qu'un arbre est embrassé d'une vigne bien forte:

"Souvent un vain baiser quelque plaisir aporte.

Je meurs! tu me feras despecer ce bouquet

Que j'ai cueilli pour toi, de thin et de muguet,

Et de la rouge fleur qu'on nomme Cassandrette,

Et de la blanche fleur qu'on appelle Olivette,

A qui Bellot donna et la vie et le nom,

Et de celle qui prent de ton nom son surnom.

Las! où fuis tu de moi? Ha ma *fiere ennemie,

Je m'en vois despouiller jaquette et souquenie,

Et m'en courray tout nud au haut de ce rocher

Où tu vois ce garçon à la ligne pescher,

Afin de me lancer à corps perdu dans Loyre

Pour laver mon souci, ou à fin de tant boyre

D'escumes et de flots, que la flamme d'aimer

Par l'eau contraire au feu, se puisse consumer.

Ainsi disoit Thoinet, qui se pasma sur l'herbe,

Presque transi de voir sa dame si superbe,

Qui rioit de son mal, sans daigner seulement

D'un seul petit clin d'oeil apaiser son tourment.

J'ouvrois desja la levre apres Thoinet pour dire

De combien Marion m'estoit encores pire,

Quand j'avisé sa mere en haste gagner l'eau,

Et sa fille emmener avecq elle au bateau,

Qui se jouant sur l'onde attendoit cette charge,

Lié contre le tronc d'un saule au feste-large.

Ja les rames tiroient le bateau bien panssu,

Et la voile en enflant son grand repli bossu,

Emportoit le plaisir lequel me tient en peine,

Quand je m'assis au bord, estendu sur l'arene,

Et voiant le bateau qui s'en fuioit de moy,

Parlant à Marion, je chanté ce convoy:

Bateau qui par les flots ma chere vie emportes,

Des vents, en ta faveur, les haleines soient mortes,

Et le ban perilleus, qui se treuve parmy

Les eaux, ne t'envelope en son sable endormy:

Que l'air, le vent, et l'eau favorisent ma dame,

Et que nul flot bossu ne rencontre sa rame:

En guise d'un estang, sans vagues paresseus

Aille le cours de Loyre, et son limon crasseus

Pour ce jourd'huy se change en gravelle menue,

Pleine de meint rubi et meinte perle esleue.

Que les bords soient semez de mille belles fleurs

Representant sur l'eau mille belles couleurs,

Et le tropeau gaillard des gentiles Nayades

Alentour du vaisseau face mille gambades,

Les unes balloyant des paumes de leurs mains

Les flots devant la barque, et les autres leurs seins

Descouvrant à fleur d'eau, et d'une main ouvriere

Conduisant le bateau du long de la riviere.

L'azuré martinet puisse voler d'avant

Avecques la mouette, et le plongeon, suivant

Son malheureus destin, pour le jourd'huy ne songe

En sa belle Esperie, et dans l'eau ne se plonge:

Et le heron cryard, qui la tempeste fuit,

Haut pendu dedans l'air, ne face point de bruit:

Ains tout gentil oiseau qui va charcheant sa proye

Par les flots poissonneus, bien-heureux te convoye,

A seurement venir avecq'ta charge au port,

Où Marion voirra, peut estre, sur le bord

Un orme, des longs bras d'une vigne enlassée,

Et la voyant ainsi doucement embrassée,

De son pauvre Perrot se pourra souvenir,

Et voudra sur le bord embrassé le tenir.

On dit au temps passé que quelques uns changerent

En riviere leur forme, et eus mesmes nagerent

En l'eau qui de leur sang et de leurs yeux sailloit,

Quand leur corps ondoyant peu à peu defailloit:

Que ne puis-je muer ma resamblance humaine

En la forme de l'eau qui cette barque emmeine!

J'irois en murmurant sous le fond du vaisseau,

J'irois tout alentour, et mon amoureuse eau

Bais'roit ore sa main, ore sa bouche franche,

La suivant jusqu'au port de la Chapelle blanche:

Puis, forçant mon canal pour ensuivre mon vueil,

Par le trac de ses pas j'yrois jusqu'à Bourgueil,

Et là, dessous un pin, sous la belle verdure,

Je voudrois retenir ma premiere figure.

N'y a-t-il point quelque herbe en ce rivage icy

Qui ait le gous si fort qu'elle me puisse ainsi

Muer comme fit Glauque en aquatique monstre,

Qui, homme ny poisson, homme et poisson se montre?

Je voudrois estre Glauque, et avoir dans mon sein

Les pommes qu'Ippomane eslançoit de sa main

Pour gaigner Atalante afin de te surprendre,

Je les rurois sur l'eau, et te ferois aprendre

Que l'or n'a seulement sur la terre pouvoir,

Mais qu'il peult de sur l'eau les femmes decevoir.

Or cela ne peult estre, et ce qui se peult faire

Je le veus achever afin de te complaire:

Je veus soigneusement ce coudrier arroser,

Et des chapeaus de fleurs sur ses fueilles poser:

Et avecque un poinçon je veus de sur l'escorce

Engraver de ton nom les six lettres à force,

Afin que les passans, en lisant Marion,

Facent honneur à l'arbre entaillé de ton nom.

Je veus faire un beau lit d'une verte jonchée,

De parvanche fueillue encontre bas couchée,

De thin qui fleure bon et d'aspic porte-epy,

D'odorant poliot contre terre tapy,

De neufard tousjours verd qui les tables immite,

Et de jonc qui les bords des rivieres habite.

Je veus jusques au coude avoir l'herbe, et si veus

De rose et de lis coronner mes cheveus.

Je veus qu'on me defonce une pipe angevine,

Et en me souvenant de ma toute divine,

De toy mon dous souci, espuiser jusqu'au fond

Mille fois ce jourd'huy mon gobelet profond,

Et ne partir d'icy jusqu'à tant qu'à la lye

De ce bon vin d'Anjou la liqueur soit faillie.

Melchior champenois, et Guillaume manceau,

L'un d'un petit rebec, l'autre d'un chalumeau,

Me chanteront comment j'eu l'ame dépourveue

De sens et de raison si tost que je t'eu veue,

Puis chanteront comment, pour flechir ta rigueur,

Je t'appellay ma vie, et te nommay mon coeur,

Mon oeil, mon sang, mon tout: mais ta haute pensée

N'a voulu regarder chose tant abaissée,

Ains en me desdaignant tu aimas autre part

Un, qui son amitié chichement te départ:

Voila comme il te prent pour mespriser ma peine,

Et le rusticque son de mon tuyau d'avaine.

Ils diront que mon teint, au paravant vermeil,

De creinte en te voyant se blanchit, tout pareil

A la neige d'Auvergne, ou des monts Pyrenées,

Qui se conserve blanche en despit des années,

Et que, depuis le tems que l'amour me fist tien,

De jour en jour plus triste et plus vieil je devien.

Puis ils diront comment les garçons du village

Disent que ta beauté touche desjà sur l'age,

Et qu'au matin le coq des la pointe du jour

Ne voirra plus sortir ceus qui te font l'amour:

Bien fol est qui se fie en sa belle jeunesse,

Qui si tost se dérobbe; et si tost nous delaisse.

La rose à la parfin deveint un grate-cu,

Et tout, avecq le tems, par le tems est vaincu.

Quel passetems prens tu d'habiter la valée

De Bourgueil, où jamais la Muse n'est allée?

Quitte-moy ton Anjou, et vien en Vendomois.

Là s'eslevent au ciel le sommet de nos bois,

Là sont mille taillis et mille belles pleines,

Là gargouillent les eaus de cent mille fonteines,

Là sont mille rochers, où Echon alentour

En resonnant mes vers ne parle que d'Amour.

Ou bien si tu ne veus, il me plaist de me rendre

Angevin, pour te voir, et ton langage aprendre,

Et là, pour te flechir, les hauts vers que j'avois

En ma langue traduit du Pindare Gregeois,

Humble je rediray en un chant plus facile

Sur le dous chalumeau du pasteur de Sicille.

Là, parmy tes sablons, Angevin devenu

Je veus vivre sans nom comme un pauvre incognu,

Et des l'aube du jour avecq'toy mener paistre

Aupres du port Guiet nostre tropeau champestre:

Puis sur l'ardant midi je veus en ton giron

Me coucher sous un chesne, où l'herbe à l'environ

Un beau lit nous fera de mainte fleur diverse,

Où nous serons tournés tous deus à la renverse.

Puis au soleil couchant nous menerons nos boeufs

Boire sur le sommet des ruisselets herbeus,

Et les remenerons au son de la musette,

Puis nous endormirons de sur l'herbe molette.

Là sans ambition de plus grans biens avoir,

Contenté seulement de t'aimer et te voir,

Je passerois mon age, et sur ma sepulture

Les Angevins mettroient ceste breve écriture:

Celuy qui gist icy, touché de l'aiguillon

Qu'Amour nous laisse au coeur, garda comme Apollon

Les trouppeaus de sa dame, et en cette prerie

Mourut en bien aimant une belle Marie:

Et elle apres sa mort mourut aussi d'ennuy,

Et sous ce vert tombeau repose avecques luy.

A peine avois-je dit quand Thoinet se depame,

Et à soy revenu alloit apres sa dame:

Mais je le retiray, le menant d'autrepart

Pour chercher à loger, car il estoit bien tard.

Nous avions ja passé la sablonneuse rive,

Et le flot qui bruiant contre le pont arrive.

Et jà de sur le pont nous estions parvenus,

Et nous apparoissoit le tombeau de Turnus,

Quand le pasteur Janot, tout gaillard nous emmaine

Dedans son toict couvert de javelles d'avaine.

III

A Phoebus, mon Grevin, tu es du tout semblable

De face et de cheveus, et d'art et de scavoir.

A tous deus dans le coeur Amour a fait avoir

Pour une belle dame une playe incurable.

Ny herbe, ny unguent, ne t'est point secourable,

Car rien ne peut forcer de Venus le pouvoir:

Seulement tu peus bien par tes vers reçevoir

A ta playe amoureuse un secours profitable.

En chantant, mon Grevin, on charme le souci,

Le Cyclope Aetnean se garissoit ainsi,

Chantant sur son flageol sa belle Galatée.

La peine découverte allege nostre coeur:

Ainsi moindre devient la plaisante langueur.

Qui vient de trop aimer, quand elle est bien chantée.

IV

Elégie à Marie

Marie, à celle fin que le siecle advenir

De nos jeunes amours se puisse souvenir,

Et que vostre beauté que j'ay long tems aimée

Ne se perde au tumbeau par les ans consumée,

Sans laisser quelque merque apres elle de soi,

Je vous consacre icy le plus gaillard de moi,

L'esprit de mon esprit, qui vous fera revivre

Ou long tems, ou jamais, par l'aage de ce livre.

Ceus qui liront les vers que j'ay chantez pour vous

D'un stile varié entre l'aigre et le dous,

Selon les passions que vous m'avez données

Vous tiendront pour deesse: et tant plus les années

En vollant s'en fuiront, et plus vostre beauté

Contre l'aage croistra, vielle en sa nouveauté.

O ma belle angevine, ô ma douce Marie,

Mon' oeil, mon coeur, mon sang, mon esprit et ma vie,

Dont la vertu me monstre un beau chemin aus cieus:

Je reçoy tant de bien quand je baise vos yeus,

Quand je languis dessus, et quand je les regarde,

Que, sans une frayeur qui la main me retarde,

Je me serois occis de dueil, que je ne peux

Vous monstrer par effaict le bien que je vous veus.

Or cela que je puis, pour vous je le veus faire:

Je veus en vous chantant vos louanges parfaire,

Et ne sentir jamais mon labeur engourdi

Que tout l'ouvrage entier pour vous ne soit ourdi.

Si j'estois un grand Roy, pour eternel exemple

De fidelle amitié, je bastirois un temple

De sur le bord de Loire, et ce temple auroit nom

Le temple de Ronsard et de sa Marion.

De marbre parien seroit vostre effigie,

Vostre robbe seroit à plain fons elargie

De plis recamez d'or, et vos cheveus tressez

Seroient de filetz d'or par ondes enlassez.

D'un crespe canellé seroit la couverture

De vostre chef divin, et la rare ouverture

D'un ret de soye et d'or, fait de l'ouvriere main

D'Arachne ou de Pallas, couvriroit vostre sain:

Vostre bouche seroit de roses toute plaine,

Respandant par le temple une amoureuse aleine:

Vous auriez d'une Hebé le maintien gracieux,

Et un essain d'amours sortiroit de vos yeus:

Vous tiendriez le haut bout de ce temple honorable,

Droicte sur le sommet d'un pillier venerable.

Et moi d'autre costé, assiz au plus bas lieu,

Je serois remerquable en la forme d'un Dieu:

J'aurois en me courbant dedans la main senestre

Un arc demi vouté, tel que lon void renaistre,

Aus premiers jours du mois, le repli d'un croissant,

Et j'aurois sur la corde un beau trait menassant,

Non le serpent Python, mais ce sot de jeune homme

Qui maintenant sa vie et son ame vous nomme,

Et qui seul me fraudant est roy de vostre coeur,

Qu'en fin en vostre amour, vous trouverez mocqueur.

Quiconque soit celui, qu'en vivant il languisse,

Et de chascun hay lui mesme se haysse,

Qu'il se ronge le coeur, et voye ses dessains

Tousjours lui eschapper comme vent de ses mains,

Soupçonneux, et resveur, arrogant, solitaire,

Et lui mesme se puisse à lui mesme desplaire.

J'aurois de sur le chef un rameau de laurier,

J'aurois de sur le flanc un beau pongnard guerrier,

La lame seroit d'or, et la belle pongnée

Ressembleroit à l'or de ma tresse peignée,

J'aurois un cystre d'or et j'aurois tout aupres

Un carquois tout chargé de flammes et de traits.

Ce temple, frequeté de festes solennelles,

Passeroit en honneur celuy des immortelles,

Et par voeux nous serions invocquez tous les jours

Comme les nouveaus dieus des fidelles amours.

D'age en age suivant, retour de l'année,

Nous aurions pres le temple une feste ordonnée,

Non pour faire courir comme les anciens

Des chariots couplez aus jeus olympiens,

Pour saulter, pour luitter, ou de jambe venteuse

Franchir en halettant la carriere poudreuse:

Mais tous les jouvenceaux en païs d'alentour,

Touchez au fond du coeur de la fleche d'Amour,

Aiant d'un gentil feu les ames allumées,

S'assembleroient au temple avecques leurs aimées,

Et là, celui qui mieus la bouche poseroit

Sur la bouche amoureuse, et qui mieus baiseroit,

Ou soit d'un baiser sec, ou d'un baiser humide,

D'un baiser court ou long, ou d'un baiser qui guide

L'ame de sur la levre, et laisse trespasser

Le baiseur, qui ne vit sinon que du penser,

Ou d'un baiser donné comme les colombelles,

Lors qu'ils se font l'amour de la bouche et des aisles

Celui qui mieus seroit en ses baisers apris.

Sur tous les jouvenceaus emporteroit le pris,

Seroit dit le veinqueur des baisers de Cythere

Et tout chargé de fleurs s'en iroit à sa mere.

O ma belle maitresse, et que je voudrois bien

Qu'Amour nous eust conjoinct d'un semblable lien,

Et qu'apres nos trespas dans nos fosses ombreuses

Nous fussions la chanson des bouches amoureuses,

Que ceus de Vandomois disent tous d'un accord,

Visitant le tombeau auquel je serois mort:

Nostre Ronsard, quittant cette terre voisine,

Fut jadis amoureus d'une belle Angevine,

Et que ceus là d'Anjou disent tous d'une voix:

Nostre belle Marie aima un Vandomois,

Tous les deus n'estoient qu'un, et l'amour mutuelle,

Qu'on ne voit plus ici, leur fut perpetuelle.

Leur siecle estoit vraiment un siecle bien heureus,

Où tousjours se voyoit contraimé l'amoureus.

Puisse arriver, apres l'espace d'un long age,

Qu'un esprit vienne à bas, sous l'amoureus ombrage

Des Myrthes, me conter que les ages n'ont peu

Effacer la clarté qui luist de nostre feu,

Mais que de voix en voix, de parolle en parolle,

Nostre gentile amour par la jeunesse volle,

Et qu'on aprent par coeur les vers et les chansons

Que j'ay tissu pour vous en diverses façons,

Et qu'on pense amoureus celui qui rememore

Vostre nom et le mien, et nos tumbes honore.

Or les Dieus en feront cela qu'il leur plaira,

Si est-ce que ce livre apres mille ans dira

Aux hommes, et aus tems, et à la renommée

Que je vous ay six ans plus que mon coeur aimée.

 

Les trois livres du recueil des nouvelles poésies de P. de Ronsard 1563-1564

 

Douce Maistresse...

I

Chanson

Douce Maistresse, touche

Pour soulager mon mal

Mes levres de ta bouche

Plus rouge que coral:

D'un doux lien pressé

Tiens mon col embrassé.

Puis face dessus face,

Regarde moy les yeux,

Afin que ton trait passe

En mon coeur soucieux

Lequel ne vit si non

D'amour et de ton nom.

Je l'ay veu fier et brave,

Avant que ta beauté

Pour estre son esclave

Doucement l'eust donté,

Mais son mal luy plaist bien

Pourveu qu'il meure tien.

Belle, par qui je donne

A mes yeux tant d'esmoy,

Baise moy, ma mignonne,

Cent fois rebaise moy.

Et quoy faut-il en vain

Languir dessus mon sein?

Maistresse, je n'ay garde

De vouloir t'esveiller,

Heureux quand je regarde

Tes beaux yeux sommeiller,

Heureux quand je les voy

Endormis dessus moy.

Veux tu que je les baise

Afin de les ouvrir?

Hà tu fais la mauvaise

Pour me faire mourir.

Je meurs entre tes bras,

Et s'il ne t'en chaut pas!

Hà, ma chere ennemie,

Si tu veux m'apaiser,

Redonne moy la vie

Par l'esprit d'un baiser,

Hà! j'en ay la douceur

Senty jusques au coeur.

C'est une douce rage,

Qui nous poingt doucement,

Quand d'un mesme courage

On s'ayme incessamment:

Heureux sera le jour

Que je mourray d'amour.

II

Chanson en faveur de Madamoiselle de Limeuil

Quand ce beau Printemps je voy,

J'appercoy

Rajeunir la terre et l'onde,

Et me semble que le jour,

Et l'amour

Comme enfans naissent au monde.

Le jour qui plus beau se fait

Nous refait

Plus belle et verde la terre,

Et Amour armé de traiz,

Et d'atraiz,

Dans nos cueurs nous fait la guerre.

Il respand de toutes pars

Feux et dards,

Et dompte soubs sa puissance

Hommes, Bestes et Oyseaux,

Et les eaux

Lui rendent obeissance.

Venus avec son enfant

Triomphant,

Au haut de sa coche assise,

Laisse ses Cygnes voler

Parmy l'air

Pour aller voir son Anchise.

Quelque part que ses beaux yeux

Par les cieux

Tournent leurs lumieres belles,

L'air qui se montre serain

Est tout plain

D'amoureuses estincelles.

Puis en descendant à bas

Soubs ses pas:

Croissent mille fleurs descloses:

Les beaux lys et les oeillets

Vermeillets

Y naissent aveq' les roses.

Celuy vrayement est de fer

Qu'echaufer

Ne peut sa beauté divine;

Et en lieu d'humaine cher

Un rocher

Il porte dans sa poitrine.

Je sens en ce moys si beau

Le flambeau

D'amour qui m'echaufe l'ame,

Y voyant de tous costés

Les beautés

Qu'il emprunte de ma Dame.

Quand je voy tant de couleurs

Et de fleurs

Qui emaillent un rivage,

Je pense voir le beau teint

Qui est peint

Si vermeil en son visage.

Quand je voy les grands rameaux

Des ormeaux

Qui sont serrés de lierre,

Je pense estre pris aux lacs

De ses bras,

Quand sa belle main me serre.

Quand j'entends la douce voix

Par les bois

Du beau Rossignol qui chante,

D'elle je pense jouir

Et oyr

Sa douce voix qui m'enchante.

Quand Zephyre meine un bruit

Qui se suit

Au travers d'une ramée,

Des propos il me souvient,

Que me tient

Seule à seul ma bien aymée.

Quand je voy en quelque endroit

Un Pin droit,

Ou quelque arbre qui s'esleve,

Je me laisse decevoir,

Pensant voir

Sa belle taille et sa greve.

Quand je voy dans un jardin

Au matin

S'éclorre une fleur nouvelle,

J'accompare le bouton

Au teton

De son beau sein qui pommelle.

Quand le Soleil tout riant

D'Orient

Nous monstre sa blonde tresse,

Il me semble que je voy

Pres de moy

Lever ma belle maitresse.

Quand je sens parmy les prez

Diaprez

Les fleurs dont la terre est pleine,

Lors je fais croire à mes sens,

Que je sens

La douceur de son haleine.

Bref je fais comparaison

Par raison

Du Printemps et de ma mie:

Il donne aux fleurs la vigueur,

Et mon cueur

D'elle prend vigueur et vie.

Je voudrois au bruit de l'eau

D'un ruisseau

Desplier ses tresses blondes,

Frizant en autant de neuds

Ses cheveux

Que je verrois frizer d'ondes.

Je voudrois pour la tenir

Devenir

Dieu de ces forests desertes,

La baisant autant de fois

Qu'en un bois

Il y a de feuilles vertes.

Hà maitresse mon soucy

Vien icy

Vien contempler la verdure:

Les fleurs, de mon amitié

Ont pitié,

Et seule tu n'en as cure.

Au moins leve un peu tes yeux

Gracieux,

Et voy ces deux collombelles,

Qui font naturellement

Doucement

L'amour du bec et des aisles.

Et nous, soubs ombre d'honneur,

Le bon heur

Trahissons par une creinte:

Les oyseaux sont plus heureux

Amoureux,

Qui font l'amour sans contrainte.

Toutefois ne perdons pas

Nos esbats

Pour ces loix tant rigoureuses,

Mais si tu m'en crois, vivons,

Et suivons

Les collombes amoureuses.

Pour effacer mon esmoy

Baise moy,

Rebaise moy ma Déesse,

Ne laissons passer en vain

Si soudain

Les ans de nostre jeunesse.

III

Sonet

Las, je ne veux ny ne me puis desfaire

De ce beau reth, où Amour me tient pris:

Et, puis que j'ay tel voyage entrepris,

Je veux mourir, ou je le veux parfaire.

J'oy la raison qui me dit le contraire,

Et qui retient la bride à mes espris,

Mais j'ay le coeur de vos yeux si épris

Que d'un tel mal je ne me puis distraire.

Tay toy, raison: on dit communement,

Belle fin fait qui meurt en bien aymant:

De telle mort je veux suyvre la trace:

Ma foy ressemble au rocher endurcy

Qui, sans avoir de l'orage soucy,

Plus est batu et moins change de place.

IV

Sonet

Certes mon oeil fut trop avantureux

De regarder une chose si belle,

Une vertu digne d'une immortelle,

Et dont Amour est mesmes amoureux.

Depuis ce jour je devins langoureux

Pour aymer trop ceste beauté cruelle:

Cruelle non, mais doucement rebelle

A ce desir qui me rend malheureux:

Malheureux, non, heureux je me confesse,

Tant vaut l'amour d'une telle maitresse,

Pour qui je vy, et à qui je veux plaire.

Je l'ayme tant qu'aymer je ne me puis,

Je suis tant sien que plus mien je ne suis,

Bien que pour elle Amour me desespere.

V

Sonet

Je meurs, Paschal, quand je la voy si belle,

Le front si beau, et la bouche et les yeux,

Yeux le sejour d'Amour victorieux,

Qui m'a blessé d'une fleche nouvelle.

Je n'ay ny sang, ny veine, ny moüelle

Qui ne se change: et me semble qu'aux cieux

Je suis ravy, assis entre les Dieux,

Quand le bon heur me conduist aupres d'elle.

Ha! que ne suis-je en ce monde un grand Roy!

Elle seroit toujours aupres de moy:

Mais n'estant rien, il faut que je m'abstente

De sa beauté, dont je n'ose aprocher,

Que d'un regard transformer je ne sente

Mes yeux en fleuve, et mon cueur en roche.

 

Elégies, mascarades et bergerie 1565

 

Si jamais homme...

I

Si jamais homme en ayamant fut heureux,

Je suis heureux, icy je le confesse,

Fait serviteur d'une belle maîtresse

Dont les beaux yeux ne me font malheureux.

D'un autre bien je ne suis desireux:

Honneur, beauté, vertus, et gentillesse

Ainsi que fleurs honorent sa jeunesse,

De qui je suis saintement amoureux.

Donc si quelcun veut dire que sa grace

Et sa beauté toutes beautés n'efface,

Et qu'en amour je ne vive contant,

Le desfiant au combat je l'appelle,

Pour luy prouver que mon coeur est constant,

Autant qu'elle est sur toutes la plus belle.

II

Las! sans espoir je languis à grand tort,

Pour la rigueur d'une beauté si fiere,

Qui sans ouyr mes pleurs ny ma priere

Rid de mon mal si violent et fort.

De la beauté dont j'esperois support,

Pour mon service et longue foy premiere,

Je ne reçoy que tourment et misere,

Et pour secours je n'attens que la mort.

Mais telle dame est si sage et si belle

Que si quelqu'un la veut nommer cruelle

En me voyant traitté cruellement,

Vienne au combat, icy je le deffie,

Il cognoistra qu'un si dur traittement

Pour ses vertus m'est une douce vie.

III

Sonet à Mlle De Limeuil

Douce beauté à qui je doy la vie,

Le coeur, le corps, et le sang, et l'esprit,

Voyant tes yeux Amour mesme m'aprit

Toute vertu que depuis j'ay suivie:

Mon coeur, ardant d'une amoureuse envie,

Si vivement de tes graces s'éprit

Que d'un regard de tes yeux il comprit

Que peut honneur, amour et courtoisie.

L'homme est du plomb ou bien il n'a point d'yeux,

Si te voyant il ne voit tous les cieux

En ta beauté qui n'a point de seconde.

Ta bonne grace un rocher retiendroit,

Et quand sans jour le monde deviendroit

Ton oei si beau seroit le jour du monde.

IV

Sonet à une Damoyselle

Douce beauté qui me tenez le coeur

Et qui avez durant toute l'année

Dedans vos yeux mon ame emprisonnée

La faisant vivre en si belle langueur,

Ha, que ne puis-je atteindre à la hauteur

Du ciel tyran de nostre destinée!

Je changerois sa course retournée,

Et mon malheur je muerois en bon heur.

Mais estant homme il faut qu'homme j'endure

Du ciel cruel la violence dure

Qui me commande à mourir pour vos yeux:

Doncques je viens vous presenter, Madame,

Ce nouvel an pour obeyr aux cieux,

Le coeur, l'esprit, le corps, le sang et l'ame.

V

Sonet a Rhodenthe

Le premier jour du mois de May, Madame,

Dedans le coeur je senty vos beaux yeux,

Bruns, doux, courtois, rians, delicieux,

Qui d'un glaçon feroient naistre une flame.

De leur beau jour le souvenir m'enflame

Et par penser j'en deviens amoureux:

O de mon coeur les meurtriers bienheureux,

Vostre vertu je sens jusques en l'ame.

Yeux qui tenez la clef de mon penser,

Maistres de moy, qui peustes offenser

D'un seul regard ma raison toute esmue:

Ha! que je suis de vostre amour espoint,

Las! je devois jouyr de vostre veue

Plus longuement, ou bien ne vous voir point.

 

Les oeuvres de Pierre de Ronsard 1567

 

Les Amours (Pièce ajoutée)

Livre II

Elégie à Amadis Jamin

Fameux Ulysse, honneur de tous les Grecs,

De nostre bord aproche toy plus pres,

Ne single point sans prester les oreilles

A noz chansons, et tu oyrras merveilles:

Nul estranger de passer a soucy

Par cette mer sans aborder icy,

Et sans contraindre un petit son voyage

Pour prendre part à nostre beau rivage:

Puis tout joyeux les ondes va tranchant,

S'en retournant ravy de nostre chant,

Ayant apris de nous cent mille choses

Que nous portons en l'estomache encloses:

Nous sçavons bien tout cela qui s'est fait

Quand Ilyon par les Grecs fut defait:

Nous n'ignorons une si longue guerre

Ny tout cela qui se fait sur la terre.

Doncques retien ton voyage entrepris,

Tu aprendras, tant sois tu bien apris.

Ainsi disoit le chant de la Serene,

Pour arrester Ulysse sur l'arene,

Qui attaché au mast ne voulut pas.

Se laisser prendre à si friands apas,

Mais en fuiant la voix voluptueuse

Hasta son cours sur l'onde poissonneuse,

Sans par l'oreille humer cette poison,

Qui des plus grands offence la raison.

Ainsi, Jamin, pour sauver ta jeunesse,

Suy le chemin du fin soldat de Grece:

N'aborde point au rivae d'Amour,

Pour y vieillir sans espoir de retour,

"L'Amour n'est rien qu'ardente frenaisie,

Qui de fumée emplist la fantaisie

D'erreur, de vent et d'un songe importun,

Car le songer et l'Amour ce n'est qu'un.

 

Le sixiesme livre des poèmes de Pierre de Ronsard gentil-homme Vandosmois 1569

 

Quiconque soit...

Chanson

Quiconque soit le peintre qui a fait

Amour oyseau et luy a feint des aesles,

Celuy n'avoit au paravant portrait

Come je croy sinon des Arondelles:

Voire et pensoit en peingnant ses tableaux,

Quand à l'ouvrage il avoit la main preste,

Qu'homes et Dieux n'estoient que des oyseaux,

Aussi legers come il avoit la teste.

L'Amour qui tient serve ma liberté,

N'est point oyseau: constante est sa demeure:

Il a du plomb qui le tient arresté

Ferme en un lieu, jusqu'à temps que je meure.

Il est sans plume, il n'a le dos aeslé:

Le peindre tel il faut que je le face.

S'il estoit pront, il s'en fust envolé

Depuis cinq ans pour trouver autre place.

 

Le Septiesme livre des poèmes de Pierre de Ronsard gentil-homme Vandosmois 1569

 

L'absence...

I

A Cassandre

L'absence, ny l'obly, ny la course du jour,

N'ont effacé le nom, les graces, ny l'amour,

Qu'au coeur je m'imprimé des ma jeunesse tendre,

Fait nouveau serviteur des beautez de Cassandre:

Cassandre qui me fut plus chere que mes yeux,

Que mon sang, que ma vie, et que seule en tous lieux

Pour sujet eternel ma Muse avoit choisie,

Afin de te chanter par longue Poësie:

Car le trait qui sortit de ton regard si beau

Ne fut l'un de ces traits qui dechirent la peau:

Mais ce fut un de ceux dont la pointe cruëlle

Perse coeur et poumons et veines et mouëlle.

Ma Cassandre, aussi tost que je me vy blessé,

Jeune d'ans et gaillard, depuis je n'ay pensé

Qu'à toy, mon coeur, mon ame, à qui tu as ravie

Absente si long temps la raison et la vie.

Et quand le bon Destin jamais n'eust fait revoir

Tes yeux si beaux aux miens: le temps n'avoit pouvoir

D'enlever une esquierre, ou d'amoindrir l'image

Qu'Amour m'avoit portraite au vif de ton visage:

Si bien qu'en souvenir je t'aymois tout ainsy

Que des le premier jour que tu fus mon soucy.

Et si l'age qui rompt et murs et forteresses,

En coulant a perdu un peu de noz jeunesses,

Cassandre, c'est tout un! Car je n'ay pas esgard

A ce qui est present, mais au premier regard,

Au trait qui me navra de ta grace enfantine

Qu'encores tout sanglant je sens en la poitrine.

Bienheureux soit le jour que tes yeux je revy,

Qui m'ont et prés et loing, de moy-mesmes ravy.

Et si j'estois un Roy qui toute chose ordonne

Je mettrois en la place une haute Colonne

Pour remerque d'amour: où tous ceux qui viendroient

En baisant le pilier de nous se souviendroient.

Je devins une Idole aux rayons de ta veuë,

Sans parler sans marcher, tant la raison esmeuë

Me gela tout l'esprit, loing de moy m'estrangeant,

Et vivois de tes yeux seulement en songeant.

Toujours me souvenoit de cette heure premiere,

Où jeune je perdy mes yeux en ta lumiere,

Et des propos qu'un soir nous eusmes, devisant,

Dont le seul souvenir, non autre m'est plaisant.

Ce fut en la saison du Printemps qui est ores,

En la mesme saison je t'ay reveuë encores;

Face Amour que l'Avril où je fus amoureux,

Me face aussi contant que l'autre malheureux.

II

Le doux sommeil, qui toute chose apaise,

N'apaise point le soing qui m'a ravy:

En vous je meurs, en vous seule je vy:

Ne voyant rien sinon vous qui me plaise.

Voz yeux au coeur m'ont jetté telle braize,

Qu'un feu treschaut s'est depuis ensuivy,

Et des le jour qu'en dansant je vous vy,

Je meurs pour vous, et si en suis bien aize.

De mal en mal, de soucy en soucy,

J'ay l'ame triste et le corps tout transi,

Sans eschaufer le froid de vostre glace.

Aumoins lisez et voyez sur mon front

Combien de mortz voz deux beaux yeux me font:

"Le soing caché se connoist à la face.

III

Ce jour de May qui a la teste peinte,

D'une gaillarde et gentille verdeur,

Ne doibt passer sans que ma vive ardeur

Par vostre grace un peu ne soit estainte.

De vostre part si vous estes attaincte

Autant que moy d'amoureuse langueur,

D'un feu pareil soulageon nostre coeur,

Qui aime bien ne doibt point avoir crainte.

Le Temps s'enfuit, cependant ce beau jour,

Nous doibt aprendre à demener l'Amour,

Et le pigeon qui sa femelle baize.

Baisez moi doncq et faison tout ainsi

Que les oyseaux sans nous donner soucy:

Apres la mort on ne voit rien qui plaise.

IV

J'avois l'esprit tout morne et tout pesant,

Quand je receu du lieu qui me tourmente

La pomme d'or comme moy jaunissante

Du mesme mal qui nous est si plaisant.

Les pomes sont de l'Amour le present:

Tu le scays bien, ô guerriere Atalante,

Et Cydipé qui encor se lamente

D'elle et d'Aconce et d'Amour si nuisant.

Les pomes sont de l'Amour le vray signe:

Heureux celuy qui de tel bien est digne,

Bien qui fait vivre heureusement les homes.

Venus a plein de pomes tout le sein

Ses deux enfans en ont pleine la main,

Et bref l'Amour n'est qu'un beau jeu de pomes.

V

Puis qu'autrement je ne scaurois jouïr

De voz beaux yeux qui tant me font la guerre,

Je veux changer de coustume et de terre,

Pour plus jamais ne vous voir ny ouïr:

Je ne sçaurois helas! me resjouïr

Sans vostre main qui tout le coeur m'enferre,

Et vostre voix qui Sereine m'enserre,

Et voz regardz qui me font esblouïr:

Tant plus je pense à me vouloir distraire

De vostre amour et moins je le puis faire,

Si ce n'estoit par m'enfuïr bien loing,

Mais j'aurois peur qu'Amour par le voyage,

De plus en plus n'enflamast mon courage:

Car plus on fuit et plus on a de soing.

VI

Le jour me semble aussi long qu'une année,

Quand je ne voy l'esclair de voz beaux yeux,

Yeux qui font honte aux estoilles des cieux,

En qui je voy quelle est ma destinée

Fiere beauté que le Ciel m'a donnée,

Pour si doux mal: helas! il valloit mieux

Aller soudain au fleuve Stygieux,

Que tant languir pour chose si bien née.

Au moins la mort eust finy mon desir

Qui en vivant en cent formes me muë:

Le voir l'ouïr me causent desplaisir,

Et ma raison pour neant s'evertuë:

Car le penser que j'ay voulu choisir

Pour me conduire est celuy qui me tuë.

VII

Seul je m'avise, et nul ne peut sçavoir,

Si ce n'est moy, la peine que je porte,

Amour trop fin comme un larron emporte

Mon coeur d'emblée, et ne le puis r'avoir.

Je ne debvois donner tant de pouvoir

A l'ennemy qui a la main si forte,

Mais au premier le retenir de sorte,

Qu'a la raison obeïst le debvoir.

Or c'en est fait! il a pris la carriere,

Plus je ne puis le tirer en arriere

Opiniastre, il est maistre du frain.

Je connois bien qu'il entraisne ma vie

Contre mon gré, mais je ne m'en soucye:

"Tant le mourir est beau de vostre main!

VIII

Jaloux Soleil contre Amour envieux,

Soleil masqué d'une face blesmie,

Qui par trois jours as retenu m'amie

Seule au logis par un temps pluvieux.

Je ne croy plus tant d'amours que les vieux

Chantent de toy: ce n'est que Poësie:

S'il eust jadis touché ta fantaisie,

D'un mesme mal tu serois soucieux:

Par tes rayons à la pointe cornue,

En ma faveur eusses rompu la Nuë,

Faisant d'obscur un temps serain et beau:

Va te cacher, vieil Pastoureau champestre,

Ah! tu n'es digne au Ciel d'estre un flambeau,

Mais un qui meine en terre les boeufz paistre.

IX

Heureux le jour, l'an, le mois et la place,

L'heure et le temps où voz yeux m'ont tué,

Sinon tué, à tout le moins mué

Come Meduse en une froide glace.

Il est bien vray que le trait de ma face

Me reste encor, mais l'esprit deslié,

Pour vivre en vous, a son corps oblié,

N'estant plus rien sans esprit, qu'une mace.

Aucunefois quand vous tournez un peu

Vos yeux sur moy, je sens un petit feu,

Qui me r'anime et reschaufe les veines:

Et fait au froid quelque petit effort,

Mais ces regardz n'allongent que mes peines,

Tant le premier fut cause de ma mort!

X

Qui vous dira qu'Argus est une fable,

Ne le croyez, bonne Posterité,

Ce n'est pas feinte ains une verité,

A mon malheur helas! trop veritable.

Un autre Argus à deux yeux redoutable,

En corps humain non feint, non inventé,

Espie, aguete, et garde la beauté,

Par qui je suis en doute miserable.

Quand par ses yeux Argus ne la tiendroit

Toujours au col mignarde me pendroit,

Je connois bien sa gentille nature.

Ha! vray Argus tant tu me fais gemir,

A mon secours vienne un autre Mercure,

Non pour ta mort, mais bien pour t'endormir.

XI

Que dittes vous, que faites vous mignonne?

Que songez vous? pensez vous point en moy?

Avez vous point soucy de mon esmoy,

Comme de vous le soucy m'espoinçonne?

De vostre Amour tout le coeur me bouillonne,

Devant mes yeux sans cesse je vous voy,

Je vous entends absente, je vous oy,

Et mon penser d'autre Amour ne raisonne.

J'ay voz beautés, voz graces et voz yeux

Gravez en moy, les places et les lieux

Ou je vous vy danser, parler et rire.

Je vous tien mienne, et si ne suis pas mien,

Je me perds tant au bien que je desire,

Que tout sans luy ne me semble estre rien!

XII

Honneur de May, despouille du Printemps,

Bouquet tissu de la main qui me donte,

Dont les beautez aux fleurettes font honte,

Faisant esclorre un Apvril en tout temps:

Non pas du nés mais du coeur je te sens,

Et de l'esprit que ton odeur surmonte,

Et tellement de veine en veine monte,

Que ta senteur embasme tous mes sens.

Sus baize moy, couche toy pres de moy,

Je veux verser mille larmes sur toy,

Mille soupirs, chautz d'amoureuse envie,

Qui serviront d'animer ta couleur,

Les pleurs d'humeur, les soupirs de chaleur

Pour prendre vif ta racine en ma vie.

XIII

Non, ce n'est pas l'abondance d'humeurs,

Qui te rend morne et malade et blesmie,

C'est le peché de n'estre bonne amie,

Et ta rigueur par laquelle je meurs.

Le Ciel, vangeur de mes justes douleurs,

Me voyant ardre en chaleur infinie,

En ma faveur, cruelle, t'a punie,

De longue fievre et de palles couleurs:

Si tu guaris le coup de la langueur,

Que tes beaux yeux m'ont versé dans le coeur,

Si tu guaris d'une amoureuse oeillade

Mon coeur blessé qui se pame d'esmoy,

Tu guariras: car tu n'es point malade

Sinon d'autant que je le suis pour toy.

XIV

Pren cette rose aimable comme toy.

Qui sers de rose aux roses les plus belles,

Qui sers de fleurs aux fleurs les plus nouvelles,

Qui sers de Muse aux Muses et à moy.

Pren cette rose et ensemble reçoy

Dedans ton sein mon coeur qui n'a point d'ésles:

Il vit blessé de cent playes cruelles,

Opiniastre à garder trop de foy.

La rose et moy differons d'une chose,

Un Soleil voit naistre et mourir la rose,

Mille Soleil ont veu naistre l'amour

Qui me consome et jamais ne repose:

Que pleust à Dieu que telle amour esclose,

Come une fleur, ne m'eust duré qu'un jour.

XV

En vain pour vous ce bouquet je compose,

En vain pour vous, ma Déesse, il est fait,

Car vous serez le bouquet du bouquet,

La fleur des fleurs, la rose de la rose.

Vous et les fleurs differez d'une chose,

C'est que l'Hyver les fleurettes desfait,

Vostre Printemps, en ses graces parfait,

Ne craint des ans nulle metamorphose.

Heureux bouquet, n'entre point au sejour

De ce beau sein, ce beau logis d'Amour,

Ne touche point cette pome jumelle.

Ton lustre gay se faniroit d'esmoy,

Tu es, bouquet, digne de vivre: et moy

De mourir pris des beautés de la belle.

XVI

Douce beauté meurdriere de ma vie,

En lieu d'un coeur tu portes un rocher:

Tu me fais vif languir et desecher,

Passionné d'une amoureuse envie.

Le jeune sang qui d'aymer te convie,

N'a peu de toy la froideur arracher,

Farouche, fiere, et qui n'as rien plus cher

Que languir froide, et n'estre point servie:

Aprens à vivre, ô fiere en cruauté,

Ne garde point à Pluton ta beauté,

Tes passe-temps en aymant il faut prendre,

Par le plaisir faut tromper le trespas,

Car aussi bien quand nous serons là bas

Sans plus aymer nous ne serons que cendre.

XVII

Baiser

Quand de ta levre à demy-close

(Come entre deux fleuris sentiers)

Je sens ton haleine de rose,

Mes levres, les avant-portiers

Du baiser, se rougissent d'aize,

Et de mes souhaitz tous entiers,

Me font jouïr quand je te baize.

Car l'humeur du baiser apaise,

S'escoulant au coeur peu à peu

Cette chaude amoureuse braize,

Dont tes yeux alumoient le feu.

XVIII

Seul et pensif j'allois parmy la ruë,

Me promenant à pas mornes et lents,

Quand j'aperceu les yeux estincelantz

Au pres de moy, de celle qui me tuë.

De chaut et froid mon visages se muë,

Coup dessus coup mille traits violents,

Hors des beaux yeux de la belle volans,

Ce faux Amour de sa trousse me ruë:

Je ne soufry l'esclair de ses beaux yeux,

Tant il estoit poignant et radieux,

Qui come foudre entra dans ma poitrine:

Je fusse mort, sans elle qui poeureux

Me r'asseura, et de la mort voisine

Me rapela d'un salut amoureux.

XIX

Quand je te voy seule assize à par toy,

Toute amuzée avecques ta pensée,

Un peu la teste encontre bas baissée,

Te retirant du vulgaire et de moy,

Je veux souvent pour rompre ton esmoy

Te saluer, mais ma voix offensée,

De trop de peur se retient amassée

Dedans la bouche et me laisse tout coy.

Soufrir ne puis les rayons de ta veuë,

Craintive au corps mon ame tramble esmeuë:

Langue ne voix ne font leur action.

Seuls mes soupirs, seul mon triste visage

Parlent pour moy, et telle passion

De mon amour donne assez tesmoignage.

XX

De veine en veine, et d'artere en artere,

De nerfz en nerfz le salut me passa

Que l'autre jour Madame prononçea,

Me promenant tout triste et solitaire.

Il fut si doux que je ne puis m'en taire,

Tant en passant d'aiguillons me laissa,

Et tout mon coeur si doucement blessa

Que je m'en flate, et me plais en l'ulcere.

Les yeux, la voix, le gratieux maintien,

A mesme fois s'acorderent si bien

Qu'au seul gouster d'un si nouveau plaisir

Non esperé, s'effroya l'ame toute,

Et pour aller rencontrer son desir

De me laisser fut mille fois en doute.

XXI

Je suis larron pour vous aymer Madame:

Si je veux vivre il faut que j'aille embler

De vos beaux yeux les regards, et troubler

Par mon regard le votre qui me pasme.

De voz beaux yeux seulement je m'afame,

Tant double force ilz ont de me combler

Le coeur de joye et mes jours redoubler,

Ayant pour vie un seul trait de leur flamme.

Un seul regard qu'il vous plaist me lacher

Me paist trois jours, puis j'en revais chercher,

Quand du premier la puissance est perduë,

Emblant mon vivre en mon adversité:

Larron forcé de chose defenduë,

Non par plaisir mais par necessité.

XXII

Si trop souvent quand le desir me presse

Tout afamé de vivre de voz yeux,

Peureux, honteux, pensif et soucieux

Devant votre huis je repasse Maitresse,

Pardonnez-moy, ma mortelle Deésse,

Si malgré moy je vous suis ennuyeux,

Malgré moy non, car j'aime beaucoup mieux,

Sans vous facher, trespasser de tristesse.

Las! si je passe et passe si souvent

Aupres de vous fantastique et resvant,

C'est pour embler un trait de votre veuë,

Qui fait ma vie en mon corps sejourner:

Permetez doncq que l'ame soit repeuë

D'un bien qui n'est moindre pour le donner.

XXIII

Que maudit soit le mirouër qui vous mire,

Et vous fait estre ainsy fiere en beauté,

Ainsy enfler le coeur de cruauté,

Me refuzant le bien que je desire:

Depuis trois ans pour voz yeux je soupire,

Mais mes soupirs, ma Foy, ma Loyauté

N'ont, las je meurs! de vostre coeur osté

Ce doux orgueil auteur de mon martire.

Et ce-pendant vous ne connoissez pas

Que ce beau mois et vostre age se passe,

Comme une fleur qui languist contrebas,

Et que le temps passé ne se ramasse:

Tandis qu'avez la jeunesse et la grace,

Et le temps propre aux amoureux combaz,

De tous plaisirs ne soyez jamais lasse,

Et sans aimer n'atendez le trespas.

 

Les oeuvres de P. de Ronsard gentil-homme Vandomois 1578

 

Les Amours. Seconde partie

Sur la mort de Marie

Properce,

Trajicit et fati littora magnus amor.

I

Je songeois sous l'obscur de la nuict endormie,

Qu'un sepulchre entre-ouvert s'apparoissoit à moy:

La Mort gisoit dedans toute palle d'effroy,

Dessus estoit escrit Le tombeau de Marie.

Espovanté du songe en sursault je m'escrie,

Amour est donc sujet à nostre humaine loy:

Il a perdu son regne, et le meilleur de soy,

Puis que par une mort sa puissance est perie.

Je n'avois achevé, qu'au poinct du jour, voicy

Un Passant à ma porte, adeulé de soucy,

Qui de la triste mort m'annonça la nouvelle.

Pren courage, mon ame, il fault suivre sa fin:

Je l'entens dans le ciel comme elle nous appelle:

Mes pieds avec les siens ont fait mesme chemin.

II

Stances

Je lamente sans reconfort,

Me souvenant de ceste mort

Qui desroba ma douce vie:

Pensant en ces yeux qui souloient

Faire de moy ce qu'ils vouloient,

De vivre je n'ay plus d'envie.

Amour, tu n'as point de pouvoir:

A mon dam tu m'as fait sçavoir

Que ton arc partout ne commande.

Si tu avois quelque vertu,

La Mort ne t'eust pas dévestu

De ta richesse la plus grande.

Tout seul tu n'as perdu ton bien:

Comme toy j'ay perdu le mien,

Ceste beauté que je desire,

Qui fut mon thresor le plus cher:

Tous deux contre un mesme rocher

Avons froissé nostre navire.

Souspirs, eschaufez son tombeau:

Larmes, lavez-le de vostre eau:

Ma vois si doucement se plaigne,

Qu'à la Mort vous faciez pitié,

Ou qu'elle rende ma moitié,

Ou que ma moitié j'accompaigne.

Fol qui au monde met son coeur:

Fol qui croit en l'espoir mocqueur,

Et en la beauté tromperesse.

Je me suis tout seul offensé,

Comme celuy qui n'eust pensé

Que morte fust une Deesse.

Quand son ame au corps s'attachoit,

Rien, tant fust dur, ne me faschoit,

Ny destin, ny rude influance:

Menaces, embusches, dangers,

Villes, et peuples estrangers

M'estoient doux pour sa souvenance.

En quelque part que je vivois,

Tousjours en mes yeux je l'avois,

Transformé du tout en la belle.

Si bien Amour à coups de trait

Au coeur m'engrava son portrait,

Que mon tout n'estoit sinon qu'elle.

Esperant luy conter un jour

L'impatience de l'Amour

Qui m'a fait des peines sans nombre,

La mort soudaine m'a deceu:

Pour le vray le faux j'ay receu,

Et pour le corps seulement l'ombre.

Ciel, que tu es malicieux!

Qui eust pensé que ces beaux yeux

Qui me faisoient si douce guerre,

Ces mains, ceste bouche, et ce front

Qui prindrent mon coeur, et qui l'ont,

Ne fussent maintenant que terre?

Hélas! où est ce doux parler,

Ce voir, cest ouyr, cest aller,

Ce ris qui me faisoit apprendre

Que c'est qu'aimer? hà, doux refus!

Hà! doux desdains, vous n'estes plus,

Vous n'estes plus qu'un peu de cendre.

Helas, où est ceste beauté,

Ce Printemps, ceste nouveauté,

Qui n'aura jamais de seconde?

Du ciel tous les dons elle avoit:

Aussi parfaite ne devoit

Long temps demeurer en ce monde.

Je n'ay regret en son trespas,

Comme prest de suivre ses pas.

Du chef les astres elle touche:

Et je vy? et je n'ay sinon

Pour reconfort que son beau nom,

Qui si doux me sonne en la bouche.

Amour, qui pleures avec moy,

Tu sçais que vray est mon esmoy,

Et que mes larmes ne sont feintes:

S'il te plaist renforce ma vois,

Et de pitié rochers et bois

Je feray rompre sous mes plaintes.

Mon feu s'accroist plus vehement,

Quand plus luy manque l'argument

Et la matiere de se paistre:

Car son oeil qui m'estoit fatal,

La seule cause de mon mal,

Est terre qui ne peult renaistre

Toutefois en moy je le sens

Encore l'objet de mes sens,

Comme à l'heure qu'elle estoit vive:

Ny mort ne me peult retarder,

Ny tombeau ne me peult garder,

Que par penser je ne la suive.

Si je n'eusse eu l'esprit chargé

De vaine erreur, prenant congé

De sa belle et vive figure,

Oyant sa voix, qui sonnoit mieux

Que de coustume, et ses beaux yeux

Qui reluisoient outre mesure,

Et son souspir qui m'embrasoit,

J'eusse bien veu qu'ell' me disoit:

Or soule toy de mon visage,

Si jamais tu en euz soucy:

Tu ne me voirras plus icy,

Je m'en vay faire un long voyage.

J'eusse amassé de se regars

Un magazin de toutes pars,

Pour nourrir mon ame estonnée,

Et paistre long temps ma douleur:

Mais onques mon cruel malheur

Ne sceut prevoir ma destinée.

Depuis j'ay vescu de soucy,

Et de regret qui m'a transy,

Comblé de passions estranges.

Je ne desguise mes ennuis:

Tu vois l'estat auquel je suis,

Du ciel assise entre les anges.

Ha! belle ame, tu es là hault

Aupres du bien qui point ne fault,

De rien du monde desireuse,

En liberté, moy en prison:

Encore n'est-ce pas raison

Que seule tu sois bien-heureuse.

"Le sort doit tousjours estre égal,

Si j'ay pour toy souffert du mal,

Tu me dois part de ta lumiere.

Mais franche du mortel lien,

Tu as seule emporté le bien,

Ne me laissant que la misere.

En ton âge le plus gaillard

Tu as seul laissé ton Ronsard,

Dans le ciel trop tost retournée,

Perdant beauté, grace, et couleur,

Tout ainsi qu'une belle fleur

Qui ne vit qu'une matinée.

En mourant tu m'as sceu fermer

Si bien tout argument d'aimer,

Et toute nouvelle entreprise,

Que rien à mon gré je ne voy,

Et tout cela qui n'est pas toy,

Me desplaist, et je le mesprise.

Si tu veux, Amour, que je sois

Encore un coup dessous tes lois,

M'ordonnant un nouveau service,

Il te fault sous la terre aller

Flatter Pluton, et r'appeller

En lumiere mon Eurydice:

Ou bien va-t'en là hault crier

A la Nature, et la prier

D'en faire une aussi admirable:

Mais j'ay grand peur qu'elle rompit

Le moule, alors qu'elle la fit,

Pour n'en tracer plus de semblable.

Refay moy voir deux yeux pareils

Aux siens, qui m'estoient deux soleils,

Et m'ardoient d'une flame extréme,

Où tu soulois tendre tes laqs,

Tes hamesons, et tes apas,

Où s'engluoit la raison mesme.

Ren moy ce voir et cest ouyr:

De ce parler fay moy jouyr,

Si douteux à rendre responce.

Ren moy l'objet de mes ennuis:

Si faire cela tu ne puis,

Va-t'en ailleurs, je te renonce.

A la Mort j'auray mon recours:

La Mort me sera mon secours,

Comme le but que je desire.

Dessus la Mort tu ne peux rien,

Puis qu'elle a desrobé ton bien,

Qui fut l'honneur de ton empire.

Soit que tu vives pres de Dieu,

Ou aux champs Elisez, adieu,

Adieu cent fois, adieu Marie:

Jamais Ronsard ne t'oublira,

Jamais la Mort ne deslira

Le noeud dont ta beauté me lie.

III

Terre, ouvre moy ton sein, et me laisse reprendre

Mon thresor, que la Parque a caché dessous toy:

Ou bien si tu ne peux, ô terre, cache moy

Sous mesme sepulture avec sa belle cendre.

Le traict qui la tua, devoit faire descendre

Mon corps aupres du sien pour finir mon esmoy:

Aussi bien, veu le mal qu'en sa mort je reçoy,

Je ne sçaurois plus vivre, et me fasche d'attendre.

Quand ses yeux m'esclairoient, et qu'en terre j'avois

Le bon-heur de les voir, à l'heure je vivois,

Ayant de leurs rayons mon ame gouvernée.

Maintenant je suis mort: la Mort qui s'en-alla

Loger dedans ses yeux, en partant m'appella,

Et me fit de ses pieds accomplir ma journée.

IV

Alors que plus Amour nourrissoit mon ardeur,

M'asseurant de jouyr de ma longue esperance:

A l'heure que j'avois en luy plus d'asseurance,

La Mort a moissonné mon bien en sa verdeur.

J'esperois par soupirs, par peine, et par langueur

Adoucir son orgueil: las! je meurs quand j'y pense.

Mais en lieu d'en jouyr, pour toute recompense

Un cercueil tient enclos mon espoir et mon coeur.

Je suis bien malheureux, puis qu'elle vive et morte

Ne me donne repos, et que de jour en jour

Je sens par son trespas une douleur plus forte.

Comme elle je devrois reposer à mon tour:

Toutesfois je ne voy par quel chemin je sorte,

Tant la Mort me r'empaistre au labyrinth d'Amour.

V

Comme on voit sur la branche au mois de May la rose

En sa belle jeunesse, en sa premiere fleur

Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,

Quand l'Aube de ses pleurs au poinct du jour l'arrose:

La grace dans sa fueille, et l'amour se repose,

Embasmant les jardins et les arbres d'odeur:

Mais batue ou de pluye, ou d'excessive ardeur,

Languissante elle meurt fueille à fueille déclose:

Ainsi en ta premiere et jeune nouveauté,

Quand la terre et le ciel honoroient ta beauté,

La Parque t'a tuée, et cendre tu reposes.

Pour obseques reçoy mes larmes et mes pleurs,

Ce vase plein de laict, ce panier plein de fleurs,

Afin que vif, et mort, ton corps ne soit que roses.

VI

Dialogue le Passant et le Génie

Passant

Veu que ce marbre enserre un corps qui fut plus beau

Que celuy de Narcise, ou celuy de Clitie,

Je suis esmerveillé qu'une fleur n'est sortie,

Comme elle feit d'Ajax, du creux de ce tombeau.

Génie

L'ardeur qui reste encore, et vit en ce flambeau,

Ard la terre d'amour, qui si bien a sentie

La flame, qu'en brazier elle s'est convertie,

Et seiche ne peult rien produire de nouveau.

Mais si Ronsard vouloit sur sa Marie espandre

Des pleurs pour l'arrouser, soudain l'humide cendre

Une fleur du sepulchre enfanteroit au jour.

Passant

A la cendre on cognoist combien vive estoit forte

La beauté de ce corps, quand mesmes estant morte

Elle enflame la terre, et sa tombe d'amour.

VII

Chanson

Helas! je n'ay pour mon objet

Qu'un regret, qu'une souvenance:

La terre embrasse le sujet,

En qui vivoit mon esperance.

Cruel tombeau, je n'ay plus rien,

Tu as dérobé tout mon bien,

Ma mort, et ma vie,

L'amant et l'amie,

Plaints, souspirs, et pleurs,

Douleurs sus douleurs.

Que ne voy-je, pour languir mieux,

Et pour vivre en plus longue peine,

Mon coeur en souspirs, et mes yeux

Se changer en une fonteine,

Mon corps en voix se transformer,

Pour souspirer, pleurer, nommer

Ma mort, et ma vie,

L'amant et l'amie,

Plaints, souspirs, et pleurs,

Douleurs sus douleurs.

Ou je voudrois estre un rocher,

Et avoir le coeur insensible,

Ou esprit, afin de cercher

Sous la terre mon impossible:

J'irois sans crainte du trespas

Redemander aux Dieux d'embas

Ma mort, et ma vie

Mais ce ne sont que fictions:

Il me fault trouver autres plaintes.

Mes veritables passions

Ne se peuvent servir de feintes.

Le meilleur remede en cecy,

C'est mon torment et mon soucy,

Ma mort, et ma vie.

Au pris de moy les amoureux

Voyant les beaux yeux de leur dame,

Cheveux et bouche, sont heureux

De bruler d'une vive flame.

En bien servant ils ont espoir:

Je suis sans espoir de revoir

Ma mort, et ma vie.

Ils aiment un sujet qui vit:

La beauté vive les vient prendre,

L'oeil qui voit, la bouche qui dit:

Et moy je n'aime qu'une cendre.

Le froid silence du tombeau

Enferme mon bien, et mon beau,

Ma mort, et ma vie.

Ils ont le toucher et l'ouyr,

Avant-courriers de la victoire:

Et je ne puis jamais jouyr

Sinon d'une triste memoire,

D'un souvenir, et d'un regret,

Qui tousjours lamenter me fait.

Ma mort, et ma vie.

L'homme peult gaigner par effort

Mainte bataille, et mainte ville:

Mais de pouvoir vaincre la Mort

C'est une chose difficile.

Le ciel qui n'a point de pitié,

Cache sous terre ma moitié,

Ma mort, et ma vie.

Apres sa mort, je ne devois

Tué de douleur, la survivre:

Autant que vive je l'aimois,

Aussi tost je la devois suivre:

Et aux siens assemblant mes os,

Un mesme cercueil eust enclos

Ma mort, et ma vie.

Je mettrois fin à mon malheur,

Qui hors de raison me transporte,

Si ce n'estoit que ma douleur

D'un double bien me reconforte.

La penser Déesse, et songer

En elle, me fait allonger

Ma mort, et ma vie.

En songe la nuict je la voy

Au ciel une estoille nouvelle

S'apparoistre en esprit à moy

Aussi vivante, et aussi belle

Comme elle estoit le premier jour

Qu'en ses beaux yeux je veis Amour,

Ma mort, et ma vie.

Sur mon lict je la sens voler,

Et deviser de mille choses:

Me permet le voir, le parler,

Et luy baiser ses mains de roses:

Torche mes larmes de sa main,

Et presse mon coeur en son sein,

Ma mort, et ma vie.

La mesme beauté qu'elle avoit,

La mesme Venus, et la grace,

Le mesme Amour qui la suivoit,

En terre apparoist en sa face,

Fors que ses yeux sont plus ardans,

Où plus à clair je voy dedans

Ma mort, et ma vie.

Elle a les mesmes beaux cheveux,

Et le mesme trait de la bouche,

Dont le doux ris, et les doux noeuds

Eussent lié le plus farouche:

Le mesme parler, qui souloit

Mettre en doute, quand il vouloit

Ma mort, et ma vie.

Puis d'un beau jour qui point ne faut,

Dont sa belle ame est allumée,

Je la voy retourner là haut

Dedans sa place accoustumée,

Et semble aux anges deviser

De ma peine, et favoriser

Ma mort, et ma vie

Chanson, mais complainte d'amour,

Qui rends de mon mal tesmoignage,

Fuy la court, le monde, et le jour:

Va-t'en dans quelque bois sauvage,

Et de là ta dolente vois

Annonce aux rochers, et aux bois

Ma mort, et ma vie,

L'amant et l'amie,

Plaints, souspirs, et pleurs,

Douleurs sus douleurs.

VIII

Ha Mort, en quel estat maintenant tu me changes!

Pour enrichir le ciel, tu m'as seul apauvry,

Me ravissant les yeux desquels j'estois nourry,

Qui nourrissent là hault les esprits et les anges.

Entre pleurs et souspirs, entre pensers estranges,

Entre le desespoir tout confus et marry,

Du monde et de moymesme et d'Amour, je me ry,

N'ayant autre plaisir qu'à chanter tes louanges.

Helas! tu n'es pas morte, hé! c'est moy qui le suis

L'homme est bien trespassé, qui ne vit que d'ennuis,

Et des maux qui me font une eternelle guerre.

Le partage est mal fait: tu possedes les cieux,

Et je n'ay, mal-heureux, pour ma part que la terre,

Les souspirs en la bouche, et les larmes aux yeux.

IX

Quand je pense à ce jour, où je la vey si belle

Toute flamber d'amour, d'honneur et de vertu,

Le regret, comme un trait mortellement pointu,

Me traverse le coeur d'une playe eternelle.

Alors que j'esperois la bonne grace d'elle,

L'amour a mon espoir par la Mort combattu:

La Mort a mon espoir d'un cercueil revestu,

Dont j'esperois la paix de ma longue querelle.

Amour, tu es enfant inconstant et leger:

Monde, tu es trompeur, pipeur et mensonger,

Decevant d'un chacun l'attente et le courage.

Malheureux qui se fie en l'Amour et en toy:

Tous deux comme la Mer vous n'avez point de foy,

L'un fin, l'autre parjure, et l'autre oiseau volage.

X

Homme ne peult mourir par la douleur transi.

Si quelcun trepassoit d'une extreme tristesse,

Je fussé desja mort pour suivre ma maistresse:

Mais en lieu de mourir je vy par le souci.

Le penser, le regret, et la memoire aussi

D'une telle beauté, qui pour les cieux nous laisse,

Me fait vivre, croyant qu'elle est ores Deesse,

Et que du ciel là hault elle me voit ici.

Elle se sou-riant du regret qui m'affole,

En vision la nuict sur mon lict je la voy,

Qui mes larmes essuye, et ma peine console:

Et semble qu'elle a soin des maux que je reçoy.

Dormant ne me deçoit: car je la recognoy

A la main, à la bouche, aux yeux, à la parole.

XI

Deux puissans ennemis me combattoient alors

Que ma dame vivoit: l'un dans le ciel se serre,

De Laurier triomphant: l'autre dessous la terre

Un Soleil d'Occident reluist entre les morts.

C'estoit la chasteté, qui rompoit les efforts

D'Amour, et de son arc, qui tout bon coeur enferre,

Et la douce beauté qui me faisoit la guerre,

De l'oeil par le dedans, du ris par le dehors.

La Parque maintenant ceste guerre a desfaite:

La terre aime le corps, et de l'ame parfaite

Les Anges de là sus se vantent bien-heureux.

Amour d'autre lien ne sçauroit me reprendre.

Ma flame est un sepulchre, et mon coeur une cendre,

Et par la mort je suis de la mort amoureux.

XII

Elégie

Le jour que la beauté du monde la plus belle

Laissa dans le cercueil sa despouille mortelle

Pour s'en-voler parfaite entre les plus parfaits,

Ce jour Amour perdit ses flames et ses traits,

Esteignit son flambeau, rompit toutes ses armes,

Les jetta sur la tombe, et l'arrousa de larmes:

Nature la pleura, le Ciel en fut fasché

Et la Parque, d'avoir un si beau fil trenché.

Depuis le jour couchant jusqu'à l'Aube vermeille

Phenix en sa beauté ne trouvoit sa pareille,

Tant de graces au front et d'attraits elle avoit:

Ou si je me trompois, Amour me decevoit.

Si tost que je la vey, sa beauté fut enclose

Si avant en mon coeur, que depuis nulle chose

Je n'ay veu qui m'ait pleu, et si fort elle y est,

Que toute autre beauté encores me desplait.

Dans mon sang elle fut si avant imprimée,

Que tousjours en tous lieux de sa figure aimée

Me suivoit le portrait, et telle impression

D'une perpetuelle imagination

M'avoit tant desrobé l'esprit et la cervelle,

Qu'autre bien je n'avois que de penser en elle,

En sa bouche, en son ris, en sa main, en son oeil,

Qu'au coeur je sens tousjours, bien qu'ils soient au cercueil.

J'avois au-paravant, veincu de la jeunesse,

Autres dames aimé (ma faute je confesse):

Mais la playe n'avoit profondement saigné,

Et le cuir seulement n'estoit qu'esgratigné,

Quand Amour, qui les Dieux et les hommes menace,

Voyant que son brandon n'eschauffoit point ma glace,

Comme rusé guerrier ne me voulant faillir;

La print pour son escorte, et me vint assaillir.

Encor, ce me dit-il, que de maint beau trofée

D'Horace, de Pindare, Hesiode et d'Orfée,

Et d'Homere qui eut une si forte vois,

Tu as orné la langue et l'honneur des François,

Voy ceste dame icy: ton coeur, tant soit il brave,

Ira sous son empire, et sera son esclave.

Ainsi dit, et son arc m'enfonçant de roideur,

Ensemble dame et traict m'envoya dans le coeur.

Lors ma pauvre raison, des rayons esblouye

D'une telle beauté, se perd esvanouye,

Laissant le gouvernal aux sens et au desir,

Qui depuis ont conduit la barque à leur plaisir.

Raison, pardonne moy: un plus caut en finesse

S'y fust bien englué, tant une douce presse

De graces et d'amours la suivoient tout ainsi

Que les fleurs le Printemps, quand il retourne ici.

De moy, par un destin sa beauté fut cognue:

Son divin se vestoit d'une mortelle nue,

Qui mesprisoit le monde, et personne n'osoit

Luy regarder les yeux, tant leur flame luisoit.

Son ris, et son regard, et sa parole pleine

De merveilles, n'estoient d'une nature humaine:

Son front ny ses cheveux, son aller ny sa main.

C'estoit une Deesse en un habit humain,

Qui visitoit la terre, aussi tost enlevée

Au ciel, comme elle fut en ce monde arrivée.

Du monde elle partit aux mois de son printemps,

Aussi tout excellence icy ne vit long temps.

Bien qu'elle eust pris naissance en petite bourgade,

Non de riches parens, ny d'honneurs, ny de grade,

Il ne l'en fault blasmer: la mesme Deité

Ne desdaigna de naistre en trespauvre cité:

Et souvent sous l'habit d'une simple personne

Se cache tout le mieux que le destin nous donne.

Vous qui veistes son corps, l'honorant comme moy,

Vous sçavez si je ments, et si triste je doy

Regretter à bon droict si belle creature,

Le miracle du Ciel, le mirouer de Nature.

O beaux yeux, qui m'estiez si cruels et si doux,

Je ne me puis lasser de repenser en vous,

Qui fustes le flambeau de ma lumiere unique,

Les vrais outils d'Amour, la forge, et la boutique.

Vous m'ostastes du coeur tout vulgaire penser,

Et l'esprit jusqu'au ciel vous me fistes hausser.

J'apprins à vostre eschole à resver sans mot dire,

A discourir tout seul, à cacher mon martire;

A ne dormir la nuict, en pleurs me consumer.

Et bref, en vous servant, j'apprins que c'est qu'aimer.

Car depuis le matin que l'Aurore s'esveille

Jusqu'au soir que le jour dedans la mer sommeille,

Et durant que la nuict par les Poles tournoit,

Tousjours pensant en vous, de vous me souvenoit.

Vous seule estiez mon bien, ma toute, et ma premiere,

Et le serez tousjours: tant la vive lumiere

De voz yeux, bien que morts, me poursuit, dont je voy

Tousjours leur simulachre errer autour de moy.

Puis Amour que je sens par mes veines s'espandre,

Passe dessous la terre, et r'attize la cendre

Qui froide languissoit dessous vostre tombeau,

Pour r'allumer plus vif en mon coeur son flambeau,

Afin que vous soyez ma flame morte et vive,

Et que par le penser en tous lieux je vous suive.

Pourroy-je raconter le mal que je senty,

Oyant vostre trespas? mon coeur fut converty

En rocher insensible, et mes yeux en fonteines:

Et si bien le regret s'escoula par mes veines,

Que pasmé je me fis la proye du torment,

N'ayant que vostre nom pour confort seulement.

Bien que je resistasse, il ne me fut possible.

Que mon coeur, de nature à la peine invincible,

Peust cacher sa douleur: car plus il la celoit,

Et plus dessus le front son mal estinceloit,

En fin voyant mon ame extremement attainte,

Je desliay ma bouche, et feis telle complainte:

Ah, faux Monde trompeur, que tu m'as bien deceu!

Amour, tu es enfant: par toy j'avois receu

La divine beauté qui surmontoit l'envie,

Que maugré toy la Mort en ton regne a ravie.

Je desplais à moymesme, et veux quitter le jour,

Puis que je voys la Mort triompher de l'Amour,

Et luy ravir son mieux, sans faire resistance.

Malheureux qui le suit, et vit sous son enfance!

Et toy Ciel, qui te dis le pere des humains,

Tu ne devois tracer un tel corps de tes mains

Pour si tost le reprendre: et toy mere Nature,

Pour mettre si soudain ton oeuvre en sepulture.

Maintenant à mon dam je cognois pour certain,

Que tout cela qui vit sous ce globe mondain,

N'est que songe et fumée, et qu'une vaine pompe,

Qui doucement nous rit; et doucement nous trompe.

Ha, bien-heureux esprit fait citoyen des cieux,

Tu es assis au rang des Anges precieux

En repos eternel, loing de soin et de guerres:

Tu vois dessous tes pieds les hommes et les terres,

Et je ne voy qu'ennuis, que soucis, et qu'esmoy,

Comme ayant emporté tout mon bien avec toy.

Je ne te trompe point: du ciel tu vois mes peines,

Si tu as soin là hault des affaires humaines.

Que doy-je faire, Amour? que me conseilles-tu?

J'irois comme un Sauvage en noir habit vestu

Volontiers par les bois, et mes douleurs non feintes

Je dirois aux rochers: mais ils sçavent mes plaintes.

Il vaut mieux d'un grand temple honorer son tombeau,

Et dedans eslever d'artifice nouveau

Cent autels dediez à la memoire d'elle,

Esclairez jour et nuict d'une lampe eternelle,

Et devant le portail, comme les anciens

Celebroient les combats aux jeux Olympiens,

Sacrer en son honneur au retour de l'année

Une feste choumable à la jouste ordonnée.

Là tous les jouvenceaux au combat mieux appris

Le funeste Cyprez emporteront pour pris,

Et seront appellez long temps apres ma vie,

Les jeux que feist Ronsard pour sa belle Marie.

Puis quand l'une des Soeurs aura le fil coupé,

Qui retient en mon corps l'esprit envelopé,

J'ordonne que mes oz pour toute couverture

Reposent pres des siens sous mesme sepulture:

Que des larmes du ciel le tombeau soit lavé,

Et tout à l'environ de ces vers engravé:

Passant, de cest amant enten l'histoire vraye.

De deux traicts differents il receut double playe:

L'une que feit l'Amour, ne versa qu'amitié:

L'autre que feit la Mort, ne versa que pitié.

Ainsi mourut navré d'une double tristesse,

Et tout pour aimer trop une jeune maistresse.

XIII

De ceste belle, douce, honneste chasteté

Naissoit un froid glaçon, ains une chaude flame,

Qu'encores aujourd'huy esteinte sous la lame

Me reschauffe, en pensant quelle fut sa clarté.

Le traict que je receu, n'eut le fer espointé:

Il fut des plus aiguz qu'Amour nous tire en l'ame,

Qui d'un trespas armé par le penser m'entame,

Et sans jamais tomber se tient à mon costé.

Narcisse fut heureux, mourant sur la fontaine,

Abusé du mirouër de sa figure vaine:

Au moins il regardoit je ne sçay quoy de beau.

L'erreur le contentoit, voyant la face aimée:

Et la beauté que j'aime, est terre consumée.

Il mourut pour une ombre; et moy pour un tombeau.

XIV

Je voy tousjours le traict de ceste belle face

Dont le corps est en terre, et l'esprit est aux cieux:

Soit que je veille ou dorme, Amour ingenieux

En cent mille façons devant moy le repasse.

Elle qui n'a soucy de ceste terre basse,

Et qui boit du Nectar assise entre les Dieux,

Daigne pourtant revoir mon estat soucieux,

Et en songe appaiser la Mort qui me menace.

Je songe que la nuict elle me prend la main:

Se faschant de me voir si long temps la survivre,

Me tire, et fait semblant que de mon voile humain

Veult rompre le fardeau pour estre plus delivre.

Mais partant de mon lict, son vol est si soudain

Et si prompt vers le ciel, que je ne la puis suivre.

XV

Aussi tost que Marie en terre fut venue,

Le Ciel en fut marry, et la voulut ravoir:

A peine nostre siecle eut loisir de la voir,

Qu'elle s'esvanouyt comme un feu dans la nue.

Des presens de Nature elle vint si pourveuë,

Et sa belle jeunesse avoit tant de pouvoir,

Qu'elle eust peu d'un regard les rochers esmouvoir,

Tant elle avoit d'attraits et d'amours en la veuë.

Ores la Mort jouyt des beaux yeux que j'aimois,

La boutique, et la forge, Amour, où tu t'armois.

Maintenant de ton camp cassé je me retire:

Je veux desormais vivre en franchise et tout mien.

Puis que tu n'as gardé l'honneur de ton empire,

Ta force n'est pas grande, et je le cognois bien.

XVI

Epitaphe de Marie

Cy reposent les oz de toy, belle Marie,

Qui me fis pour Anjou quitter le Vandomois,

Qui m'eschauffas le sang au plus verd de mes mois,

Qui fus toute mon coeur, mon sang, et mon envie.

En ta tombe repose honneur et courtoisie,

La vertu, la beauté, qu'en l'ame je sentois,

La grace et les amours qu'aux regards tu portois,

Tels qu'ils eussent d'un mort resuscité la vie.

Tu es belle Marie un bel astre des cieux:

Les Anges tous ravis se paissent de tes yeux,

La terre te regrette. O beauté sans seconde!

Maintenant tu es vive, et je suis mort d'ennuy.

Ha, siecle malheureux! malheureux est celuy

Qui s'abuse d'Amour, et qui se fie au Monde.

 

Les amours d'Eurymedon et de Callirée

 

J'ay quitté...

I

Stances

J'ay quitté le rempart si long temps defendu:

Je ne me puis trouver, tant je me suis perdu.

Amour traict dessus traict mon repos importune:

D'une flame il fait l'autre en mon coeur r'allumer.

Par trop aimer autruy je ne me puis aimer:

De ma serve vertu triomphe la Fortune.

Ma puissance me nuit: je veux tout, et ne puis:

Je ne sçay que je fais, je ne sçay qui je suis:

En egale balance est ma mort et ma vie,

Le Destin me contraint, la Raison m'a laissé:

Je suis comme Telefe, estrangement blessé:

Je veux tout, et mon tout n'est sinon qu'une envie.

Mon espoir est douteux, mon desir est certain,

Mon courage est couard, superbe est mon dessein:

Je ne suis resolu qu'à me faire la guerre.

Mes pensers au combat contre moy se sont mis:

J'ay mon coeur pour suspect, mes yeux pour ennemis:

Une main me delasse, et l'autre me reserre.

L'Astre qui commandoit au poinct que je fus né,

De dangereux aspects estoit infortuné

Sa face en lieu d'un jour d'une nuict estoit pleine:

Il renversa sur moy les raiz de son malheur.

Du Ciel trop ennemy proceda ma douleur,

Condemnant du berceau ma jeunesse à la peine.

Il estoit par Destin dans le Ciel arresté,

Qu'à vingt ans je devois perdre ma liberté

Pour servir une Dame autant belle qu'honneste,

Charger mes yeux de pleurs, ma face de langueur:

Qu'Amour devoit porter en triomphe mon coeur,

Et pendre ma jeunesse à son arc pour conqueste.

La chose est arrivée, il n'en faut plus douter.

Le lien de mon col je ne sçaurois oster:

Il faut courir fortune. O belle Calliree

Servez moy de Pilote et de voile et de vent:

Autre Astre que vostre oeil je ne vay poursuivant:

Pource je vous invoque, et non pas Cytheree.

Si n'aimer rien que vous, tousjours en vous penser,

D'un penser qui s'acheve, un autre commencer,

Ma nature changer, et en prendre une neuve,

Ne donner aux souspirs ne tréves ny sejour:

Madame, si cela se doit nommer Amour,

Plus parfait amoureux au monde ne se treuve.

Mon corps est plus leger que n'est l'esprit de ceux

Qui vivent, en aimant, grossiers et paresseux:

Et tout ainsi qu'on vot s'evaporer Mercure

Au feu d'un Alchimiste, et s'en-voler en rien:

Ainsi dedans le ciel mon corps qui n'est plus mien,

Alembiqué d'Amour s'en-vole de nature.

Je ressemble au Demon, qui ne se veut charger

D'un corps, ou s'il a corps, ce n'est qu'un air leger,

Pareil à ces vapeurs subtiles et menues,

Que le Soleil desseiche aux chauds jours de l'Esté.

Le mien du seul penser promptement emporté,

Distillé par l'Amour, se perd dedans les nues.

Le Peintre, qui premier fit d'Amour le tableau,

Et premier le peignit plumeux comme un oiseau,

Cognut bien sa nature, en luy baillant des ailes,

Non pour estre inconstant, leger ne vicieux,

Mais comme nay du ciel, pour retourner aux cieux,

Et monter au sejour des choses les plus belles.

La matiere de l'homme est pesante, et ne peut

Suivre l'esprit en hault, lors que l'esprit le veut,

Si Amour, la purgeant de sa flame estrangere,

N'affine son mortel. Voila, Dame, pourquoy

Je cognois par raison que n'aimez tant que moy:

Si vous aimiez autant, vous seriez plus legere.

Entre les Dieux au ciel mon corps s'iroit assoir,

Si vous suiviez mon vol, quand nous ballons au soir

Flanc à flanc, main à main, imitant l'Androgyne:

Tous deux dansans la Volte, ainsi que les Jumeaux,

Prendrions place au sejour des Astres les plus beaux,

Et serions dicts d'Amour à jamais le beau Signe.

Où par faute d'aimer vous demeurez à bas,

La terre maugré moy vous attache les pas.

Vous estes paresseuse, et au ciel je m'en-vole.

Mais à moitié chemin je m'arreste, et ne veux

Passer outre sans vous: sans y voler tous deux

Je ne voudrois me faire un citoyen du Pole.

Las, que feroy-je au ciel assis entre les Dieux,

Sans plus voir les amours qui sortent de voz yeux,

Et les traicts si poignans de vostre beau visage,

Voz graces qui pourroient un rocher esmouvoir?

Sans vivre aupres de vous, Maistresse, et sans vous voir,

Le ciel me sembleroit un grand desert sauvage.

Je veux en lieu des cieux en terre demeurer,

Pour vous aimer, servir, priser et honorer

Comme une chose saincte, et des Vertus l'exemple.

Mainte mortelle Dame a jadis merité

Autels et sacrifice, encens et Deité,

Qui n'estoit tant que vous digne d'avoir un Temple.

Bref, je suis resolu de ne changer d'amour.

Le jour sera la nuict, la nuict sera le jour,

Les estoiles sans ciel, et la mer mesurée:

Amour sera sans arc, sans traict et sans brandon,

Et tout sera changé plustost qu'Eurymedon

Oublie les amours qu'il porte à Calliree.

II

Stances

De fortune Diane et l'archerot Amour

En un mesme logis arriverent un jour,

L'un lassé de voler, et l'autre de la chasse:

Destendirent leurs arcs, et pour prendre repos,

Leurs carquois pleins de traicts deschargerent du dos,

Et les meirent ensemble en un mesme place.

Amour jusqu'à midy paresseux sommeilla.

Diane au poinct du jour soigneuse s'esveilla,

Et pour tromper Amour usa de diligence:

Print son arc pour le sien, ses feux, et son carquois:

Puis se mocquant de luy, s'en-alla dans les bois,

Desireuse de faire une belle vengeance.

Je porte, disoit elle, et l'arc et le brandon

Maintenant pour blesser le coeur d'Eurymedon,

Qui, nouvel Acteon, de ses meutes tormente

Les repos des forests, rend les buissons deserts,

Ensanglante les bois du meurtre de mes Cerfs,

Et par la mort des miens ses victoires augmente.

Je ne veux plus souffrir qu'il me vienne outrager:

Voicy son arc qui peult d'un beau coup me venger.

Malheureux est celuy, qui sans revanche endure!

Hercule, qui tua la Biche au pied d'airain,

Ne m'injuria tant, comme la jeune main

De cest Eurymedon à mes Cerfs fait d'injure.

Qu'est-il sinon de ceux que Nature a produit?

Mon sang des premiers Dieux d'un long ordre se suit:

Je me pais de Nectar, luy de viande humaine:

Sa demeure est la terre, et la mienne les cieux.

Le mortel ne se doit accomparer aux Dieux:

Sans travail nous vivons, son partage est la peine.

Bref, je me veux venger, et luy faire sentir

De combien de souspirs s'achete un repentir,

Et le desir d'avoir la chasse trop apprise.

Diane ainsi disoit. Le sang qui bouillonnoit,

Noirastre de courroux, son fiel aiguillonnoit

Ardente d'achever si hautaine entreprise.

Eurymedon entroit aux jours de son printemps:

Son plaisir, son deduit, ses jeux, ses passetemps

Estoient par le travail d'honorer sa jeunesse:

Son corps estoit adroit, son esprit genereux,

Desdaignant comme un Prince actif et vigoureux

De rouiller au logis ses beaux ans de paresse.

C'estoit un Meleagre au mestier de chasser:

Il sçavoit par-sus tous laisser courre et lancer,

Bien démesler d'un Cerf les ruses et la feinte,

Le bon temps, le vieil temps, l'essuy, le rembuscher,

Les gangnages, la nuict, le lict et le coucher,

Et bien prendre le droict, et bien faire l'enceinte.

Et comme s'il fust nay d'une Nymphe des bois,

Il jugeoit un vieil Cerf à la perche, aux espois,

A la meule, andouillers et à l'embrunisseure,

A la grosse perleure, aux goutieres, aux cors,

Aux dagues, aux broquars bien nourris et bien forts,

A la belle empaumeure et à la couronneure.

Il sçavoit for-huër et bien parler aux Chiens,

Faisoit bien la brisée, et le premier des siens

Cognossoit bien le pied, la sole et les alleures,

Fumées, hardouers et frayoirs, et sçavoit

Sans avoir veu le Cerf, quelle test il avoit,

En voyant seulement ses erres et fouleures.

Un jour sans y penser, poussé par le Destin,

Comme il mettoit à bout à l'egal du matin,

La ruse d'un vieil Cerf, Diane se transforme

En l'image d'Amour, et pour mieux le blesser,

Luy feit en lieu d'un Cerf devant les yeux passer

D'une Nymphe des eaux le visage et la forme.

Comme un printemps d'Avril, tout son corps estoit beau:

Sebete la conceut au milieu de son eau:

Les voisins d'alentour l'appelloient Calliree.

Ses mestiers n'estoient pas de filer ne d'ourdir:

Mais ne laissant son corps en paresse engourdir,

Suivoit tousjours Diane, et fuyoit Cytheree.

Au poinct qu'elle passa, Diane tout soudain

Print l'arc, et le banda roidement en sa main,

Puis blesse Eurymedon d'un traict tout plein de braise.

Le traict siffle en la playe, et la vint eschaufer:

Feit bouillonner le sang tout ainsi que le fer

Qu'on plonge tout ardent en l'eau d'une fournaise.

Lors elle s'escria, Voila mes Cerfs vengez:

Tes jeux, Eurymedon, seront bien tost changez:

D'une telle langueur mes ennemis je paye.

En lieu de chiens, de trompe, et de bocages verds,

Il te faudra chercher les Muses et les vers,

Pour soulager le mal qui naistra de ta playe.

De tels propos Diane en se jouant parla:

Et ce pendant l'ulcere au fond du coeur alla,

Passa de nerf en nerf, passa de veine en veine,

Et feit par tout le corps le venin escouler:

Altera tout son sang, feit l'esprit chanceler,

N'ayant pour son sujet autre bien que la peine.

Il changea de nature, il devint en langueur,

Comme ceux, dont la fiévre est maistresse du cueur.

Il tiroit lentement de ses yeux une oeillade:

Il changea de penser, de moeurs et d'actions:

Il portoit en l'esprit nouvelles passions,

Et ne sçavoit pourtant qui le faisoit malade

Rien ne luy profita commander aux forests,

D'avoir mille piqueurs, mille espieux, mille rets,

Ny de mille chiens baux l'aboyante tempeste.

Amour, qui n'a soucy de grandeurs ny d'honneurs,

Et qui maistre commande aux plus braves seigneurs,

Avoit de sa desfaite enrichy sa conqueste.

Il oublia soudain et meutes et limiers:

Souspirs dessus souspirs sortirent les premiers,

Signe de maladie: il avoit le courage

Tousjours en un penser fermement arresté,

Comme marry de voir sa douce liberté;

Sur l'Avril de ses ans ainsi mise en servage.

Il vouloit aux rochers et aux forests parler:

Mais il ne peut jamais sa langue desmesler.

Amour ne le voulut, qui son esprit affolle.

Sur l'herbe se couchant, de rien ne luy souvint:

Il s'endormit de dueil, et la nuict qui survint,

Luy desroba le jour, les pleurs et la parolle.

III

Le baing de Callirée

Eurymedon parle.

Je voudrois ce jourdhuy par bonne destinée

Me changer d'homme en femme, ainsi que fit Coenée,

Coenée, qui tournant par miracle sa peau,

Estoit tantost pucelle, et tantost jouvenceau.

Je verrois dans le baing la belle Callirée:

Je faux, mais je verrois la belle Cytherée:

Je verrois des beautez la parfaite beauté

Sans soupçon, comme femme, en toute privauté:

Beauté, que les amours en son baing accompaignent,

Et mignons en la cuve, ainsi qu'elle, se baignent.

L'un nage dessus l'eau, l'autre se jouë au fond:

L'un luy jette des fleurs à pleines mains au front,

L'autre luy tient la teste, et l'autre de son aile

L'esvente doucement, et sa mere l'appelle.

Venus en est bien aise, et se sou-rit de voir

D'une si douce erreur ses fils se decevoir

L'eau, la cuve, et le baing de flames elle allume,

Et l'air tout à l'entour d'odeurs elle parfume:

Et jalouse, voyant de ce beau corps le traict,

S'imagine soymesme, et conçoit son portraict.

Si j'avois, pour jouyr de chose tant aimée,

Pour ce jour ma nature en femme transformée,

Je pourrois sans vergogne à son baing me trouver,

La voir, l'ouyr, sentir, la toucher, et laver,

Ministre bien-heureux d'une si douce estuve.

Tantost je verserois de l'eau tiede en la cuve,

Et tantost de la froide, et d'un vase bouillant

L'eau chaude dans la froide ensemble remeslant,

Je laverois son corps, et dirois bien-heureuse

Telle eau, qui deviendroit de la belle amoureuse,

Et le feu amoureux, qui deviendroit plus chaut

Par l'autre de ses yeux, qui jamais ne defaut.

Le feu materiel se consomme en sa cendre,

Si bois dessus du bois on cesse de respandre,

Dont la flamme se paist. Mais celuy de ses yeux

Sans matiere est nourry, comme celuy des cieux,

Et vit en ses regards de chaleur si extréme,

Que l'esclair qui en sort, embrase le feu mesme.

Que n'ay-je maintenant autant de loy qu'un Dieu?

J'attacherois la Cuve et la Cruche au milieu

Des astres les plus beaux, et en ferois un Signe,

Comme l'enfant Troyen des astres le plus digne.

Tu te baignes en France, ô corps Sebetien:

Et Pallas autrefois, honneur Athenien,

En Argos se baigna, quand elle valeureuse

Retiroit des combats sa main toute poudreuse,

Et ses membres nerveux, victorieux et forts

Lavoit d'huile d'Olif, oincture de son corps:

De masle huile d'Olif, riche fruict de la plante,

Que la ville conceut, qui de son nom se vante.

Et quoy ma Callirée? apres que ton brandon

A brulé moy, qui suis ton pauvre Eurymedon,

Apres avoir ta main en mes veines mouillee,

Du nouvel homicide encor toute souillee,

Tu te baignes, à fin de purger ton forfait?

Mais tu ne peux laver le mal que tu m'as fait.

Pourquoy veux-je à mon dam prendre la hardiesse

De voir le corps tout nud d'une telle Déesse?

L'exemple d'Acteon et du jeune Thebain,

Qui veirent et Diane et Pallas dans le bain,

Me devroient faire sage, et sagement m'apprendre

Que l'oeil humain ne doit sur les Dieux entreprendre

Je veux, sans l'ignorer, ma Deesse offenser.

Ces deux pauvres enfans veirent, sans y penser,

Les fieres Deitez, dont la vengeance preste

A l'un osta les yeux, à l'autre sur la teste

Meit des cornes de Cerf: et l'innocente erreur

Des Deesses ne peut adoucir la fureur.

O bien-heureux enfans, voz fautes furent quittes

Pour des punitions legeres et petites!

La corne sur le front ne fait ny mal ne bien:

C'est l'esprit seul qui sent, la corne ne sent rien:

Et de perdre les yeux, la perte est profitable

En amour, où la veuë est tousjours dommageable.

S'il est vray que l'amour se face par les yeux,

Les yeux sont aux amans un mal pernicieux.

Qu'on me creve les yeux pour ne voir plus ma Dame.

Le regard m'est un feu qui me consume l'ame,

Dont je ne puis guarir, et voudrois desormais

Comme vous, estre aveugle, et ne la voir jamais.

IV

Elégie du poète

A Eurymedon.

Prince, de qui le nom m'est venerable et sainct,

Amour, ainsi que vous, aux liens me contrainct:

De penser en penser me fait nouvelle guerre:

A la Chiorme amoureuse, ainsi que vous, m'enferre.

Nous sommes compaignons bienheureux, quand je voy,

Celuy qui est mon maistre, esclave comme moy.

Amour, je t'aime bien, qui sans respect egales

Aux moindres qualitez les qualitez royales,

Et qui rens un chacun sujet à ta grandeur,

Aussi bien le seigneur comme le serviteur.

Les hommes ne sont faits de matieres contraires:

Nous avons comme vous des nerfs et des arteres,

Nous avons de nature un mesme corps que vous,

Chair, muscles et tendons, cartilages et pouls,

Mesme coeur, mesme sang, poumons et mesmes veines,

Et souffrons comme vous les plaisirs et les peines

Un rocher n'aime point, un Chesne ny la mer:

Mais le propre sujet des hommes c'est aimer.

Aimer, hayr, douter, avoir la fantaisie

Tantost chaude d'amour, tantost de jalousie,

Vouloir vivre tantost, tantost vouloir mourir,

Resver, penser, songer, à par-soy discourir,

Se donner, s'engager, se condamner soymesme,

Se perdre, s'oublier, avoir la face blesme,

Vouloir ouvrir la bouche, et n'oser proferer,

Esperer à credit, et se desesperer,

Cacher sous un glaçon des flammes allumees,

S'alembiquer l'esprit, se paistre de fumees,

Dessous un front joyeux avoir le coeur transi,

Avoir la larme à l'oeil, s'amaigrir de souci,

Voila les fruicts qu'Amour de son arbre nous donne,

Dont ny fueille ny fleur ny racine n'est bonne.

Le tige en est amer, qui corrompt nostre corps,

Amer par le dedans, amer par le dehors:

Et bref amer par tout, comme ayant son lignage

De la mer, et nourry dans un desert sauvage,

On dit, lors que Venus de son fils accoucha,

Que Jupiter au ciel contre elle se fascha,

Jugeant à voir l'enfant seulement à la face,

Que bien tost il perdroit toute l'humaine race.

Venus pour le sauver le cacha dans les bois.

La Renarde une fois, la Louve une autre fois,

Et l'Ourse l'alaita, humant sa nourriture

Des bestes, dont le laict est aigre de nature.

D'un vivre si amer cest enfant de repeut,

Gardant les qualitez du mesme laict qu'il beut.

Or si tost qu'il fut grand (un Dieu ne tarde à croistre)

Et qu'il peut empoigner l'arc de la main senestre,

Luy mesme sans patron, allant par les forests,

Se fit un arc de Fresne, et des traicts de Cyprez,

Et façonna ses mains, à tirer ignorantes,

Premier contre les Cerfs et les Biches errantes.

Des bois vint aux citez tirer droict aux humains.

Ha, qu'il a maintenant bien certaines les mains!

Son art n'est plus faultier, sa fleche est advisee,

Qui mire, droict au coeur sans y prendre visee:

Son arc n'est plus de bois, ses traicts ny son carquois:

Il est d'or maintenant, dont il blesse les Rois.

Celuy pour triompher d'une rare conqueste,

A mis victorieux ses pieds sur vostre teste:

Et quand moins vous pensiez qu'il vous peust surmonter,

Desdaignant voz grandeurs, vous est venu donter.

Rien ne vous a servy longuement vous defendre,

Ny vostre coeur revesche, indocile à se rendre:

Rien ne vous ont servy Diane ny ses arts,

Qu'Amour ne vous enroolle au ranc de ses soldats,

Et suivant en son camp le chemin qu'il enseigne,

Ne vous face porter devant tous son Enseigne.

Celuy d'un beau desir le coeur vous anima,

En voz veines le soulfre amoureux alluma:

Celuy vous desrouilla la honte de jeunesse,

Vous apprist ses beaux noms d'aimer et de maistresse,

Vous apprist à la fois à rougir et blesmir,

Passer les jours en pleurs, et les nuicts sans dormir.

Aussi pour recompense il vous donne une Dame,

Dont le corps si parfait sert de tesmoin, que l'ame

Est parfaite et divine, et qu'elle a dans les cieux

Prise son origine entre les plus beaux Dieux.

L'honneur comme un Soleil son beau front environne,

Et toutes les Vertus luy servent de Couronne.

Les astres de ses yeux, les roses de son teint,

Ses cheveux, mais des rets, dont Amour vous estreint,

L'yvoire de ses mains, sa bouche toute pleine

De perles, de rubis, et d'une douce haleine,

De sa beauté tout seul ne vous font desireux:

Tout homme est un rocher, s'il n'en est amoureux.

Vous n'estes pas marry, ny jaloux, qu'on regarde

Au plus hault de l'Esté le beau Soleil, qui darde

Ses rayons sur chacun: il a tant de clarté,

Qu'il peult sur tout le monde espandre sa beauté,

Sans rien perdre en donnant: et plus il continue

A departir sa flame, et moins se diminue.

Ainsi, Prince courtois, vous n'estes envieux,

Si voyant sa beauté j'en contente mes yeux,

J'en desrobe un rayon pour soustenir ma vie:

Car la voir seulement est toute mon envie.

Les yeux de Cupidon d'un bandeau sont couverts:

Les vostres à choisir sont prompts et bien ouverts.

Vostre sain jugement vous a poussé d'eslire

La meilleure partie, et refuser la pire.

Entre mille beautez choisir vous avez sceu

Sur toutes la plus belle, et n'estes point deceu.

O prudent jugement en un jeune courage!

Je m'asseurois tousjours, voyant vostre visage

Melancholique; et plein d'imagination,

Que vous seriez heureux en votre election.

Je ne suis esbahy, si en vostre jeunesse

Avez esté gaigné d'une telle Princesse,

Quand moy, qui des amours ay passé la saison,

Qui ay morne le sang, le chef demy-grison,

Dés long temps j'en avois toute l'ame blessee,

Et le traict seulement vivoit en la pensee:

J'estois de la servir soigneux et curieux.

"Aussi bien que les Rois les pauvres ont des yeux.

Ma fortune en bon-heur passe la vostre, Prince.

Que vous sert maintenant vostre riche province,

Que vous sert vostre sceptre et vostre honneur royal?

Cela ne peult guarir en amour vostre mal,

Cela ne refroidit le feu qui vous allume:

Où je suis soulagé par le bien de ma plume,

Qui deschargeant mon coeur de mille affections,

Emporte dans le vent toutes mes passions.

Elle est mon Secretaire: et sans mendier qu'elle,

Je luy dy mes secrets: je la trouve fidelle,

Et soulage mon mal de si douce façon,

Que rien contre l'Amour n'est bon que la chanson.

La Muse est mon confort, qui de sa voix enchante

(Tant son charme est puissant) l'Amour, quand elle chante

O germe de Venus, enfant Idalien,

Soit que tu sois des Dieux le Dieu plus ancien,

Que le Ciel soit ton pere, et la Mer ta nourrice,

Que tu sois citoyen d'Amathonte ou d'Eryce,

Vien demeurer en France, et soulage l'ardeur

De mon Prince, qui vit sujet de ta grandeur.

V

Chanson par Stances

Ah belle eau vive, ah fille d'un rocher,

Qui fuis tousjours pour ma peine fatale,

Ne souffre plus que je sois un Tantale,

Laisse ma soif en tes eaux estancher:

Ou si tu n'as pitié de mon trespas,

De tant pleurer il me prend une envie,

Qu'ainsi que toy je veux changer ma vie

En source d'eau pour mieux suivre tes pas.

Eau devenu, en ton eau je vivray,

Faict par mes pleurs une eternelle source:

Et d'eau pareille, et de pareille course

Plongé dans toy, tousjours je te suivray.

Fils de Venus, enfant ingenieux,

Je te supply pour alleger ma peine,

Que tout mon corps ne soit qu'une fonteine,

Et que mon sang je verse par les yeux

Si tu ne veux, ô Nymphe, consentir

Que pour te suivre en eau je me transforme,

D'un feu bruslant je veux prendre la forme

Pour de mon mal te faire repentir.

Ainsi qu'Achille insolent en desirs

Brusla le fleuve en la plaine Troyenne,

Face le Ciel que flame je devienne

Pour consommer ton eau de mes souspirs.

Quand on ne peult par un remede egal

Avoir santé du tourment qui nous presse,

Desesperé de tout salut, maistresse,

D'un mal contraire il faut guarir son mal.

VI

Sonet

Callirée parle contre la chasse.

Celuy fut ennemy des Deitez puissantes,

Et cruel viola de nature les lois,

Qui le premier rompit le silence des bois,

Et les Nymphes qui sont dans les arbres naissantes:

Qui premier de limiers et de meutes pressantes,

De piqueurs, de veneurs, de trompes et d'abois

Donna par les forests un passetemps aux Rois

De la course du sang des bestes innocentes.

Je n'aime ny piqueurs, ny filets, ny veneurs,

Ny meutes ny forests, la cause de mes peurs:

Je doute qu'Arthemis quelque sangler n'appelle.

Encontre Eurymedon, pour voir ses jours finis,

Que le dueil ne me face une Venus nouvelle,

Et la mort ne le face un nouvel Adonis.

 

La Charite

 

Ce jeune dieu...

I

A la Marguerite et unique perle de France, la royne de Navarre.

Ce jeune Dieu, qui aux plus vieux commande,

Qui par le Ciel, qui par la terre court,

Voyant un jour les Dames de la Court,

Remonte aux Cieux, et Venus luy demande:

Dy-moy, mon fils, volant de place en place

Comme tu fais, sans foy, sans loyauté,

As tu point veu là bas quelque beauté

(Ton oeil voit tout) qui la mienne surpasse?

Amour respond: Pren, ma mere, asseurance,

Rien ne sçauroit surpasser ton honneur

Fors une Royne, en qui tout le bon-heur

Du plus beau Ciel se versa dés l'enfance.

Elle rougist: les Dames sont despites.

Quand leur renom en beauté n'est parfait

Et pour sçavoir la verité du fait,

Elle choisit l'une de ses Charites.

Mon coeur, mes yeux, mon ame et ma pensee,

Si j'ay de toy quelque bien merité,

Descens en France, et me dis verité

Si ma beauté d'une autre est surpassee.

Pour obeyr la jeune Pasithee

Toute divine abandonna les Cieux:

L'air luy fait place, et les vents et les Dieux,

En quelque part que la belle est portee.

D'un vol soudain elle fist sa descente,

Fendant le Ciel ainsi qu'on voit la nuit

Couler de loin une estoile qui luit.

Entre deux airs d'une trace glissante.

Beauté, vigueur, jeunesse et courtoisie,

Le jeu, l'attraict, les delices, l'amour,

Ainsi qu'oiseaux voloient tout à l'entour

De ce beau corps, leur demeure choisie.

Son chef divin, miracle de nature,

Estoit couvert de cheveux ondelez,

Noüez, retors, rescrepez, annelez,

Un peu plus noirs que de blonde teinture.

Son front estoit une table garnie

De marbre blanc, siege de majesté,

Net et poly, comme souvent l'Esté

On voit la mer sans ondes toute unie.

Les sourcis noirs faits en arche d'Ebene,

De l'arc d'Amour la forme et le portraict,

D'un beau Croissant contrefaisant le traict,

Quand au tiers jour le mois il nous rameine.

Les yeux estoient d'une force contraire,

L'un gracieux, et l'autre furieux,

Deux yeux (je faux, mais deux Astres des Cieux)

L'un pour chasser, et l'autre pour attraire.

En ses yeux bruns toute delicatesse,

Traicts, hameçons, servages et prison,

Qui des plus fins affinent la raison,

Servoient d'escorte à si belle Deesse.

Toutes beautez en ses yeux sont coulees:

Amour n'avoit d'autre logis trouvé:

Son nez sembloit hautement relevé,

Un petit tertre enclos en deux vallees.

Sa tendre, ronde, et delicate oreille,

Blanche, polie, au bout s'enrichissoit

D'un beau ruby, qui clair embellissoit

Des ses rayons son visage à merveille.

De vif cinabre estoit faicte sa jouë,

Pareille au teint d'un rougissant oeillet,

Ou d'une fraize alors que dans du laict

Dessus le hault de la cresme se jouë.

Toutes les fleurs du sang des Princes nees

Narcisse, Ajax, n'eurent le teint pareil

Au sien, meslé de brun et de vermeil,

Qui rend d'amour les ames estonnees.

Telle couleur à la nuict est commune,

D'un peu de noir sa face embellissant,

Quand peu à peu le jour est finissant,

Et ja le soir tire devers la brune.

Sa bouche estoit de mille roses pleine,

De lis, d'oeillets; où blanchissoient dedans

A doubles rangs des perles pour des dents,

Qui embasmoient le ciel de leur haleine.

De là sortoient les ris et les parolles

Fortes assez pour les hommes charmer,

Et qui pouvoient les roches de la mer,

En les oyant, rendre douces et molles.

Un rond menton finissoit son visage,

Un peu fendu d'assez bonne espesseur,

Gras, en-bon-poinct, dont la blanche espesseur

De l'autre enfleure est certain tesmoignage.

Son col estoit un pilier de Porphire

En longs rameaux de veines separé,

D'oeillets, de nege et de roses paré,

Entre-poussé d'un gracieux Zephire.

Deux monts de laict qu'un vent presse et represse,

Qui sur le sein sans bouger s'esbranloient

Comme deux coings, enflez se pommeloient

En deux tetins messagers de jeunesse.

Du reste, helas! de parler je n'ay garde,

Dont le regard aux hommes est osté,

Sacré sejour, qu'Honneur et Chasteté

Ainsi qu'Archers ont en soigneuse garde.

Ses mains estoient blanches, longues, douillettes,

Qui tressailloient en veines et rameaux,

Puis se fendoient en cinq freres jumeaux

Environnez de cinq bords de perlettes.

De marbre long taillé par artifice

Sa jambe estoit, ses pieds estoient petits,

Tels qu'on les feint à la belle Thetis,

Seur fondement d'un si bel edifice.

Comme un esclair la Nymphe qui s'eslance,

Dans le palais de Charles arriva:

Puis tout d'un coup invisible s'en-va

Trouver la salle où se faisoit la dance.

Il estoit nuict; et les humides voiles

L'air espoissy de toutes parts avoient,

Quand pour baller les Dames arrivoient,

Qui de clarté paroissoient des estoilles.

Robes d'argent et d'or laborieuses

Comme à l'envy flambantes esclattoient:

Vives en l'air les lumieres montoient,

A traicts brillans, des pierres precieuses

Là mon grand Prince et noz Seigneurs ses freres

Estoient venus ornez de majesté,

Pour compaignie ayant à leur costé

Les loix qui sont plus douces que severes.

Là Marguerite, ornement de nostre âge,

Apparoissoit en sa double valeur,

Et tantost perle, et tantost une fleur

Un beau Printemps naissant de son visage.

Si tost qu'au bal la Nymphe bien-aimee

Se presenta, ses deux astres jumeaux

Feirent au double esclairer les flambeaux,

Et d'un beau jour la nuict fut allumee.

Dedans la salle une odoreuse nuë

Pleine de musc et d'ambre s'espandit:

Par tel miracle un chacun entendit

Qu'une Deesse au bal estoit venue

Comme un Soleil, sans rompre la verriere,

Passe en la chambre ondoyant et pointu,

Sans que l'object empesche la vertu

De sa divine et persante lumiere:

Ainsi la belle invisible Charite

Comme un esclair la salle penetra,

Et toute entiere en se cachant entra

Dedans le corps de nostre Marguerite.

Si bien son ame en son ame est enclose,

Si bien sa vie en l'autre elle logea,

Si bien son sang au sang d'elle changea,

Que les deux corps n'estoient plus qu'une chose.

Si que mon Roy d'un jugement extrême

Bien clair-voyant, germe des Dieux conceu,

Y fut premier en la voyant deceu,

Pensant au vray que ce fust sa soeur mesme.

Serrant sa main la conduit à la dance:

Comme une femme elle ne marchoit pas,

Mais en roulant divinement le pas,

D'un pied glissant couloit à la cadance.

L'homme pesant marche dessus la place,

Mais un Dieu vole, et ne sçauroit aller:

Aux Dieux legers appartient le voler,

Comme engendrez d'une eternelle race.

Le Roy dansant la volte Provençalle

Faisoit sauter la Charite sa soeur:

Elle suivant d'une grave douceur,

A bonds legers voloit parmy la salle.

Ainsi qu'on voit aux grasses nuicts d'Automne

Un prompt Ardent sur les eaux esclairant,

Tantost deça, tantost delà courant

De place en place, et repos ne se donne:

Elle changeoit en cent metamorphoses

Le coeur de ceux qui son front regardoient:

Maints traicts de feu de ses yeux descendoient,

Et sous ses pieds faisoient naistre des roses.

Au devant d'elle alloient pour seures guides

Aveq' l'honneur, la grace, majesté,

Et la vertu, qui gardoient sa beauté,

Comme un Dragon le fruict des Hesperides.

Incontinent que la douce harmonie

Des violons en l'air plus ne s'ouyt,

Ceste Charite au Ciel s'esvanouyt,

Abandonnant l'humaine compagnie.

Ainsi de nuict la paupière fermee

D'un doux sommeil, en songeant recognoist

Quelque Demon qui soudain apparoist,

Puis tout soudain se perd comme fumee.

Adieu Charite, adieu Nymphe bien-nee,

Ou monte au Ciel, ou vole où tu voudras,

En ceste Court bien tost tu reviendras

Dessous le joug du nopcier Hymenee.

Lors moy remply d'un plus ardent courage

Je doubleray la force de ma vois,

Pour faire aller jusqu'aux champs Navarrois

L'accord heureux du sacré mariage.

II

Elégie

Ce Dieu qui se repaist de nostre sang humain,

Ayant au doz la trousse, et l'arc dedans la main,

Voulut depuis deux jours environner la terre,

Et voir combien ses traicts aux hommes font de guerre.

Comme il alloit le Ciel et la Mer recherchant,

Il vit dez l'Orient jusqu'au Soleil couchant,

Dez l'Afrique bruslee aux montaignes Riphees,

Que tout le monde entier n'estoit que ses trophees,

Et qu'il n'y avoit Prince, Empire ny cité,

Qui ne tremblast au nom de sa divinité.

Il vit Jupiter pris de noz mortelles femmes,

Neptune sous la mer n'esteindre point ses flames,

Et Pluton aux enfers sentir la cruauté

Qu'apporte dans les coeurs une douce beauté.

A la fin tout lassé de voler par le monde,

A l'heure que Phebus se cache dessous l'onde,

Quand nous voyons le jour en la nuict se changer,

Amour cherchea par tout un giste à se loger.

Ramassant du long vol son aile recueillie,

Tantost tournoit les yeux sur la belle Italie,

Tantost de sur l'Espaigne, et tantost d'autre part

Sur l'isle d'Angleterre abaissoit son regard.

Pressé de se loger par la nuict qui commence,

Il jetta ses beaux yeux sur le peuple de France.

Il avisa Paris, et vint au poinct du soir,

Comme un oiseau leger, sur le Louvre s'assoir.

De fortune la belle et chaste Marguerite,

Perle et fleur des François, immortelle Charite,

Des divines beautez le Patron eternel,

Revenoit des jardins du Palais maternel.

L'Honneur et la Vertu suivoient ceste Princesse,

Ainçois ce beau Soleil, qui tiroit une presse

De Dames et d'Amours au tour de son costé.

Elle race des Rois marchoit en gravité

Au milieu de sa troupe, et passoit les plus belles,

Comme l'Aube la nuict de ses flames nouvelles.

Si tost qu'Amour la vit, il en fut envieux.

Aussi prompt qu'un esclair se jetta dans ses yeux.

Il se fit invisible, à fin que sa venue

Ne fust que d'elle seule, et non d'autre cognue.

L'homme qui est mortel, n'est pas digne de voir

Les Dieux en leur essence, et moins les recevoir:

C'est un vaisseau de terre entourné de foiblesse.

L'humain cherche l'humain, et le Dieu la Deesse.

Incontinent qu'Amour se fut logé dedans

Ces yeux si penetrans, si beaux et si ardans,

Armez d'une vertu si divine et si claire,

Je me trompe, dit-il, je croy que c'est ma mere

Qui avoit emprunté les membres d'un mortel:

Un oeil, s'il n'est divin, ne sçauroit estre tel.

Est-ce point Pasithee? ou quelqu'une des Graces?

Oeil, quiconque sois tu, de splendeur tu surpasses

Venus et Pasithee: et par tout je ne voy

Rien qui puisse egaler ta beauté, sinon toy.

Mais si tost qu'elle fut en sa chambre arrivee,

Qu'à l'entour de son corps sa robbe fut levee,

Que toutes ses beautez se monstrerent à nu,

Amour est tout soudain amoureux devenu:

Il souspire, il languist en une peine extrême,

Et sent au coeur les maux qui viennent de luymesme.

Regardant son beau front d'yvoire blanchissant,

Et ses sourciz tournez en forme d'un Croissant,

Où il prit de son arc la vouture premiere:

Puis sentant de ses yeux la celeste lumiere,

Le vray logis d'Amour, lumiere qui pourroit

R'animer d'une oeillade un homme qui mourroit,

Esbranler les rochers; appaiser la marine,

Et tirer d'un regard le coeur de la poictrine:

Lumiere saincte, douce, angelique, qui fais

Et couler, et sentir jusqu'en l'ame tes rais:

Il devint esperdu d'esprit et de memoire.

Veincu sans resistance il quitta la victoire,

Et ne fist que penser le moyen de pouvoir

Vivre tousjours en elle, et pour Dame l'avoir.

Or maintenant ce Dieu sous les flames jumelles

Des yeux de son hostesse estendoit ses deux ailes,

Et seichoit son pennage à leur belle clarté:

Maintenant aiguisoit ses rais sur leur beauté:

Maintenant il prenoit des cheveux de la belle

Pour refaire à son arc une corde nouvelle:

Maintenant tout son arc raccoustroit de nouveau,

Se refondoit soymesme, et se faisoit plus beau.

Il oublia le Ciel, sa celeste origine,

Et pensoit que le Ciel d'elle n'estoit pas digne:

Et tellement Amour de son feu s'embrasa,

Que mille et mille fois ses yeux il rebaisa:

Les prioit, adoroit, et veincu de martire,

Fut contraint à la fin telle parole dire,

Souspirant aigrement tout triste et tout desfait

Par le coup que luymesme à soymesme avoit fait.

Or je suis bien puny des rigoureuses peines

Que je soulois donner aux personnes humaines.

Les souspirs et les voix, et les pleurs soucieux

De ceux que j'ay blessez, sont venus jusqu'aux Cieux.

Nemesis m'a puny: c'est la loy de Nature,

Celuy qui fait du mal, que du mal il endure.

Je fus sans foy, sans loy, vagabond et leger,

Menteur, flateur, trompeur, causeur et mensonger:

La mer conceut ma mere en sa vague profonde:

Je suis un Phaëton qui brusle tout le monde:

J'ay renversé les loix et les villes à bas,

Et comme d'un jouet, du monde je m'esbas.

Maintenant de mes maux je souffre penitance.

Je me confesse au Ciel, au coeur j'ay repentance:

Je demande pardon, et sçay que justement

De mes pechez commis j'endure chastiment.

Je sçay que peult l'ennuy, les souciz et les pleintes,

Les sanglots, les soupirs, et les larmes non feintes:

Le mal me touche au coeur, qui me fait langoureux.

Et pource desormais, ô pauvres amoureux,

J'auray pitié du feu qui cause vostre perte,

Pleurant vostre douleur comme l'ayant soufferte.

Ainsi disoit Amour plaignant sa liberté.

Mais vous, qui sçavez bien comme il est arresté

Prisonnier de voz yeux, devenez glorieuse

D'estre d'un si grand Dieu seule victorieuse.

Vous desrobez son arc, ses flames et ses trais,

Et comme ardens esclairs vous les jettez espais,

Sans faillir, droict aux coeurs de ceux qui vous regardent,

Que corselets ferrez n'y bouclairs ne retardent,

Tant ils sont foudroyans, penetrans et poinctus,

Acerez et forgez par les mesmes Vertus.

Donques, Perle d'honneur, que la beauté couronne,

Il ne faut desormais que la France s'estonne,

Si seule vous blessez les hommes et les Dieux,

Puis que l'Amour vous aime, et qu'il loge en voz yeux.

 

Sonets et madrigals pour Astree

 

Dois-je voler...

I

Dois-je voler emplumé d'esperance,

Ou si je dois, forcé du desespoir,

Du haut du Ciel en terre laisser choir

Mon jeune amour avorté de naissance?

Non, j'aime mieux, leger d'outrecuidance,

Tomber d'enhaut, et fol me decevoir,

Que voler bas, deussé-je recevoir

Pour mon tombeau toute une large France.

Icare fit de sa cheute nommer,

Pour trop oser, les ondes de la mer:

Et moy je veux honorer ma contree

De mon sepulchre, et dessus engraver,

Ronsard voulant aux astres s'eslever,

Fut foudroyé par une belle astree.

II

Le premier jour que j'avisay la belle

Ainsi qu'un Astre esclairer à mes yeux,

Je discourois en esprit, si les Dieux

Au Ciel là haut estoient aussi beaux qu'elle.

De son regard mainte vive estincelle

Sortoit menu comme flame des Cieux:

Si qu'esblouy du feu victorieux,

Je fus veincu de clarté si nouvelle.

Depuis ce jour mon coeur qui s'alluma,

D'aller au Ciel sottement presuma,

En imitant des Geans le courage.

Cesse, mon coeur, la force te defaut:

Bellerophon te devroit faire sage:

Pour un mortel le voyage est trop haut.

III

Belle Erigone, Icarienne race,

Qui luis au Ciel, et qui viens en la terre

Faire à mon coeur une si douce guerre,

De ma raison ayant gaigné la place:

Je suis veincu, que veux-tu que je face

Sinon prier cest Archer qui m'enferre,

Que doucement mon lien il desserre,

Trouvant un jour pitié devant ta face?

Puis que ma nef au danger du naufrage

Pend amoureuse au milieu de l'orage,

De mast, de voile assez mal accoustree,

Vueilles du Ciel en ma faveur reluire:

Il appartient aux Astres, mon Astree,

Luire, sauver, fortuner et conduire.

IV

Madrigal

L'homme est bien sot, qui aime sans cognoistre.

J'aime, et jamais je ne vy ce que j'aime:

D'un faux penser je me deçoy moy-mesme,

Je suis esclave, et ne cognois mon maistre.

L'imaginer seulement me fait estre

Comme je suis en une peine extrême.

L'oeil peult faillir, l'aureille fait de mesme,

Mais nul des sens mon amour n'a fait naistre.

Je n'ay ny veu, ny ouy, ny touché:

Ce qui m'offense, à mes yeux est caché:

La playe au coeur à credit m'est venue.

Ou noz esprits se cognoissoient aux Cieux

Ains que d'avoir nostre terre vestue,

Qui vont gardant la mesme affection

Dedans leurs corps, qu'au Ciel ils avoient euë,

Ou je suis fol: encores vaut-il mieux

Aimer en l'air une chose incognue

Que n'aimer rien, imitant Ixion,

Qui pour Junon embrassoit une nue.

V

Douce Françoise, ainçois douce framboise,

Fruict savoureux, mais à moy trop amer,

Tousjours ton nom, helas! pour trop aimer

Loge en mon coeur, quelque part que je voise.

Ma douce paix, mes tréves, et ma noise,

Belle qui peux mes Muses animer,

Ton nom si franc devroit t'accoustumer

Mettre les coeurs en franchise Françoise.

Mais tu ne veux redonner liberté

Au mien captif, que tu tiens arresté,

Pris en ta chesne estroitement serree.

Laisse la force: Amour le retiendra,

Ou bien, Maistresse, autrement il faudra

Que pour Françoise on t'appelle ferree.

VI

Madrigal

Dequoy te sert mainte Agathe gravee,

Maint beau Ruby, maint riche Diamant?

Ta beauté seule est ton seul ornement,

Beauté qu'Amour en son sein a couvee.

Cache ta perle en l'Orient trouvee,

Tes graces soient tes bagues seulement:

De tes joyaux en toy parfaitement

Est la splendeur et la force esprouvee.

Dedans tes yeux reluisent leurs beautez,

Leurs vertuz sont en toy de tous costez:

Tu fais sur moy tes miracles, ma dame.

Sans eux je sens que peult ta Deité.

Tantost glaçon, et tantost une flame,

De jalousie et d'amour agité,

Palle, pensif, sans raison et sans ame,

Ravy, transy, mort, et resuscité.

VII

Au mois d'Avril quand l'an se renouvelle,

L'Aube ne sort si belle de la mer,

Ny hors des flots la Deesse d'aimer

Ne vient à Cypre en sa conque si belle,

Comme je vy la beauté que j'appelle

Mon Astre sainct, au matin s'esveiller,

Rire le Ciel, la terre s'esmailler,

Et les Amours voler à l'entour d'elle.

Beauté, jeunesse, et les Graces qui sont

Filles du Ciel, luy pendoient sur le front:

Mais ce qui plus redoubla mon service,

C'est qu'elle avoit un visage sans art.

La femme laide est belle d'artifice,

La femme belle est belle sans du fard.

VIII

Madrigal

Depuis le jour que je te vey, Maistresse,

Tu as passé deux fois aupres de moy,

L'une muette et d'un visage coy,

Sans daigner voir quelle estoit ma tristesse:

L'autre, pompeuse en habit de Deesse,

Belle pour plaire aux delices d'un Roy,

Tirant des yeux tout à l'entour de toy

Dessous ton voile une amoureuse presse.

Je pensois voir Europe sur la mer,

Et tous les vents de son voile enfermer,

Tremblant de peur en te voyant si belle,

Que quelque Dieu ne te ravist aux cieux,

Et ne te fist une essence immortelle.

Si tu m'en crois, fuy l'or ambicieux:

Ne porte au chef une coiffure telle.

Le simple habit, ma dame, te sied mieux.

IX

L'Astre divin, qui d'aimer me convie,

Tenoit du Ciel la plus haute maison,

Le jour qu'Amour me mit en sa prison,

Et que je vy ma liberté ravie.

Depuis ce temps j'ay perdu toute envie

De me ravoir, et veux que la poison

Qui corrompit mes sens et ma raison,

Soit desormais maistresse de ma vie.

Je veux pleurer, sanglotter et gemir,

Passer les jours et les nuicts sans dormir,

Hayr moymesme, et de tous me distraire,

Et devenir un sauvage animal.

Que me vaudroit de faire le contraire,

Puis que mon Astre est cause de mon mal?

X

Le premier jour que l'heureuse aventure

Conduit vers toy mon esprit et mes pas;

Tu me donnas pour mon premier repas

Mainte dragee et mainte confiture.

Jalouse apres de si douce pasture,

En mauvais goust tu changeas tes appas,

Et pour du sucre, ô cruelle, tu m'as

Donné du fiel, qui corrompt ma nature.

Le sucre doit pour sa douceur nourrir:

Le tien m'a fait cent mille fois mourir,

Tant il se tourne en fascheuse amertume.

Ce ne fut toy, ce fut ce Dieu d'aimer.

Qui me deceut, en suivant sa coustume,

D'entre-mesler le doux avec l'amer.

XI

Adieu cheveux, liens ambitieux,

Dont l'or frizé me retint en service,

Cheveux plus beaux que ceux que Berenice

Loin de son chef envoya dans les cieux.

Adieu mirouër, qui fais seul glorieux

Son coeur trop fier d'amoureuse malice:

Amour m'a dit qu'autre chemin j'apprisse,

Et pource adieu belle bouche et beaux yeux.

Trois mois entiers d'un desir volontaire

Je vous servy, et non comme forsaire,

Qui par contrainte est sujet d'obeyr.

Comme je vins, je m'en revais, maistresse:

Et toutefois je ne te puis hayr.

Le coeur est bon, mais la fureur me laisse.

XII

Quand tu portois l'autre jour sur ta teste

Un verd Laurier, estoit-ce pour monstrer

Qu'amant si fort ne se peut rencontrer,

Dont la victoire en tes mains ne soit preste?

Ou pour montrer ton heureuse conqueste

De m'avoir fait en tes liens entrer?

Dont je te pri' me vouloir despestrer.

Peu sert le bien que par force on acqueste.

Soit le Laurier de ton front le sejour:

Le Rosmarin, helas! que l'autre jour

Tu me donnas, me devoit faire sage.

C'estoit congé que je pren maugré moy:

Car de vouloir resister contre toy,

Astre divin, c'est estre sacrilege.

XIII

Je haïssois et ma vie et mes ans,

Triste j'estois de moymesme homicide:

Mon coeur en feu, mon oeil estoit humide,

Les Cieux m'estoient obscurs et desplaisans.

Alors qu'Amour, dont les traicts sont cuisans,

Me dist, Ronsard, pour avoir un bon guide

De l'Astre sainct qui maistre te preside,

Peins le portrait au milieu de tes gans:

Sans contredit à mon Dieu j'obey.

J'ay bien cognu qu'il ne m'avoit trahy:

Car dés le jour que je feis la peinture,

Heureux je vey prosperer mes desseins.

Comment n'auray-je une bonne aventure,

Quand j'ay tousjours mon Astre entre les mains?

XIV

Plus que mes yeux j'aime tes beaux cheveux,

Liens d'Amour que l'or mesme accompaigne,

Et suis jaloux du bon-heur de ton peigne,

Qui au matin desmesle leurs beaux neuds.

En te peignant il se fait riche d'eux,

Il les desrobe: et l'Amour qui m'enseigne

D'estre larron, commande que je prenne

Part au butin assez grand pour tous deux.

Mais je ne puis: car le peigne fidelle

Garde sa proye, et puis ta damoiselle

Serre le reste, et me l'oste des doigts.

O cruautez! ô beautez trop iniques!

Le pelerin touche bien aux reliques

Par les travers d'une vitre, ou d'un bois.

XV

Pour retenir un amant en servage,

Il faut aimer, et non dissimuler,

De mesme flame amoureuse brusler,

Et que le coeur soit pareil au langage:

Tousjours un ris, tousjours un bon visage,

Tousjours s'ecrire et s'entre-consoler:

Ou qui ne peut escrire ny parler,

A tout le moins s'entre-voir par message.

Il faut avoir de l'amy le portraict,

Cent fois le jour en rebaiser le traict:

Que d'un plaisir deux ames soient guidees.

Deux corps en un rejoincts en leur moitié.

Voyla les poincts qui gardent l'amitié;

Et non pas vous qui n'aimez qu'en idees.

XVI

Mon ame vit en servage arrestee:

Il adviendra, Dame, ce qu'il pourra:

Le coeur vivra te servant, et mourra:

Ce m'est tout un, la chance en est jettee.

Je suis joyeux dequoy tu m'as ostee

La liberté, et mon esprit sera

D'autant heureux, que serf il se verra

De ta beauté, des Astres empruntee.

Il est bien vray que de nuict et de jour

Je me complains des embusches d'Amour,

Qui d'un penser un autre fait renaistre.

C'est mon seigneur, je ne le puis hayr:

Vueille ou non vueille, il faut luy obeyr.

Le serviteur est moindre que le maistre.

XVII

Elégie du printemps

A la soeur d'Astrée.

Printemps, fils du Soleil, que la terre arrousee

De la fertile humeur d'une douce rousee

Au milieu des oeillets et des roses conceut,

Quand Flore entre ses bras nourrice vous receut,

Naissez, croissez Printemps, laissez vous apparoistre:

En voyant Isabeau, vous pourrez vous cognoistre:

Elle est vostre mirouer; et deux liz assemblez

Ne se ressemblent tant que vous entre-semblez:

Tous les deux n'estes qu'un, c'est une mesme chose.

La Rose que voicy, ressemble à ceste Rose,

Le Diamant à l'autre, et la fleur à la fleur:

Le Printemps est le frere, Isabeau est la soeur.

On dit que le Printemps pompeux de sa richesse,

Orgueilleux de ses fleurs, enflé de sa jeunesse,

Logé comme un grand Prince en ses vertes maisons,

Se vantoit le plus beau de toutes les saisons,

Et se glorifiant le contoit à Zephire.

Le Ciel en fut marry, qui soudain le vint dire

A la mere Nature. Elle pour r'abaisser

L'orgueil de cest enfant, va par tout r'amasser

Les biens qu'elle espargnoit de mainte et mainte année.

Quand elle eut son espargne en son moule donnee,

La fist fondre: et versant ce qu'elle avoit de beau,

Miracle nous fist naistre une belle Isabeau,

Belle Isabeau de nom, mais plus belle de face,

De corps belle et d'esprit, des trois Graces la grace.

Le Printemps estonné, qui si belle la voit,

De vergongne la fiévre en son coeur il avoit:

Tout le sang luy bouillonne au plus creux de ses veines:

Il fist de ses deux yeux saillir mille fonteines,

Souspirs dessus souspirs comme feu luy sortoient,

Ses muscles et ses nerfs en son corps luy battoient:

Il devint en jaunisse, et d'une obscure nue

La face se voila pour n'estre plus cognue.

Et quoy? disoit ce Dieu de honte, et furieux,

Ayant la honte au front, et les larmes aux yeux,

Je ne sers plus de rien, et ma beauté premiere

D'autre beauté veincue a perdu sa lumière:

Une autre tient ma place, et ses yeux en tout temps

Font aux hommes sans moy tous les jours un Printemps:

Et mesme le Soleil plus longuement retarde

Ses chevaux sur la terre, afin qu'il la regarde:

Il ne veut qu'à grand peine entrer dedans la mer,

Et se faisant plus beau fait semblant de l'aimer.

Elle m'a desrobé mes graces les plus belles,

Mes oeillets et mes liz, et mes roses nouvelles,

Ma jeunesse, mon teint, mon fard, ma nouveauté,

Et diriez en voyant une telle beauté,

Que tout son corps ressemble une belle prairie

De cent mille couleurs au mois d'Avril fleurie?

Bref, elle est toute belle, et rien je n'apperçoy

Qui la puisse egaler, seule semblable à soy.

Le beau trait de son oeil seulement ne me touche:

Je n'aime seulement ses cheveux et sa bouche,

Sa main qui peut d'un coup et blecer et guarir

Sur toutes ses beautez son sein me fait mourir.

Cent fois ravy je pense, et si ne sçaurois dire

De quelle veine fut emprunté le porphire,

Et le marbre poly dont Amour l'a basty,

Ny de quels beaux jardins cest oeillet est sorty,

Qui donna la couleur à sa jeune mammelle,

Dont le bouton ressemble une fraize nouvelle,

Verdelet, pommelé, des Graces le sejour.

Venus et ses enfans volent tout à l'entour,

La douce mignardise et les douces blandices,

Et tout cela qu'Amour inventa de delices.

Je m'en vay furieux sans raison ny conseil:

Je ne sçaurois souffrir au monde mon pareil.

Ainsi disoit ce Dieu tout remply de vergongne.

Voila pourquoi de nous si long temps il s'eslongne

Craignant vostre beauté, dont il est surpassé:

Ayant quitté la place à l'Hyver tout glacé,

Il n'ose retourner. Retourne, je te prie,

Printemps pere des fleurs: il faut qu'on te marie

A la belle Isabeau: car vous apparier,

C'est aux mesmes beautez les beautez marier,

Les fleurs avec les fleurs: de si belle alliance

Naistra de siecle en siecle un Printemps en la France.

Pour douaire certain tous deux vous promettez

De nous entre-donner voz fleurs et voz beautez,

Afin que voz beaux ans despit de vieillesse,

Ainsi qu'un renouveau soient tousjours en jeunesse.

 

Le premier livre des sonets pour Helene

 

Ce premier jour...

I

Ce premier jour de May, Helene, je vous jure

Par Castor, par Pollux, voz deux freres jumeaux,

Par la vigne enlassee à l'entour des ormeaux,

Par les prez, par les bois herissez de verdure,

Par le Printemps sacré, fils aisné de Nature,

Par le sablon qui roule au giron des ruisseaux,

Par tous les rossignols, merveille des oiseaux,

Qu'autre part je ne veux chercher autre avanture.

Vous seule me plaisez: j'ay par election,

Et non à la volée, aimé vostre jeunesse:

Aussi je prens en gré toute ma passion.

Je suis de ma fortune autheur, je le confesse:

La vertu m'a conduit en telle affection:

Si la vertu me trompe, adieu belle Maistresse.

II

Quand à longs traits je boy l'amoureuse estincelle

Qui sort de tes beaux yeux, les miens sont esblouys:

D'esprit ny de raison, troublé, je ne jouys,

Et comme yvre d'amour, tout le corps me chancelle.

Le coeur me bat au sein: ma chaleur naturelle

Se refroidit de peur: mes sens esvanouys

Se perdent dedans l'air, tant tu te resjouys

D'acquerir par ma mort le surnom de cruelle.

Tes regards foudroyans me percent de leurs rais

Tout le corps, tout le coeur, comme poinctes de trais

Que je sens dedans l'ame: et quand je me veux plaindre,

Ou demander mercy du mal que je reçois,

Si bien ta cruauté me reserre la vois,

Que je n'ose parler, tant tes yeux me font craindre.

III

Ma douce Helene, non, mais bien ma douce haleine,

Qui froide rafraischis la chaleur de mon coeur,

Je prens de ta vertu cognoissance et vigueur,

Et ton oeil, comme il veut, à son plaisir me meine.

Heureux celuy qui souffre une amoureuse peine

Pour un nom si fatal: heureuse la douleur,

Bien-heureux le torment, qui vient pour la valeur

Des yeux, non pas des yeux, mais des flames d'Helene.

Nom, malheur des Troyens, sujet de mon souci,

Ma sage Penelope, et mon Helene aussi,

Qui d'un soin amoureux tout le coeur m'envelope:

Nom, qui m'a jusqu'au ciel de la terre enlevé,

Qui eust jamais pensé que j'eusse retrouvé

En une mesme Helene une autre Penelope?

IV

Tout ce qui est de sainct, d'honneur et de vertu,

Tout le bien qu'aux mortels la Nature peut faire,

Tout ce que l'artifice icy peut contrefaire.

Ma maistresse, en naissant, dans l'esprit l'avoit eu.

Du juste et de l'honneste à l'envy debatu

Aux escoles des Grecs: de ce qui peut attraire

A l'amour du vray bien, à fuyr le contraire,

Ainsi que d'un habit son corps fut revestu.

La chasteté, qui est des beautez ennemie

(Comme l'or fait la Perle) honore son Printemps,

Un respect de l'honneur, une peur d'infamie,

Un oeil qui fait les Dieux et les hommes contens.

La voyant si parfaite, il faut que je m'escrie,

Bien-heureux qui l'adore, et qui vit de son temps!

V

Helene sceut charmer avecque son Nepenthe

Les pleurs de Telemaque. Helene, je voudroy

Que tu peusses charmer les maux que je reçoy

Depuis deux ans passez, sans que je m'en repente.

Naisse de noz amours une nouvelle plante,

Qui retienne noz noms pour eternelle foy,

Qu'obligé je me suis de servitude à toy,

Et qu'à nostre contract la terre soit presente.

O terre, de noz oz en ton sein chaleureux

Naisse une herbe au Printemps propice aux amoureux,

Qui sur noz tombeaux croisse en un lieu solitaire.

O desir fantastiq, duquel je me deçoy,

Mon souhait n'adviendra, puis qu'en vivant je voy

Que mon amour me trompe, et qu'il n'a point de frere.

VI

Dedans les flots d'Amour je n'ay point de support:

Je ne voy point de Phare, et si je ne desire

(O desir trop hardy!) sinon que ma Navire

Apres tant de perils puisse gaigner le port.

Las! devant que payer mes voeuz dessus le bort,

Naufrage je mourray: car je ne voy reluire

Qu'une flame sur moy, qu'une Helene qui tire

Entre mille rochers ma Navire à la mort.

Je suis seul, me noyant, de ma vie homicide,

Choisissant un enfant, un aveugle pour guide,

Dont il me faut de honte et pleurer et rougir.

Je ne crains point la mort: mon coeur n'est point si lasche:

Je suis trop genereux: seulement je me fasche

De voir un si beau port, et n'y pouvoir surgir.

VII

Chanson

Quand je devise assis aupres de vous,

Tout le coeur me tressaut.

Je tremble tout de nerfs et de genous,

Et le pouls me defaut.

Je n'ay ny sang ny esprit ny haleine,

Qui ne se trouble en voyant mon Heleine,

Ma chere et douce peine.

Je devien fol; je perds toute raison:

Cognoistre je ne puis

Si je suis libre, ou captif en prison:

Plus en moy je ne suis.

En vous voyant, mon oeil perd cognoissance:

Le vostre altere et change mon essence,

Tant il a de puissance.

Vostre beauté me fait en mesme temps

Souffrir cent passions:

Et toutesfois tous mes sens sont contents,

Divers d'affections.

L'oeil vous regarde, et d'autre part l'oreille

Oyt vostre voix, qui n'a point de pareille,

Du monde la merveille.

Voyla comment vous m'avez enchanté,

Heureux de mon malheur:

De mon travail je me sens contenté,

Tant j'aime ma douleur:

Et veux tousjours que le torment me tienne,

Et que de vous tousjours il me souvienne,

Vous donnant l'ame mienne.

Donc ne cherchez de parler au Devin,

Qui sçavez tout charmer:

Vous seule auriez un esprit tout divin,

Si vous pouviez aimer.

Que pleust à Dieu, ma moitié bien-aimee,

Qu'Amour vous eust d'une fleche enflamee

Autant que moy charmee.

En se jouant il m'a de part en part

Le coeur outrepercé:

A vous s'amie il n'a monstré le dart

Duquel il m'a blessé.

De telle mort heureux je me confesse,

Et ne veux point que le soucy me laisse

Pour vous, belle Maistresse.

Dessus ma tombe escrivez mon soucy

En lettres grossement:

Le Vendomois, lequel repose icy,

Mourut en bien aimant.

Comme Pâris, là bas faut que je voise,

Non pour l'amour d'une Helene Gregeoise,

Mais d'une Saintogeoise.

VIII

Amour abandonnant les vergers de Cytheres,

D'Amathonte et d'Eryce, en la France passa:

Et me monstrant son arc, comme Dieu, me tança,

Que j'oubliois, ingrat, ses loix et ses mysteres.

Il me frappa trois fois de ses ailes legeres:

Un traict le plus aigu dans les yeux m'eslança.

La playe vint au coeur, qui chaude me laissa

Une ardeur de chanter les honneurs de Surgeres.

Chante (me dist Amour) sa grace et sa beauté,

Sa bouche, ses beaux yeux, sa douceur, sa bonté:

Je la garde pour toy le sujet de ta plume.

- Un sujet si divin ma Muse ne poursuit. -

Je te feray l'esprit meilleur que de coustume:

"L'homme ne peut faillir, quand un Dieu le conduit.

IX

Tu ne dois en ton coeur superbe devenir.

Pour me tenir captif: cela vient de Fortune.

A tout homme mortel la misere est commune:

Tel eschappe souvent, qu'on pense bien tenir.

Tousjours de Nemesis il te faut souvenir,

Qui fait nostre avanture ore blanche, ore brune.

Aux Tygres, aux Lions est propre la rancune:

Comme ton serf conquis tu me dois maintenir.

Les Guerres et l'Amour sont une mesme chose,

Où le veincu souvent le veinqueur a batu,

Qui honteux de son mal fuyoit à bouche close.

Soit que je sois captif sans force ny vertu,

Un superbe trophée au coeur je me propose,

D'avoir contre tes yeux si long temps combatu.

X

L'autre jour que j'estois sur le haut d'un degré,

Passant tu m'advisas, et me tournant la veuë,

Tu m'esblouys les yeux, tant j'avois l'ame esmeuë

De me voir en sursaut de tes yeux rencontré.

Ton regard dans le coeur, dans le sang m'est entré

Comme un esclat de foudre alors qu'il fend la nue:

J'euz de froid et de chaut la fiévre continue,

D'un si poignant regard mortellement outré.

Et si ta belle main passant ne m'eust fait signe,

Main blanche, qui se vante estre fille d'un Cygne,

Je fusse mort, Helene, aux rayons de tes yeux:

Mais ton signe retint l'ame presque ravie,

Ton oeil se contenta d'estre victorieux,

Ta main se resjouyt de me donner la vie.

XI

Ce siecle, où tu nasquis, ne te cognoist, Heleine.

S'il sçavoit tes vertus, tu aurois en la main

Un sceptre à commander dessus le genre humain,

Et de ta majesté la terre seroit pleine.

Mais luy tout embourbé d'avarice vilaine,

Qui met comme ignorant les vertus à desdain,

Ne te cognut jamais: je te cognu soudain

A ta voix, qui n'estoit d'une personne humaine.

Ton esprit, en parlant, à moy se descouvrit,

Et ce-pendant Amour l'entendement m'ouvrit

Pour te faire à mes yeux un miracle apparoistre.

Je tien, je le sens bien, de la divinité,

Puis que seul j'ay cognu que peut ta Deité,

Et qu'un autre avant moy ne l'avoit peu cognoistre.

XII

Le Soleil l'autre jour se mit entre nous deux,

Ardent de regarder tes yeux par la verriere:

Mais luy, comme esblouy de ta vive lumiere,

Ne pouvant la souffrir, s'en-alla tout honteux.

Je te regarday ferme, et devins glorieux

D'avoir veincu ce Dieu qui se tournoit arriere,

Quand regardant vers moy tu me dis, ma guerriere,

Ce Soleil est fascheux, je t'aime beaucoup mieux.

Une joye en mon coeur incroyable s'en-volle

Pour ma victoire acquise, et pour telle parolle:

Mais longuement cest aise en moy ne trouva lieu.

Arrivant un mortel de plus fresche jeunesse

(Sans esgard que j'avois triomphé d'un grand Dieu)

Tu me laissas tout seul pour luy faire caresse

XIII

Deux Venus en Avril (puissante Deité)

Nasquirent, l'une en Cypre, et l'autre en la Saintonge:

La Venus Cyprienne est des Grecs la mensonge,

La chaste Saintogeoise est une verité.

L'Avril se resjouyst de telle nouveauté,

Et moy qui jour et nuict d'autre Dame ne songe,

Qui le fil amoureux de mon destin allonge,

Ou l'accourcist, ainsi qu'il plaist à sa beauté,

Je suis trois fois un Dieu, d'estre nay de son âge.

Si tost que je la vy, je fus mis en servage

De ses yeux, que j'estime un sujet plus qu'humain.

Ma Raison, sans combattre, abandonna la place,

Et mon coeur se vid pris comme un poisson à l'hain:

Si j'ay failly, ma faute est bien digne de grace.

XIV

Soit que je sois hay de toy, ma Pasithee,

Soit que j'en sois aimé, je veux suivre mon cours:

J'ay joué comme aux detz mon coeur et mes amours:

Arrive bien ou mal, la chance en est jettee.

Si mon ame de glace et de feu tormentee

Peut deviner son mal, je voy que sans secours,

Passionné d'amour, je doy finir mes jours,

Et que devant mon soir se clorra ma nuictee.

Je suis du camp d'Amour pratique Chevalier:

Pour avoir trop souffert, le mal m'est familier:

Comme un habillement j'ay vestu le martire.

Donques je te desfie, et toute ta rigueur:

Tu m'as desja tué, tu ne sçaurois m'occire

Pour la seconde fois: car je n'ay plus de coeur.

XV

Trois ans sont ja passez que ton oeil me tient pris.

Je ne suis pas marry de me voir en servage:

Seulement je me deuls des ailes de mon âge,

Qui me laissent le chef semé de cheveux gris.

Si tu me vois ou palle, ou de fiévre surpris,

Quelquefois solitaire, ou triste de visage,

Tu ne dois imputer ta faute à mon dommage:

L'Aurore ne met point son Thiton à mespris.

Si tu es de mon mal seule cause premiere,

Il faut que de mon mal tu sentes les effects:

C'est une sympathie aux hommes coustumiere.

Je suis (j'en jure Amour) tout tel que tu me fais:

Tu es mon coeur, mon sang, ma vie et ma lumiere:

Seule je te choisy, seule aussi tu me plais.

XVI

De voz yeux tout-divins, dont un Dieu se paistroit,

(Si un Dieu se paissoit de quelque chose en terre)

Je me paissois hier, et Amour qui m'enferre,

Ce-pendant sur mon coeur ses fleches racoustroit.

Mon oeil dedans le vostre esbahy rencontroit

Cent beautez, qui me font une si douce guerre,

Et la mesme vertu, qui toute se reserre

En vous, d'aller au Ciel le chemin me monstroit.

Je n'avois ny esprit ny penser ny oreille,

Qui ne fussent ravis de crainte et de merveille,

Tant d'aise transportez mes sens estoient contens.

J'estois Dieu, si mon oeil vous eust veu davantage:

Mais le soir qui survint, cacha vostre visage,

Jaloux que les mortels le vissent si long temps.

XVII

Te regardant assise aupres de ta cousine,

Belle comme une Aurore, et toy comme un Soleil,

Je pensay voir deux fleurs d'un mesme teint pareil,

Croissantes en beauté sur la rive voisine,

La chaste, saincte, belle et unique Angevine,

Viste comme un esclair, sur moy jetta son oeil:

Toy comme paresseuse, et pleine de sommeil,

D'un seul petit regard tu ne m'estimas digne.

Tu t'entretenois seule au visage abaissé,

Pensive tout à toy, n'aimant rien que toymesme,

Desdaignant un chascun d'un sourcil ramassé,

Comme une qui ne veut qu'on la cherche ou qu'on l'aime

J'euz peur de ton silence, et m'en-allay tout blesme,

Craignant que mon salut n'eust ton oeil offensé.

XVIII

De toy ma belle Grecque, ainçois belle Espagnole,

Qui tires tes ayeuls du sang Iberien,

Je suis tant serviteur, qu'icy je ne voy rien

Qui me plaise, sinon tes yeux et ta parole.

Comme un mirouer ardent, ton visage m'affole.

Me perçant de ses raiz, et tant je sens de bien

En t'oyant deviser, que je ne suis plus mien,

Et mon ame fuitive à la tienne s'en-vole.

Puis contemplant ton oeil du mien victorieux,

Je voy tant de vertuz, que je n'en sçay le conte,

Esparses sur ton front comme estoilles aux Cieux.

Je voudrois estre Argus; mais je rougis de honte

Pour voir tant de beautez, que je n'ay que deux yeux,

Et que tousjours le fort le plus foible surmonte.

XIX

Je fuy les pas frayez du meschant populaire,

Et les villes où sont les peuples amassez:

Les rochers, les forests desja sçavent assez

Quelle trampe a ma vie estrange et solitaire.

Si ne suis-je si seul, qu'Amour mon secretaire

N'accompagne mes pieds debiles et cassez:

Qu'il ne conte mes maux et presens et passez

A ceste voix sans corps, qui rien ne sçauroit taire.

Souvent plein de discours, pour flatter mon esmoy,

Je m'arreste, et je dy: Se pourroit-il bien faire

Qu'elle pensast, parlast, ou se souvint de moy?

Qu'à sa pitié mon mal commençast à desplaire?

Encor que je me trompe, abusé du contraire,

Pour me faire plaisir, Helene, je le croy.

XX

Chef, escole des arts, le sejour de science,

Où vit un intellect, qui foy du Ciel nous fait,

Une heureuse memoire, un jugement parfait,

D'où Pallas reprendroit sa seconde naissance:

Chef, le logis d'honneur, de vertu, de prudence,

Ennemy capital du vice contrefait:

Chef, petit Univers, qui monstres par effait

Que tu as du grand Tout parfaite cognoissance:

Et toy divin esprit, qui du Ciel es venu,

En ce chef comme au Ciel sainctement retenu,

Simple, sans passions, comme icy bas nous sommes,

Mais tout prompt et subtil, tout rond et tout en toy,

Puis que tu es divin, ayes pitié de moy:

Il appartient aux Dieux d'avoir pitié des hommes.

XXI

Si j'estois seulement en vostre bonne grace

Par l'erre d'un baiser doucement amoureux,

Mon coeur au departir ne seroit langoureux,

En espoir d'eschauffer quelque jour voste glace.

Si j'avois le portrait de vostre belle face,

Las! je demande trop! ou bien de vos cheveux,

Content de mon malheur je serois bienheureux,

Et ne voudrois changer aux celestes de place.

Mais je n'ay rien de vous que je puisse emporter,

Qui soit cher à mes yeux pour me reconforter,

Ne qui me touche au coeur d'une douce memoire.

Vous dites que l'Amour entretient ses accords

Par l'esprit seulement: hé! je ne le puis croire:

Car l'esprit ne sent rien que par l'ayde du corps.

XXII

De vos yeux, le mirouer du Ciel et de Nature,

La retraite d'Amour, la forge de ses dards,

D'où pleut une douceur, que versent voz regards

Au coeur, quand un rayon y survient d'aventure,

Je tire pour ma vie une douce pasture,

Une joye, un plaisir, que les plus grands Cesars

Au milieu du triomphe, entre un camp de soudars,

Ne sentirent jamais: mais courte elle me dure.

Je la sens distiller goutte à goute en mon coeur,

Pure, saincte, parfaite, angelique liqueur,

Qui m'eschaufe le sang d'une chaleur extrême.

Mon ame la reçoit avec un tel plaisir,

Que tout esvanouy, je n'ay pas le loisir

Ny de gouster mon bien, ny penser à moymesme.

XXIII

L'arbre qui met à croistre, a la plante asseuree:

Celuy qui croist bien tost, ne dure pas long temps:

Il n'endure des vents les souflets inconstans.

Ainsi l'amour tardive est de longue duree.

Ma foy du premier jour ne vous fut pas donnee:

L'Amour et la Raison, comme deux combatans,

Se sont escarmouchez l'espace de quatre ans:

A la fin j'ay perdu, veincu par destinee.

Il estoit destiné par sentence des cieux,

Que je devois servir, mais adorer voz yeux:

J'ay, comme les Geans, au ciel fait resistance

Aussi je suis comme eux maintenant foudroyé,

Pour resister au bien qu'ils m'avoient ottroyé,

Je meurs, et si ma mort m'est trop de recompense:

XXIV

Ostez vostre beauté, ostez votre jeunesse,

Ostez ces rares dons que vous tenez des cieux,

Ostez ce bel esprit, ostez moy ces beaux yeux,

Cest aller, ce parler digne d'une Deesse:

Je ne vous seray plus d'une importune presse

Fascheux comme je suis: voz dons si precieux

Me font, en les voyant, devenir furieux,

Et par le desespoir l'ame prend hardiesse.

Pource si quelquefois je vous touche la main,

Par courroux vostre teint n'en doit devenir blesme:

Je suis fol, ma raison n'obeyt plus au frein,

Tant je suis agité d'une fureur extrême.

Ne prenez, s'il vous plaist, mon offence à desdain,

Mais, douce, pardonnez mes fautes à vous-mesme.

XXV

De vostre belle, vive, angelique lumiere,

Le beau logis d'Amour, de douceur, de rigueur,

S'eslance un doux regard, qui me navrant le coeur,

Desrobe loin de moy mon ame prisonniere.

Je ne sçay ny moyen, remede ny maniere

De sortir de voz rets, où je vis en langueur:

Et si l'extreme ennuy traine plus en longueur,

Vous aurez de ce corps la despouille derniere.

Yeux qui m'avez blessé, yeux mon mal et mon bien,

Guarissez vostre playe. Achille le peut bien.

Vous estes tout-divins, il n'estoit que pur homme.

Voyez, parlant à vous, comme le coeur me faut!

Hélas! je ne me deuls du mal qui me consume:

Le mal dont je me deuls, c'est qu'il ne vous en chaut.

XXVI

Nous promenant tous seuls, vous me dites, Maistresse,

Qu'un chant vous desplaisoit, s'il estoit doucereux:

Que vous aimiez les plaints des chetifs amoureux,

Toute voix lamentable, et pleine de tristesse.

Et pour (disiez vous) quand je suis loin de presse,

Je choisis voz Sonets qui sont plus douloureux:

Puis d'un chant qui est propre au sujet langoureux,

Ma nature et Amour veulent que je me paisse.

Vos propos sont trompeurs. Si vous aviez soucy

De ceux qui ont un coeur larmoyant et transy,

Je vous ferois pitié par une sympathie:

Mais vostre oeil cauteleux, trop finement subtil,

Pleure en chantant mes vers, comme le Crocodil,

Pour mieux me desrober par feintise la vie.

XXVII

Cent et cent fois le jour l'Orange je rebaise,

Et le palle Citron qui viennent de ta main,

Doux present amoureux, que je loge en mon sein,

Pour leur faire sentir combien je sens de braise.

Quand ils sont demy-cuits, leur chaleur je r'appaise,

Versant des pleurs dessus, dont triste je suis plein:

Et de ta mauvaistié avec eux je me plain,

Qui cruelle te ris de me voir à mal-aise.

Oranges et Citrons sont symboles d'Amour:

Ce sont signes muets; que je puis quelque jour

T'arrester, comme fit Hippomene Atalante.

Mais je ne le puis croire: Amour ne le veut pas,

Qui m'attache du plomb pour retarder mes pas,

Et te donne à fuyr des ailes à la plante.

XXVIII

Tousjours pour mon sujet il faut que je vous aye:

Je meurs sans regarder voz deux Astres jumeaux,

Voz yeux, mes deux Soleils, qui m'esclairent si beaux,

Qu'à trouver autre jour autre part je n'essaye.

Le chant du Rossignol m'est le chant d'une Orfraye,

Roses me sont Chardons, de l'ancre les ruisseaux,

La Vigne mariee à l'entour des Ormeaux,

Et le Printemps sans vous m'est une dure playe.

Mon plaisir en ce mois c'est de voir les Coloms

S'emboucher bec à bec de baisers doux et longs,

Dés l'aube jusqu'au soir que le Soleil se plonge.

O bienheureux Pigeons, vray germe Cyprien,

Vous avez par nature et par effect le bien

Que je n'ose esperer tant seulement en songe.

XXIX

Vous me distes, Maistresse, estant à la fenestre,

Regardant vers Mont-martre et les champs d'alentour:

La solitaire vie, et le desert sejour

Valent mieux que la Cour, je voudrois bien y estre.

A l'heure mon esprit de mes sens seroit maistre,

En jeusne et oraisons je passerois le jour:

Je desfirois les traicts et les flames d'Amour:

Ce cruel de mon sang ne pourroit se repaistre.

Quand je vous repondy, Vous trompez de penser

Qu'un feu ne soit pas feu, pour se couvrir de cendre:

Sur les cloistres sacrez la flame on voit passer:

Amour dans les deserts comme aux villes s'engendre.

Contre un Dieu si puissant, qui les Dieux peut forcer,

Jeusnes ny oraisons ne se peuvent defendre.

XXX

Voicy le mois d'Avril, où nasquit la merveille,

Qui fait en terre foy de la beauté des cieux,

Le mirouer de vertu, le Soleil de mes yeux,

Qui vit comme un Phenix au monde sans pareille.

Les Oeillets et les Liz et la Rose vermeille

Servirent de berceau: la Nature et les Dieux

La regarderent naistre en ce mois gracieux:

Puis Amour la nourrit des douceurs d'une Abeille.

Les Muses, Apollon, et les Graces estoient

Assises tout autour, qui à l'envy jettoient

Des fleurs sur l'Anglette. Ah! ce mois me convie

D'eslever un autel, et suppliant Amour

Sanctifier d'Avril le neufiesme jour,

Qui m'est cent fois plus cher que celuy de ma vie.

XXXI

D'autre torche mon coeur ne pouvoit s'allumer

Sinon de tes beaux yeux, où l'amour me convie:

J'avois desja passé le meilleur de ma vie,

Tout franc de passion, fuyant le nom d'aimer.

Je soulois maintenant ceste Dame estimer,

Et maintenant cest'autre, où me portoit l'envie,

Sans rendre ma franchise à quelqu'une asservie:

Rusé je ne voulois dans les retz m'enfermer.

Maintenant je suis pris, et si je prens à gloire

D'avoir perdu le camp, frustré de la victoire:

Ton oeil vaut un combat de dix ans d'Ilion.

Amour, comme estant Dieu, n'aime pas les superbes.

Sois douce à qui te prie, imitant le Lion:

La foudre abat les monts, non les petites herbes.

XXXII

Agathe, où du Soleil le signe est imprimé

(L'escrevisse marchant, comme il fait, en arriere),

Cher present que je donne à toy chere guerriere,

Mon don pour le Soleil est digne d'estre aimé.

Le Soleil va tousjours de flames allumé,

Je porte au coeur le feu de ta belle lumiere:

Il est l'ame du monde, et ma force premiere.

Depend de ta vertu, dont je suis animé.

O douce, belle, vive, angelique Sereine,

Ma toute Pasithee, essence sur-humaine,

Merveille de nature, exemple sans pareil,

D'honneur et de beauté l'ornement et le signe,

Puis que rien icy bas de ta vertu n'est digne,

Que te puis-je donner, sinon que le Soleil?

XXXIII

Puis que tu sçais, helas! qu'affamé je me pais

Du regard de tes yeux, dont larron je retire

Des rayons, pour nourrir ma douleur qui s'empire,

Pourquoi me caches-tu l'oeil, par qui tu me plais?

Tu es deux fois venue à Paris, et tu fais

Semblant de n'y venir, afin que mon martire

Ne s'allege, en voyant ton oeil que je desire,

Ton oeil qui me nourrit par l'objet de ses rais.

Tu vas bien à Hercueil avecque ta cousine

Voir les prez, les jardins, et la source voisine

De l'Antre, où j'ay chanté tant de divers accords.

Tu devois m'appeler, oublieuse Maistresse:

Dans ton coche porté je n'eusse fait grand presse:

Car je ne suis plus rien qu'un fantaume sans corps.

XXXIV

Cest amoureux desdain, ce Nenny gracieux,

Qui refusant mon bien, me reschaufent l'envie

Par leur fiere douceur d'assujettir ma vie,

Où sont desja sujets mes pensers et mes yeux,

Me font transir le coeur, quand trop impetueux

A baiser vostre main le desir me convie,

Et vous, la retirant, feignez d'estre marrie,

Et m'appelez, honteuse, amant presomptueux.

Mais sur tout je me plains de voz douces menaces,

De voz lettres qui sont toutes pleines d'audaces,

De moymesme, d'Amour, de vous et de vostre art,

Qui si doucement farde et sucre sa harangue,

Qu'escrivant et parlant vous n'avez traict de langue,

Qui ne me soit au coeur la poincte d'un poignart.

XXXV

J'avois, en regardant tes beaux yeux, enduré

Tant de flames au coeur, qu'une aspre seicheresse

Avoit cuitte ma langue en extreme destresse,

Ayant de trop parler tout le corps alteré.

Lors tu fis apporter en ton vase doré

De l'eau froide d'un puits: et la soif qui me presse,

Me fit boire à l'endroit où tu bois, ma Maistresse,

Quand ton vaisseau se voit de ta lévre honoré.

Mais le vase amoureux de ta bouche qu'il baise,

En reschaufant ses bords du feu qu'il a receu,

Le garde en sa rondeur comme en une fournaise.

Seulement au toucher je l'ay bien apperceu.

Comment pourroy-je vivre un quart d'heure à mon aise

Quand je sens contre moy l'eau se tourner en feu?

XXXVI

Comme une belle fleur assise entre les fleurs,

Mainte herbe vous cueillez en la saison plus tendre

Pour me les envoyer, et pour soigneuse appendre

Leurs noms et qualitez, especes et valeurs.

Estoit-ce point afin de guarir mes douleurs,

Ou de faire ma playe amoureuse reprendre?

Ou bien, s'il vous plaisoit par charmes entreprendre

D'ensorceler mon mal, mes flames et mes pleurs?

Certes je croy que non: nulle herbe n'est maistresse

Contre le coup d'Amour envieilly par le temps.

C'estoit pour m'enseigner qu'il faut dés la jeunesse,

Comme d'un usufruit, prendre son passetemps:

Que pas à pas nous suit l'importune vieillesse,

Et qu'Amour et les fleurs ne durent qu'un Printemps.

XXXVII

Doux desdains, douce amour d'artifice cachee,

Doux courroux enfantin, qui ne garde son coeur,

Doux d'endurer passer un long temps en longueur,

Sans me voir, sans m'escrire, et faire la faschee:

Douce amitié souvent perdue et recerchee,

Doux de tenir d'entree une douce rigueur,

Et sans me saluer, me tuer de langueur,

Et feindre qu'autre part on est bien empeschee:

Doux entre le despit et entre l'amitié,

Dissimulant beaucoup, ne parler qu'à moitié.

Mais m'appeler volage et prompt de fantasie,

Craindre ma conscience, et douter de ma foy,

M'est un reproche amer, qu'à grand tort je reçoy:

Car douter de ma foy c'est crime d'heresie.

XXXVIII

Pour voir d'autres beautez mon desir ne s'appaise,

Tant du premier assaut voz yeux m'ont surmonté:

Tousjours à l'entour d'eux vole ma volonté,

Yeux qui versent en l'ame une si chaude braise.

Mais vous embellissez de me voir à mal-aise,

Tigre, roche de mer, la mesme cruauté,

Comme ayant le desdain si joint à la beauté,

Que de plaire à quelcun semble qu'il vous desplaise.

Desja par longue usance aimer je ne sçaurois

Sinon vous, qui sans pair à soymesme ressemble.

Si je changeois d'amour, de douleur je mourrois.

Seulement quand je pense au changement, je tremble:

Car tant dedans mon coeur toute je vous reçois,

Que d'aimer autre part c'est hayr, ce me semble.

XXXIX

Coche cent fois heureux, où ma belle Maistresse

Et moy nous promenons raisonnans de l'amour:

Jardin cent fois heureux, des Nymphes le sejour,

Qui l'adorent de loin ainsi que leur Deesse.

Bienheureuse l'Eglise, où je pris hardiesse

De contempler ses yeux, qui des miens sont le jour,

Qui ont chauds les regards, qui ont tout à l'entour

Un petit camp d'amours, qui jamais ne les laisse.

Heureuse la Magie, et les cheveux bruslez,

Le murmure, l'encens, et les vins escoulez

Sur l'image de cire: ô bienheureux servage!

O moy sur tous amans le plus avantureux,

D'avoir osé choisir la vertu de nostre âge,

Dont la terre est jalouse, et le ciel amoureux.

XL

Ton extreme beauté par ses rais me retarde

Que je n'ose mes yeux sur les tiens asseurer:

Debile je ne puis leurs regards endurer.

Plus le Soleil esclaire, et moins on le regarde.

Helas! tu es trop belle, et tu dois prendre garde

Qu'un Dieu si grand thresor ne puisse desirer,

Qu'il ne t'en-vole au ciel pour la terre empirer.

La chose precieuse est de mauvaise garde.

Les Dragons sans dormir, tous pleins de cruauté,

Gardoient les pommes d'or pour leur seule beauté:

Le visage trop beau n'est pas chose trop bonne.

Danaë le sceut bien, dont l'or se fit trompeur.

Mais l'or qui domte tout, davant tes yeux s'estonne,

Tant ta chaste vertu le fait trembler de peur.

XLI

D'un solitaire pas je ne marche en nul lieu,

Qu'Amour bon artisan ne m'imprime l'image

Au profond du penser de ton gentil visage,

Et des mots gracieux de ton dernier Adieu.

Plus fermes qu'un rocher, engravez au milieu

De mon coeur je les porte: et s'il n'y a rivage,

Fleur, antre ny rocher, ny forests ny bocage,

A qui je ne le conte, à Nymphe, ny à Dieu.

D'une si rare et douce ambrosine viande

Mon esperance vit, qui n'a voulu depuis

Se paistre d'autre apast, tant elle en est friande.

Ce jour de mille jours m'effaça les ennuis:

Car tant opiniastre en ce plaisir je suis,

Que mon ame pour vivre autre bien ne demande.

XLII

Bien que l'esprit humain s'enfle par la doctrine

De Platon, qui le chante influxion des cieux,

Si est-ce sans le corps qu'il seroit ocieux,

Et auroit beau vanter sa celeste origine.

Par les sens l'ame voit, ell'oyt, ell'imagine,

Ell'a ses actions du corps officieux:

L'esprit incorporé devient ingenieux,

La matiere le rend plus parfait et plus digne.

Or' vous aimez l'esprit, et sans discretion

Vous dites que des corps les amours sont pollues.

Tel dire n'est sinon qu'imagination,

Qui embrasse le faux pour les choses cognues:

Et c'est renouveller la fable d'Ixion,

Qui se paissoit de vent, et n'amoit que de nues.

XLIII

En choisissant l'esprit vous estes mal-apprise,

Qui refusez le corps, à mon gré le meilleur:

De l'un en l'esprouvant on cognoist la valeur,

L'autre n'est rien que vent, que songe et que feintise.

Vous aimez l'intellect, et moins je vous en prise:

Vous volez, comme Icare, en l'air d'un beau malheur:

Vous aimez les tableaux qui n'ont point de couleur.

Aimer l'esprit, Madame, est aimer la sottise.

Entre les courtisans, afin de les braver,

Il faut en disputant Trimegiste approuver,

Et de ce grand Platon n'estre point ignorante.

Mais moi qui suis bercé de telle vanité,

Un discours fantastiq' ma raison ne contante:

Je n'aime point le faux, j'aime la verité.

XLIV

Amour a tellement ses fleches enfermees

En mon ame, et ses coups y sont si bien enclos,

Qu'Helene est tout mon coeur, mon sang et mes propos,

Tant j'ay dedans l'esprit ses beautez imprimees.

Si les François avoient les ames allumees

D'amour, ainsi que moy, nous serions à repos:

Les champs de Montcontour n'eussent pourry noz os,

Ny Dreux ny Jazeneuf n'eussent veu noz armees.

Venus, va mignarder les moustaches de Mars:

Conjure ton guerrier de tes benins regars,

Qu'il nous donne la paix, et de tes bras l'enserre.

Pren pitié des François, race de tes Troyens,

A fin que nous facions en paix la mesme guerre

Qu'Anchise te faisoit sur les monts Idéens.

XLV

Dessus l'autel d'Amour planté sur vostre table

Vous me fistes serment, et je le fis aussi,

Que d'un coeur mutuel à s'aimer endurcy

Nostre amitié promise iroit inviolable.

Je vous juray ma foy, vous feistes le semblable.

Mais vostre cruauté, qui des Dieux n'a soucy,

Me promettoit de bouche, et me trompoit ainsi:

Ce-pendant vostre esprit demeuroit immuable.

O jurement fardé sous l'espece d'un Bien!

O perjurable autel! ta Deité n'est rien.

O parole d'amour non jamais asseuree!

J'ay pratiqué par vous le Proverbe des vieux:

Jamais des amoureux la parole juree

N'entra (pour les punir) aux oreilles des Dieux.

XLVI

J'errois à la volee, et sans respect des lois

Ma chair dure à donter me combatoit à force,

Quand tes sages propos despouillerent l'escorce

De tant d'opinions que frivoles j'avois.

En t'oyant discourir d'une si saincte vois,

Qui donne aux voluptez une mortelle entorce,

Ta parole me fist par une douce amorce

Contempler le vray bien duquel je m'esgarois.

Tes moeurs et ta vertu, ta prudence et ta vie

Tesmoignent que l'esprit tient de la Deité:

Tes raisons de Platon, et ta Philosophie,

Que le vieil Promethee est une vérité,

Et qu'en ayant la flame à Jupiter ravie,

Il maria la Terre à la Divinité.

XLVII

Maistresse, quand je pense aux traverses d'Amour,

Qu'ores chaude, ores froide en aimant tu me donnes,

Comme sans passion mon coeur tu passionnes,

Qui n'a contre son mal ny tréve ny sejour:

Je souspire la nuict, je me complains le jour

Contre toy, ma Raison, qui mon fort abandonnes,

Et pleine de discours, confuse, tu t'estonnes

Dés le premier assaut, sans defendre ma tour.

Non: si forts ennemis n'assaillent nostre Place,

Qu'ils ne fussent veincuz, si tu tournois la face,

Encores que mon coeur trahist ce qui est sien.

Une oeillade, une main, un petit ris me tue:

De trois foibles soudars ta force est combatue:

Qui te dira divine, il ne dira pas bien.

XLVIII

Bienheureux fut le jour, où mon ame sujette

Rendit obeyssance à ta douce rigueur,

Quand d'un traict de ton oeil tu me perças le coeur,

Qui ne veult endurer qu'un autre luy en jette.

La Raison pour neant au chef fit sa retraite,

Et se mit au dongeon, comme au lieu le plus seur:

D'esperance assaillie, et prise de douceur,

Rendit ma liberté, qu'en vain je re-souhaite.

Le Ciel le veult ainsi, qui pour mieux offenser

Mon coeur, le baille en garde à la foy du Penser:

Lequel trahit mon camp, desloyal sentinelle,

Ouvrant l'huis du rempart aux soudars des Amours.

J'auray tousjours en l'ame une guerre eternelle:

Mes pensers et mon coeur me trahissent tousjours.

XLIX

Chanson

I

Plus estroit que la Vigne à l'Ormeau se marie

De bras souplement-forts,

Du lien de tes mains, Maistresse, je te prie,

Enlasse moy le corps.

2

Et feignant de dormir, d'une mignarde face

Sur mon front panche toy:

Inspire, en me baisant, ton haleine et ta grace

Et ton coeur dedans moy.

3

Puis appuyant ton sein sur le mien qui se pâme,

Pour mon mal appaiser,

Serre plus fort mon col, et me redonne l'ame

Par l'esprit d'un baiser.

4

Si tu me fais ce bien, par tes yeux je te jure,

Serment qui m'est si cher,

Que de tes braz aimez jamais nulle aventure

Ne pourra m'arracher.

5

Mais souffrant doucement le joug de ton empire,

Tant soit-il rigoureux,

Dans les champs Elisez une mesme navire

Nous passera tous deux.

6

Là morts de trop aimer, sous les branches Myrtines

Nous voirrons tous les jours

Les Heros pres de nous avec les Heroïnes

Ne parler que d'amours.

7

Tantost nous danserons par les fleurs des rivages

Sous les accords divers,

Tantost lassez du bal, irons sous les ombrages

Des Lauriers tousjours verds:

8

Où le mollet Zephyre en haletant secouë

De souspirs printaniers

Ores les Orangers, ores mignard se jouë

Parmy les Citronniers.

9

Là du plaisant Avril la saison immortelle

Sans eschange se suit:

La terre sans labeur de sa grasse mammelle

Toute chose y produit.

10

D'embas la troupe saincte, autrefois amoureuse,

Nous honorant sur tous,

Viendra nous saluer, s'estimant bien-heureuse

De s'accointer de nous.

11

Et nous faisant asseoir dessus l'herbe fleurie

De toutes au milieu,

Nulle, et fust-ce Procris, ne sera point marrie

De nous quitter son lieu.

12

Non celles qui s'en vont toutes seules ensemble,

Artemise et Didon:

Non ceste belle Greque, à qui ta beauté semble

Comme tu fais de nom.

L

Helas! voicy le jour que mon maistre on enterre:

Muses, accompagnez son funeste convoy.

Je voy son effigie, et au dessus je voy

La Mort, qui de ses yeux la lumiere luy serre.

Voila comme Atropos les Majestez atterre

Sans respect de jeunesse, ou d'empire, ou de foy.

Charles qui fleurissoit nagueres un grand Roy,

Est maintenant vestu d'une robbe de terre.

Hé! tu me fais languir par cruauté d'amour:

Je te sers de Prothée, et tu es mon Vautour.

La vengeance du Ciel n'oublira tes malices.

Un mal au mien pareil puisse un jour t'avenir,

Quand tu voudras mourir, que mourir tu ne puisses.

Si justes sont les Dieux, je t'en verray punir.

LI

Je sens de veine en veine une chaleur nouvelle,

Qui me trouble le sang et m'augmente le soing.

Adieu ma liberté, j'en appelle à tesmoing

Ce mois, qui du beau nom d'Aphrodite s'appelle.

Comme les jours d'Avril mon mal se renouvelle.

Amour, qui tient mon Astre et ma vie en son poing,

M'a tant seduit l'esprit, que de pres et de loing

Tousjours à mon secours en vain je vous appelle.

Je veux rendre la place, en jurant vostre nom,

Que le premier article, avant que je la rende,

C'est qu'un coeur amoureux ne veult de compaignon.

L'amant non plus qu'un Roy, de rival ne demande.

Vous aurez en mes vers un immortel renom.

Pour n'avoir rien de vous la recompense est grande.

LII

Madrigal

Si c'est aimer, Madame, et de jour et de nuict

Resver, songer, penser le moyen de vous plaire,

Oublier toute chose, et ne vouloir rien faire

Qu'adorer et servir la beauté qui me nuit:

Si c'est aimer de suivre un bon-heur qui me fuit,

De me perdre moymesme, et d'estre solitaire,

Souffrir beaucoup de mal, beaucoup craindre, et me taire,

Pleurer, crier mercy, et m'en voir esconduit:

Si c'est aimer de vivre en vous plus qu'en moymesme,

Cacher d'un front joyeux une langueur extrême,

Sentir au fond de l'ame un combat inegal,

Chaud, froid, comme la fiévre amoureuse me traitte:

Honteux, parlant à vous, de confesser mon mal!

Si cela c'est aimer, furieux je vous aime:

Je vous aime, et sçay bien que mon mal est fatal:

Le coeur le dit assez, mais la langue est muette.

LIII

Amour est sans milieu, c'est une chose extrême,

Qui ne veult (je le sçay) de tiers ny de moitié:

Il ne faut point trencher en deux une amitié.

"Un est nombre parfait, imparfait le deuxiéme.

J'aime de tout mon coeur, je veux aussi qu'on m'aime.

Le desir au desir d'un noeud ferme lié,

Par le temps ne s'oublie, et n'est point oublié:

Il est tousjours son tout, contenté de soymesme.

Mon ombre me fait peur, et jaloux je ne puis

Avoir un compaignon, tant amoureux je suis,

Et tant je m'essentie en la personne aimee.

L'autre amitié ressemble à quelque vent qui court:

Et vrayment c'est aimer comme on fait à la Court,

Où le feu contrefait ne rend qu'une fumee.

LIV

Ma fievre croist tousjours, la vostre diminue:

Vous le voyez, Helene, et si ne vous en chaut.

Vous retenez le froid, et me laissez le chaut:

La vostre est à plaisir, la mienne est continue.

Vous avez telle peste en mon coeur respandue,

Que mon sang s'est gasté, et douloir il me faut

Que ma foible Raison dés le premier assaut,

Pour craindre trop voz yeux, ne s'est point defendue.

Je n'en blasme qu'Amour, seul autheur de mon mal,

Qui me voyant tout nud, comme archer desloyal,

De mainte et mainte playe a mon ame entamee,

Gravant à coups de fleche en moy vostre portraict:

Et à vous, qui estiez contre nous deux armee,

N'a monstré seulement la poincte de son traict.

LV

Je sens une douceur à conter impossible,

Dont ravy je jouys par le bien du penser,

Qu'homme ne peut escrire, ou langue prononcer,

Quand je baise ta main contre Amour invincible.

Contemplant tes beaux rais, ma pauvre ame passible

En se pasmant se perd: lors je sens amasser

Un sang froid sur mon coeur, qui garde de passer

Mes esprits, et je reste une image insensible.

Voila que peut ta main et ton oeil, où les trais

D'Amour sont si ferrez, si chauds et si espais

Au regard Medusin, qui en rocher me mue.

Mais bien que mon malheur procede de les voir,

Je voudrois mille mains, et autant d'yeux avoir,

Pour voir et pour toucher leur beauté qui me tue.

LVI

Ne romps point au mestier par le milieu la trame,

Qu'Amour en ton honneur m'a commandé d'ourdir:

Ne laisses au travail mes poulces engourdir

Maintenant que l'ardeur à l'ouvrage m'enflame:

Ne verse point de l'eau sur ma bouillante flame,

Il faut par ta douceur mes Muses enhardir:

Ne souffre de mon sang le bouillon refroidir,

Et tousjours de tes yeux aiguillonne moy l'ame.

Dés le premier berceau n'estoufe point ton nom.

Pour bien le faire croistre, il ne le faut sinon

Nourrir d'un doux espoir pour toute sa pasture:

Tu le verras au Ciel de petit s'eslever.

Courage, ma Maistresse, il n'est chose si dure,

Que par longueur de temps on ne puisse achever.

LVII

J'attachay des bouquets de cent mille couleurs,

De mes pleurs arrosez harsoir dessus ta porte:

Les larmes sont les fruicts que l'Amour nous apporte,

Les souspirs en la bouche, et au coeur les douleurs.

Les pendant, je leur dy, Ne perdez point voz fleurs

Que jusques à demain que la cruelle sorte:

Quand elle passera, tombez de telle sorte

Que son chef soit mouillé de l'humeur de mes pleurs.

Je reviendray demain. Mais si la nuict, qui ronge

Mon coeur, me la donnoit par songe entre mes bras,

Embrassant pour le vray l'idole du mensonge,

Soulé d'un faux plaisir je ne reviendrois pas.

Voyez combien ma vie est pleine de trespas,

Quand tout mon reconfort ne depend que du songe.

LVIII

Madame se levoit un beau matin d'Esté,

Quand le Soleil attache à ses chevaux la bride:

Amour estoit present avec sa trousse vuide,

Venu pour la remplir des traicts de sa clarté.

J'entre-vy dans son sein deux pommes de beauté,

Telles qu'on ne voit point au verger Hesperide:

Telles ne porte point la Deesse de Gnide,

Ny celle qui a Mars des siennes allaité.

Telle enflure d'yvoire en sa voute arrondie,

Tel relief de Porphyre, ouvrage de Phidie,

Eut Andromede alors que Persee passa,

Quand il la vit liee à des roches marines,

Et quand la peur de mort tout le corps luy glassa,

Transformant ses tetins en deux boules marbrines.

LIX

Je ne veux point la mort de celle qui arreste

Mon coeur en sa prison: mais, Amour, pour venger

Mes larmes de six ans, fay ses cheveux changer,

Et seme bien espais des neiges sur sa teste.

Si tu veux, la vengeance est desja toute preste:

Tu accourcis les ans, tu les peux allonger:

Ne souffres en ton camp ton soudart outrager:

Que vieille elle devienne, ottroyant ma requeste.

Elle se glorifie en ses cheveux frisez,

En sa verde jeunesse, en ses yeux aiguisez,

Qui tirent dans les coeurs mille poinctes encloses.

Pourquoy te braves-tu de cela qui n'est rien?

La beauté n'est que vent, la beauté n'est pas bien:

Les beautez en un jour s'en-vont comme les Roses.

LX

Si j'ay bien ou mal dit en ces Sonets, Madame,

Et du bien et du mal vous estes cause aussy:

Comme je le sentois, j'ay chanté mon soucy,

Taschant à soulager les peines de mon ame.

Hà! qu'il est mal-aisé, quand le fer nous entame,

S'engarder de se plaindre, et de crier mercy!

Tousjours l'esprit joyeux porte haut le sourcy,

Et le melancholique en soymesme se pâme.

J'ay suivant vostre amour le plaisir poursuivy,

Non le soin, non le dueil, non l'espoir d'une attente.

S'il vous plaist, ostez moy tout argument d'ennuy:

Et lors j'auray la voix plus gaillarde et plaisante.

Je ressemble au mirouer, qui tousjours represente

Tout cela qu'on luy monstre, et qu'on fait devant luy.

 

Le second livre des sonets pour Helene

 

Soit qu'un sage

I

Soit qu'un sage amoureux, ou soit qu'un sot me lise,

Il ne doit s'esbahir, voyant mon chef grison,

Si je chante d'amour: volontiers le tison

Cache un germe de feu sous une cendre grise.

Le bois verd à grand peine en le souflant s'attise,

Le sec sans le soufler brusle en toute saison.

La Lune se gaigna d'une blanche toison,

Et son vieillard Thiton l'Aurore ne mesprise.

Lecteur, je ne veux estre escolier de Platon,

Qui la vertu nous presche, et ne fait pas de mesme:

Ny volontaire Icare, ou lourdaut Phaëton,

Perduz pour attenter une sottise extrême:

Mais sans me contrefaire ou Voleur, ou Charton,

De mon gré je me noye, et me brusle moymesme.

II

Afin qu'à tout jamais de siecle en siecle vive

La parfaite amitié que Ronsard vous portoit,

Comme vostre beauté la raison luy ostoit,

Comme vous enlassez sa liberté captive:

Afin que d'âge en âge à noz neveux arrive,

Que toute dans mon sang vostre figure estoit,

Et que rien sinon vous mon coeur ne souhaitoit,

Je vous fais un present de ceste Sempervive.

Elle vit longuement en sa jeune verdeur.

Long temps apres la mort je vous feray revivre,

Tant peut le docte soin d'un gentil serviteur,

Qui veut, en vous servant, toutes vertus ensuivre.

Vous vivrez (croyez-moy) comme Laure en grandeur,

Au moins tant que vivront les plumes et le livre.

III

Amour, qui as ton regne en ce monde si ample,

Voy ta gloire et la mienne errer en ce jardin:

Voy comme son bel oeil, mon bel astre divin,

Reluist comme une lampe ardente dans un Temple:

Voy son corps, des beautez le portrait et l'exemple,

Qui ressemble une Aurore au plus beau d'un matin:

Voy son esprit, seigneur du Sort et du Destin,

Qui passe la Nature, en qui Dieu se contemple.

Regarde la marcher toute pensive à soy,

T'emprisonner de fleurs, et triompher de toy,

Pressant dessous ses pas les herbes bienheureuses.

Voy sortir un Printemps des rayons de ses yeux:

Et voy comme à l'envy ses flames amoureuses

Embellissent la terre, et serenent les Cieux.

IV

Tandis que vous dansez et ballez à vostre aise,

Et masquez vostre face ainsi que vostre coeur,

Passionné d'amour, je me plains en langueur,

Ores froid comme neige, ores chaut comme braise.

Le Carnaval vous plaist: je n'ay rien qui me plaise

Sinon de souspirer contre vostre rigueur,

Vous appeller ingrate, et blasmer la longueur

Du temps que je vous sers sans que mon mal s'appaise.

Maistresse, croyez moy, je ne fais que pleurer,

Lamenter, souspirer, et me desesperer:

Je desire la mort, et rien ne me console.

Si mon front, si mes yeux ne vous en sont tesmoins,

Ma plainte vous en serve, et permettez au moins

Qu'aussi bien que le coeur je perde la parole.

V

N'oubliez, mon Helene, aujourdhuy qu'il faut prendre

Des cendres sur le front, qu'il n'en faut point chercher

Autre part qu'en mon coeur, que vous faites seicher,

Vous riant du plaisir de le tourner en cendre.

Quel pardon pensez vous des Celestes attendre?

Le meurtre de voz yeux ne se sçauroit cacher:

Leurs rayons m'ont tué, ne pouvant estancher

La playe qu'en mon sang leur beauté fait descendre.

La douleur me consomme: ayez de moy pitié.

Vous n'aurez de ma mort ny profit ny louange:

Cinq ans meritent bien quelque peu d'amitié...

Vostre volonté passe, et la mienne ne change.

Amour, qui voit mon coeur, voit vostre mauvaistié:

Il tient l'arc en la main, gardez qu'il ne se vange.

VI

Anagramme

Tu es seule mon coeur, mon sang et ma Deesse,

Ton oeil est le filé et le ré bienheureux,

Qui prend tant seulement les hommes genereux,

Et se prendre des sots jamais il ne se laisse.

Aussi honneur, vertu, prevoyance et sagesse

Logent en ton esprit, lequel rend amoureux

Tous ceux, qui de nature ont un coeur desireux

D'honorer les beautez d'une docte Maistresse.

Les noms (ce dit Platon) ont tresgrande vertu:

Je le sens par le tien, lequel m'a combatu

Par armes, qui ne sont communes ny legeres.

Sa Deité causa mon amoureux soucy.

Voila comme de nom, d'effect tu es aussi

Le ré des genereux, Elene de Surgeres.

VII

Hà, que ta Loy fut bonne, et digne d'estre apprise,

Grand Moise, grand Prophete, et grand Minos de Dieu,

Qui sage commandas au vague peuple Hebrieu,

Que la liberté fust apres sept ans remise!

Je voudrois, grand Guerrier; que celle que j'ay prise

Pour Dame, et qui s'assied de mon coeur au milieu,

Voulust qu'en mon endroit ton ordonnance eust lieu,

Et qu'au bout de sept ans m'eust remis en franchise.

Sept ans sont ja passez qu'en servage je suis:

Servir encor sept ans de bon coeur je la puis,

Pourveu qu'au bout du temps de son corps je jouysse.

Mais ceste Grecque Helene, ayant peu de soucy

Des statuts des Hebrieux, d'un courage endurcy

Contre les Loix de Dieu n'affranchit mon service.

VIII

Je plante en ta faveur cest arbre de Cybelle,

Ce Pin, où tes honneurs se liront tous les jours:

J'ay gravé sur le tronc noz noms et noz amours,

Qui croistront à l'envy de l'escorce nouvelle.

Faunes, qui habitez ma terre paternelle,

Qui menez sur le Loir voz danses et voz tours,

Favorisez la plante, et luy donnez secours,

Que l'Esté ne la brusle, et l'Hyver ne la gelle.

Pasteur, qui conduiras en ce lieu ton troupeau,

Flageolant une Eclogue en ton tuyau d'aveine,

Attache tous les ans à cest arbre un Tableau,

Qui tesmoigne aux passans mes amours et ma peine:

Puis l'arrosant de laict et du sang d'un agneau,

Dy, Ce Pin est sacré, c'est la plante d'Heleine.

IX

Ny la douce pitié, ny le pleur lamentable

Ne t'ont baillé ton nom: Helene vient d'oster,

De ravir, de tuer, de piller, d'emporter

Mon esprit et mon coeur, ta proye miserable.

Homere, en se jouant, de toy fist une fable,

Et moy l'histoire au vray. Amour, pour te flatter,

Comme tu feis à Troye, au coeur me vient jetter

Ton feu, qui de mes oz se paist insatiable.

La voix, que tu feignois à l'entour du Cheval

Pour decevoir les Grecs, me devoit faire sage:

Mais l'homme de nature est aveugle à son mal,

Qui ne peut se garder, ny prevoir son dommage.

Au pis-aller, je meurs pour ce beau nom fatal,

Qui mit tout l'Asie et l'Europe en pillage.

X

Adieu belle Cassandre, et vous belle Marie,

Pour qui je fu trois ans en servage à Bourgueil:

L'une vit, l'autre est morte, et ores de son oeil

Le ciel se resjouyst: dans la terre est Marie.

Sur mon premier Avril, d'une amoureuse envie

J'adoray voz beautez: mais vostre fier orgueil

Ne s'amollit jamais pour larmes ny pour dueil,

Tant d'une gauche main la Parque ourdit ma vie.

Maintenant en Automne encore malheureux,

Je vy comme au Printemps de nature amoureux,

A fin que tout mon âge aille au gré de la peine:

Et ores que je deusse estre exempt du harnois,

Mon Colonnel m'envoye à grands coups de carquois

R'assieger Ilion pour conquerir Heleine.

XI

A l'aller, au parler, au flamber de tes yeux,

Je sens bien, je voy bien que tu es immortelle:

La race des humains en essence n'est telle:

Tu es quelque Demon, ou quelque Ange des cieux.

Dieu, pour favoriser ce monde vicieux,

Te feit tomber en terre, et dessus la plus belle

Et plus parfaite idee il traça la modelle

De ton corps, dont il fut luymesmes envieux.

Quand il fist ton esprit, il se pilla soymesme:

Il print le plus beau feu du ciel le plus suprême

Pour animer ta masse, ainçois ton beau printemps.

Hommes, qui la voyez de tant d'honneur pourveuë,

Tandis qu'elle est çà bas, soulez-en vostre veuë.

Tout ce qui est parfait ne dure pas long temps.

XII

Je ne veux comparer tes beautez à la Lune:

La Lune est inconstante, et ton vouloir n'est qu'un.

Encor moins au Soleil: le Soleil est commun,

Commune est sa lumiere, et tu n'es pas commune.

Tu forces par vertu l'envie et la rancune.

Je ne suis, te louant, un flateur importun.

Tu sembles à toymesme, et n'a portrait aucun:

Tu es toute ton Dieu, ton Astre, et ta Fortune.

Ceux qui font de leur Dame à toy comparaison,

Sont ou presumptueux, ou perclus de raison:

D'esprit et de sçavoir de bien loin tu les passes:

Ou bien quelque Demon de ton corps s'est vestu,

Ou bien tu es portrait de la mesme Vertu,

Ou bien tu es Pallas, ou bien l'une des Graces.

XIII

Si voz yeux cognoissoient leur divine puissance,

Et s'ils se pouvoient voir, ainsi que je les voy,

Ils ne s'estonneroient, se cognoissant, dequoy

Divins ils ont veincu une mortelle essence.

Mais par faute d'avoir d'euxmesmes cognoissance,

Ils ne peuvent juger du mal que je reçoy:

Seulement mon visage en tesmoigne pour moy.

Le voyant si desfait, ils voyent leur puissance.

Yeux, où devroit loger une bonne amitié,

Comme vous regardez tout le ciel et la terre,

Que ne penetrez-vous, mon coeur par la moitié?

Ainsi que de ses raiz le Soleil fait le verre,

Si vous le pouviez voir, vous en auriez pitié,

Et aux cendres d'un mort vous ne feriez la guerre.

XIV

Si de voz doux regards je ne vais me repaistre

A toute heure, et tousjours en tous lieux vous chercher,

Helas! pardonnez-moy: j'ay peur de vous fascher,

Comme un serviteur craint de fascher à son maistre,

Puis je crain tant voz yeux, que je ne sçaurois estre

Une heure, en les voyant, sans le coeur m'arracher,

Sans me troubler le sang: pource il faut me cacher,

Afin de ne mourir pour tant de fois renaistre.

J'avois cent fois juré de ne les voir jamais,

Me parjurant autant qu'autant je le promets:

Car soudain je retourne à r'engluer mon aile.

Ne m'appellez donq plus dissimulé ne feint.

Aimer ce qui fait mal, et revoir ce qu'on craint,

Est le gage certain d'un service fidele.

XV

Je voyois, me couchant, s'esteindre une chandelle,

Et je disois au lict bassement à-par-moy,

Pleust à Dieu que le soin, que la peine et l'esmoy,

Qu'Amour m'engrave au coeur, s'esteignissent comme elle.

Un mastin enragé, qui de sa dent cruelle

Mord un homme, il luy laisse une image de soy

Qu'il voit tousjours en l'eau: Ainsi tousjours je voy,

Soit veillant ou dormant, le portrait de ma belle

Mon sang chaut en est cause. Or comme on voit souvent

L'Esté moins bouillonner que l'Automne suivant,

Mon Septembre est plus chaut que mon Juin de fortune.

Helas! pour vivre trop, j'ay trop d'impression.

Tu es mort une fois, bien-heureux Ixion,

Et je meurs mille fois pour n'en mourir pas-une.

XVI

Helene fut occasion que Troye

Se vist brusler d'un feu victorieux:

Vous me bruslez du foudre de voz yeux,

Et aux Amours vous me donnez en proye.

En vous servant vous me monstrez la voye

Par voz vertus de m'en-aller aux cieux,

Ravy du nom, qu'Amour malicieux

Me tire au coeur, quelque part que je soye.

Nom tant de fois par Homere chanté,

Seul tout le sang vous m'avez enchanté.

O beau visage engendré d'un beau Cygne,

De mes pensers la fin et le milieu!

Pour vous aimer mortel je ne suis digne:

A la Deesse il appartient un Dieu.

XVII

Amour, qui tiens tout seul de mes pensers la clef,

Qui ouvres de mon coeur les portes et les serres,

Qui d'une mesme main me guaris et m'enferres,

Qui me fais trespasser, et vivre derechef.

Tu consommes ma vie en si pauvre meschef,

Qu'herbes, drogues ny just, ny puissance de pierres

Ne pourroient m'alleger: tant d'amoureuses guerres

Sans tréves tu me fais, du pied jusques au chef.

Oiseau, comme tu es, fay moy naistre des ailes,

A fin de m'en-voler pour jamais ne la voir:

En volant je perdray les chaudes estincelles,

Que ses yeux sans pitié me firent concevoir.

"Dieu nous vend cherement les choses qui sont belles,

Puis qu'il faut tant de fois mourir pour les avoir.

XVIII

Une seule vertu, tant soit parfaite et belle,

Ne pourroit jamais rendre un homme vertueux:

Il faut le nombre entier, en rien defectueux:

Le Printemps ne se fait d'une seule arondelle.

Toute vertu divine acquise et naturelle

Se loge en ton esprit. La Nature et les Cieux

Ont versé dessus toy leurs dons à qui mieux mieux:

Puis pour n'en faire plus ont rompu le modelle.

Icy à ta beauté se joint la Chasteté,

Icy l'honneur de Dieu, icy la Pieté,

La crainte de mal-faire, et la peur d'infamie:

Icy un coeur constant, qu'on ne peut esbranler.

Pource en lieu de mon coeur, d'Helene, et de ma vie,

Je te veux desormais ma Pandore appeller.

XIX

Bon jour, ma douce vie, autant remply de joye,

Que triste je vous dis au departir adieu:

En vostre bonne grace, hé, dites moy quel lieu

Tient mon coeur, que captif devers vous je r'envoye:

Ou bien si la longueur du temps et de la voye

Et l'absence des lieux ont amorty le feu

Qui commençoit en vous à se monstrer un peu:

Au moins, s'il n'est ainsi, trompé je le pensoye.

Par espreuve je sens que les amoureux traits

Blessent plus fort de loing qu'à l'heure qu'ils sont pres,

Et que l'absence engendre au double le servage.

Je suis content de vivre en l'estat où je suis.

De passer plus avant je ne dois ny ne puis:

Je deviendrois tout fol, où je veux estre sage.

XX

Yeux, qui versez en l'ame, ainsi que deux Planettes,

Un esprit qui pourroit resusciter les morts,

Je sçay dequoy sont faits tous les membres du corps,

Mais je ne puis sçavoir quelle chose vous estes.

Vous n'estes sang ny chair, et toutefois vous faites

Des miracles en moy par voz regards si forts,

Si bien qu'en foudroyant les miens par le dehors,

Dedans vous me tuez de cent mille sagettes.

Yeux, la forge d'Amour, Amour n'a point de trais

Que les poignans esclairs qui sortent de voz rais,

Dont le moindre à l'instant toute l'ame me sonde.

Je suis, quand je les sens, de merveille ravy:

Quand je ne les sens plus en mon corps, je ne vy,

Ayant en moy l'effect qu'a le Soleil au monde.

XXI

Comme un vieil combatant, qui ne veut plus s'armer,

Ayant le corps chargé de coups et de vieillesse,

Regarde, en s'esbatant, l'Olympique jeunesse

Pleine d'un sang bouillant aux joustes escrimer:

Ainsi je regardois du jeune Dieu d'aimer,

Dieu qui combat tousjours par ruse et par finesse,

Les gaillards champions, qui d'une chaude presse

Se veulent dans le camp amoureux enfermer.

Quand tu as reverdy mon escorce ridee

De l'esclair de tes yeux, ainsi que fit Medee

Par herbes et par jus le pere de Jason,

Je n'ay contre ton charme opposé ma defense:

Toutefois je me deuls de r'entrer en enfance,

Pour perdre tant de fois l'esprit et la raison.

XXII

Laisse de Pharaon la terre Egyptienne,

Terre de servitude, et vien sur le Jourdain:

Laisse moy ceste Cour, et tout ce fard mondain,

Ta Circe, ta Sereine, et ta Magicienne.

Demeure en ta maison pour vivre toute tienne,

Contente toy de peu: l'âge s'enfuit soudain.

Pour trouver ton repos, n'atten point à demain:

N'atten point que l'hyver sur les cheveux te vienne.

Tu ne vois à ta Cour que feintes et soupçons:

Tu vois tourner une heure en cent mille façons:

Tu vois la vertu fausse, et vraye la malice.

Laisse ces honneurs pleins d'un soing ambitieux,

Tu ne verras aux champs que Nymphes et que Dieux,

Je seray ton Orphee, et toy mon Eurydice.

XXIII

Ces longues nuicts d'hyver, où la Lune ocieuse

Tourne si lentement son char tout à l'entour,

Où le Coq si tardif nous annonce le jour,

Où la nuict semble un an à l'ame soucieuse:

Je fusse mort d'ennuy sans ta forme douteuse,

Qui vient par une feinte alleger mon amour,

Et faisant, toute nue, entre mes bras sejour,

Me pipe doucement d'une joye menteuse.

Vraye tu es farouche, et fiere en cruauté:

De toy fausse on jouyst en toute privauté.

Pres ton mort je m'endors, pres de luy je repose:

Rien ne m'est refusé. Le bon sommeil ainsi

Abuse par le faux mon amoureux souci.

S'abuser en amour n'est pas mauvaise chose.

XXIV

Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,

Assise aupres du feu, devidant et filant,

Direz, chantant mes vers, en vous esmerveillant,

Ronsard me celebroit du temps que j'estois belle.

Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,

Desja sous le labeur à demy sommeillant,

Qui au bruit de Ronsard ne s'aille resveillant,

Benissant vostre nom de louange immortelle.

Je seray sous la terre, et fantaume sans os:

Par les ombres Myrtheux je prendray mon repos.

Vous serez au fouyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour, et vostre fier desdain.

Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain:

Cueillez dés aujourd'huy les roses de la vie.

XXV

Cest honneur, ceste loy sont noms pleins d'imposture,

Que vous alleguez tant, faussement inventez

De noz peres resveurs, par lesquels vous ostez

Et forcez les presens les meilleurs de Nature.

Vous trompez vostre sexe, et luy faites injure:

La coustume vous pipe, et du faux vous domtez

Voz plaisirs, voz desirs, vous et voz voluptez,

Sous l'ombre d'une sotte et vaine couverture.

Cest honneur, ceste loy, sont bons pour un lourdaut,

Qui ne cognoist soymesme, et les plaisirs qu'il faut

Pour vivre heureusement, dont Nature s'esgaye.

Vostre esprit est trop bon pour ne le sçavoir pas:

Vous prendrez, s'il vous plaist, les sots à tels apas:

Je ne veux pour le faux tromper la chose vraye.

XXVI

Celle, de qui l'amour veinquit la fantasie,

Que Jupiter conceut sous un Cygne emprunté:

Ceste soeur des Jumeaux, qui fist par sa beauté

Opposer toute Europe aux forces de l'Asie,

Disoit à son mirouer, quand elle vit saisie

Sa face de vieillesse et de hideuseté,

Que mes premiers maris insensez ont esté

De s'armer, pour jouyr d'une chair si moisie!

Dieux, vous estes cruels, jaloux de nostre temps!

Des Dames sans retour s'en-vole le printemps:

Aux serpens tous les ans vous ostez la vieillesse.

Ainsi disoit Helene en remirant son teint.

Cest exemple est pour vous: cueillez vostre jeunesse.

Quand on perd son Avril, en Octobre on s'en plaint.

XXVII

Heureux le Chevalier, que la Mort nous desrobe,

Qui premier me fit voir de ta Grace l'attrait:

Je la vy de si loin, que la poincte du trait

Sans force demoura dans les plis de ma robe.

Mais ayant de plus pres entendu ta parole,

Et veu ton oeil ardent, qui de moy m'a distrait,

Au coeur entra la fléche avecque ton portrait,

Heureux d'estre l'autel de ce Dieu qui m'affole.

Esblouy de ta veue, où l'Amour fait son ny,

Claire comme un Soleil en flames infiny,

Je n'osois t'aborder, craignant de plus ne vivre.

Je fu trois mois retif: mais l'Archer qui me vit,

Si bien à coups de traits ma crainte poursuivit,

Que veincu de son arc m'a forcé de te suivre.

XXVIII

Lettre, je te reçoy, que ma Deesse en terre

M'envoye pour me faire ou joyeux, ou transi,

Ou tous les deux ensemble, ô Lettre, tout ainsi

Que tu m'apportes seule ou la paix, ou la guerre.

Amour, en te lisant, de mille traits m'enferre:

Touche mon sein, à fin qu'en retournant d'ici

Tu contes à ma dame, en quel piteux souci

Je vy pour sa beauté, tant j'ay le coeur en serre!

Touche mon estomac pour sentir mes chaleurs,

Approche de mes yeux pour recevoir mes pleurs,

Que torrent sur torrent ce faux Amour m'assemble:

Puis voyant les effects d'un si contraire esmoy,

Dy que Deucalion et Phaëton chez moy,

L'un au coeur, l'autre aux yeux, se sont logez ensemble.

XXIX

Lettre, de mon ardeur veritable interprete,

Qui parles sans parler les passions du coeur,

Poste des amoureux, va conter ma langueur

A ma dame, et comment sa cruauté me traite.

Comme une messagere et accorte et secrete

Contemple, en la voyant, sa face et sa couleur,

Si elle devient gaye, ou palle de douleur,

Ou d'un petit souspir si elle me regrete.

Fais office de langue: aussi bien je ne puis

Devant elle parler, tant vergongneux je suis,

Tant je crains l'offenser: et faut que le visage

Tout seul de ma douleur luy rende tesmoignage.

Tu pourras en trois mots luy dire mes ennuis:

Le silence parlant vaut un mauvais langage.

XXX

Le soir qu'Amour vous fist en la salle descendre

Pour danser d'artifice un beau ballet d'Amour,

Voz yeux, bien qu'il fust nuict, ramenerent le jour,

Tant ils sceurent d'esclairs par la place respandre.

Le ballet fut divin, qui se souloit reprendre,

Se rompre, se refaire, et tour dessus retour

Se mesler, s'escarter, se tourner à l'entour,

Contre-imitant le cours du fleuve de Meandre.

Ores il estoit rond, ores long, or estroit,

Or en poincte, en triangle, en la façon qu'on voit

L'escadron de la Gruë evitant la froidure.

Je faux, tu ne dansois, mais ton pied voletoit

Sur le haut de la terre: aussi ton corps s'estoit

Transformé pour ce soir en divine nature.

XXXI

Je voy mille beautez, et si n'en voy pas une

Qui contente mes yeux: seule vous me plaisez:

Seule quand je vous voy, mes sens vous appaisez:

Vous estes mon Destin, mon Ciel et ma Fortune,

Ma Venus, mon Amour, ma Charite, ma brune,

Qui tous bas pensemens de l'esprit me rasez,

Et de belles vertus l'estomac m'embrasez,

Me soulevant de terre au cercle de la Lune.

Mon oeil de voz regards goulument se repaist:

Tout ce qui n'est pas vous luy fasche et luy desplaist,

Tant il a par usance accoustumé de vivre

De vostre unique, douce, agreable beauté.

S'il peche contre vous, affamé de vous suivre,

Ce n'est de son bon gré, c'est par necessité.

XXXII

Ces cheveux, ces liens, dont mon coeur tu enlasses,

Gresles, primes, subtils, qui coulent aux talons,

Entre noirs et chastains, bruns, deliez et longs,

Tels que Venus les porte, et ces trois belles Graces;

Me tiennent si estrains, Amour, que tu me passes

Au coeur, en les voyant, cent poinctes d'aiguillons,

Dont le moindre des noeuds pourroit des plus felons

En leur plus grand courroux arrester les menaces.

Cheveux non achetez, empruntez ny fardez,

Qui vostre naturel sans feintise gardez,

Que vous me semblez beaux! Permettez que j'en porte

Un lien à mon col, à fin que sa beauté,

Me voyant prisonnier lié de telle sorte,

Se puisse tesmoigner quelle est sa cruauté.

XXXIII

Voulant tuer le feu, dont la chaleur me cuit

Les muscles et les nerfs, les tendons et les veines,

Et cherchant de trouver une fin à mes peines,

Je vy bien à tes yeux que j'estois esconduit.

D'un refus asseuré tu me payas le fruit

Que j'esperois avoir: ô esperances vaines!

O fondemens assis sur debiles arenes!

Malheureux qui l'amour d'une Dame poursuit.

O beauté sans mercy, ta fraude est descouverte!

J'aime mieux estre sage apres quatre ans de perte,

Que plus long temps ma vie en langueur desseicher.

Je ne veux point blasmer ta beauté que j'honore:

Je ne suis mesdisant comme fut Stesichore,

Mais je veux de mon col les liens destacher.

XXXIV

Je suis esmerveillé que mes pensers ne sont

Laz de penser en vous, y pensant à toute heure:

Me souvenant de vous, or' je chante, or' je pleure,

Et d'un penser passé cent nouveaux se refont.

Puis legers comme oiseaux ils volent, et s'en-vont,

M'abandonnant tout seul, devers vostre demeure:

Et s'ils sçavoient parler, souvent vous seriez seure

Du mal que mon coeur cache, et qu'on lit sur mon front.

Or sus venez Pensers, pensons encor en elle.

De tant y repenser je ne me puis lasser:

Pensons en ces beaux yeux, et combien elle est belle.

Elle pourra vers nous les siens faire passer.

Venus non seulement nourrit de sa mammelle

Amour son fils aisné, mais aussi le Penser.

XXXV

Belle gorge d'albastre, et vous chaste poictrine,

Qui les Muses cachez en un rond verdelet:

Tertres d'Agathe blanc, petits gazons de laict,

Des Graces le sejour, d'Amour et de Cyprine:

Sein de couleur de liz et de couleur rosine,

De veines marqueté, je vous vy par souhait

Lever l'autre matin, comme l'Aurore fait

Quand vermeille elle sort de sa chambre marine.

Je vy de tous costez le Plaisir et le Jeu,

Les deux freres d'Amour, armez d'un petit feu,

Voler ainsi qu'enfans, par ces coustaux d'yvoire,

M'esblouyr, me surprendre, et me lier bien fort:

Je vy tant de beautez, que je ne les veux croire.

Un homme ne doit croire aux tesmoins de sa mort.

XXXVI

Lors que le Ciel te fist, il rompit la modelle

Des Vertuz, comme un peintre efface son tableau,

Et quand il veut refaire une image du Beau,

Il te va retracer pour en faire une telle.

Tu apportas d'enhaut la forme la plus belle,

Pour paroistre en ce monde un miracle nouveau,

Que couleur, ny outil, ny plume, ny cerveau

Ne sçauroient egaler, tant tu es immortelle.

Un bon-heur te defaut: c'est qu'en venant ça bas

Couverte de ton voile ombragé du trespas,

Ton excellence fut à ce monde incognue,

Qui n'osa regarder les rayons de tes yeux.

Seul je les adoray comme un thresor des cieux,

Te voyant en essence, et les autres en nue.

XXXVII

Je te voulois nommer pour Helene, Ortygie,

Renouvellant en toy d'Ortyge le renom.

Le tien est plus fatal: Helene est un beau nom,

Helene, honneur des Grecs, la terreur de Phrygie.

Si pour sujet fertil Homere t'a choisie,

Je puis, suivant son train qui va sans compagnon,

Te chantant, m'honorer, et non pas toy, sinon

Qu'il te plaise estimer ma rude Poësie.

Tu passes en vertuz les Dames de ce temps

Aussi loin que l'Hyver est passé du Printemps,

Digne d'avoir autels, digne d'avoir Empire.

Laure ne te veincroit de renom ny d'honneur

Sans le Ciel qui luy donne un plus digne sonneur,

Et le mauvais destin te fait present du pire.

XXXVIII

J'errois en mon jardin, quand au bout d'une allee

Je vy contre l'Hyver boutonner un Soucy.

Ceste herbe et mon amour fleurissent tout ainsi:

La neige est sur ma teste, et la sienne est gelee.

O bien-heureuse amour en mon ame escoulee

Pour celle qui n'a point de parangon icy,

Qui m'a de ses rayons tout l'esprit esclarcy,

Qui devroit des François Minerve estre appellee:

En prudence Minerve, une Grace en beauté,

Junon en gravité, Diane en chasteté,

Qui sert aux mesmes Dieux, comme aux hommes, d'exemple.

Si tu fusses venue au temps que la Vertu

S'honoroit des humains, tes vertuz eussent eu

Voeuz, encens et autels, sacrifices et temple.

XXXIX

De Myrthe et de Laurier fueille à fueille enserrez

Helene entrelassant une belle Couronne,

M'appella par mon nom: Voyla que je vous donne,

De moy seule, Ronsard, l'escrivain vous serez.

Amour qui l'escoutoit, de ses traicts acerez

Me pousse Helene au coeur, et son Chantre m'ordonne:

Qu'un sujet si fertil vostre plume n'estonne:

Plus l'argument est grand, plus Cygne vous mourrez.

Ainsi me dist Amour, me frappant de ses ailes:

Son arc fist un grand bruit, les fueilles eternelles

Du Myrthe je senty sur mon chef tressaillir.

Adieu, Muses, adieu, vostre faveur me laisse:

Helene est mon Parnasse: ayant telle Maistresse,

Le Laurier est à moy, je ne sçaurois faillir.

XL

Seule sans compagnie en une grande salle

Tu logeois l'autre jour, pleine de majesté,

Coeur vrayment genereux, dont la brave beauté

Sans pareille, ne treuve une autre qui l'égalle

Ainsi seul en son ciel le Soleil se devalle,

Sans autre compagnie en son char emporté:

Et loin des autres Dieux en son Palais vouté

Jupiter a choisy sa demeure royalle.

Une ame vertueuse a tousjours un bon coeur:

Le Liévre fuyt tousjours, la Biche a tousjours peur,

Le Lyon de soymesme asseuré se hazarde.

Cela qu'au peuple fait la crainte de la Loy,

La naïfve Vertu, sans peur, le fait en toy.

La Loy ne sert de rien, quand la Vertu nous garde.

XLI

Qu'il me soit arraché des tetins de sa mere

Ce jeune enfant Amour, et qu'il me soit vendu:

Il ne faut plus qu'il croisse, il m'a desja perdu:

Vienne quelque marchand, je le mets à l'enchere.

D'un si mauvais garçon la vente n'est pas chere,

J'en feray bon marché. Ah! j'ay trop attendu.

Mais voyez comme il pleure: il m'a bien entendu.

Appaise toy, mignon, j'ay passé ma cholere,

Je ne te vendray point: au contraire je veux

Pour Page t'envover à ma maistresse Heleine,

Qui toute te ressemble et d'yeux et de cheveux,

Aussi fine que toy, de malice aussi pleine.

Comme enfans vous croistrez et vous jou'rez tous deux:

Quand tu seras plus grand, tu me payras ma peine.

XLII

Passant dessus la tombe, où ta moitié repose,

Tu versas dessus elle une moisson de fleurs:

L'eschaufant de souspirs, et l'arrosant de pleurs,

Tu monstras qu'une mort tenoit ta vie enclose.

Si tu aimes le corps dont la terre dispose,

Imagine ta force, et conçoy tes rigueurs:

Tu me verras, cruelle, entre mille langueurs

Mourir, puis que la mort te plaist sur toute chose.

C'est acte de pitié d'honorer un cercueil:

Mespriser les vivans est un signe d'orgueil.

Puis que ton naturel les fantaumes embrasse,

Et que rien n'est de toy, s'il n'est mort,estimé,

Sans languir tant de fois, esconduit de ta grace,

Je veux du tout mourir, pour estre mieux aimé.

XLIII

Je ne serois marry, si tu comptois ma peine

De compter tes degrez recomptez tant de fois:

Tu loges au sommet du Palais de noz Rois:

Olympe n'avoit pas la cyme si hauteine.

Je perds à chaque marche et le pouls et l'haleine:

J'ay la sueur au front, j'ay l'estomac penthois,

Pour ouyr un nenny, un refus, une vois,

De desdain, de froideur et d'orgueil toute pleine.

Tu es vrayment Deesse, assise en si haut lieu.

Or pour monter si haut, je ne suis pas un Dieu.

Je feray des degrez ma plainte coustumiere,

T'envoyant jusqu'en haut mon coeur devotieux.

Ainsi les hommes font à Jupiter priere:

Les hommes sont en terre, et Jupiter aux cieux.

XLIV

Mon ame mille fois m'a predit mon dommage:

Mais la sotte qu'elle est, apres l'avoir predit,

Maintenant s'en repent, maintenant s'en desdit,

Et voyant ma Maistresse, elle aime davantage.

Si l'ame, si l'esprit, qui sont de Dieu l'ouvrage,

Deviennent amoureux, à grand tort on mesdit

Du corps qui suit les sens, non brutal, comme on dit,

S'il se trouve esblouy des raiz d'un beau visage.

Le corps ne languiroit d'un amoureux souci,

Si l'ame, si l'esprit ne le vouloient ainsi.

Mais du premier assaut l'ame se tient rendue,

Conseillant, comme Royne, au corps d'en faire autant.

Ainsi le Citoyen trahy du combattant,

Se rend aux ennemis, quand la ville est perdue.

XLV

Il ne faut s'esbahir, disoient ces bons veillars

Dessus le mur Troyen, voyans passer Heleine,

Si pour telle beauté nous souffrons tant de peine,

Nostre mal ne vaut pas un seul de ses regars.

Toutefois il vaut mieux, pour n'irriter point Mars,

La rendre à son espoux afin qu'il la r'emmeine,

Que voir de tant de sang nostre campagne pleine,

Nostre havre gagné, l'assaut à noz rempars.

Peres, il ne falloit (à qui la force tremble)

Par un mauvais conseil les jeunes retarder:

Mais et jeunes et vieux vous deviez tous ensemble

Et le corps et les biens pour elle hazarder.

Menelas fut bien sage, et Pâris, ce me semble,

L'un de la demander, l'autre de la garder.

XLVI

Ah, belle liberté, qui me servois d'escorte,

Quand le pied me portoit où libre je voulois!

Ah, que je te regrette! helas, combien de fois

Ay-je rompu le joug, que malgré moy je porte!

Puis je l'ay r'attaché, estant nay de la sorte,

Que sans aimer je suis et du plomb, et du bois:

Quand je suis amoureux, j'ay l'esprit et la vois,

L'invention meilleure, et la Muse plus forte.

Il me faut donc aimer pour avoir bon esprit,

Afin de concevoir des enfans par escrit,

Pour allonger mon nom aux depens de ma peine.

Quel sujet plus fertil sçauroy-je mieux choisir

Que le sujet qui fut d'Homere le plaisir,

Ceste toute divine et vertueuse Heleine?

XLVII

Tes freres les Jumeaux, qui ce mois verdureux

Maistrisent, et qui sont tous deux liez-ensemble,

Te devroient enseigner, au moins comme il me semble,

A te joindre ainsi qu'eux d'un lien amoureux.

Mais ton coeur nonchalant, revesche et rigoureux,

Qui jamais nulle flame amoureuse n'assemble,

En ce beau mois de May malgré tes ans ressemble,

O perte de jeunesse! à l'Hyver froidureux.

Tu n'es digne d'avoir les deux Jumeaux pour freres:

A leur gentille humeur les tiennes sont contraires,

Venus t'est desplaisante, et son fils odieux.

Au contraire, par eux la terre est toute pleine

De Graces et d'Amour: change ce nom d'Heleine:

Un autre plus cruel te convient beaucoup mieux.

XLVIII

Ny ta simplicité, ny ta bonne nature,

Ny mesme ta vertu ne t'ont peu garentir,

Que la Cour, ta nourrice, escole de mentir,

N'ait depravé tes moeurs d'une fausse imposture.

Le Proverbe dit vray, Souvent la nourriture

Corrompt le naturel: tu me l'as fait sentir,

Qui fraudant ton serment, m'avois au departir

Promis de m'honorer de ta belle figure.

Menteuse contre Amour, qui vengeur te poursuit,

Tu as levé ton camp pour t'enfuyr de nuict,

Accompaignant ta Royne (ô vaine couverture!)

Trompant pour la faveur ta promesse et ta foy.

Comment pourroy-je avoir quelque faveur de toy,

Quand tu ne veux souffrir que je t'aime en peinture?

XLIX

Ceste fleur de Vertu, pour qui cent mille larmes

Je verse nuict et jour sans m'en pouvoir souler,

Peut bien sa destinée à ce Grec egaler,

A ce fils de Thetis, à l'autre fleur des armes.

Le Ciel malin borna ses jours de peu de termes:

Il eut courte la vie ailee à s'en-aller:

Mais son nom, qui a fait tant de bouches parler,

Luy sert contre la Mort de pilliers et de termes.

Il eut pour sa prouësse un excellent sonneur:

Tu as pour tes vertuz en mes vers un honneur,

Qui malgré le tombeau suivra ta renommee.

Les Dames de ce temps n'envient ta beauté,

Mais ton nom tant de fois par les Muses chanté,

Qui languiroit d'oubly, si je ne t'eusse aimee.

L

Afin que ton honneur coule parmy la plaine

Autant qu'il monte au Ciel engravé dans un Pin,

Invoquant tous les Dieux, et respandant du vin,

Je consacre à ton nom ceste belle Fontaine.

Pasteurs, que voz troupeaux frisez de blanche laine

Ne paissent à ces bords: y fleurisse le Thin,

Et la fleur, dont le maistre eut si mauvais destin,

Et soit dite à jamais la Fontaine d'Heleine.

Le Passant en Esté s'y puisse reposer,

Et assis dessus l'herbe à l'ombre composer

Mille chansons d'Heleine, et de moy luy souvienne.

Quiconques en boira, qu'amoureux il devienne:

Et puisse, en la humant, une flame puiser

Aussi chaude, qu'au coeur je sens chaude la mienne.

LI

Stances de la fontaine d'Helene

Pour chanter ou réciter à trois personnes.

Le premier.

Ainsi que ceste au coule et s'enfuyt parmy l'herbe,

Ainsi puisse couler en ceste eau le soucy,

Que ma belle Maistresse, à mon mal trop superbe,

Engrave dans mon coeur sans en avoir mercy.

Le second.

Ainsi que dans ceste eau de l'eau mesme je verse,

Ainsi de veine en veine Amour, qui m'a blessé,

Et qui tout à la fois son carquois me renverse,

Un bruvage amoureux dans le coeur m'a versé.

I

Je voulois de ma peine esteindre la memoire:

Mais Amour, qui avoit en la fontaine beu,

Y laissa son brandon, si bien qu'au lieu de boire

De l'eau pour l'estancher, je n'ay beu que du feu.

II

Tantost ceste fontaine est froide comme glace,

Et tantost elle jette une ardente liqueur.

Deux contraires effects je sens, quand elle passe,

Froide dedans ma bouche, et chaude dans mon coeur.

I

Vous qui refraischissez ces belles fleurs vermeilles,

Petits freres ailez, Favones et Zephirs,

Portez de ma Maistresse aux ingrates oreilles,

En volant parmy l'air, quelcun de mes souspirs.

II

Vous enfans de l'Aurore, allez baiser ma Dame:

Dite luy que je meurs, contez luy ma douleur,

Et qu'Amour me transforme en un rocher sans ame,

Non comme il fit Narcisse en une belle fleur.

I

Grenouilles qui jasez quand l'an se renouvelle,

Vous Gressets qui servez aux charmes, comme on dit,

Criez en autre part vostre antique querelle:

Ce lieu sacré vous soit à jamais interdit.

II

Philomele en Avril ses plaintes y jargonne,

Et tes bords sans chansons ne se puissent trouver:

L'Arondelle l'Esté, le Ramier en Automne,

Le Pinson en tout temps, la Gadille en Hyver.

I

Cesse tes pleurs, Hercule, et laisse ta Mysie,

Tes pieds de trop courir sont ja foibles et las:

Icy les Nymphes ont leur demeure choisie,

Icy sont tes Amours, icy est ton Hylas.

II

Que ne suis-je ravy comme l'enfant Argive?

Pour revencher ma mort, je ne voudrois sinon

Que le bord, le gravois, les herbes et la rive

Fussent tousjours nommez d'Helene, et de mon nom!

I

Dryades, qui vivez sous les escorces sainctes,

Venez, et tesmoignez combien de fois le jour

Ay-je troublé voz bois par le cry de mes plaintes,

N'ayant autre plaisir qu'à souspirer d'Amour?

II

Echo, fille de l'Air, hostesse solitaire

Des rochers, où souvent tu me vois retirer,

Dy quantes fois le jour lamentant ma misere,

T'ay-je fait souspirer, en m'oyant souspirer?

I

Ny Cannes ny Roseaux ne bordent ton rivage,

Mais le gay Poliot, des bergeres amy.

Tousjours au chaut du jour le Dieu de ce bocage,

Appuyé sur sa fleute, y puisse estre endormy.

II

Fontaine, à tout jamais ta source soit pavee,

Non de menus gravois, de mousses ny d'herbis,

Mais bien de mainte Perle à bouillons enlevee,

De Diamans, Saphirs, Turquoises et Rubis.

I

Le Pasteur en tes eaux nulle branche ne jette,

Le Bouc de son ergot ne te puisse fouler:

Ains comme un beau Crystal, tousjours tranquille et nette,

Puisses tu par les fleurs eternelle couler.

II

Les Nymphes de ces eaux et les Hamadryades,

Que l'amoureux Satyre entre les bois poursuit,

Se tenant main à main, de sauts et de gambades,

Aux rayons du Croissant y dansent toute nuit.

I

Si j'estois un grand Prince, un superbe edifice

Je voudrois te bastir, où je ferois fumer

Tous les ans à ta feste autels et sacrifice,

Te nommant pour jamais la Fontaine d'aimer.

II

Il ne faut plus aller en la forest d'Ardeine

Chercher l'eau, dont Regnaut estoit tant desireux:

Celuy qui boit à jeun trois fois ceste fonteine,

Soit passant, ou voisin, il devient amoureux.

I

Lune qui as ta robbe en rayons estoillee,

Garde ceste fontaine aux jours les plus ardans:

Defen la pour jamais de chaut et de gelee,

Remply la de rosee, et te mire dedans.

II

Advienne apres mille ans, qu'un Pastoureau desgoise

Mes amours; et qu'il conte aux Nymphes d'icy pres,

Qu'un Vandomois mourut pour une Saintongeoise,

Et qu'encor son esprit erre entre ces forests.

Le tiers.

Garsons, ne chantez plus: ja Vesper nous commande

De serrer noz troupeaux: les Loups sont jà dehors.

Demain à la frescheur avec une autre bande

Nous reviendrons danser à l'entour de tes bords.

Fontaine ce-pendant de ceste tasse pleine

Reçoy ce vin sacré que je verse dans toy:

Sois dite pour jamais la Fontaine d'Heleine;

Et conserve en tes eaux mes amours et ma foy.

LII

Il ne suffit de boire en l'eau que j'ay sacree

A ceste belle Helene, afin d'estre amoreux:

Il faut aussi dormir dedans un autre ombreux,

Qui a joignant sa rive en un mont son entree.

Il faut d'un pied dispos danser dessus la pree,

Et tourner par neuf fois autour d'un saule creux:

Il faut passer la planche, il faut faire des voeux

Au bon Pere Germain qui garde la contree.

Cela fait, quand un coeur seroit un froid glaçon,

Il sentira le feu d'une estrange façon!

Enflamer sa froideur. Croyez ceste escriture.

Amour du rouge sang des Geans tout souillé,

Essuyant en ceste eau son beau corps despouillé,

Y laissa pour jamais ses feux et sa teinture.

LIII

Adieu, cruelle, adieu, je te suis ennuyeux:

C'est trop chanté d'Amour sans nulle recompense.

Te serve qui voudra, je m'en vay, et je pense

Qu'un autre serviteur ne te servira mieux.

Amour en quinze jours m'a fait ingenieux,

Me jettant au cerveau de ces vers la semence:

La Raison maintenant me r'appelle, et me tense:

Je ne veux si long temps devenir furieux.

Il ne faut plus nourrir cest Enfant qui me ronge,

Qui les credules prend comme un poisson à l'hain,

Une plaisante farce, une belle mensonge,

Un plaisir pour cent maux qui s'en-vole soudain:

Mais il se faut resoudre; et tenir pour certain

Que l'homme est malheureux, qui se repaist d'un songe.

LIV

Je m'enfuy du combat, ma bataille est desfaite:

J'ay perdu contre Amour la force et la raison:

Ja dix lustres passez, et ja mon poil grison

M'appellent au logis, et sonnent la retraite.

Si, comme je voulois, ta gloire n'est parfaite,

N'en blasme point l'esprit, mais blasme la saison:

Je ne suis ny Pâris, ny desloyal Jason:

J'obeïs à la loy, que la Nature a faite.

Entre l'aigre et le doux, l'esperance et la peur,

Amour dedans ma forge a poly cest ouvrage.

Je ne me plains du mal, du temps ny du labeur,

Je me plains de moymesme et de ton fier courage.

Tu t'en repentiras, si tu as un bon coeur,

Mais le tard repentir ne guarist le dommage.

LV

Je chantois ces Sonets, amoureux d'une Heleine,

En ce funeste mois que mon Prince mourut:

Son sceptre, tant fut grand, Charles ne secourut,

Qu'il ne payast sa debte à la Nature humaine.

La Mort fut d'une part, et l'Amour qui me meine,

Estoit de l'autre part, dont le traict me ferut,

Et si bien la poison par les veines courut,

Que j'oubliay mon maistre, attaint d'une autre peine.

Je senty dans le coeur deux diverses douleurs,

La rigueur de ma Dame, et la tristesse enclose

Du Roy, que j'adorois pour ses rares valeurs.

La vivante et le mort tout malheur me propose:

L'une aime les regrets, et l'autre aime les pleurs:

Car l'Amour et la Mort n'est qu'une mesme chose.

 

Les Amours diverses

 

Quiconque a peint...

Sonets

I

Quiconque a peint Amour, il fut ingenieux,

Non le faisant enfant chargé de traicts et d'ailes,

Non luy chargeant les mains de flames eternelles,

Mais bien d'un double crespe enveloppant ses yeux.

Amour hait la clarté, le jour m'est odieux:

J'ay, qui me sert de jour, mes propres estincelles,

Sans qu'un Soleil jaloux de ses flames nouvelles

S'amuse si long temps à tourner dans les cieux.

Argus regne en Esté, qui d'une oeillade espesse

Espie l'amoureux parlant à sa maistresse

Le jour est de l'Amour ennemy dangereux.

Soleil, tu me desplais: la nuict m'est bien meilleure:

Pren pitié de mon mal, cache toy de bonne heure:

Tu fus, comme je suis, autrefois amoureux.

II

Jamais Hector aux guerres n'estoit lâche

Lors qu'il alloit combattre les Gregeois.

Tousjours sa femme attachoit son harnois,

Et sur l'armet luy plantoit son pennache.

Il ne craignoit la Pelienne hache

Du grand Achille, ayant deux ou trois fois

Baisé sa femme, et tenant en ses dois

Quelque faveur de sa belle Andromache.

Heureux cent fois toy Chevalier errant,

Que ma Deesse alloit hier parant,

Et qu'en armant baisoit, comme je pense.

De sa vertu procede ton honneur:

Que pleust à Dieu, pour avoir ce bon-heur,

Avoir changé mes plumes à ta lance.

III

Il ne falloit, Maistresse, autres tablettes

Pour vous graver, que celles de mon coeur,

Où de sa main Amour nostre veinqueur

Vous a gravee, et vos graces parfaites.

Là voz vertus au vif y sont portraites,

Et voz beautez causes de ma langueur,

L'honnesteté, la douceur, la rigueur,

Et tous les biens et maux que vous me faites.

Là voz cheveux, vostre oeil et vostre teint,

Et vostre front s'y monstre si bien peint,

Et vostre face y est si bien enclose,

Que tout est plein: il n'y a plus d'endroit

Qui ne soit vostre: et quand Amour voudroit,

Il ne pourroit y graver autre chose.

IV

Ce Chasteau-neuf, ce nouvel edifice

Tout enrichy de marbre et de porphire,

Qu'Amour bastit chasteau de son empire,

Où tout le Ciel a mis son artifice,

Est un rempart, un fort contre le vice,

Où la Vertu maistresse se retire,

Que l'oeil regarde, et que l'esprit admire,

Forçant les coeurs à luy faire service.

C'est un Chasteau feé de telle sorte,

Que nul ne peut approcher de la porte,

Si des grands Rois il n'a tiré sa race,

Victorieux, vaillant et amoureux.

Nul Chevalier, tant soit aventureux,

Sans estre tel, ne peut gagner la place.

V

Si mon grand Roy n'eust veincu meinte armee,

Son nom n'iroit, comme il fait, dans les cieux:

Les ennemis l'ont fait victorieux,

Et des veincuz il prend sa renommee.

Si de plusieurs je te voy bien-aimee,

C'est mon trophee, et n'en suis envieux:

D'un tel honneur je deviens glorieux,

Ayant choisy chose tant estimee.

Ma jalousie est ma gloire de voir

Mesmes Amour soumis à ton pouvoir.

Mais s'il advient que de luy je me vange,

Vous honorant d'un service constant,

Jamais mon Roy par trois fois combatant

N'eut tant d'honneur, que j'auray de louange.

VI

A mon retour (hé, je m'en desespere!)

Tu m'as receu d'un baiser tout glacé,

Froid, sans saveur, baiser d'un trespassé,

Tel que Diane en donnoit à son frere.

Tel qu'une fille en donne à sa grand'mere,

La fiancée en donne au fiancé,

Ny savoureux, ny moiteux, ny pressé.

Et quoy, ma lévre est-elle si amere?

Ha, tu devrois imiter les pigeons,

Qui bec en bec de baisers doux et longs

Se font l'amour sur le haut d'une souche.

Je te suppli', Maistresse, desormais

Ou baise moy la saveur en la bouche,

Ou bien du tout ne me baise jamais.

VII

A Phoebus

Sois medecin, Phoebus, de la Maistresse

Qui tient mon Prince en servage si doux:

Vole à son lict, et luy taste le poux:

Il faut qu'un Dieu guarisse une Deesse.

Mets en effect ton mestier, et ne cesse

De la panser, et luy donner secours,

Ou autrement le regne des amours

Sera perdu, si le mal ne la laisse.

Ne souffre point, qu'une blesme langueur

Ne son beau teint efface la vigueur,

Ny de ses yeux où l'Amour se repose.

Exauce moy, ô Phoebus: si tu veux,

D'un mesme coup tu en guariras deux:

Elle et mon Duc n'est qu'une mesme chose.

VIII

Amour, tu es trop fort, trop foible est ma Raison

Pour soustenir le camp d'un si rude adversaire.

Va, badine Raison, tu te laisses desfaire:

Dez le premier assaut on te meine en prison.

Je veux, pour secourir mon chef demy-grison,

Non la Philosophie ou les Loix: au contraire

Je veux ce deuxfois nay, ce Thebain, ce Bon-pere,

Lequel me servira d'une contrepoison.

Il ne faut qu'un mortel un immortel assaille.

Mais si je prens un jour cest Indien pour moy,

Amour, tant sois tu fort, tu perdras la bataille,

Ayant ensemble un homme et un Dieu contre toy.

La Raison contre Amour ne peut chose qui vaille:

Il faut contre un grand Prince opposer un grand Roy.

IX

Cusin, monstre à double aile, au mufle Elephantin,

Canal à tirer sang, qui voletant en presse

Sifles d'un son aigu, ne picque ma Maistresse,

Et la laisse dormir du soir jusqu'au matin.

Si ton corps d'un atome, et ton nez de mastin

Cherche tant à picquer la peau d'une Deesse,

En lieu d'elle, Cusin, la mienne je te laisse:

Succe la, que mon sang te soit comme un butin.

Cusin, je m'en desdy: hume moy de la belle

Le sang, et m'en apporte une goutte nouvelle

Pour gouster quel il est. Ha, que le sort fatal

Ne permet à mon corps de prendre ton essence!

Repicquant ses beaux yeux, elle auroit cognoissance

Qu'un rien qu'on ne voit pas, fait souvent un grand mal.

X

Genévres herissez, et vous Houx espineux,

L'un hoste des deserts, et l'autre d'un bocage:

Lhierre, le tapis d'un bel antre sauvage,

Sources qui bouillonnez d'un surgeon sablonneux,

Pigeons qui vous baisez d'un baiser savoureux,

Tourtres qui lamentez d'un eternel vefvage,

Rossignols ramagers, qui d'un plaisant langage

Nuict et jour rechantez vos versets amoureux:

Vous à la gorge rouge estrangere Arondelle,

Si vous voyez aller ma Nymphe en ce Printemps

Pour cueillir des bouquets par ceste herbe nouvelle,

Dites luy, pour-neant que sa grace j'attens,

Et que pour ne souffrir le mal que j'ay pour elle,

J'ay mieux aimé mourir que languir si long temps.

XI

Cruelle, il suffisoit de m'avoir pouldroyé,

Outragé, terrassé, sans m'oster l'esperance.

Tousjours du malheureux l'espoir est l'asseurance:

L'amant sans esperance est du tout fouldroyé.

L'espoir va soulageant l'homme demy-noyé:

L'espoir au prisonnier annonce delivrance:

Le pauvre par l'espoir allege sa souffrance:

Rien meilleur que l'espoir du Ciel n'est envoyé.

Ny d'yeux, ny de semblant vous ne m'estes cruelle:

Mais par l'art cauteleux d'une voix qui me gelle,

Vous m'ostez l'esperance, et desrobez mon jour.

O belle cruauté, des beautez la premiere,

Qu'est-ce parler d'Amour, sans point faire l'amour,

Sinon voir le Soleil sans aimer sa lumiere?

XII

Tant de fois s'appointer, tant de fois se fascher,

Tant de fois rompre ensemble, et puis se renouër,

Tantost blasmer Amour, et tantost le louër,

Tant de fois se fuyr, tant de fois se chercher,

Tant de fois se monstrer, tant de fois se cacher,

Tantost se mettre au joug, tantost le secouër,

Advouer sa promesse, et la desadvouër,

Sont signes que l'Amour de pres nous vient toucher.

L'inconstance amoureuse est marque d'amitié.

Si donc tout à la fois avoir haine et pitié,

Jurer, se parjurer, sermens faicts et desfaicts,

Esperer sans espoir, confort sans reconfort,

Sont vrais signes d'amour, nous entr'aimons bien fort:

Car nous avons tousjours ou la guerre, ou la paix.

XIII

Quoy? me donner congé d'embrasser chaque femme,

Mon feu des-attizer au premier corps venu,

Ainsi qu'un vagabond, sans estre retenu,

Abandonner la bride au vouloir de ma flame:

Non, ce n'est pas aimer. L'Archer ne vous entame

Qu'un peu le haut du coeur d'un traict foible et menu.

Si d'un coup bien profond il vous estoit cognu,

Ce ne seroit que soulfre et braise de vostre ame.

En soupçon de vostre ombre en tous lieux vous seriez:

A toute heure, en tous temps, jalouse me suivriez,

D'ardeur et de fureur et de crainte allumee.

Amour au petit pas, non au gallop vous court,

Et vostre amitié n'est qu'une flame de Court,

Où peu de feu se trouve, et beaucoup de fumee.

XIV

Je t'avois despitee, et ja trois mois passez

Se perdoient, Temps ingrat, que je ne t'avois veuë,

Quand destournant sur moy les esclairs de ta veuë,

Je senty la vertu de tes yeux offensez.

Puis tout aussi soudain que les feux eslancez,

Qui par le ciel obscur s'esclattent de la nue,

Rasserenant l'ardeur de ta cholere esmeuë,

Sou-riant tu rendis mes pechez effacez.

J'estois vrayment un sot de te prier, Maistresse:

Des Dames je ne crains l'orage vengeresse.

En liberté tu vis, en liberté je vy.

Dieu peut avec raison mettre son oeuvre en pouldre,

Mais je ne suis ton oeuvre, ou sujet de ta fouldre:

Tu m'as tres-mal payé pour avoir bien servy.

XV

Puis qu'elle est tout hyver, toute la mesme glace,

Toute neige, et son coeur tout armé de glaçons,

Qui ne m'aime sinon pour avoir mes chansons,

Pourquoy suis-je si fol que je ne m'en delace?

Dequoy me sert son nom, sa grandeur et sa race,

Que d'honneste servage, et de belles prisons?

Maistresse, je n'ay pas les cheveux si grisons,

Qu'une autre de bon coeur ne prenne vostre place.

Amour, qui est enfant, ne cele verité.

Vous n'estes si superbe, ou si riche en beauté,

Qu'il faille desdaigner un bon coeur qui vous aime.

R'entrer en mon Avril desormais je ne puis:

Aimez moy, s'il vous plaist, grison comme je suis,

Et je vous aimeray quand vous serez de mesme.

XVI

Sommeillant sur ta face, où l'honneur se repose,

Tout ravy je humois et tirois à longs traicts

De ton estomac sainct un millier de secrets,

Par qui le Ciel en moy ses mysteres expose.

J'appris en tes vertus n'avoir la bouche close:

J'appris tous les secrets des Latins et des Grecs:

Tu me fis un Oracle: et m'esveillant apres

Je devins un Demon sçavant en tout chose.

J'appris que c'est Amour, du Ciel le fils aisné.

O bon Endymion, je ne suis estonné,

Si dormant sur la Lune en un sommeil extrême

La Lune te fist Dieu! Tu es un froid amy.

Si j'avois pres ma Dame un quart d'heure dormy,

Je serois, non pas Dieu: je serois les Dieux mesme.

XVII

Je liay d'un filet de soye cramoisie

Vostre bras l'autre jour, parlant avecques vous:

Mais le bras seulement fut captif de mes nouds,

Sans vous pouvoir lier ny coeur ny fantaisie.

Beauté, que pour maistresse unique j'ay choisie,

Le sort est inegal: vous triomphez de nous.

Vous me tenez esclave esprit, bras, et genous,

Et Amour ne vous tient ny prinse ny saisie.

Je veux parler, Maistresse, à quelque vieil sorcier,

A fin qu'il puisse au mien vostre vouloir lier,

Et qu'une mesme playe à noz coeurs soit semblable.

Je faux: l'amour qu'on charme, est de peu de sejour.

Estre beau, jeune, riche, eloquent, agreable,

Non les vers enchantez, sont les sorciers d'Amour.

XVIII

D'un profond pensement j'avois si fort troublee

L'imagination, qui toute en vous estoit,

Que mon ame à tous coups de mes lévres sortoit,

Pour estre, en me laissant, à la vostre assemblee.

J'ay cent fois la fuitive à l'hostel r'appellee,

Qu'Amour me desbauchoit: ores elle escoutoit

Et ores sans m'ouyr le frein elle emportoit,

Comme un jeune Poulain qui court à la vollee.

La tançant, je disois, Tu te vas decevant.

Si elle nous aimoit, nous aurions plus souvent

Course, poste, message, et lettre accoustumée.

Elle a de noz chansons, et non de nous soucy.

Mon ame, sois plus fine: il nous faut tout ainsi

Qu'elle nous paist de vent, la paistre de fumee.

XIX

Aller en marchandises aux Indes precieuses,

Sans acheter ny or ny parfum ny joyaux:

Hanter, sans avoir soif, les sources et les eaux:

Frequenter sans bouquets les fleurs delicieuses,

Courtiser et chercher les Dames amoureuses,

Estre tousjours assise au milieu des plus beaux,

Et ne sentir d'Amour ny fleches ny flambeaux,

Ma Dame, croyez moy, sont choses monstrueuses.

C'est se tromper soymesme: aussi tousjours j'ay creu

Qu'on pouvoit s'eschaufer en s'approchant du feu,

Et qu'en prenant la glace et la neige on se gelle.

Puis il est impossible, estant si jeune et belle,

Que vostre coeur gentil d'Amour ne soit esmeu,

Sinon d'un grand brasier, au moins d'une estincelle.

XX

Comme je regardois ces yeux (mais ceste fouldre)

Dont l'esclat amoureux ne part jamais en vain,

Sa blanche, charitable et delicate main

Me parfuma le chef et la barbe de pouldre.

Pouldre, l'honneur de Cypre, actuelle à resouldre

L'ulcere qui s'encharne au plus creux de mon sein,

Depuis telle faveur j'ay senty mon coeur sain,

Ma playe se reprendre, et mon mal se dissouldre.

Pouldre, Atomes sacrez qui sur moy voletoient,

Où toute Cypre, l'Inde, et leurs parfums estoient,

Je vous sens dedans l'ame. O Pouldre souhaitee,

En parfumant mon chef vous avez combatu

Ma douleur et mon coeur: je faux, c'est la vertu

De ceste belle main qui vous avoit jettee.

XXI

Le mois d'Augst bouillonnoit d'une chaleur esprise,

Quand j'allay voir ma Dame assise aupres du feu:

Son habit estoit gris, duquel je me despleu,

La voyant toute palle en une robbe grise.

Que plaignez vous, disoy-je, en une chaire assise? -

Je tremble, et la chaleur reschaufer ne m'a peu:

Tout le corps me fait mal, et vivre je n'ay peu

Saine depuis six ans, tant l'ennuy me tient prise.

Si l'Esté, la jeunesse, et le chaut n'ont pouvoir

D'eschaufer vostre sang, comment pourroy-je voir

Sortir un feu d'une ame en glace convertie?

Mais, Corps, ayant soucy de me voir en esmoy,

Serois-tu point malade en langueur comme moy,

Tirant à toy mon mal par une sympathie?

XXII

Ma Dame beut à moy: puis me baillant sa tasse:

Buvez, dit-ell', ce reste où mon coeur j'ay versé:

Et alors le vaisseau des lévres je pressay,

Qui comme un Batelier son coeur dans le mien passe.

Mon sang renouvellé tant de forces amasse

Par la vertu du vin qu'elle m'avoit laissé,

Que trop chargé d'esprits et de coeurs, je pensay

Mourir dessous le fais, tant mon ame estoit lasse.

Ah, Dieux, qui pourroit vivre avec telle beauté,

Qui tient tousjours Amour en son vase arresté!

Je ne devois en boire, et m'en donne le blâme.

Ce vase me lia tous les Sens dés le jour

Que je beu de son vin, mais plus tost une flame,

Mais plus tost un venin qui m'en-yvra d'amour.

XXIII

J'avois esté saigné: ma Dame me vint voir

Lors que je languissois d'une humeur froide et lente.

Se tournant vers mon sang, comme toute riante,

Me dist en se jouant, Que vostre sang est noir!

Le trop penser en vous a peu si bien mouvoir

L'imagination, que l'ame obeyssante

A laissé la chaleur naturelle impuissante

De cuire, de nourrir, de faire son devoir.

Ne soyez plus si belle, et devenez Medee:

Colorez d'un beau sang ma face ja ridée,

Et d'un nouveau printemps faites moy r'animer.

Aeson vit rajeunir son escorce ancienne.

Nul charme ne sçauroit renouveller la mienne:

Si je veux rajeunir, il ne faut plus aimer.

XXIV

Si la beauté se perd, fais-en part de bonne heure,

Tandis qu'en son printemps tu la vois fleuronner:

Si elle ne se perd, ne crain point de donner

A tes amis le bien qui tousjours te demeure.

Venus, tu devrois estre en mon endroit meilleure,

Et non dedans ton camp ainsi m'abandonner:

Tu me laisses toymesme esclave emprisonner

Es mains d'une cruelle, où il faut que je meure.

Tu as changé mon aise et mon doux en amer.

Que devoy-je esperer de toy, germe de mer,

Sinon toute tempeste? et de toy, qui es femme

De Vulcan, que du feu? de toy, garse de Mars,

Que couteaux, qui sans cesse environnent mon ame

D'orages amoureux, de flames et de dars?

XXV

Amour, seul artisan de mes propres malheurs,

Contre qui sans repos au combat je m'essaye,

M'a fait dedans le coeur une mauvaise playe,

Laquelle en lieu de sang ne verse que des pleurs.

Le meschant m'a fait pis, chosissant les meilleurs

De ses traits ja trempez aux veines de mon faye:

La langue m'a navree, à fin que je begaye

En lieu de raconter à chacun mes douleurs.

Phoebus, qui sur Parnasse aux Muses sers de guide,

Pren l'arc, revenge moy contre cest homicide:

J'ay la langue et le coeur percez de part en part.

Voy comme l'un et l'autre en sanglotant me saigne.

Phoebus; dés le berceau j'ay suivy ton enseigne:

Le Capitaine doit defendre son soudart.

XXVI

Cythere entroit au bain, et te voyant pres d'elle,

Son Ceste elle te baille à fin de le garder.

Ceinte de tant d'amours, tu me vins regarder,

Me tirant de tes yeux une fleche cruelle.

Muses, je suis navré: ou ma playe mortelle

Guarissez, ou cessez de plus me commander.

Je ne suy vostre escole, à fin de demander

Qui fait la Lune vieille, ou qui la fait nouvelle.

Je ne vous fais la Cour, comme un homme ocieux,

Pour apprendre de vous le mouvement des cieux,

Que peut la grande Eclipse, ou que peut la petite,

Ou si Fortune ou Dieu ont fait cest Univers:

Si je ne puis flatter ma Dame par mes vers;

Cherchez autre escolier, Deesses, je vous quitte.

XXVII

J'ay honte de ma honte, il est temps de me taire,

Sans faire l'amoureux en un chef si grison:

Il vaut mieux obeyr aux loix de la Raison,

Qu'estre plus desormais en l'amour volontaire.

Je l'ay juré cent fois: mais je ne le puis faire.

Les Roses pour l'Hyver ne sont plus de saison:

Voicy le cinquiesme an de ma longue prison,

Esclave entre les mains d'une belle Corsaire.

Maintenant je veux estre importun amoureux

Du bon pere Aristote, et d'un soin genereux

Courtiser et servir la beauté de sa fille.

Il est temps que je sois de l'Amour deslié:

Il vole comme un Dieu: homme je vais à pié.

Il est jeune, il est fort: je suis gris et debile.

XXVIII

Maintenant que l'Hyver de vagues empoullees

Orgueillist les Torrens, et que le vent qui fuit,

Fait ores esclatter les rives d'un grand bruit,

Et ores des forests les testes éfueillees:

Je voudrois voir d'Amour les deux ailes gelees,

Voir ses traicts tous gelez, desquels il me poursuit,

Et son brandon gelé, dont la chaleur me cuit

Les veines, que sa flame a tant de fois bruslees.

L'Hyver est tousjours fait d'un gros air espessy

Pour le Soleil absent, ny chaut ny esclaircy:

Et mon ardeur se fait des rayons d'une face,

Laquelle me nourrit d'imagination.

Tousjours dedans le sang j'en ay l'impression,

Qui force de l'Hyver les neiges et la glace.

XXIX

Chacun me dit, Ronsard, ta Maistresse n'est telle

Comme tu la descris. Certes je n'en sçay rien:

Je suis devenu fol, mon esprit n'est plus mien,

Je ne puis discerner la laide de la belle.

Ceux qui ont en amour et prudence et cervelle,

Poursuivant les beautez, ne peuvent aimer bien.

Le vray amant est fol, et ne peut estre sien,

S'il est vray que l'amour une fureur s'appelle.

Souhaiter la beauté, que chacun veult avoir,

Ce n'est humeur de sot, mais d'homme de sçavoir,

Qui prudent et rusé cherche la belle chose.

Je ne sçaurois juger, tant la fureur me suit:

Je suis aveugle et fol: un jour m'est une nuict,

Et la fleur d'un Chardon m'est une belle Rose.

XXX

Au milieu de la guerre, en un siecle sans foy,

Entre mille procez, est-ce pas grand folie

D'escrire de l'Amour? De manotes on lie

Des fols, qui ne sont pas si furieux que moy.

Grison et maladif r'entrer dessous la loy

D'Amour, ô quelle erreur! Dieux, mercy je vous crie.

Tu ne m'es plus Amour, tu m'es une Furie,

Qui me rends fol, enfant, et sans yeux comme toy:

Voir perdre mon pays, proye des adversaires,

Voir en noz estendars les fleurs de liz contraires,

Voir une Thebaïde, et faire l'amoureux.

Je m'en vais au Palais: adieu vieilles Sorcieres.

Muses, je prens mon sac, je seray plus heureux

En gaignant mes procez, qu'en suivant voz rivieres.

XXXI

Le Juge m'a trompé: ma Maistresse m'enserre

Si fort en sa prison, que j'en suis tout transi:

La guerre est à mon huis. Pour charmer mon souci,

Page, verse sans fin du vin dedans mon verre.

Au vent aille l'Amour, le procez et la guerre,

Et la melancholie au sang froid et noirci:

Adieu rides, adieu, je ne vy plus ainsi:

Vivre sans volupté c'est vivre sous la terre.

La Nature nous donne assez d'autres malheurs

Sans nous en acquerir. Nud je vins en ce monde,

Et nud je m'en iray. Que me servent les pleurs,

Sinon de m'attrister d'une angoisse profonde?

Chasson avec le vin le soin et les malheurs:

Je combats les souciz, quand le vin me seconde.

XXXII

Elégie

Un long voyage ou un courroux, ma Dame,

Ou le temps seul pourront m'oster de l'ame

La sotte ardeur qui vient de vostre feu,

Puis qu'autrement mes amis ne l'ont peu,

M'admonestant d'un conseil salutaire,

Que je cognois, et que je ne puis faire.

Car tant je suis par mes sens empesché,

Qu'en m'excusant j'approuve mon peché.

Et si quelqu'un de mes parens m'accuse,

Incontinent d'une subtile ruse

Par long propos je desguise le tort,

Pour pardonner à l'autheur de ma mort,

Voulant menteur aux autres faire croire

Que mon diffame est cause de ma gloire.

Bien que l'esprit resiste à mon vouloir,

Tout bon conseil je mets à nonchaloir,

Par le penser m'encharnant un ulcere

Au fond du coeur: que plus je delibere

Guarir, ou rendre autrement adoucy,

Plus son aigreur sepaist de mon soucy.

Quand de despit à-par-moy je souspire,

Cent fois le jour ma raison me vient dire,

Que d'un discours sagement balancé

Je remedie au coup qui m'a blessé.

Heureux celuy qui ses peines oublie!

Va-t-en trois ans courir par l'Italie:

Ainsi pourras de ton col deslier.

Ce meschant mal qui te tient prisonnier.

Autres citez, autres villes et fleuves,

Autres desseins, autres volontez neuves,

Autre contree, autre air et autres cieux

D'un seul regard t'esblouyront les yeux,

Et te feront sortir de la pensee

Plustost que vent, celle qui t'a blessee.

Car comme un clou par l'autre est repoussé,

L'amour par l'autre est soudain effacé.

Tu es semblable à ceux qui dans un Antre

Ont leur maison, où point le Soleil n'entre.

Eux regardans en si obscur sejour

Tant seulement un seul moment de jour,

Pensent qu'une heure est le Soleil, et croyent

Que tout le jour est ceste heure qu'ils voyent.

Incontinent que leur coeur genereux:

Les fait sortir hors du sejour ombreux,

En contemplant du Soleil la lumiere,

Ils ont horreur de leur prison premiere.

Le bon Orphée en l'antique saison

Alla sur mer bien loin de sa maison

Pour effacer le regret de sa femme,

Et son chemin aneantit sa flame.

Quand le Soleil s'abaissoit et levoit,

Tousjours pleurant et criant le trouvoit

Dessous un roc, couché contre la terre,

Où ses pensers lui faisoient une guerre:

Et ressembloit non un corps animé,

Ains un rocher en homme transformé.

Mais aussi tost qu'il laissa sa contree,

Autre amour neuve en son coeur est entree,

Et se guarit en changeant de pays.

Pour Eurydice il aima Calaïs,

Empoisonnant tout son coeur de la peste

De ces enfant: je me tairay du reste:

De membre à membre il en fut détranché:

"Sans chastiment ne s'enfuit le peché.

XXXII

Trois jours sont ja passez, que je sui affamé

De vostre doux regard, et qu'à l'enfant je semble

Que sa nourrice laisse, et qui crie et qui tremble

De faim en son berceau, dont il est consommé.

Puisque mon oeil ne voit le vostre tant aimé,

Qui ma vie et ma mort en un regard assemble,

Vous deviez pour le moins m'escrire, ce me semble:

Mais vous avez le coeur d'un rocher enfermé.

Fiere, ingrate beauté trop hautement superbe,

Vostre courage dur n'a pitié de l'amour,

Ny de mon palle teint ja flestry comme une herbe.

Si je suis, sans vous voir, deux heures à séjour,

Par espreuve je sens ce qu'on dit en proverbe,

L'amoureux qui attend, se vieillist en un jour;

XXXIV

Prenant congé de vous, dont les yeux m'ont donté,

Vous me distes un soir comme passionnee,

Je vous aime, Ronsard, par seule destinee,

Le Ciel à vous aimer force ma volonté.

Ce n'est vostre sçavoir, ce n'est vostre beauté

Ny vostre âge qui fuit vers l'Automne inclinee:

Ce n'est ny vostre corps, ny vostre ame bien-nee,

C'est seulement du Ciel l'injuste cruauté.

Vous voyant, ma Raison ne s'est pas defenduë.

Vous puisse-je oublier comme chose perduë.

Helas! je ne sçaurois, et si le voudrois bien.

Le voulant, je rencontre une force au contraire.

Puisqu'on dit que le Ciel est cause de tout bien,

Je n'y veux resister, il le faut laisser faire.

XXXV

Quand je pense à ce jour, où pres d'une fonteine

Dans le jardin royal savourant ta douceur,

Amour te descouvrit les segrets de mon coeur,

Et de combien de maux j'avois mon ame pleine:

Je me pasme de joye, et sens de veine en veine

Couler ce souvenir, qui me donne vigueur,

M'aguise le penser, me chasse la langueur,

Pour esperer un jour un fin à ma peine.

Mes sens de toutes parts se trouverent contens,

Mes yeux en regardant la fleur de ton Printems,

L'oreille en t'escoutant: et sans ceste compagne,

Qui tousjours noz props tranchoit par le milieu,

D'aise au ciel je volois, et me faisois un Dieu:

Mais tousjours le plaisir de douleur s'accompagne.

XXXVI

Quand l'Esté dans ton lict tu te couches malade,

Couverte d'un linseul de roses tout semé,

Amour d'arc, et de trousse et de fleches armé,

Caché sous ton chevet, se tient en embuscade.

Personne ne te voit, qui d'une couleur fade

Ne retourne au logis ou malade ou pâmé:

Qu'il ne sente d'amour tout son coeur entamé,

Ou ne soit esblouy des rais de ton oeillade.

C'est un plaisir de voir tes cheveux arrangez

Sous un scofion peint d'une soye diverse:

Voir deçà, voir delà tes membres allongez,

Et ta main, qui le lict nonchalante traverse,

Et ta voix qui me charme, et ma raison renverse

Si fort, que tous mes sens en deviennent changez.

XXXVII

D'autant que l'arrogance est pire que l'humblesse,

Que les pompes et fards sont tousjours desplaisans,

Que les riches habits d'artifice pesans

Ne sont jamais si beaux que la pure simplesse:

D'autant que l'innocente et peu caute jeunesse

D'une vierge vaut mieux en la fleur de ses ans,

Qu'une Dame espousée abondante en enfans:

D'autant j'aime ma vierge humble et jeune maistresse.

J'aime un bouton vermeil entre-esclos au matin,

Non la Rose du soir, qui au Soleil se lâche:

J'aime un corps de jeunesse en son printemps fleury:

J'aime une jeune bouche, un baiser enfantin

Encore non souillé d'une rude moustache,

Et qui n'a point senty le poil blanc d'un mary.

XXXVIII

Ma peine me contente, et prens en patiance

La douleur que je sens, puis qu'il vous plaist ainsi,

Et que daignez avoir souci de mon souci,

Et prendre par mon mal du vostre experiance.

Je nourriray mon feu d'une douce esperance,

Puis que vostre desdain vers moy s'est adouci.

Pour resister au mal mon coeur s'est endurci

Tant la force d'amour me donne d'asseurance.

Aussi quand je voudrois, je ne pourrois celer

Le feu, dont vos beaux yeux me forcent de brusler.

Je suis soulfre et salpestre, et vous n'estes que glace.

De parole et d'escrit je monstre ma langueur:

La passion du coeur m'apparoist sur la face.

La face ne ment point: c'est le mirouër du coeur.

XXXIX

Vous triomphez de moy, et pource je vous donne

Ce lhierre, qui coule et se glisse à l'entour

Des arbres et des murs, lesquels tour dessus tour,

Plis dessus plis il serre, embrasse et environne.

A vous de ce lhierre appartient la Couronne.

Je voudrois, comme il fait, et de nuict et de jour

Me plier contre vous, et languissant d'amour,

D'un noeud ferme enlasser vostre belle colonne.

Ne viendra point le temps, que dessous les rameaux,

Au matin où l'Aurore esveille toutes choses,

En un ciel bien tranquille, au caquet des oiseaux

Je vous puisse baiser à lévres demy-closes,

Et vous conter mon mal, et de mes bras jumeaux

Embrasser à souhait vostre yvoire et vos roses?

XL

Voyez comme tout change (hé, qui l'eust esperé!)

Vous me souliez donner, maintenant je vous donne

Des bouquets et des fleurs: amour vous abandonne,

Qui seul dedans mon coeur est ferme demeuré.

Des Dames le vouloir n'est jamais mesuré,

Qui d'une extrême ardeur tantost se passionne,

Tantost une froideur extrême l'environne,

Sans avoir un milieu longuement asseuré.

Voilà comme Fortune en se jouant m'abaisse.

Vostre plus grande gloire un temps fut de m'aimer:

Maintenant je vous aime, et languis de tristesse,

Et me voy sans raison de douleur consumer.

Dieu pour punir l'orgueil commet une Déesse:

Vous la cognoissez bien, je n'ose la nommer.

XLI

Je suis pour vostre amour diversement malade

Maintenant plein de froid, maintenant de chaleur:

Dedans le coeur pour vous autant j'ay de douleur,

Comme il y a de grains dedans ceste Grenade.

Yeux qui fistes sur moy la premiere embuscade,

Des-attisez ma flame, et desseichez mes pleurs:

Je faux, vous ne pourriez: car le mal, dont je meurs,

Est si grand, qu'il ne peut se guarir d'une oeillade.

Ma Dame, croyez moy, je trespasse pour vous:

Je n'ay artere, nerf, tendon, veine ny pous,

Qui ne sente d'Amour la fiévre continue.

L'Amour à la Grenade en symbole estoit joint:

Ses grains en ont encore la force retenue,

Que de signe et d'effect vous ne cognoissez point.

XLII

Ma Dame, je me meurs abandonné d'espoir:

La playe est jusqu'à l'oz: je ne suis celuy mesme

Que j'estois l'autre jour, tant la douleur extrême

Forçant la patience, a dessus moy pouvoir.

Je ne puis ny toucher, gouster, n'ouyr ny voir:

J'ay perdu tous mes sens, je suis une ombre blesme:

Mon corps n'est qu'un tombeau. Malheureux est qui aime,

Malheureux qui se laisse à l'Amour decevoir!

Devenez un Achille aux playes qu'avez faites,

Un Telefe je suis, lequel s'en va perir:

Monstrez moy par pitié voz puissances parfaites,

Et d'un remede prompt daignez moy secourir.

Si vostre serviteur, cruelle, vous desfaites,

Vous n'aurez le Laurier pour l'avoir fait mourir.

XLIII

Voyant par les soudars ma maison saccagee,

Et tout mon pays estre image de la mort,

Pensant en ta beauté, tu estois mon support,

Et soudain ma tristesse en joye estoit changee.

Resolu je disois, Fortune s'est vangee,

Elle emporte mon bien, et non mon reconfort.

Hà, que je suis trompé! tu me fais plus de tort

Que n'eust fait une armee en bataille rangee.

Les soudars m'ont pillé, tu as ravy mon coeur:

Tu es plus grand voleur, j'en demande justice:

Tu es plus digne qu'eux de cruelle rigueur.

Tu saccages ma vie en te faisant service:

Encores te mocquant tu braves ma langueur,

Qui me fait plus de mal, que ne fait ta malice.

XLIV

Vous estes le bouquet de vostre bouquet mesme,

Et la fleur de sa fleur, sa grace et sa verdeur.

De vostre douce haleine il a pris son odeur:

Il est, comme je suis, de vostre amour tout blême.

Ma Dame, voyez donc, puisqu'un bouquet vous aime,

Indigne de juger que peut vostre valeur,

Combien doy-je sentir en l'ame de douleur,

Qui sers par jugement vostre excellence extrême?

Mais ainsi qu'un bouquet se flestrist en un jour,

J'ay peur qu'un mesme jour flestrisse vostre amour.

Toute amitié de femme est soudain effacee.

Advienne le destin comme il pourra venir,

Il ne peut de voz yeux m'oster le souvenir:

Il faudroit m'arracher le coeur et la pensee.

XLV

Amour, je ne me plains de l'orgueil endurcy,

Ny de la cruauté de ma jeune Lucresse,

Ny comme sans secours languir elle me laisse:

Je me plains de sa main et de son godmicy.

C'est un gros instrument qui se fait pres d'icy,

Dont chaste elle corrompt toute nuict sa jeunesse:

Voila contre l'Amour sa prudente finesse,

Voila comme elle trompe un amoureux soucy.

Aussi pour recompense une haleine puante,

Une glaire espessie entre les draps gluante,

Un oeil have et battu, un teint palle et desfait,

Monstrent qu'un faux plaisir toute nuict la possede.

Il vaut mieux estre Phryne et Laïs tout à fait,

Que se feindre Portie avec un tel remede.

XLVI

Amour, je pren congé de ta menteuse escole

Où j'ay perdu l'esprit, la raison et le sens,

Où je me suis trompé, où j'ay gasté mes ans,

Où j'ay mal employé ma jeunesse trop folle.

Malheureux qui se fie en un enfant qui volle,

Qui a l'esprit soudain, les effects inconstans,

Qui moissonne noz fleurs avant nostre printens,

Qui nous paist de creance et d'un songe frivole.

Jeunesse l'alaicta, le sang chaut le nourrit,

Cuider l'ensorcela, paresse le pourrit,

Tout enflé de desseins, de vents et de fumees.

Cassandre me ravit, Marie me tint pris:

Ja grison à la Cour d'une autre je m'espris.

Si elles m'ont aimé, je les ay bien aimees.

XLVII

Doux cheveux, doux present de ma douce Maistresse,

Doux liens qui liez ma douce liberté,

Doux filets, où je suis doucement arresté,

Qui pourriez adoucir d'un Scythe la rudesse:

Cheveux, vous ressemblez à ceux de la Princesse,

Qui eurent pour leur grace un Astre merité:

Cheveux dignes d'un Temple et d'immortalité,

Et d'estre consacrez à Venus la Déesse.

Je ne cesse, cheveux, pour mon mal appaiser,

De vous voir et toucher, baiser et rebaiser,

Vous perfumer de musc, d'ambre gris et de bâme,

Et de voz noeuds crespez tout le col m'enserrer,

Afin que prisonnier je vous puisse asseurer

Que les liens du col sont les liens de l'ame.

XLVIII

Je vous donne des oeufs. L'oeuf en sa forme ronde

Semble au Ciel, qui peut tout en ses bras enfermer,

Le feu, l'air et la terre, et l'humeur de la mer,

Et sans estre comprins comprend tout en ce monde.

La taye semble à l'air, et la glere feconde

Semble à la mer qui fait toutes choses germer:

L'aubin ressemble au feu qui peut tout animer,

La coque en pesanteur comme la terre abonde.

Et le Ciel et les oeufs de blancheur sont couvers.

Je vous donne (en donnant un oeuf) tout l'Univers:

Divin est le present, s'il vous est agreable.

Mais bien qu'il soit parfait, il ne peut egaler

Vostre perfection qui n'a point de semblable,

Dont les Dieux seulement sont dignes de parler.

XLIX

Est-ce le bien que tu me rends, d'avoir

Prins dessous moy ta docte nourriture,

Ingrat disciple, et d'estrange nature?

Pour mon loyer me viens-tu decevoir?

Tu me devois garder à ton pouvoir

De n'avaller l'amoureuse pasture,

Et tu m'as fait souz douce couverture

Dedans le coeur la poison recevoir.

Tu me parlas le premier de ma Dame:

Tu mis premier le soulfre dans ma flame,

Et le premier en prison tu m'as mis.

Je suis veincu, que veux-tu que je face,

Puis que celuy qui doit garder la place,

Du premier coup la rend aux ennemis?

L

Voeu à Venus, pour garder Cypre de l'armée du Turc.

Belle Déesse, amoureuse Cyprine,

Mere du Jeu, des Graces et d'Amour,

Qui fais sortir tout ce qui vit, au jour,

Comme du Tout le germe et la racine:

Idalienne, Amathonte, Erycine,

Garde du ciel Cypre ton beau sejour:

Baise ton Mars, et tes bras à l'entour

De son col plie, et serre sa poitrine.

Ne permets point qu'un barbare Seigneur

Perde ton isle et souille ton honneur:

De ton berceau chasse autre-part la guerre.

Tu le feras, car d'un trait de tes yeux

Tu peux flechir les hommes et les Dieux,

Le Ciel, la Mer, les Enfers et la Terre.

LI

Je faisois ces Sonets en l'antre Pieride,

Quand on vit les François sous les armes suer,

Quand on vit tout le peuple en fureur se ruer,

Quand Belonne sanglante alloit devant pour guide:

Quand en lieu de la Loy le vice, l'homicide,

L'impudence, le meurtre, et se sçavoir muer

En Glauque et en Prothée, et l'Estat remuer,

Estoient tiltres d'honneur, nouvelle Thebaïde.

Pour tromper les soucis d'un temps si vicieux,

J'escrivois en ces vers ma complainte inutille.

Mars aussi bien qu'Amour de larmes est joyeux.

L'autre guerre est cruelle, et la mienne est gentille:

La mienne finiroit par un combat de deux,

Et l'autre ne pourroit par un camp de cent mille.

 

Les oeuvres de P. de Ronsard gentil-homme Vandomois 1584

 

Six ans estoient

I

Elegie [A Hélène]

Six ans estoient coulez, et la septiesme annee

Estoit presques entiere en ses pas retournee,

Quand loin d'affection, de desir et d'amour,

En pure liberté je passois tout le jour,

Et franc de tout soucy qui les ames devore,

Je dormois dés le soir jusqu'au point de l'aurore.

Car seul maistre de moy j'allois plein de loisir,

Où le pied me portoit, conduit de mon desir,

Ayant tousjours és mains pour me servir de guide

Aristote ou Platon, ou le docte Euripide,

Mes bons hostes muets, qui ne faschent jamais:

Ainsi que je les prens, ainsi je les remais.

O douce compagnie et utile et honneste!

Un autre en caquetant m'estourdiroit la teste.

Puis du livre ennuyé, je regardois les fleurs,

Fueilles tiges rameaux especes et couleurs,

Et l'entrecoupement de leurs formes diverses,

Peintes de cent façons, jaunes, rouges et perses,

Ne me pouvant saouler, ainsi qu'en un tableau,

D'admirer la Nature, et ce qu'elle a de beau:

Et de dire en parlant aux fleurettes escloses,

Celuy est presque Dieu qui cognoist toutes choses,

Esloigné du vulgaire, et loin des courtizans,

De fraude et de malice impudens artizans.

Tantost j'errois seulet par les forests sauvages

Sur les bords enjonchez des peinturez rivages,

Tantost par les rochers reculez et deserts,

Tantost par les taillis, verte maison des cerfs.

J'aimois le cours suivy d'une longue riviere,

Et voir onde sur onde allonger sa carriere,

Et flot à l'autre flot en roulant s'attacher,

Et pendu sur le bord me plaisoit d'y pescher,

Estant plus resjouy d'une chasse muette

Troubler des escaillez la demeure secrette,

Tirer avecq' la ligne en tremblant emporté

Le credule poisson prins à l'haim apasté,

Qu'un grand Prince n'est aise ayant prins à la chasse

Un cerf qu'en haletant tout un jour il pourchasse.

Heureux, si vous eussiez d'un mutuel esmoy

Prins l'apast amoureux aussi bien comme moy,

Que tout seul j'avallay, quand par trop desireuse

Mon ame en vos yeux beut la poison amoureuse.

Puis alors que Vesper vient embrunir nos yeux,

Attaché dans le ciel je contemple les cieux,

En qui Dieu nous escrit en notes non obscures

Les sorts et les destins de toutes creatures.

Car luy, en desdaignant (comme font les humains)

D'avoir encre et papier et plume entre les mains,

Par les astres du ciel qui sont ses characteres,

Les choses nous predit et bonnes et contraires:

Mais les hommes chargez de terre et du trespas

Mesprisent tel escrit, et ne le lisent pas.

Or le plus de mon bien pour decevoir ma peine,

C'est de boire à longs traits les eaux de la fontaine

Qui de vostre beau nom se brave, et en courant

Par les prez vos honneurs va tousjours murmurant,

Et la Royne se dit des eaux de la contree:

Tant vault le gentil soin d'une Muse sacree,

Qui peult vaincre la mort, et les sorts inconstans,

Sinon pour tout jamais, au moins pour un long temps.

Là couché dessus l'herbe en mes discours je pense

Que pour aimer beaucoup j'ay peu de recompense,

Et que mettre son coeur aux Dames si avant,

C'est vouloir peindre en l'onde, et arrester le vent:

M'asseurant toutefois qu'alors que le vieil âge

Aura comme un sorcier changé vostre visage,

Et lors que vos cheveux deviendront argentez,

Et que vos yeux, d'amour ne seront plus hantez,

Que tousjours vous aurez, si quelque soin vous touche,

En l'esprit mes escrits, mon nom en vostre bouche.

Maintenant que voicy l'an septiéme venir,

Ne pensez plus Helene en vos laqs me tenir.

La raison m'en delivre, et vostre rigueur dure,

Puis il fault que mon age obeysse à Nature.

 

Les Amours diverses

 

Jà du prochain...

I

A très vertueux Seigneur N. de Neufville, seigneur de Villeroy, Secretaire d'Estat de sa Majesté.

Jà du prochain hyver je prevoy la tempeste,

Jà cinquante et six ans ont neigé sur ma teste,

Il est temps de laisser les vers et les amours,

Et de prendre congé du plus beau de mes jours.

J'ay vescu (Villeroy) si bien que nulle envie

En partant je ne porte aux plaisirs de la vie,

Je les ay tous goustez, et me les suis permis

Autant que la raison me les rendoit amis,

Sur l'eschaffaut mondain joüant mon personnage

D'un habit convenable au temps et à mon âge.

J'ay veu lever le jour, j'ay veu coucher le soir,

J'ay veu greller, tonner, esclairer et pluvoir,

J'ay veu peuples et Rois, et depuis vingt annees

J'ay veu presque la France au bout de ses journees,

J'ay veu guerres debats, tantost tréves et paix,

Tantost accords promis, redefais et refais,

Puis defais et refais. J'ay veu que sous la Lune

Tout n'estoit que hazard, et pendoit de fortune.

Pour neant la prudence est guide des humains:

L'invincible destin luy enchesne les mains,

La tenant prisonniere, et tout ce qu'on propose

Sagement la fortune autrement en dispose.

Je m'en vais seul du monde ainsi qu'un convié

S'en va soul du banquet de quelque marié,

Ou du festin d'un Roy sans renfrogner la face,

Si un autre apres luy se met dedans sa place.

J'ay couru mon flambeau sans me donner esmoy,

Le baillant à quelcun s'il recourt apres moy:

Il ne fault s'en fascher, c'est la Loy de nature,

Où s'engage en naissant chacune creature.

Mais avant que partir je me veux transformer

Et mon corps fantastiq' de plumes enfermer,

Un oeil sous chaque plume, et veux avoir en bouche

Cent langues en parlant: puis d'où le jour se couche,

Et d'où l'Aurore naist Deesse aux belles mains,

Devenu Renommee, annoncer aux humains,

Que l'honneur de ce siecle aux Astres ne s'en-volle,

Pour avoir veu sous luy la navire Espaignolle

Descouvrir l'Amerique, et fait voir en ce temps

Des hommes dont les coeurs à la peine constans,

Ont veu l'autre Neptune inconneu de nos voiles,

Et son pole marqué de quatre grands estoiles:

Ont veu diverses gens, et par mille dangers

Sont retournez chargez de lingots estrangers.

Mais de t'avoir veu naistre, ame noble et divine,

Qui d'un coeur genereux loges en ta poitrine

Les errantes vertus, que tu veux soulager

En cet âge où chacun refuse à les loger:

En ceste saison dis-je en vices monstrueuse,

Où la mer des malheurs d'une onde impetueuse

Sur nous s'est débordee, où vivans avons veu

Le mal que nos ayeux n'eussent pensé ny creu.

En ce temps la Comete en l'air est ordinaire,

En ce temps on a veu le double luminaire

Du ciel en un mesme an s'eclipser par deux fois:

Nous avons veu mourir en jeunesse nos Rois,

Et la peste infectee en nos murs enfermee

Le peuple moissonner d'une main affamee.

Qui pis est, ces Devins qui contemplent les tours

Des Astres, et du Ciel l'influance et le cours,

Predisent qu'en quatre ans (Saturne estant le guide)

Nous voirrons tout ce monde une campaigne vuide:

Le peuple carnassier la Noblesse tuer,

Et des Princes l'estat s'alterer et muer:

Comme si Dieu vouloit nous punir en son ire,

Faire un autre Chaos, et son oeuvre destruire

Par le fer, par la peste, et embrazer le sein

De l'air, pour étouffer le pauvre genre humain.

Toutefois en cet âge, en ce siecle de boüe,

Où de toutes vertus la Fortune se joüe,

Sa divine clemence ayant de nous soucy,

T'a fait ô Villeroy, naistre en ce monde icy

Entre les vanitez, la paresse et le vice,

Et les seditions qui n'ont soin de justice,

Entre les nouveautez, entre les courtizans

De fraude et de mensonge impudens artizans,

Entre le cry du peuple et ses plaintes funebres,

Afin que ta splendeur esclairast aux tenebres,

Et ta vertu parust par ce siecle eshonté,

Comme un Soleil sans nue au plus clair de l'Esté.

Je diray d'avantage à la tourbe amassee,

Que tu as ta jeunesse au service passee

Des Rois, qui t'ont choisi, ayant eu ce bon-heur

D'estre employé par eux aux affaires d'honneur,

Soit pour flechir le peuple, ou soit pour faire entendre

Aux Princes qu'il ne faut à ton maistre se prendre,

Par ta peine illustrant ta maison et ton nom.

Ainsi qu'au camp des Grecs le grand Agamemnon

Envoyoit par honneur en Ambassade Ulysse,

Qui faisant à son Prince et au peuple service,

Soymesme s'honoroit et les rendoit contens,

Estimé le plus sage et facond de son temps.

Il fut, comme tu es, amoureux de sa charge,

(Dont le Roy se despouille et sur toy se descharge:)

Car tu n'as point en l'ame un plus ardent desir

Que faire ton estat, seul but de ton plaisir,

Te tuant pour ta charge en la fleur de ton âge,

Tant la vertu active eschauffe ton courage.

Je diray sans mentir, encores que tu sois

Hautement eslevé par les honneurs François,

Tu ne dedaignes point d'un haussebec de teste,

Ny d'un sourcy hagard des petits la requeste,

Reverant sagement la fortune, qui peult

Nous hausser et baisser tout ainsi qu'elle veut.

Mais comme departant ta faveur et ta peine

A tous egalement, tu sembles la fonteine,

Qu'un riche citoyen par la soif irrité

Faict à larges canaux venir en sa cité,

Laquelle verse apres sans difference aucune

A grands et à petits ses eaux pour la commune.

Puis je veux devaller soubs la terre là-bas

Où commande Pluton, la Nuict et le trespas:

Et là me pourmenant soubs les ombres Myrtines,

Chercher ton Morvillier et tes deux Ausbépines,

Deux morts en leur vieillesse, et l'autre à qui la main

De la Parque trop tost trancha le fil humain,

Tous trois grands ornemens de nostre Republique.

Puis ayant salué ceste bande Heroïque,

Dont les fronts sont tousjours de Lauriers revestus,

Je leur diray comment tu ensuis leurs vertus,

Et comme apres leur mort ton ame genereuse

Ne voulut endurer que leur tumbe poudreuse

Demeurast sans honneur, faisant faire à tous trois

Des Epitaphes Grecs et Latins et François,

Gage de ton amour: à fin que la memoire

De ces trois demy-dieux à jamais fust notoire,

Et que le temps subtil à couler et passer,

Par siecles infinis ne la peust effacer.

Ces trois nobles esprits oyans telle nouvelle,

Danseront un Pean dessus l'herbe nouvelle,

Et en frappant des mains feront un joyeux bruit,

Dequoy sans fourvoyer, Villeroy les ensuit.

Or comme un endebté, de qui proche est le terme

De payer à son maistre ou l'usure, ou la ferme,

Et n'ayant ny argent ny biens pour secourir

Sa misere au besoin, desire de mourir:

Ainsi ton obligé ne pouvant satisfaire

Aux biens que je te doibs, le jour ne me peult plaire:

Presque à regret je vy, et à regret je voy

Les rayons du Soleil s'estendre dessus moy.

Pource je porte en l'ame une amere tristesse,

Dequoy mon pied s'avance aux fauxbourgs de vieillesse

Et voy (quelque moyen que je puisse essayer)

Qu'il faut que je déloge avant que te payer,

S'il ne te plaist d'ouvrir le ressort de mon coffre,

Et prendre ce papier que pour acquit je t'offre,

Et ma plume qui peut, escrivant verité,

Tesmoigner ta louange à la posterité.

Reçoy donc mon present, s'il te plaist, et le garde

En ta belle maison de Conflant, qui regarde

Paris, sejour des Rois, dont le front spacieux

Ne voit rien de pareil sous la voûte des Cieux:

Attendant qu'Apollon m'eschauffe le courage

De chanter tes jardins, ton clos, et ton bocage,

Ton bel air, ta riviere et les champs d'alentour

Qui sont toute l'année eschauffez d'un beau jour,

Ta forest d'orangers, dont la perruque verte

De cheveux eternels en tout temps est couverte,

Et tousjours son fruit d'or de ses fueilles defend,

Comme une mere fait de ses bras son enfant.

Prens ce Livre pour gage, et luy fais, je te prie,

Ouvrir en ma faveur ta belle Librairie,

Où logent sans parler tant d'hostes estrangers:

Car il sent aussi bon que font tes orangers.

II

A luy-mesme

Encor que vous soyez tout seul vostre lumiere,

Je vous donne du feu, non pas feu proprement,

Mais matiere qui peut s'allumer promptement,

La Cire, des liqueurs en clairté la premiere.

Secondant tous les soirs vostre charge ordinaire,

Elle sera tesmoin que delicatement

Vous ne passez les nuicts, mais que soigneusement

Vous veillez jusqu'au poinct que le jour vous esclaire.

Circe tenoit tousjours des Cedres allumez

Pour ses flambeaux de nuict: vos yeux accoutumez

A veiller, pour du Cedre auront ceste Bougie.

Recevez, Villeroy, de bon coeur ce present,

Qui ja se resjouist, et bien-heureux se sent

De perdre, en vous servant, sa matiere et sa vie.

 

Les oeuvres de Pierre de Ronsard gentil-homme Vandosmois 1587

 

Vous ruisseaux...

I

Vous ruisseaux, vous rochers, vous antres solitaires,

Vous chesnes, heritiers du silence des bois,

Entendez les souspirs de ma derniere vois,

Et de mon testament soyez presents notaires.

Soyez de mon mal-heur fideles secretaires,

Gravez le en vostre escorce, afin que tous les mois

Il croisse comme vous: ce pendant je m'en vois

Là bas privé de sens, de veines, et d'arteres.

Je meurs pour la rigueur d'une fiere beauté,

Qui vit sans foy, sans loy, amour ne loyauté,

Qui me succe le sang comme un Tygre sauvage.

Adieu forests adieu! adieu le verd sejour

De vos arbres, heureux pour ne cognoistre Amour

Ny sa mere qui tourne en fureur le plus sage.

II

Dialogue de l'autheur et du Mondain

Est-ce tant que la Mort: est-ce grand mal'heur

Que le vulgaire croit? Comme l'heure premiere

Nous faict naistre sans peine, ainsi l'heure derniere

Qui acheve la trame, arrive sans douleur.

Mais tu ne seras plus? Et puis: quand la paleur

Qui blesmit nostre corps sans chaleur ne lumiere

Nous perd le sentiment! quand la main filandiere

Nous oste le desir perdans nostre chaleur!

Tu ne mangeras plus? Je n'auray plus envie

De boire ne manger, c'est le corps qui sa vie

Par la viande allonge, et par refection:

L'esprit n'en a besoin. Venus qui nous appelle

Aux plaisirs te fuira? Je n'auray soucy d'elle.

Qui ne desire plus, n'a plus d'affection.

 

Les oeuvres de Pierre de Ronsard Gentilhomme Vandosmois 1609

 

Maistresse, embrasse moy...

Sonets de feu P. de Ronsard

pour Heleine de Surgeres, non encor imprimez.

[I]

Maistresse, embrasse moy, baize moy, serre moy,

Haleine contre haleine, échauffe moy la vie,

Mille et mille baizers donne moy je te prie,

Amour veut tout sans nombre, amour n'a point de loy.

Baize et rebaize moy; belle bouche pourquoy.

Te gardes tu là bas, quand tu seras blesmie,

A baiser (de Pluton ou la femme ou l'amie),

N'ayant plus ny couleur, ny rien semblable à toy?

En vivant presse moy de tes levres de roses,

Begaye, en me baisant, à levres demy-closes

Mille mots trançonnez, mourant entre mes bras.

Je mourray dans les tiens, puis, toy resuscitee,

Je resusciteray, allons ainsi là bas,

Le jour tant soit il court vaut mieux que la nuitee.

[II]

La mere des amours j'honore dans les Cieux

Pour avoir trois beautez, trois Graces avec elle,

Mais tu as une laide et sotte Damoyselle,

Qui te fait deshonneur, le change vaudroit mieux.

Jamais le chef d'Argus, fenestré de cent yeux,

Ne garda si soigneux l'Inachide pucelle,

Que sa rude paupiere, à veiller eternelle,

Te regarde, t'espie et te suit en tous lieux.

Je ne suis pas un dieu pour me changer en pluye:

Dessoubs un cygne blanc mes flames je n'estuye,

C'estoient de Jupiter les jeus malicieux.

Je prens de tes beaux yeux ma pasture et ma vie,

Pourquoy de tes regards me portes tu envie?

On voit sur les autels les images des Dieux.

[III]

J'ay reçeu vos Cyprez, et vos Orangers verds,

Le Cyprez est ma mort, l'oranger signifie

(Ou Phebus me deçoit) qu'apres ma courte vie

Une gentille odeur sortira de mes vers.

Recevez ces pavots que le somme a couvers

D'un oubly Stygien. Il est temps que j'oublie

L'amour qui sans profit depuis six ans me lie,

Sans alenter la corde ou descloüer mes fers.

Pour plaisir, en passant, d'une lettre bien grosse

Les quatre vers suyvans engrave sur ma fosse,

Une Espagnolle prist un Tudesque en ses mains:

Ainsi le sot Hercule estoit captif d'Iole,

La finesse appartient à la race Espagnolle,

Et la simple Nature appartient aux Germains.

[IV]

Mon Page, Dieu te gard, que fait nostre Maistresse?

Tu m'apportes tousjours ou mon mal ou mon bien:

Quand je te voy je tremble, et je ne suis plus mien,

Tantost chaud d'un espoir, tantost froid de tristesse.

Ça baille moy la lettre, et pourtant ne me laisse,

Contemple bien mon front par qui tu pourras bien

Cognoistre en le fronçant ou defronçant, combien

La lettre me contente ou donne de detresse.

Mon page que ne suis-je aussi riche qu'un Roy,

Je feroy de porphyre un beau temple pour toy,

Tu serois tout semblable à ce Dieu des voyages:

Je peindrois une table où l'on verroit pourtraits

Nos sermens, nos accords, nos guerres et nos paix,

Nos lettres, nos devis, tes tours et tes messages.

[V]

Quand au commencement j'admiré ton merite,

Tu vivois à la Court sans louange et sans bruit:

Maintenant un renom par la France te suit,

Egallant en grandeur la Royalle Hypolite.

Liberal j'envoyay les Muses à ta suite,

Je fis loin de ton chef evanoüir la nuit,

Je fis flamber ton nom comme un astre qui luit,

J'ay dans l'azur du Ciel ta loüange décrite.

Je n'en suis pas marry, toutefois je me deux,

Que tu ne m'aymes pas, qu'ingrate tu ne veux

Me payer que de ris, de lettres et d'oeillades.

Mon labeur ne se paye en semblables façons,

Les autres pour parade ont cinq ou six chansons,

Au front de quelque livre, et toy des Iliades.

[VI]

L'Enfant contre lequel ny targue ny salade

Ne pourroient resister, d'un trait plein de rigueur

M'avoit de telle sorte ulceré tout le coeur

Et brulé tout le sang que j'en devins malade.

J'avoy dedans le lict un teint jaunement fade,

Quand celle qui pouvoit me remettre en vigueur,

Ayant quelque pitié de ma triste langueur,

Me vint voir, guarissant mon mal de son oeillade.

Encores aujourd'huy les miracles se font:

Les Sainctes et les Saincts les mesmes forces ont

Qu'aux bons siecles passez, car si tost que ma Sainte

Renversa la vertu de ses rayons luisans.

Sur moy qui languissois, ma fievre fut esteinte,

Un mortel medecin ne l'eust fait en dix ans.

[VII]

Je n'ayme point les Juifs, ils ont mis en la croix

Ce Christ, ce Messias qui nos pechez efface,

Des Prophetes occis ensanglanté la place,

Murmuré contre Dieu qui leur donna les loix.

Fils de Vespasian, grand Tite tu devois,

Destruisant leur Cité, en destruire la race,

Sans leur donner ny temps, ny moment ny espace

De chercher autre part autres divers endroits.

Jamais Leon Hebrieu des Juifs n'eust prins naissance,

Leon Hebrieu, qui donne aux Dames cognoissance

D'un amour fabuleux, la mesme fiction:

Faux trompeur, mensonger, plein de fraude et d'astuce

Je croy qu'en luy coupant la peau de son prepuce

On luy coupa le coeur et toute affection.

[VIII]

Je trespassois d'amour assis aupres de toy,

Cherchant tous les moyens de voir ma flame esteinte;

Accorde, ce disoy-je, à la fin ma complainte,

Si tu as quelque soin de mon mal et de moy.

Ce n'est (ce me dis-tu) le remors de la loy

Qui me fait t'econduire, ou la honte, ou la crainte,

Ny la frayeur des Dieux, ou telle autre contrainte,

C'est qu'en tes passetemps plaisir je ne reçoy.

D'une extreme froideur tout mon corps se compose,

Je n'ayme point Venus, j'abhorre telle chose,

Et les presens d'Amour me sont une poison:

Puis je ne le veus pas. O subtile deffaite!

Ainsi parlent les Roys, defaillant la raison,

Il me plaist, je le veux, ma volonté soit faite.